Interview de M. Georges Tron, secrétaire d'Etat à la fonction publique, à "Canal Plus" le 8 décembre 2010, sur les tensions au sein de la majorité présidentielle, sur le climat social dans la fonction publique et la signification de l'organisation d'un forum des "résistants dans la fonction publique".

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Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben et C. Roux.- M. Biraben : G. Tron, le secrétaire d'État à la Fonction publique, est l'invité de La Matinale. La fonction publique, un dossier à manier comme de la nitroglycérine et N. Sarkozy ne l'a pas aidé en parlant du retour du "fonctionnaire multitâches", un sujet hautement sensible, alors qu'une résistance s'organise dans une partie de la fonction publique où les agents refusent d'appliquer certaines mesures au nom de l'intérêt général. Sinon, G. Tron doit aussi gérer son ancien ami D. de Villepin. Soyez le bienvenu, bonjour.

Merci, bonjour.

C. Roux : Bonjour. Alors effectivement, vous avez eu un message de votre ancien ami, D. de Villepin, qui vous a appelé dimanche à faire preuve de pudeur et de respect à son égard après que vous lui ayez adressé un message par médias interposé l'appelant à moins d'outrance. La question qui se pose ce matin, c'est : est-ce que vous avez rompu avec D. de Villepin ?

Non. Ce n'était pas la déclaration la plus fine qu'il ait faite, mais cela dit, les choses étant ainsi dites, nous avons lui et moi des tempéraments qui sont assez directs, donc ils s'expriment. J'avais dit deux jours avant que je souhaitais qu'il soit mesuré - c'est le mot que j'avais utilisé, je crois, lors de la journée de samedi. Il l'a été et j'ai dit le dimanche que je m'en réjouissais, et je persiste à m'en réjouir. Dominique est un homme politique qui a un immense talent, on a besoin de lui dans la majorité. Il n'en demeure pas moins qu'il ne faut pas s'isoler et qu'il n'a pas intérêt, me semble-t-il, à ouvrir dorénavant des polémiques avec ceux qui, comme moi, ont été ses plus fidèles accompagnateurs, y compris dans les moments les plus difficiles.

C. Roux : Et qu'il ne l'oublie pas, c'est ça que vous êtes en train de nous dire. J.-F. Copé a déclaré à propos de D. de Villepin qu'il avait besoin d'avoir un échange avec lui pour voir ce qu'il souhaite. On rappelle que J.-F. Copé est le nouveau patron de l'UMP. Qu'est-ce que peut apporter D. de Villepin à l'UMP ? Est-ce qu'il va, selon vous, tout faire pour que N. Sarkozy soit réélu en 2012 comme le souhaite J.-F. Copé ?

Je crois qu'il faut mettre les choses dans le bon ordre. Pour l'instant, nous avons D. de Villepin qui doit répondre à une question : est-ce que oui ou non je suis dans la majorité ? J'ai trouvé que les propositions qu'il a faites samedi avaient un avantage : c'était de se situer sur le terrain du fond, d'avoir pour certaines d'entre elles un côté novateur et je suis persuadé qu'il peut parfaitement s'inscrire dans la réflexion globale de la majorité. Il appartient ensuite à lui et à lui seul de savoir s'il veut s'y ancrer ou pas. En tout cas, je le dis avec conviction et avec force, nous sommes, nous avons été élus dans la majorité. Je suis élu par des gens qui se reconnaissent dans la majorité et j'aurai une amitié pour Villepin mais cette amitié pour Villepin, ce désir qu'il participe au travail collectif ne peut pas, ne nous éloignera pas de la majorité.

C. Roux : G. Tron, très sincèrement, est-ce que vous pensez qu'il va tout faire au sein de l'UMP, puisqu'il est toujours à l'UMP, pour faire réélire N. Sarkozy en 2012 ?

Mais ça, il n'y a que lui qui peut répondre à ça. Je souhaite qu'il fasse ce qu'il faut pour pouvoir contribuer à la victoire de la majorité. Ensuite, s'il décide de ne pas le faire ou s'il décide de se placer dans une posture qui est une posture contre la majorité, c'est son sujet. Mais dans cette hypothèse-là, il ne sera pas suivi par une grande partie, par une immense majorité de ses amis.

