Interview de M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, à Europe 1 le 21 octobre 2010, sur l'intervention des forces de l'ordre pour débloquer les dépôts de carburant.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- À peine sorti de son QG, B. Hortefeux bonjour. Merci d'être là. Bonjour. À l'aube, là aujourd'hui, les forces de sécurité ont-elles débloqué des dépôts de carburant ?
 
Oui, elles en avaient débloqué sept dans la nuit précédente et il y en a un supplémentaire qui a été débloqué cette nuit à 5 heures du matin : c'est celui de Rouen, enfin de Rubis très exactement, qui approvisionne une partie de cette région et d'ailleurs aussi une partie de l'Ile-de-France.
 
C'est-à-dire que chaque fois, vous libérerez les dépôts paralysés ?
 
Oui. La réalité, quelle est-elle ? Il y a 219 dépôts dans notre pays, 96 sont considérés comme prioritaires et il y en a encore 14 qui sont en situation de grève. Donc la réalité est celle-là : sur les 219, il y en a encore 14 qui sont en situation de grève.
 
Et quand les grévistes résistent ou reviennent sur les lieux, est-ce que vous allez recommencer ? C'est-à-dire ces allers-retours ?
 
Bien naturellement. Une fois que nous avons pris la décision de les débloquer - c'est le rôle de l'État, c'est l'autorité de l'État - nous restons présents et nous assurons le déblocage de ces dépôts. Pourquoi ? Pour une raison simple : c'est parce que c'est là où se trouve l'essence.
 
Les chefs d'entreprises grandes, moyennes et petites, se plaignent aujourd'hui de difficultés d'approvisionnement. Est-ce que ce matin vous pouvez les rassurer, B. Hortefeux ?
 
J'ai entendu beaucoup de choses et des choses inexactes sur les capacités et surtout nos réserves. En réalité, nous avons plusieurs semaines de réserves d'essence dans nos dépôts. Mais ce qui constitue...
 
Plusieurs semaines, c'est-à-dire deux, trois, quatre ?
 
Plusieurs semaines. En tout cas, ça veut dire qu'il n'y a pas de problèmes à échéance courte en termes d'essence. Le problème qui existe et il est réel, c'est celui de la manière dont on assure la distribution auprès des stations-service par exemple.
 
Il y en a beaucoup qui sont à sec.
 
La situation est la suivante. Vous avez aujourd'hui, ce matin, 73-74 % des stations-service qui sont totalement approvisionnées ou partiellement approvisionnées, c'est-à-dire en gros 3 sur 4, et vous en avez 25-26 % qui sont effectivement bloquées. Donc 3 sur 4 sont approvisionnées. Simplement ceux qui nous écoutent évidemment peuvent parfois percevoir au contraire des difficultés qui subsistent. Pourquoi ? Tout simplement parce que la situation est très diverse selon les régions. Il y a eu des tensions dans l'Ouest, des tensions en Ile-de-France. J'étais hier à Lyon par exemple : il n'y a pas aujourd'hui de problèmes particuliers dans cette région. Deuxième réalité : c'est que dans l'Ouest, c'est en train de s'améliorer et donc il y a un point pour lequel nous devons être vigilants, c'est le point de l'Ile-de-France.
 
Mais monsieur le ministre de l'Intérieur, tous ceux qui ont envie de prendre la route pour les vacances de la Toussaint, est-ce que vous leur conseillez de rester chez eux ou est-ce qu'ils seront ravitaillés ? Pour l'aller et le retour naturellement ?
 
Ils seront ravitaillés. Je vous ai fait le point précis de la situation, et je précise que la tendance est à l'amélioration. Je l'ai dit : 3 stations-service sur 4 dans notre pays sont approvisionnées, totalement ou partiellement ; un gros quart est effectivement bloqué et la situation, la tendance ce matin, est à l'amélioration.
 
Est-ce que la pénurie reste une menace sérieuse si ça continue ?
 
