Déclaration de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur l'action coordonnée de la France et de l'Allemagne au sein de l'Union européenne face à la crise économique et financière, à Berlin le 27 octobre 2010.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement à Berlin les 27 et 28 octobre-audition devant la Commission des affaires européennes du Bundestag, le 27 octobre 2010

Texte intégral

Monsieur le Président (MichaelGeorg Link, vice-président de la Commission des Affaires européennes),
Monsieur le Ministre, lieber Werner,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Liebe Kolleginnen und Kollegen,
Ich freue mich, heute als erster franz ösischer Europastaatssekretär zu Ihnen sprechen zu können,
Ich habe angefangen, Deutsch zu lernen,
Leider spreche ich nicht so gut Deutsch wie mein Freund Werner Französisch,
Deshalb eine Bitte : Erlauben sie mir, ab jetzt Französisch zu sprechen.
Je mesure tout l'honneur qui m'est fait aujourd'hui de m'exprimer devant vous et de participer à une réunion de la Commission des Affaires européennes du Bundestag. Il s'agit en effet d'une première pour un ministre français des Affaires européennes, qui fait suite à l'audition de mon homologue Werner Hoyer et moi-même devant la Commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale, en France, le 15 juin dernier.
Comme vous le savez, le principe d'une audition conjointe des ministres français et allemand devant les Commissions des Affaires européennes des deux pays est l'une des mesures fortes de «l'Agenda franco-allemand 2020», adopté par le Conseil des ministres franco-allemand, en février 2010. A l'occasion du prochain Conseil des ministres franco-allemand début décembre, nous ferons d'ailleurs avec Werner un premier bilan de la mise en oeuvre de ces 80 mesures que nous avions préparées et présentées à Nicolas Sarkozy et Angela Merkel.
Cette audition se déroule à un moment tout à fait crucial, puisque nous sommes à la veille d'un Conseil européen qui est amené à prendre les décisions qui permettront la mise en place d'une nouvelle gouvernance économique européenne.
I - Vous le savez, la zone euro a traversé cette année la crise la plus grave depuis la création de la monnaie unique, et, je le dis d'emblée, la France et l'Allemagne ont joué et continuent de jouer un rôle déterminant dans la gestion et la sortie de crise.
Sans m'attarder sur le déroulement de cette crise, que vous connaissez, je tiens à rappeler que c'est sous l'impulsion déterminée du président de la République et de la chancelière que l'Union européenne a su répondre à la pression destructrice des marchés en construisant les «pare-feux» nécessaires qui ont permis de sauver notre monnaie et de préparer une nouvelle avancée dans la gestion commune de nos économies, en mettant en place, d'abord un plan de sauvetage spécifique de la Grèce, (110 milliards d'euros pour la Grèce, avec 80 milliards d'euros mis sur la table par l'Europe, dont la moitié apportée par la France et l'Allemagne) puis en adoptant un mécanisme européen de stabilisation financière tout à fait exceptionnel (500 milliards d'euros mis sur la table par l'Europe - dont la moitié, là encore, apportée par la France et l'Allemagne - complétés par 250 milliards d'euros du FMI).
Au final, la bataille de la stabilisation de l'euro a été gagnée. Elle a consacré les institutions créées par le Traité de Lisbonne, en particulier le Conseil européen, et elle a renforcé la solidité du couple franco-allemand.
Elle a surtout révélé, en creux, le besoin d'une nouvelle gouvernance économique européenne que la France appelle de ses voeux depuis la négociation du Traité de Maastricht, et que le Conseil européen de juin a fini par reconnaître.
Mesdames, Messieurs, les Députés, c'est précisément cette question qui sera au coeur du Conseil européen de demain, conseil où les chefs d'Etat et de gouvernement seront appelés à prendre des décisions qu'il n'est pas exagéré de qualifier d'historiques. La France et l'Allemagne, en raison du rôle qu'elles ont eu depuis le début de la crise, jouent, dans ce domaine, un rôle moteur de proposition.
Je rappelle que Mme Lagarde et M. Schäuble ont, dans une contribution commune en date du 21 juillet, formulé des premières propositions concrètes et opérationnelles, permettant notamment de «renforcer la surveillance budgétaire multilatérale», mais aussi d'«assurer une mise en oeuvre efficace de la surveillance économique par le biais de sanctions appropriées».
