Interview de Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'écologie, à Radio France internationale le 2 novembre 2010, sur le bilan de la conférence de Nagoya sur la biodiversité et la perspective d'un remaniement gouvernemental.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

F. Rivière.-   Vous rentrez de Nagoya, au Japon, où plus de 190 pays ont adopté,   ce week-end, un accord sans précédent, nous dit-on, visant à mieux   protéger les espèces et les écosystèmes de la planète, mais aussi à en   partager plus équitablement les bénéfices. Le terme "d’accord   historique" a été assez largement employé. Vous avez fait part de   votre joie à la suite de cet accord. Alors, de quoi s’agit-il   exactement ?  
 
C’est un accord extrêmement important parce que c’est la première fois   qu’on a un grand accord sur la biodiversité, c’est-à-dire la nature, la   diversité des espèces dans la nature, qui a pour principal objectif de   permettre qu’on ne puisse plus exploiter les ressources naturelles sans   payer un prix et sans avoir un droit d’accès exigé par les différents   pays. En d’autres termes, on ne pourra plus piller de manière libre les   pays méga-divers comme les pays africains. Et c’est la première fois   qu’on avait un très grand accord sur l’environnement depuis Kyoto.   C’est l’équivalent du Kyoto, qui était dans le domaine du climat, pour   la biodiversité.  
 
Mais alors, on n’est plus libre, y compris chez soi, de faire   exactement ce qu’on veut avec sa propre biodiversité ?   
 
Non, non, au contraire, c’est-à-dire que les pays qui sont des pays qui   ont des ressources de biodiversité, vous savez qu’à la base, avec   l’utilisation des ressources génétiques issues de certaines plantes, on   fait des médicaments, on fait des crèmes cosmétiques, et aujourd’hui les   bénéfices tirés de ces produits ne reviennent pas au pays pour la   protection de sa biodiversité. Donc, avec cet accord, les ressources   reviendront au pays. Mais c’est le pays d’origine qui va définir,   effectivement, les conditions.  
 
Dans cet accord, il y a également un plan stratégique en vingt   points pour 2020 qui vise à freiner le rythme des disparitions   d’espèces. Quelles sont celles qui sont prioritairement concernées ?   Il y a un vrai problème aujourd’hui de disparition des espèces sur   la planète ?  
 
Alors oui, c’est un plan stratégique en vingt objectifs. Il y a un vrai   problème de disparition puisque le rythme est cent à mille fois supérieur   au rythme naturel de disparition. C’est nettement lié à l’activité   humaine, tout simplement. Il y a différents objectifs, par exemple que   l’on augmente les espaces protégés dans la mer - aujourd’hui, il n’y a   que 1 % de la mer qui est protégé - qu’on atteigne au minimum 10 %   d’ici 2020. C’est énorme !  
 
Cet accord n’a pas été signé par les Etats-Unis...  
 
Non, parce que les Etats-Unis ne font pas partie de la convention sur la   biodiversité, ils n’ont jamais signé cette convention. On les y pousse,   mais manifestement, actuellement, ils ne sont pas tellement en état de le   faire.  
 
Ils ont un problème avec l’écologie les Américains ? 
 
 Ce qui est assez étonnant, c’est que sur ce qui est la biodiversité, c’est   un pays où on trouve les plus grandes associations. Ils ont une vraie   culture, ils font plutôt pas mal de choses, mais ils n’ont jamais voulu   signer cette convention. Sur le climat, c’est plus compliqué pour eux   parce que l’american way of life n’est pas effectivement tout à fait   compatible avec les exigences climatiques.  
 
Le mode de vie américain, en français, dans le texte...  
 
Oui, vous avez raison de me corriger.  
 
Cet accord n’a pas de caractère contraignant. Est-ce que vous êtes   sûre que chacun va le respecter ?  
 
Il n’a pas de caractère contraignant dans l’absolu, comme tout accord il   faut que chaque pays le ratifie de toute façon. Mais ceci dit, pour les   pays qui sont les principaux intéressés, les pays qui sont ressources de   biodiversité, on les appelle "les pays méga-divers", ils vont adopter ces   dispositions et il ne sera plus possible d’aller piller leurs ressources   librement.  
 
Et est-ce que ça peut aider à relancer les négociations sur le climat,   parce que pour l’instant, sur ce point-là, on est un peu bloqué...  
 
Etant normande, je vais vous répondre oui et non. Non, parce que on est   sur deux sujets radicalement différents, avec des enjeux différents.  
 
Oui, mais ça ne peut pas créer une dynamique ?  
 
La biodiversité, ce n’est pas la bataille des gros, ce n’est pas la bataille   de la Chine contre les Etats-Unis, il n’y a pas de notion de   responsabilité entre le Nord et le Sud, par contre, que l’on a, par contre,   dans le domaine du climat. Par contre, oui, parce que ça va créer une   dynamique positive et on a prouvé, enfin, qu’on pouvait avoir un grand   accord international. Il a fallu, honnêtement, sur place, se mettre en   quatre et je dois dire que la France s’est beaucoup démenée pour que...   On travaille beaucoup avec les Africains sur cet accord parce que c’est   l’un des continents qui est le plus intéressé et le plus concerné par ce   sujet.  
 