Non. Je dis il y a des réserves d'essence dans les dépôts pour plusieurs semaines mais je ne cache pas simultanément la difficulté de répartition et d'approvisionnement des stations.
 
Jusqu'où vous irez pour rétablir l'ordre ?
 
Écoutez, c'est très simple. Il y a dans notre pays deux droits qui sont des droits constitutionnels : c'est le droit de faire grève et le droit de manifester. Ce sont des droits qui doivent être respectés mais naturellement d'un côté il ne faut pas que ceux qui veulent travailler en soient empêchés. Ça, c'est pour le droit de grève. Et le droit de manifester, cela ne signifie pas le droit de piller, de casser, de provoquer, d'agresser et de voler.
 
B. Hortefeux, vous avez écouté les journaux d'Europe 1 ce matin. Vous savez qu'il y a un scandale à Marseille. D'abord l'aéroport et la route de l'aéroport bloqués : est-ce que vous débloquerez les aéroports ?
 
Oui. Il y a déjà eu d'ailleurs hier dans plusieurs aéroports des situations analogues. Cela a été débloqué.
 
Et à Marseille, ça le sera.
 
Et à Marseille, ceux qui veulent se déplacer, ceux qui veulent pour des raisons professionnelles ou personnelles, naturellement doivent pouvoir le faire. Encore une fois, le droit de grève ce n'est pas empêcher ceux qui veulent travailler de s'y rendre.
 
Quand je dis « le scandale », c'est que les Marseillais eux-mêmes s'indignent de voir leur ville livrée aux ordures et aux rats. Le préfet M. Sapin a fait appel hier à 150 membres de la Sécurité civile pour nettoyer certaines rues de Marseille à la place des éboueurs. Vous lui donnez raison et vous l'encouragez à continuer pour tout Marseille ?
 
Oui, oui ; Ce n'est pas simplement la mobilisation de la Sécurité civile. La mairie de Marseille aussi a mis des moyens importants. Naturellement, je soutiens totalement l'initiative du préfet M. Sapin.
 
Dans quelques jours, B. Hortefeux, cinquième anniversaire des émeutes de 2005. Est-ce qu'il y a un risque possible de contagion du mouvement actuel et de répétition de ce qui s'est passé en 2005 ?
 
Il y a des commémorations qu'on n'est pas forcément obligés de fêter contrairement à ce que vous laissez entendre. La réalité c'est qu'à ce stade, ça n'a strictement rien à voir.
 
C'est D. de Villepin qui le rappelait aussi hier.
 
Eh bien c'est donc valable aussi pour lui. Cela n'a strictement rien à voir. Pourquoi ça n'a rien à voir ? D'abord ce ne sont pas les mêmes causes. 2005, ça avait pour origine un incident important qui était survenu à Clichy-sous- Bois. Là, c'est à l'occasion d'un grand mouvement social. Deuxièmement, ce n'est absolument pas de la même ampleur ; le nombre de personnes concernées n'a rien à voir. Et troisièmement, surtout ça ne se déroule absolument pas dans les mêmes lieux. En 2005 c'était précisément dans les banlieues alors qu'aujourd'hui, ce qui se déroule c'est plutôt dans les centres-villes. Donc il n'y a pas...
 
Mais vous ne craignez pas les banlieues aujourd'hui ?
 
À ce stade, cela n'a rien à voir.
 
À Lyon vous avez déclaré hier : « La France n'appartient pas aux casseurs, aux pilleurs et aux caillasseurs ». Est-ce que vous pouvez expliquer, B. Hortefeux, cette phrase qui a été mal comprise ? Ça veut dire que la France n'appartient pas à tous. Est-ce que ça veut dire que ceux qui cassent et caillassent ne sont pas des Français ?
 