Certaines de ces propositions franco-allemandes ont déjà été adoptées : les ministres des Finances se sont ainsi accordés, le 7 septembre dernier, sur la mise en place d'un «semestre européen», qui consacre l'examen par l'Union européenne des «programmes de stabilité» nationaux, chaque année au mois d'avril.
S'agissant plus précisément du renforcement du mécanisme de sanctions applicables aux Etats en cas de non respect du Pacte de Stabilité, la déclaration franco-allemande de Deauville et les conclusions de la task force Van Rompuy permettent de renforcer la discipline budgétaire d'une manière sans précédent, dans le respect de l'équilibre institutionnel, en renforçant la gamme des sanctions, tant en ce qui concerne le volet préventif que le volet correctif du Pacte de stabilité et de croissance.
S'agissant du volet préventif du Pacte, le système proposé tant par la France et l'Allemagne que par le rapport Van Rompuy prévoit pour la première fois la mise en place de sanctions en cas de dérapage, même lorsque le déficit public de l'Etat concerné reste inférieur au seuil des 3 % du PIB, ce qui constitue un renforcement majeur de la discipline budgétaire. Ces sanctions seront décidées par le Conseil, sur proposition de la Commission, et à la majorité qualifiée, conformément à l'équilibre institutionnel. Ces sanctions prendront la forme de dépôts portant intérêt, comme la France et l'Allemagne l'avaient proposé dans leur contribution du 21 juillet.
S'agissant du volet correctif du Pacte, la France et l'Allemagne, de même que le Groupe Van Rompuy, s'accordent sur la nécessité de sanctions systématiques sur la base d'une procédure en deux temps : dans un premier temps, le Conseil, sur proposition de la Commission, constate si le déficit d'un Etat est supérieur au seuil de 3 % et donne 6 mois à l'Etat concerné pour prendre les mesures nécessaires pour rétablir sa situation budgétaire ; à l'issue de ce délai de 6 mois, le Conseil, sur proposition de la Commission, examine les mesures prises ; s'il estime, à la majorité qualifiée, que ces mesures sont insuffisantes, la procédure des sanctions automatiques se déclenche.
L'accord de Deauville et le rapport du groupe Van Rompuy permettent donc un renforcement considérable de la procédure actuelle, contrairement à ce qu'on pu écrire des commentateurs trop pressés. La différence effective avec les propositions faites le 29 septembre par la Commission est que les sanctions ne viendront pas sanctionner le franchissement d'un seuil mais l'action insuffisante de l'Etat dans le délai de 6 mois qui lui aura été imparti pour prendre les mesures nécessaires avant de le sanctionner.
A ces disciplines nouvelles, les dirigeants français et allemand ont ajouté à Deauville un autre volet essentiel, qui doit être considéré comme une partie intégrante du paquet proposé, à savoir l'ouverture d'une procédure de révision du Traité, afin de permettre deux avancées considérables :
- L'inscription dans le traité d'une base juridique permettant d'établir mécanisme pérenne de stabilisation financière, pour assurer la stabilité de la zone euro de manière durable ; le mécanisme financier mis en place ce printemps, n'avait en effet qu'un caractère transitoire et une durée de trois ans.
- La possibilité de décider la suspension des droits de vote d'un Etat qui aurait gravement manqué au Pacte de stabilité ; nous pensons que dans le cas des Etats en crise budgétaire ou financière, les sanctions budgétaires ne sont pas efficaces car elles ne sont pas possibles ; dans ce type de situation, la seule sanction efficace est de nature politique, qui doit pouvoir aller jusqu'à l'arme ultime qui est la suspension des droits de vote.
II - Je voudrais maintenant en venir à un sujet très important, pour nos deux pays et pour l'Europe : comment la France et l'Allemagne peuvent-elles sortir ensemble de la crise ?
1) L'Allemagne et la France sont des partenaires économiques de longue date : en 2009, la France était toujours le 1er partenaire commercial de l'Allemagne, avec 113 milliards d'euros d'échanges, dont 71 milliards de produits achetés à l'Allemagne et 55 milliards de produits vendus. Cette même année, l'Allemagne se hissait à la première place des pays d'origine des investissements étrangers créateurs d'emplois en France.
Mais, dans le même temps, il ne nous a pas échappé que les exportations allemandes vers le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine pèsent aujourd'hui autant que les exportations vers la France. C'est une évolution que nous, Français, ne pouvons ignorer. Mais à l'inverse, vous, Allemands, ne pouvez pas ignorer que pour l'Allemagne, la France pèse autant que la totalité des BRIC réunis !