M. Biraben : On va passer à votre ministère, celui de la Fonction publique.

C. Roux : Oui, parce que N. Sarkozy - alors on ne sait pas s'il vous a rendu service mais enfin - il a évoqué la possibilité pour un seul fonctionnaire de remplir plusieurs missions dans les zones peu peuplées. C'est le retour du fonctionnaire multitâches qui ne plaît pas beaucoup dans la fonction publique ; tantôt postier, tantôt agent de la DDE. Est-ce que c'est ça l'avenir de la fonction publique ?

C'est plutôt fonctionnaire multifonctions.

C. Roux : "Multitâches", ça ne plaît pas, mais c'est comme ça que ça s'appelait à un moment.

C'est pour ça que je donne une autre possibilité de l'appeler. Ça existe déjà au demeurant. On le met en place actuellement dans les directions départementales interministérielles. En gros, toute l'administration déconcentrée de l'État est aujourd'hui l'objet d'une réorganisation et des agents appartiennent effectivement à une direction mais sont rattachés à plusieurs ministères. J'ajoute que ça existe également dans certains cas où il y a des agents qui sont à temps non complet et qui exercent plusieurs tâches. Donc le fait d'avoir la possibilité de remplir effectivement plusieurs fonctions n'est pas véritablement nouveau. Ça peut parfaitement correspondre à un avantage précis : c'est celui d'une mobilité plus facile pour les fonctionnaires et c'est l'un de nos objectifs.

C. Roux : Ce n'est pas nouveau mais c'est une volonté présidentielle. Du coup, est-ce qu'on va aller vers une généralisation, vers un développement de ce mode de fonctionnement ?

Ça se développera, j'allais presque dire naturellement, au-delà des inflexions supplémentaires qu'on peut y apporter par les textes. Mais très spontanément, très naturellement, les objets des politiques que nous menons, c'est de faire en sorte que les fonctionnaires aient la possibilité de remplir plusieurs missions pour être après mobiles. La fonction publique de demain, c'est une fonction publique dans laquelle vous rentrerez à l'État, vous continuerez à la territoriale, éventuellement vous terminerez à l'hospitalière. Ça veut dire que le concept selon lequel vous rentrez à 22 ans pour terminer à 62 avec 40 années d'une carrière qui se fait quasiment dans la même fonction, c'est terminé.

C. Roux : Çà, les fonctionnaires sont favorables à cette évolution de leur carrière ?

Comme toute la société. J'étais à l'école de Rennes qui forme les directeurs d'hôpitaux...

C. Roux : Non mais cette question est importante. Est-ce que vous savez s'ils sont favorables ou est-ce que vous vous dites que, de toute façon, il va falloir aller contre leur volonté ?

Je vais vous donner un exemple très concret. J'étais à l'école de Rennes l'autre jour qui forme les hauts cadres de la fonction publique hospitalière. Les étudiants des trois promotions m'ont interrogé sur un seul sujet : est-ce que vous pensez que d'ici dix ou quinze ans, on aura la possibilité éventuellement de passer à l'État ou dans la territoriale. La réponse est donc : oui je pense sincèrement qu'ils y sont favorables.

C. Roux : Alors il y a un sondage ce matin qui dit que 82 % des fonctionnaires estiment que leur charge de travail s'est accrue avec la réforme de l'État - donc, ça, c'est la partie " travailler plus " - et que 77 % de la productivité de leur service ne s'est pas améliorée. Est-ce que ce sondage est satisfaisant pour le ministre de la Fonction publique ?

Je pense que si on interrogeait les salariés du privé, il y aurait des réponses de même nature. On n'est jamais totalement satisfait de ses conditions de travail et je dois dire d'ailleurs qu'il y a certains cas où c'est justifié dans la fonction publique comme dans le secteur privé. Le sujet est le suivant : est-ce que oui ou non il y a beaucoup de réformes actuellement ? La réponse est oui. Est-ce que ça peut susciter de l'inquiétude ? La réponse est oui. Pourquoi ? Parce que les fonctionnaires ont le sentiment qu'il y a des contraintes nouvelles. Je crois qu'en réalité, c'est une question d'adaptation et d'ajustement. Je ne suis pas inquiet de cela, sauf peut-être - vous voyez, je vais être sincère - sauf peut-être dans la façon dont aujourd'hui il faut que nous améliorions la confiance des agents dans le pourquoi des réformes.