Non, ce que j'ai dit et je le confirme tout à fait, c'est que la France ne doit pas appartenir à des casseurs, à des voleurs et à ceux qui sont là pour piller. Cela appartient à ceux qui sont des honnêtes gens et qui aspirent tout simplement à vivre tranquillement. J'observe simplement que certains prennent des parcelles de notre territoire pour des champs de bataille et ça, c'est totalement inacceptable. Moi j'ai une mission simple, d'ailleurs qui a été parfaitement définie en son temps par ce grand Républicain qu'était G. Clemenceau et qui avait dit : « le Gouvernement a pour mission de faire que les honnêtes gens, que les bons citoyens soient tranquilles et que les mauvais ne le soient pas ». Eh bien c'est ma seule ambition et je n'ai aucun autre critère.
 
Voilà. Hortefeux-Clemenceau. La plupart de ces casseurs vont à l'école, monsieur Clemenceau...
 
N'en faites pas trop tout de même mais c'est vrai que j'ai pris une grande référence républicaine.
 
Les autres appartiennent-ils à des mafias secrètes et organisées ? Est-ce qu'il y a des gens derrière ? Il y a quelqu'un ou quelque chose derrière eux ?
 
Non, je n'en sais rien. En tout cas, ce que l'on a pu observer, c'est qu'effectivement il y avait la volonté de casser, de provoquer et de piller. D'ailleurs la police a été extrêmement maîtresse d'elle-même. Les forces de sécurité, policiers et gendarmes, ont fait preuve de beaucoup de professionnalisme et de sang-froid. Sur la seule journée d'hier par exemple, mercredi, nous avons interpellé 245 personnes, 195 ont été placées en garde-à- vue.
 
Au total ça fait ?
 
Au total depuis le 12 octobre, ça fait 1 901 personnes très exactement qui ont été interpellées et 1 412 qui ont été placées en garde-à-vue dans le calme, avec un très grand professionnalisme. Il n'y a pas eu d'incident majeur.
 
Et comme ce sont des mineurs, combien ont été relâchés ?
 
Mais il y en a un certain nombre qui sont présentés effectivement au juge pour enfants.
 
Est-ce que ces jeunes ne donnent pas au président de la République lui-même qui dénonçait à Grenoble l'échec de la politique de la ville et de l'intégration depuis 30 ans ?
 
D'abord c'est un défi qui n'est pas un défi français : c'est un défi européen. Regardez madame Merkel il y a quarante-huit heures : la chancelière allemande s'est exprimée pour dire la même chose, que c'était un échec, c'était à Potsdam. La réalité, c'est que le défi de l'intégration est un défi majeur. Ça concerne naturellement l'habitat, l'éducation, l'apprentissage de la langue française, l'apprentissage des valeurs républicaines, l'égalité homme-femme qui est un des enjeux majeurs. En tout cas c'est sûr que c'est un long combat et c'est même un enjeu collectif.
 
Est-ce que vous laissez jouer le pourrissement ? Le Nouvel Observateur titre : « Le pouvoir joue la crise ».
 
D'abord on ne joue pas. Deuxièmement le pourrissement c'est long. Nous, la seule ambition, c'est très concrètement de faire passer une réforme qui est aussi indispensable que juste et efficace.
 
Dernier mot : l'intersyndicale se réunit cet après-midi pour définir sa stratégie. À ce stade, qu'est-ce que vous avez envie de lui dire ? Et qu'est-ce que vous avez envie de dire au Parti socialiste ?
 
Non, tout simplement d'abord aux syndicats que le Gouvernement respecte leur action, respecte les manifestants et qu'il y a eu des tas d'évolutions, des tas d'améliorations qui ont été apportés au projet grâce à la discussion, grâce au dialogue, que ce soit la prise en compte de la pénibilité, la situation des mères de famille, les poly-pensionnés, les parents d'enfants handicapés...
 
Oui, oui, oui.
 
Bref, il y a eu des tas d'améliorations. Je dis simplement une chose simple : c'est que par définition, le Gouvernement a toujours la porte ouverte.
 
Voilà. Le prochain gouvernement, on voit bien qu'il devra faire du social, beaucoup de social et encore du social comme disait Gainsbourg. Bonne journée.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 octobre 2010