Alors que l'Allemagne a été durement touchée par la crise, les derniers chiffres de la croissance (2,2 % au second trimestre, prévision de 3,4 % pour 2010, soit la plus forte croissance depuis la réunification), tirés par la reprise des exportations mondiales de ses produits de haute qualité mais aussi par la demande intérieure, attestent de sa grande capacité à rebondir.
Ce résultat remarquable de l'économie allemande a été rendu possible parce que l'Allemagne a réformé en profondeur son marché du travail, à réformer son régime de retraites et a ainsi pu conforter son statut de pays industriel : l'Allemagne est l'un des rares pays dont la place du secteur secondaire dans l'économie s'est accrue au cours de ces dernières années, alors qu'elle a diminué en France. L'industrie produit en effet 16 % de la valeur ajoutée française contre 30 % en Allemagne. Cela ne peut pas durer, parce que nous ne croyons pas qu'une grande économie développée puisse exister sans industrie.
2) Je vous le dis sans détour : loin de susciter l'inquiétude, les performances de l'Allemagne ne peuvent qu'inspirer la France.
En matière de convergence fiscale, le président de la République a chargé Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, d'établir une comparaison des systèmes fiscaux français et allemands. François Baroin s'est également rendu le 24 août à Berlin pour rencontrer Wolfgang Schäuble, et les deux ministres se sont prononcés en faveur d'une convergence de la fiscalité des entreprises.
En matière de discipline budgétaire, pour restaurer notre compétitivité et respecter nos engagements européens, le président de la République a fixé un objectif sans précédent de réduction des déficits publics : le déficit public va passer de 7,7 % du PIB en 2010 à 6 % en 2011, pour atteindre 3 % en 2013. Entre 2010 et 2011, le déficit de l'Etat diminuera de 152 milliards d'euros à 90 milliards d'euros, soit une baisse de 40 %. Je rappelle également que, lors de la dernière Conférence des déficits, le président de la République a souhaité qu'une nouvelle gouvernance en matière de finances publiques soit inscrite dans notre Constitution, ce qui mettra pleinement en cohérence les efforts de réduction du déficit engagés par le gouvernement français et nos engagements européens.
Ces choix ont entraîné pour la première fois depuis trois décennies, la diminution du nombre d'emplois publics (avec le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux) et le plafonnement des dépenses des ministères et, sur le plan social, la réforme des retraites, adoptée définitivement ce jour par le Parlement, qui vise un relèvement de l'âge légal de la retraite de 60 à 62 ans dès 2018, et le report de l'âge maximal auquel on pourra toucher sa retraite à taux plein de 65 à 67 ans.
La France s'est également engagée à poursuivre l'effort sans précédent de réformes structurelles qui ont été engagées depuis 2007 et investir dans l'avenir :
- La réhabilitation du travail et de l'esprit d'entreprise, avec la défiscalisation des heures supplémentaires, la suppression de la taxe professionnelle, la création du statut de l'auto-entrepreneur.
- L'investissement dans la croissance du futur, avec la mise en place d'un système de crédit-impôt recherche dont tout le monde nous dit qu'il est le meilleur de tous les pays de l'OCDE, la réforme de l'autonomie des universités, et enfin le Grand emprunt, programme d'investissement d'avenir qui consacre 35 milliards d'euros à l'enseignement supérieur, à la formation, à la recherche, à l'innovation. Avec l'effet de levier des autres financements privés, l'effort total d'investissement sur les technologies d'avenir va tourner autour de 60 milliards d'euros, en plus de tous les projets déjà existants. Depuis deux décennies, jamais un gouvernement n'a autant misé et investi sur le futur.
- La rénovation du rôle de l'Etat actionnaire, à travers la mobilisation de l'épargne des Français pour l'industrie, et l'ouverture de l'industrie vers la jeunesse pour susciter les vocations et attirer les talents.
D'ailleurs, en matière de réformes l'émulation entre nos deux pays doit être réciproque et dans bien des domaines, c'est la France qui pourrait servir d'inspiration à l'Allemagne : je pense en particulier à la politique familiale ou à la politique énergétique !
Toutes ces réformes que je viens brièvement d'évoquer sont essentielles pour préserver notre modèle social, pour créer des emplois sur notre territoire, et pour garantir l'attractivité de notre pays.
