Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur l'économie numérique, la numérisation des contenus de l'information, le pluralisme et le financement de la création artistique, Paris le 13 décembre 2010.

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Circonstance : 4èmes assises de la Convergence des médias à Paris le 13 décembre 2010

Texte intégral


Le temps de la loyauté est révolue. Je parle évidemment de la loyauté à un seul média d'information, sur un support technologique dédié, et sous une forme particulière. Pour une partie de plus en plus grande du public, la relation à l'information est devenue portable, personnalisée, participative et opportuniste. Comme celle à l'information, la relation aux « contenus culturels » - que ce soit dans le domaine de l'écrit, de l'audiovisuel, de l'oeuvre cinématographique - est bouleversée dans sa globalité. La numérisation des contenus et leur convergence dans un environnement plurimédia désormais mature constituent des opportunités évidentes pour rassembler et amener vers la culture. Elles nous obligent aussi à repenser les modalités de l'intervention publique au service des professionnels des contenus : éditeurs, patrons de presse, journalistes, producteurs et diffuseurs, et généralement de tous les « gardiens de la qualité » qui jouent un rôle déterminant pour organiser une profusion qui n'est pas malheureusement pas toujours synonyme de liberté et de pluralisme de l'information.
En un peu plus de 10 ans les pratiques professionnelles et les usages du grand public ont été complètement bouleversés par Internet, le « méta média » universel. La généralisation des équipements mobiles connectés à Internet (que l'on évalue aujourd'hui à 60% du parc de téléphones mobiles français) accélère en ce moment même une mutation où s'informer redevient une expérience sociale à part entière. C'est une des très bonne nouvelle de la décennie qui démarre : renforcer le lien social, avec toutes ses conséquences en termes de responsabilité citoyenne et culturelle, de respect de la qualité, et d'engagement déontologique, redevient une priorité existentielle des médias. J'espère en tout cas que dans cette perspective l'intérêt des médias rencontre celui de leurs publics, qui est aussi le mien.
Je vous remercie donc de m'avoir invité, pour faire le point des chantiers sur lesquels le ministère de la Culture et la Communication s'est engagé très concrètement pour faire face à la double révolution numérique et mobile. Cette double révolution fait écho aux deux priorités qui sont les miennes : d'une part la défense du pluralisme dans la production et la diffusion de l'information, et d'autre part la rémunération et le financement de la création, afin d'en préserver la diversité.
Les chantiers ouverts sont très nombreux, j'en retiens aujourd'hui trois qui concernent directement le thème de vos 4èmes Assises de la Convergence des Médias :
- Tout d'abord, la mise en cohérence du cadre légal et réglementaire à l'ère numérique.
- Ensuite, l'incitation au développement des nouvelles offres.
- Enfin, on l'oublie parfois, la clé du succès de la convergence des médias est une clé humaine : elle justifie une adaptation permanent des pratiques professionnelles aux évolutions radicales su secteur.
* Adapter le cadre juridique et réglementaire
Le droit n'ignore évidemment pas la révolution numérique. Ma politique concernant le livre numérique constitue un bon exemple. Mon objectif est de favoriser le développement d'une offre attractive, abondante et variée qui réponde à la demande et dissuade le piratage des oeuvres, garantir une juste rémunération des auteurs, la défendre face au poids des opérateurs susceptibles d'imposer des modèles économiques qui pourraient leur être défavorables, et enfin préserver la diversité de la création.
La proposition de loi relative au livre numérique récemment votée par le Sénat constitue une étape importante dans la poursuite de ces objectifs. Elle instaure un environnement de confiance pour les auteurs et les éditeurs, elle favorisera la numérisation des livres et permettra d'accroître une offre aujourd'hui très limitée. Le principe d'un contrôle du prix de vente par les créateurs permettra de rééquilibrer les pouvoirs de force inégaux dans le dialogue qu'entretiennent les créateurs avec les grands opérateurs de réseaux. Enfin la neutralisation de la concurrence sur les prix entre détaillants doit favoriser une plus grande diversité dans la distribution.
Cette proposition de loi a un champ d'application limité et n'a pas la prétention de réguler l'économie d'une création encore à venir. Certains critiquent ce parti pris de réserve. Je le salue au contraire. Il permet de ne pas figer le cadre législatif face aux développements parfois inattendus de l'internet.
