Interview de M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, à RTL le 18 novembre 2010, sur les relations entre police et justice, l'affaire des ventes d'armes au Pakistan et la politique de l'immigration.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.-  Bonjour, B. Hortefeux. 
 
Bonjour, J.-M. Aphatie. 
 
J. Dumond révélait cette affaire, hier matin, sur RTL. La semaine  dernière, un juge des libertés de la détention du tribunal de Bobigny,  en Seine-Saint-Denis, a remis en liberté une personne arrêtée en  possession d'armes et de drogue. "C'est une faute professionnelle", ont  tempêté les représentants syndicaux des policiers. Pour vous, B.  Hortefeux, ce magistrat a-t-il fait une faute ? 
 
La sécurité c'est une seule chaîne, mais avec plusieurs maillons : il y a  l'identification du délinquant, son interpellation, son déferrement, sa  condamnation et l'exécution de sa peine. Et assurer la sécurité, ce n'est pas  simplement interpeller des délinquants, c'est pouvoir les mettre hors d'état de  nuire. Et c'est vrai que là, il y a une décision qui est totalement surprenante  puisqu'il s'agit d'un trafiquant de drogue, présumé : on a trouvé de l'argent,  5.000 euros en espèces, on a trouvé trois kilos de cannabis et de cocaïne, on  a trouvé des armes, on a trouvé un fusil d'assaut kalachnikov, des munitions,  un pistolet, bref, et la liste peut être longue. 
 
Il n'aurait pas dû être libéré ? 
 
Donc, ce magistrat l'a remis en liberté alors qu'il aurait certainement dû,  sous réserve d'appréciations et d'éléments nouveaux, il aurait dû le mettre en  détention provisoire. Ce que je dis, c'est que c'est totalement  incompréhensible pour les policiers, et que c'est un mauvais signal pour la  société. En réalité, policiers, gendarmes et magistrats doivent travailler  ensemble ; et avec le garde des Sceaux, M. Mercier, nous allons travailler  main dans la main pour que cela devienne une réalité. Je vous précise  d'ailleurs que j'ai écrit dès hier au ministre de la Justice, à M. Mercier, afin  de lui faire part tout à la fois de ma très vive préoccupation et en même  temps, de ma totale confiance connaissant d'ailleurs ses grandes qualités. 
 
Diriez-vous, B. Hortefeux, que le magistrat a fait une faute ? 
 
Ecoutez, je ne sais pas s'il s'agit, à ce stade, d'un vice de procédure, d'une  erreur d'interprétation ou d'une inadaptation des règles. Ce que je sais, en  revanche, c'est que l'émotion des policiers est totalement légitime. 
 
"L'affaire Karachi" rebondit ce matin ! A Karachi, un attentat s'est  déroulé en mai 2002 - c'est une ville pakistanaise. Quinze personnes  avaient trouvé la mort, dont onze Français. C. Millon, l'ancien  ministre de la Défense, a livré son intime conviction à un juge  d'instruction : des rétro-commissions et de la corruption ont existé,  selon lui, à l'occasion de vente d'armes au Pakistan dans les années 90.  Et du coup, ressurgissent à nouveau les soupçons d'un financement  illégal de la campagne présidentielle d'E. Balladur en 1995. Lever ces  soupçons serait peut-être possible si le Conseil Constitutionnel publiait  les délibérations qui ont accompagné, à l'époque, son analyse des  comptes de campagne d'E. Balladur. Le Conseil s'y refuse pour  l'instant en disant : "nous lèverons le secret des délibérations si le  Gouvernement nous y autorise". Le Gouvernement doit-il prendre  cette décision, Brice Hortefeux ? 
 
D'abord, sur cette affaire elle-même, moi je ne connais pas le détail, je n'en  connais pas plus que vous compte tenu du calendrier. Moi je n'étais pas en  situation de responsabilités à ce moment-là. J'observe deux choses. J'observe  que le président du Conseil Constitutionnel, J.-L. Debré, a rappelé des règles.  Des règles qui sont connues de tous. D'abord, premier élément, c'est qu'il y  a le secret des délibérations de cette institution. 
 
