Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, lors de la conférence de presse conjointe avec son homologue espagnol, Miguel Angel Moratinos, sur le rôle et l'engagement européens dans le processus de paix israélo-palestinien en dépit des obstacles au règlement du conflit, Jérusalem le 11 octobre 2010.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner au Proche-Orient (Israël, Territoires palestiniens- Jordanie)les 10 et 11 octobre 2010

Texte intégral

C'est un voyage substantiel ; nous avons rencontré beaucoup de gens. hier cela a été très intéressant d'écouter toutes les parties israéliennes : M. Ehoud Barak, le ministre de la Défense, le Premier ministre, le président de l'Etat d'Israël et aussi Tzipi Livni. Nous avons aussi eu un débat intéressant hier soir avec une partie de la société civile mélangée, des Palestiniens et des Israéliens qui tous voulaient la paix et qui participaient au processus de paix. A la fin de la journée, cela a été un peu revigorant, parce que nous sortions d'un dîner un peu difficile avec M. Lieberman.
Vous avez compris qu'il y avait des initiatives qui se développaient, que parler seulement de l'arrêt du moratoire, de l'éventuelle reprise de la colonisation, n'était pas d'actualité, mais que cette actualité-là bloquait un peu le reste, ce qu'on appelle les «core issues», c'est-à-dire un certain nombre de paramètres que vous connaissez bien et qui ont avancé dans la discussion avec le précédent gouvernement, avec M. Ehoud Olmert, avec Tzipi Livni, comme les réfugiés, Jérusalem, les frontières, la sécurité. Nous avons beaucoup entendu parler de sécurité et c'était relativement encourageant. Nous sommes sortis de là avec l'impression que l'Europe, en particulier l'Espagne et la France, pouvait aider dès lors qu'un mécanisme se mettait en marche - et je crois qu'il se mettra en marche - avec les protagonistes essentiels que sont les Palestiniens, les Israéliens et sans doute les Américains - car nous ne faisons pas de concurrence aux Américains.
Aujourd'hui, avec le Premier ministre Salam Fayyad, nous avons poursuivi les entretiens sur un plan que vous connaissez, qui est issu de la Conférence de Paris tenue en 2007 et qui fut une conférence extrêmement riche. Je vous le rappelle, car ce n'était pas seulement une conférence de donateurs, c'était une conférence pour l'Etat palestinien. C'est autour du plan de M. Salam Fayyad que les donations se sont mises en place. C'est très important parce que des progrès très réels ont été accomplis. Vous les verrez si vous venez avec nous à Jéricho. Le plan économique, mais également politique, développé par M. Salam Fayyad est vraiment un succès. Nous avons parlé du suivi de cette conférence tout à l'heure ainsi que de la situation politique, celle qui nous a été également décrite hier. Maintenant nous allons voir deux réalisations espagnole et française à Jéricho, puis le roi de Jordanie et Abu Mazen.
En résumé, nous avons bien fait de venir. C'est un moment fragile, difficile et déterminant. Les choses se poursuivront par des contacts directs ou indirects mais la déclaration de la Ligue arabe, en Libye, donne une petite perspective de temps - petite : qu'est-ce qu'un mois ? - mais c'est le moment où il faut travailler avec nos amis américains. Miguel et moi avons rendez-vous avec Hillary Clinton jeudi. Nous ferons tout ce que nous pouvons ; cela fait 25 ou 30 ans que nous essayons de faire tout ce que nous pouvons. Il y a à la fois beaucoup d'habitude, beaucoup de pessimisme et parfois un optimisme, qui n'est pas excessif.
Q - (sur les déclarations de M. Lieberman la veille)
R - Les choses ont été, c'est vrai, beaucoup plus difficiles. On ne se rend pas bien compte devant l'obstacle - le nouvel obstacle, les difficultés, parfois le blocage - quel chemin a été parcouru ; un long chemin. Finalement nos intrusions, nos ingérences - j'emploie des mots parfois péjoratifs à dessein - ont été utiles. Or là, qu'est-ce qu'on nous dit ? On nous dit : «écoutez, les Européens, vous avez des problèmes en Europe». Oui, nous avons des problèmes en Europe mais c'est aussi l'exemple de problèmes réglés. L'Europe, c'est vingt-sept pays qui ont fait la guerre pendant des siècles et qui se sont entendus entre Etats pour parler ensemble, avoir une dynamique économique ensemble, des règles communes, une légalité qui est en train de devenir commune. Nous ne voulons forcer personne, simplement, comme des amis, nous essayons de nous faire entendre et bien sûr avec plus qu'un soutien, une parfaite entente avec les Américains. Parfois cela ne marche pas, on entend des discours qui ne sont pas très positifs, des discours qui deviennent en eux-mêmes des obstacles. Nous avons l'habitude, après ça se débloque.