3) C'est sur cette base économique renouvelée que nous pourrons continuer à vous convaincre de travailler, ensemble, à construire une base industrielle solide, et à conquérir ensemble de nouveaux marchés, en Asie notamment.
Cette coopération stratégique doit se développer dans les domaines suivants :
- La France et l'Allemagne doivent préparer ensemble, très attentivement, le Conseil européen de janvier 2011, qui sera consacré à l'énergie. Il faut cesser d'avoir une approche fragmentée de nos relations énergétiques avec nos grands fournisseurs, et nous poser enfin, collectivement, les bonnes questions au niveau européen ;
- Dans le domaine de la défense, comment ne pas s'inquiéter du fait, qu'en 2010, il n'existe plus de grands programmes en coopération pour les années à venir, contrairement aux années 70-80 qui ont lancé les programmes d'aujourd'hui (A 400M, frégates FREMM, hélicoptères Tigre, NH 90) ? Face au «mur budgétaire» incontournable auquel sont confrontés tous les Etats, il est indispensable de passer d'une logique de «coopération à l'ancienne», fondée sur le «juste retour», des coûts exorbitants et la duplication inutile de matériels, à une logique radicalement nouvelle : celle du partage des capacités et de la spécialisation des compétences. La France, l'Allemagne et le Royaume-Uni doivent être au coeur de cette évolution.
- Enfin, le 14 septembre dernier, les ministres français et allemands de l'Agriculture ont lancé ensemble un appel «pour une politique forte après 2013», qui met l'accent sur les défis mondiaux auxquels est confrontée la Politique agricole commune, et sur la nécessité de renforcer la compétitivité de l'agriculture européenne. Cette ambition pour la PAC doit naturellement se refléter dans le prochain cadre financier européen post-2013.
- Au niveau européen, nous souhaitons, avec nos partenaires et l'Allemagne au premier chef, bâtir les grands projets pour l'avenir dont l'Europe a besoin pour rester au niveau dans la compétition mondiale : je pense ici à Galiléo, aux réseaux transeuropéens de transport ou à ITER.
C'est d'ailleurs pour cela que le président s'est battu avec la chancelière pour que la stratégie «Europe 2020» pour la croissance et pour l'emploi comporte un volet industriel ambitieux et une politique de l'énergie qui ne se réduise pas à réguler le marché intérieur.
C'est aussi pour cela que le président de la République s'est battu pour que la stratégie «Europe 2020» prévoie un volet international, afin que l'Union européenne obtienne davantage de loyauté dans les échanges internationaux et notamment une réelle réciprocité dans les échanges commerciaux, conformément aux conclusions du Conseil européen du 16 septembre dernier, sous peine de voir à terme nos emplois absorbés par les économies émergentes.
4) Je voudrais terminer quelques propos sur la place de l'Allemagne en Europe, avec un message très clair : aujourd'hui, nous avons besoin que l'Allemagne joue avec la France un rôle leader au service de l'Europe dans le monde, et je crois qu'il s'agit là d'une vision partagée, en particulier par mon homologue Werner Hoyer.
La puissance économique de l'Allemagne doit la conduire à «emmener» les Européens dans le monde globalisé qui est le nôtre et qui ne nous attend pas.
L'Europe doit en effet accepter de regarder la réalité en face : les pays émergents pèseront d'ici 2030 57 % du PIB mondial, contre 38 % en 2000. Si nous n'y prenons garde, nous, Européens, courons le risque d'une marginalisation à l'échelle de la planète.
Dans ce contexte, la puissance économique de l'Allemagne a donc vocation à trouver sa traduction politique dans les relations extérieures de l'Union européenne, et c'est pourquoi j'appelle nos deux pays à une unité de vue et d'action toujours plus forte dans le domaine de la politique commerciale, de la politique industrielle, et dans d'autres domaines stratégiques comme celui de la protection de la propriété intellectuelle, où l'Europe doit davantage s'affirmer et faire valoir ses intérêts dans la compétition mondiale.
Mesdames et Messieurs, vous le voyez, c'est donc un message d'espoir et de conviction que je suis venu délivrer ici. Le temps n'est plus aux discussions, mais à l'action : grâce à l'action d'Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, l'Union européenne a désormais des institutions stables ; nous devons maintenant travailler à doter l'Europe d'une stratégie mondiale à la hauteur de ses ambitions. Je serai très heureux de dialoguer avec vous et de répondre à vos questions.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 octobre 2010