C. Roux : Alors il y en a qui n'ont pas confiance, parce que samedi s'est tenu le premier forum des résistances dans la fonction publique. Ils sont postiers, profs ou électriciens et ils refusent d'appliquer clairement certaines mesures au nom de la défense de l'intérêt général. Alors comment vous faites quand les membres de la fonction publique entrent en résistance ?

Je ne sais pas faire par rapport à des agents, parce qu'il n'y a pas matière à combattre. La fonction publique obéit à un statut et est régie par un statut. Les agents sont très conscients et très lucides de cela. Il n'y aura pas de résistance parce qu'il n'y aura pas matière à résistance.

C. Roux : Elle existe. Ils défient l'autorité de l'État et vous dites : ce n'est pas grave.

Non mais, ça n'existe pas.

C. Roux : Ah bon ?

Ça n'existe pas. Je vous le dis très clairement : les agents sont des gens à 99,9 % qui sont parfaitement responsables. Le droit de grève existe, les syndicats les représentent, les discussions avec le gouvernement se font régulièrement. Il n'y a pas de capacité à dire à un moment ou à un autre qu'on n'accepte pas d'appliquer tel ou tel règlement. En revanche...

C. Roux : Ceux-ci seront sanctionnés ?

Ils ne seront pas sanctionnés, je ne sais même pas qui c'est. En revanche, quand il y aura dans un service un problème qui se posera concrètement, il appartiendra au responsable du service, voire d'ailleurs aux politiques d'expliquer tout ça et de faire en sorte de lever ces ambiguïtés. Ça n'existe pas de faire ça.

C. Roux : Alors puisque vous ne les connaissez pas, je vais vous dire. Donc à l'origine il y a les professeurs des écoles, ils sont 3 000, qui ont signé une charte proclamant qu'ils n'appliqueraient certaines mesures jugées nuisibles. Donc vous ne les reconnaissez toujours pas ?

Mais je veux simplement savoir de quelles mesures il s'agit pour pouvoir les convaincre qu'on ne procède pas comme ça. Ils ont un ministre de l'Éducation nationale, il y a le secrétariat d'État à la fonction publique, il y a un ministre de la fonction publique. On discute, on parle, on échange, parfois on se convint mutuellement, mais on n'entre pas dans des bras de fer. Je n'entrerai pas dans un bras de fer avec une catégorie d'agents. Je leur rappelle simplement qu'il y a un statut, des règles et que par définition, on ne s'autoproclame pas tout seul comme étant celui qui décide de ce que l'on va faire.

C. Roux : Un statut, des règles donc des sanctions.

Un statut, des règles et donc une capacité à ce qu'il puisse y avoir des sanctions s'il y a des limites qui sont dépassées.

C. Roux : Donc, en fait, vous les connaissez.

Non ! Je vous assure que non !

C. Roux : Ah ? Bon ! Alors je vous laisserai mon petit papier parce que c'était samedi dernier, le premier forum des résistants dans la fonction publique. Un dernier mot sur la fonction publique qui devrait montrer l'exemple quant à notamment la représentation des femmes dans la fonction publique. Un chiffre quand même pour vous mettre en joie ce matin : 19 femmes sur 192 préfets au total ; enfin 3 femmes seulement directeur de CHU sur 32 directions de CHU. Comment est-ce que vous allez faire pour rééquilibrer cette situation ?

Vous pourriez même rajouter pour apporter de l'eau à votre moulin que dans les trois fonctions publiques, il y a plus de femmes que d'hommes, ce qui veut dire que le pourcentage que vous venez de décrire est encore plus grave. C'est très simple. On a commandé un rapport à F. Guégot qui est députée UMP de Seine-Maritime, et on va identifier les deux ou trois mesures qui vont être coercitives pour pouvoir changer ça. C'est-à-dire très concrètement, que dans la mesure où il y a plus de femmes que d'hommes, c'est une question de pouvoir de nomination. Donc il faut qu'on puisse éventuellement aller jusqu'à considérer qu'il y aura des quotas pendant une période donnée, qui permettront de remonter cette tendance qui, franchement, est complètement du passé. C'est dépassé et du passé. C'est maintenant très clairement identifié comme étant un des grands chantiers et je vous garantis que d'ici un an, un an et demi, on aura déjà des mesures très symboliques pour corriger ça.

M. Biraben : Un nouveau rapport sur l'égalité salarial ! Chouette !

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 13 décembre 2010