Il s'impose au Conseil, mais il peut être levé à la demande du  Gouvernement. 
 
Attendez ! Il faut être plus précis. Le secret des délibérations, c'est un  dispositif qui dans cette institution comme dans les autres, qui est protecteur.  Ca protège la liberté d'expression et de vote. Deuxième réalité, c'est que le  président du Conseil Constitutionnel a fait référence à un article de notre  Constitution, l'article 63, qui concrètement renvoie à une loi organique. Et  que dit cette loi organique ? Elle protège, en réalité, les archives durant  vingt-cinq ans. Donc, à ce stade, je ne peux pas vous dire autre chose que de  vous suggérer de vous accrocher et de patienter. 
 
Non. Non, non, vous n'avez pas compris ce que je vous ai dit.  Non ?  Dans d'autres affaires, le secret des délibérations a été levé par le  Conseil Constitutionnel, à la demande du Gouvernement. 
 
Ecoutez, moi ça ne relève pas encore une fois de mon département  ministériel ; mais à ma connaissance, il y a un article du Code du patrimoine  qui, lui, prévoit que la communication de ces documents ne peut se faire  qu'avec l'accord de l'autorité concernée. 
 
C'est ça. Et cet accord peut être donné à la demande du gouvernement. 
 
Et l'autorité concernée, c'est le Conseil Constitutionnel et le président s'est  exprimé sur ce point. 
 
C'est un point de droit que l'on regardera attentivement, B. Hortefeux. 
 
Je n'en doute pas. 
 
Avant le remaniement, vous étiez ministre de l'Intérieur. Ceci devait  vous occuper 26 heures sur 24. Vous avez hérité lors du remaniement  du portefeuille de l'Immigration ; et ça semble assez factice si personne  - ce ne sera pas vous - n'est effectivement ministre de l'Immigration... 
 
Non, non. 
 
Vous demandez un secrétaire d'Etat ou quelqu'un pour vous aider ? 
 
Non, non mais attendez ce n'est pas comme ça que ça se pose. D'abord, si  je voulais vous répondre par une boutade, je vous dirais que c'est une  question d'organisation et de compétences, mais ce serait un peu immodeste.  La réalité, elle est très simple. 
 
C'est bien de le reconnaître que ça n'est pas une question  d'organisation de gérer deux portefeuilles ministériels ! 
 
Non, mais la réalité elle est très simple. En 2007, le Président de la  République a voulu que soit bâtie une politique d'immigration humaine,  cohérente, équilibrée et juste. Pour y parvenir, il fallait fédérer, regrouper,  mobiliser des administrations différentes. Un peu du ministère des Affaires  étrangères avec les visas ; un peu des Affaires sociales avec les  naturalisations ; un peu de ministère de l'Intérieur avec la police aux  frontières. Il a donc été créé une administration. C'est fait, c'est sur les rails,  c'est lancé. Il fallait un ministère pour le faire. Cette structure administrative  existe. 
 
Et il a disparu ! 
 
Et en réalité, précisément, comme cela se fait dans un très grand nombre de  pays - ça, c'est le cas au Royaume-Uni, c'est le cas en Allemagne, c'est le  cas en Pologne, c'est le cas au Portugal ; je vous cite le Portugal parce qu'il  s'agit d'un gouvernement socialiste, donc, c'est pour montrer que tout ça ce  n'est pas lié à des sensibilités politiques - dans tous ces pays, on a regroupé  ces deux responsabilités sous l'autorité du ministre de l'Intérieur. 
 
Mais on aurait dû le faire avant, alors ! 
 
Et c'est très exactement ce que l'on va faire. 
 
Mais pourquoi est-ce qu'on a fait un ministère de l'Immigration  pendant trois ans, alors ? 
 
