Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "l'Agence France Presse", "France Inter" et "Europe 1" le 6 novembre 2010 à Beyrouth, sur la tension suscitée par l'attente de l'acte d'accusation du Tribunal spécial pour le Liban chargé de l'enquête sur l'assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri.

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Média : Europe 1 - France Inter

Texte intégral

Q - Vous avez rencontré tous les responsables politiques, vous avez également rencontré les responsables du Hezbollah, qui sont très inquiets aujourd'hui. A mesure que s'approche l'acte d'accusation que l'on attend, les pressions sont de plus en plus fortes, de plus en plus vivifiés au Liban. Comment régissez-vous ? Vous disiez tout à l'heure que vous étiez inquiet vous-même ?
R - Je ne veux pas partager l'excès d'inquiétude que j'ai constaté dans mes nombreux échanges ici. Mon expérience de la justice internationale varie bien sûr suivant les pays, suivant les situations. Mais la légalité sort toujours renforcée des interventions d'une Cour de justice internationale, d'un tribunal spécial... Aucun mouvement, aucune communauté ne seront visés. Souvenez-vous de quoi il s'agit. Il s'agit d'une enquête pour identifier les assassins du Premier ministre libanais, Rafic Hariri et d'autres victimes au cours d'un attentat effrayant dont tout le monde se souvient qu'il a été unanimement condamné.
La communauté internationale, à l'appel du Liban, devant la nécessité exprimée par les Libanais de trouver les assassins de M. Rafic Hariri, s'est déclarée à l'unanimité, sans voix discordantes, pour la création de ce tribunal spécial. Il va produire, je ne sais quand - d'ailleurs personne ne le sait -, un acte d'accusation. Avant d'être inquiet, attendons l'acte d'accusation. Qui va être visé ? Je n'en sais rien. Vous savez, les rumeurs vont très vite. Nous verrons bien, s'il y a des accusations infondées, il faudra se défendre, il faudra que ceux qui se sentent visés ou qui sont visés, se défendent. On va produire un certain nombre de résultats qui je ne connais pas après une enquête que nous avons suivi de très loin, vous et nous. Mais il n'y a pas de raison d'inquiétude, au contraire. Si l'injustice demeure impunie, si les crimes demeurent impunis, alors il y aura des inquiétudes pour le Liban. Lorsque la justice passe, après les procès - nous n'en sommes pas là n'est-ce pas, on n'a même pas l'acte d'accusation -, on sort renforcé de cette épreuve. La légalité libanaise, les institutions libanaises, les partis libanais, n'ont pas d'inquiétude à avoir.
Q - Vous, vous en êtes convaincus, mais il y en a certains qui ne le sont pas.
R - Eh bien il faudra les convaincre. Cela a toujours été comme cela selon mon expérience, que ce soit aux Balkans ou en Afrique. Oui, il y a eu des inquiétudes, et puis cela s'est plutôt beaucoup mieux passé.
Q - Vous avez dit tout à l'heure qu'à votre avis rien de fâcheux ne risque de se passer. Vous êtes rassurés après vos rencontres depuis 24 heures ici au Liban ?
R - Ecoutez, je ne suis pas devin. Il s'est passé des choses surprenantes au Liban, et parfois très négatives. Attendons. Mais j'espère avoir contribué, j'espère que la France a contribué à rassurer les gens que j'ai rencontrés.
Q - Un petit mot sur l'avion qui doit ramener demain d'Irak des blessés ?
R - Théoriquement, il part donc lundi. Des médecins français sont partis évaluer la condition, en tout cas se pencher sur chaque patient. Il y aurait une trentaine de blessés qui reviendraient dans un premier temps. Je ne sais pas le nombre de ceux qui les accompagneront. Je sais que, parmi eux, pour le moment, ce n'est pas définitif, il y a 15 blessés graves, et les hôpitaux sont prêts à les accueillir. C'est un geste humanitaire nécessaire dont la France a témoigné, mais ce n'est pas suffisant.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 novembre 2010