Comme le livre, l'audiovisuel est également concerné par l'adaptation de la Loi. La convergence des médias posent de nouveaux défis. Les téléviseurs connectés permettent dorénavant une convergence des univers de l'audiovisuel et de l'internet sur le même support. Cette convergence est une réalité qui s'impose : près de 10 millions de Français peuvent aujourd'hui accéder à la télévision par Internet, et par ailleurs le marché de la vidéo à la demande enregistre une croissance accélérée.
Après 18 mois de concertation avec l'ensemble des professionnels du secteur - éditeurs de vidéo, diffuseurs, auteurs et producteurs - avec qui ? , le cadre réglementaire des services à la demande est désormais fixé, par le décret sur les Services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), qui entrera en vigueur dans quelques jours. Ce dernier étend à de nouveaux acteurs les principes de contribution à la production d'une part et d'exposition substantielle des oeuvres européennes et françaises d'autre part.
Le développement récent de la télévision connectée à Internet constitue une nouvelle expression des défis auxquels nous devons répondre. J'ai la conviction qu'il s'agit non pas d'un péril mais d'une opportunité pour nos créateurs, nos entreprises audiovisuelles et pour toute l'économie de la culture. Les nouveaux services comme la « Google TV » ne sauraient en effet se développer sans respecter les droits et devoirs de l'ensemble des acteurs français : des créateurs, des producteurs et des diffuseurs, et notamment ceux qui imposent de recueillir l'autorisation des ayants droit avant de donner accès à des contenus audiovisuels. Google, bientôt Apple et probablement d'autres encore Apple ?, et les chaînes de télévision vont engager des discussions, et je serai donc particulièrement vigilant à ce qu'elles permettent à la chaîne de valeur et à la rémunération de la création d'être préservées. La convergence numérique ne touche pas uniquement l'audiovisuel et le livre. La loi Création et Internet n'a pas seulement crée la haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet, elle a aussi mis fin à vingt ans de débat sur une gestion sécurisée des droits d'auteur plurimédia des journalistes, condition indispensable au développement de la presse en ligne. Votée en un temps record à la suite des Etats généraux de la presse écrite, sa mise en oeuvre a été finalisée en août avec la création d'une commission ad hoc chargée de statuer en cas d'échec des négociations collectives. Sa composition devrait être confirmée prochainement.
Je veux dire un mot à ce stade des oeuvres indisponibles qui vont trouver, comme je l'ai souhaité, une deuxième vie grâce aux investissements d'avenir. Il importe pour un large accès du public à ces oeuvres d'adapter le cadre juridique du droit d'auteur. Dans cette perspective un travail intense est engagé par mon ministère avec les auteurs et les éditeurs.
* Soutenir le développement de nouveaux services
L'Etat doit faire évoluer le cadre de sa contribution directe et indirecte au développement des nouvelles offres de contenus numériques.
J'ai salué mercredi dernier la décision du Sénat d'appliquer un taux réduit de TVA au livre numérique. C'est une avancée déterminante et logique qui permettra de donner aux acteurs de la filière du livre les moyens de leur compétitivité à l'ère numérique. Cette mesure, si elle est confirmée par la Commission Paritaire Mixte, mettra fin à une inégalité de traitement fiscal entre univers physique et univers numérique qui constitue aujourd'hui une source de distorsion de concurrence dénoncée par tous les acteurs de la filière, et une incohérence aujourd'hui reconnue officiellement par la Commission européenne.
Appelée de ses voeux par le Président de la République le en janvier dernier, cette avancée répond à ma politique qui vise à créer les conditions d'un essor équilibré du marché du livre numérique et je veillerai, comme le Président de la République l'a souhaité en janvier 2009, que ce principe de neutralité des supports soit également appliqué à la presse en ligne. Je n'ignore évidemment pas la prééminence de la négociation communautaire sur cette question, mais il faut aujourd'hui tirer avantage de l'ouverture européenne. J'ai eu l'occasion de défendre à plusieurs reprises ces derniers mois notre position auprès de Nelly Kroes. Ces échanges ont porté leurs fruits et je me réjouis que la Commission européenne ait finalement relevée l'incohérence du régime actuel dans son livre vert sur l'avenir de la TVA européenne publié le 1er décembre. Je vais désormais m'employer à ouvrir un peu lus la brèche auprès de la commission et de nos partenaires. J'ai porté ce point à l'ordre du jour du sommet franco-allemand qui s'est tenu vendredi à Freiburg et je dois bientôt m'entretenir avec Michel Barnier sur ce sujet. La mission confiée à Jacques Toubon nous permettra d'avancer rapidement sur une question complexe mais urgente qui pèse sur la compétitivité de l'offre actuelle.