En France, trois ans après le lancement du Grenelle de   l’environnement, un rapport établi par des ONG va être remis   aujourd’hui au ministre de l’Ecologie, J.-L. Borloo, un rapport   assez critique. En substance, ils disent qu’on a beaucoup parlé mais  peu agi. Selon un sondage OpinionWay publié il y a quelques jours   par le magazine Terra Eco, 74 % des Français considèrent que ce   Grenelle, ce new deal - c’est moi qui franglise maintenant -   écologique promis par N. Sarkozy est un échec. Alors, est-ce que le   Grenelle, ce n’était que du vent ?  
 
Je n’ai pas du tout la même lecture que vous.  
 
Ce n’est pas ma lecture, c’est celle des écologistes indépendants.  
 
Entre le rapport qui va être rendu... - je l’ai vu que ce week-end ce   rapport - mais qui va être rendu, je le trouve au contraire, au contraire   positif, voire sur certains aspects très positifs par rapport à la lecture   que moi j’en avais.  
 
Sur le bâtiment, en effet, mais sur d’autres points ils sont très   critiques.  
 
Le rapport dit, grosso modo, que sur les quasiment 270 points qui sont   les engagements du Grenelle, il n’y en a que onze qui ne sont pas   réalisés. C’est ce que dit le rapport, très exactement.  
 
Oui, mais enfin ils sont soulignés, mais très importants.  
 
Dans ces points importants, il y a la contribution carbone par exemple.   Donc le rapport est au contraire, je trouve, positif, alors que Terra Eco   avait une lecture très négative. Vous savez, le problème du Grenelle   dans la période actuelle, c’est qu’on y fait énormément de politique et   on met beaucoup de politique sur le dos du Grenelle. Donc les   caricatures ne sont jamais bonnes. La réalité, c’est que les choses   avancent, qu’il faut du temps parce qu’on est sur un sujet de société   lourd, donc ce n’est pas un claquement de doigts qui va faire les choses.   Mais regardez le photovoltaïque, ça a augmenté de 600 %, l’éolien ça a   augmenté de 90 %. On a vraiment aujourd’hui des choses qui avancent   et le problème c’est que on a voulu refaire... Certains ont voulu refaire   de la politique politicienne sur le dos de l’écologie, ce qui, franchement,   ne le méritait pas.  
 
Est-ce que le ministre de l’Ecologie, puisque c’est un dossier qui   vous tient à coeur, le ministre de l’Ecologie à Matignon, donc   Premier ministre, ce serait une bonne chose pour vous ?  
 
Cela aurait un énorme avantage, c’est que, bien évidemment, ayant   acquis une culture de l’écologie, une connaissance de l’écologie, ça   facilite nettement les sujets. Mais dans tous les cas, ce n’est pas moi qui   choisis.  
 
Ça, oui, ce n’est pas un scoop !  
 
Heureusement !  
 
Mais enfin, quelles sont les qualités de J.-L. Borloo, selon vous, qui   ferait un bon Premier ministre, ou peut-être, au fond, n’en êtes-vous pas convaincue d’ailleurs. Est-ce qu’il ferait un bon Premier   ministre, et si oui, pourquoi ?  
 
Honnêtement et très sincèrement, je ne vais pas être très sympa avec   vous mais je ne vais pas vous répondre, parce que, un, je ne m’estime   pas du tout avoir le droit de juger les uns et les autres.  
 
Mais il y en a plein de vos collègues qui ont déjà sorti la brosse à   reluire vous savez, donc...  
 
Oui, je sais ! Je sais, la brosse à reluire...  
 
...Ce n’est pas votre genre ?
 
 ... Mais c’est toujours très bien pour se placer. Ensuite, donc, voilà, F.   Fillon, J.-L. Borloo, tout ça, ce sont des hommes extrêmement   compétents, chacun apportant quelque chose, l’incarnation de l’Etat, le   dialogue social, bon, voilà. Chacun a quelque chose. Mais je ne suis pas   là, moi, pour donner...  
 
Fillon, c’est l’incarnation de l’Etat ; Borloo, c’est le dialogue   social ?  
 
Ben, c’est le dialogue social, c’est l’homme qui a réussi des grands   projets, mais je ne suis pas là pour donner des bons points et des   mauvais points sur les uns et sur les autres. Je ne suis pas là pour me   placer. Soit on est utile et on reste, soit on ne l’est pas.  
 
Est-ce que vous avez, à titre personnel, envie de rester au   gouvernement, continuer votre travail ?  
 
Honnêtement, c’est toujours un honneur de faire partie d’un   gouvernement. Quand il y a certains qui disent « oh mais non, moi   non », voilà, il ne faut pas non plus mentir. Je me souviens, un jour, un   paysan qui m’avait dit, « oh, votre place elle doit être bien bonne parce   qu’il y a beaucoup de candidats », ben il a raison, et voilà.  
 
C’est le bon sens.  
 
C’est le bon sens. Evidemment que c’est un honneur d’être au   Gouvernement.  
 
Donc, si vous pouvez rester, vous êtes candidate pour y rester ?  
 
Si tant est que mes idées plaisent.  
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 5 novembre 2010