Eh bien précisément, je peux recommencer mon raisonnement, précisément  parce que c'était épars. L'Intérieur n'avait la responsabilité que de la police  aux frontières. 
 
Mais on pouvait tout donner en 2007 au ministère de l'Intérieur ? 
 
Non, parce qu'il fallait un ministère pour avoir l'impulsion afin de fédérer des  Administrations qui étaient très différentes. Vous savez, c'est moi qui... 
 
C'est un cadeau ou un mauvais coup ?! Comment vous vivez ça, B.  Hortefeux ? 
 
Le président de la République m'avait confié cette responsabilité comme une  responsabilité passionnante, mais naturellement... 
 
Vous vivez ça comme un cadeau ou comme un mauvais coup ?
 
 L'immigration, c'est un sujet extrêmement difficile, extrêmement sensible  parce qu'il touche à l'être humain. Quand j'étais ministre de l'Immigration  exclusivement, j'avais essayé de mettre en place une politique qui soit une  politique équilibrée, qui passait par un dialogue avec les pays source, des  accords avec eux, et par une politique européenne. Vous vous souvenez  peut-être que j'avais fait adopter un pacte européen à l'unanimité, quelles  que soient encore une fois les sensibilités des gouvernements. E. Besson avait  poursuivi et amplifié cette politique. Je m'inscris donc très directement dans  ses pas. 
 
Vous souhaitez avoir un secrétaire d'Etat pour vous aider ? 
 
Ecoutez, ce n'est pas à moi de le décider. 
 
Est-ce que vous le demandez ? 
 
A ce stade, je fonctionne avec ce qui m'a été accordé. 
 
J.-F. Copé a accédé, hier, au secrétariat général de l'UMP. Il paraît que  vous allez le surveiller dans cette action ! Vous n'avez pas confiance  dans J.-F. Copé ?
 
 Ah, ce n'est pas du tout comme ça. J.-F. Copé a, à la fois, le talent, les  compétences et l'envie... 
 
Ah oui ! 
 
... Qui sont des qualités indispensables pour animer et diriger... 
 
Si vous disiez l'inverse, on serait étonné ! 
 
... Notre famille politique. Vous savez, moi j'ai... 
 
Mais est-ce que vous avez confiance en lui ? On peut avoir du talent  mais la confiance ! 
 
Naturellement en confiance ; et surtout le président de la République a choisi  de lui faire confiance. Je suis convaincu que J.-F. Copé sera digne de cette  confiance. Et d'ailleurs, regardez ! Quelle est la réalité au-delà de cet  événement ? La réalité est très simple : c'est que nous avons une famille  politique qui est réorganisée, nous avons un gouvernement qui est resserré,  nous travaillons avec un Premier ministre expérimenté et sous l'autorité d'un  président de la République qui est à la fois déterminé et réformateur.  Qu'est-ce que ça veut dire, d'un mot ? 
 
C'est impressionnant ! 
 
Qu'est-ce que ça veut dire d'un mot ? 
 
C'est impressionnant ! 
 
Ca veut dire que nous sommes en ordre de marche pour cette nouvelle étape. 
 
J.-F. Copé, dans L'Express, 10 novembre. Ecoutez bien, B. Hortefeux ! -  vous êtes ministre de l'Intérieur : "Je suis probablement sur écoutes.  J'utilise plutôt une ligne fixe qu'un portable. Ça me paraît plus  fiable". Incroyable ! 
 
Si vous me posez la question de savoir si j'écoute J.-F. Copé ? Oui, je  l'écoute toujours avec beaucoup d'attention et d'intérêt. Si vous me posez la  question de savoir s'il y a des écoutes téléphoniques, je vous rappelle qu'il  existe aujourd'hui dans notre pays des règles. Il y a, d'un côté, les écoutes  judiciaires et pour les autres, c'est une commission administrative  indépendante qui le prévoit, composée de personnalités, encore une fois, très  différentes, notamment de parlementaires de sensibilité différente. Tout est  donc très transparent. 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 3 décembre 2010