J'ai l'impression que cette crise-là, qui portait sur le gel de la colonisation, la poursuite du moratoire, va déboucher - ce sont les propos du Premier ministre - sur quelque chose qui après cette friction, après cette difficulté, ouvrira la porte - dans un an a-t-il dit - sur un règlement.
Mais encore une fois, il n'y a pas de pays qui se soient fait la guerre de façon plus meurtrière et avec plus d'acharnement que les pays d'Europe ; et nous sommes passés outre. Ce n'est pas un modèle, c'est simplement une expérience que nous connaissons. Il faut de l'obstination : oui, nous nous obstinons pour la paix. Quand on entend le Premier ministre palestinien et un certain nombre d'Israéliens, on sait que le terreau est là pour que pousse la paix.
Q - Monsieur le Ministre, les Européens demandent de façon récurrente à jouer un rôle plus important dans le processus de paix. Quand on pose la question aux Israéliens, ils disent finalement : vous demandez à jouer un rôle, mais prenez des initiatives concrètes et jouez ce rôle. Quand on pose la question aux Palestiniens, ils répondent : si vous voulez jouer un rôle, exercez des pressions, notamment économiques, sur Israël. Dans ces conditions, ne croyez-vous pas que les Européens soient condamnés à jouer un rôle non déterminant pour le processus de paix ?
R - Si je comprends bien votre question, vous pensez que nous ne jouons pas un rôle déterminant. Cela dépend de l'idée qu'on a de la «détermination» et du «déterminant», ce sont deux choses différentes. Nous donnons plus d'argent, nous l'Europe, pour le développement, que les Américains : donc nous jouons un rôle. Nous sommes 500 millions, des hommes et des femmes les plus riches du monde, et nous avons grâce à la conférence de Paris rassemblé plus d'argent encore que nous l'espérions. Nous avons parlé d'une nouvelle conférence pour l'Etat palestinien qui se tiendrait - nous ne savons pas quand, cela dépend bien entendu du déroulement politique des choses - probablement l'année prochaine, très tôt dans l'année. Nous jouons un rôle politique permanent par l'intermédiaire de tous les représentants des pays de l'Union européenne. Nous allons être rejoints tout à l'heure par le ministre finlandais Alexander Stubb. Vous voyez, nous avons l'Europe du sud et l'Europe du nord et il y en aura d'autres. Chacun joue un rôle, chacun a ses amis, chacun apporte des projets. Politiquement, ensemble, les vingt-sept pays de l'Union européenne sont intervenus. Je me souviens d'ailleurs très précisément de voyages dans la région avec le ministre italien et avec Miguel. Nous n'avons pas la place qu'ont les Américains, c'est normal parce que les Américains ont cette tradition de soutien à l'Etat d'Israël et de soutien au processus de paix que nous n'avons pas mais que nous gagnons petit à petit. C'est vrai, les Américains sont historiquement non pas nos concurrents mais ceux qui nous précèdent et avec qui nous devons travailler. Nous avons parlé très longuement avec Hillary Clinton la semaine dernière, très longuement avant-hier et nous la voyons jeudi.
Les choses se mettent en place. Je crois que le rôle de l'Europe est non seulement accepté mais souhaité. Le Premier ministre Netanyahou, Miguel vient de vous le dire, nous l'a demandé ; c'est très utile. Quant aux Palestiniens, ils nous le demandent en permanence. Nous avons le suivi de la conférence de Paris qui voit tous les quatre mois se réunir le « Quartet de Paris « avec le Premier ministre palestinien. Vraiment, nous sommes dans le coup, nous sommes sur la même route. Encore une fois, ce n'est pas un jeu de pétanque, on ne chasse pas la boule de l'autre.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 octobre 2010