La persévérance paie, dans ce domaine, comme dans d'autres. Voici un an, jour pour jour, nous installions le ministère de la Culture installait le comité d'orientation paritaire du nouveau fonds d'aide aux Services de Presse en Ligne, le SPEL, créé à l'issue des Etats généraux de la presse écrite. En douze mois, le comité, soutenu par un accompagnement exemplaire de la Direction Générale des Médias et des Industries Culturelles (la DGMIC), a instruit 210 dossiers d'aide à l'investissement. Le nombre de dossiers instruits a doublé en un an, passant de 70 à 140, pour une contribution publique globale de 30 millions d'euros (70 en 2009, 140 en 2010) pour des aides de (respectivement 15,4 en 2009 et 14,5 Millions euros en 2010). C'est une véritable révolution comparée à la stagnation des aides au numérique accordées durant les dix dernières années qui n'étaient jusqu'alors qu'en partie supportées par le Fonds de Modernisation de la Presse. Le fonds a accompagné toutes les familles de presse, et le nombre de dossiers déposés par les « pure players » progresse régulièrement passant de 6% des aides versées en 2009 à 17% en 2010. Après un an d'exercice, les bénéficiaires du fonds ont pour la plupart dépassé le stade du simple basculement de leurs activités vers Internet et utilisent désormais le fonds pour le développement de services innovants dans les domaines du mobile, des services communautaires. Ce fonds est une réussite exemplaire de mon ministère et j'en suis particulièrement fier.
Cette exemplarité de l'action volontariste de l'Etat destinée à stimuler le potentiel de croissance numérique de notre pays est également celle des « investissements d'avenir ».
4,25 Milliards d'euros y seront consacrés au « développement de l'économie numérique », et en particulier aux projets garantissant les meilleurs retours sur investissement possible et ayant le plus fort impact en termes de création d'activité économique, d'emplois et d'aménagement du territoire. Les contenus culturels sont au coeur de cette ambition politique. Dans un domaine où le passage au numérique a longtemps été « subi » ; l'ambition du Grand Emprunt consiste précisément à anticiper et prendre les devants. Au-delà du développement de l'offre légale, il s'agit de servir la création et l'offre culturelle, à travers la mise en place d'une véritable filière numérique culturelle. Parmi les champs thématiques identifiés dès l'origine, celui de la «numérisation des contenus culturels, éducatifs et scientifiques», constitue un axe prioritaire doté de 750 Meuros.
A travers ce soutien, l'Etat poursuit trois objectifs prioritaires : l'émergence de produits et de services innovants utilisant les contenus culturels, éducatifs et scientifiques ; la création d'un effet de levier sur l'investissement privé ; un appui à la démocratisation culturelle et à la transmission des savoirs, la valorisation culturelle et économique du patrimoine numérisé.
J'ai lancé le 8 décembre, en compagnie d'Eric Besson et René Ricol, le premier appel à projets « Numérisation des contenus ». Cet appel à ouvert jusqu'en mars 2011 soutiendra les projets de collaborations entre fournisseurs de contenus, acteurs technologiques et organismes de recherche, en vue de développer des solutions innovantes pour la numérisation, l'indexation, la gestion et la valorisation de contenus culturels, scientifiques et éducatifs. Les premiers projets de recherche et développement seront sélectionnés avant l'été 2011, à la suite d'une première phase de présélection.
Ma démarche s'inscrit pleinement dans le cadre de la politique ambitieuse conduite par le Gouvernement pour accompagner le développement d'une offre légale de contenus numériques et promouvoir les nouveaux modes de diffusion et de valorisation du patrimoine culturel et des contenus scientifiques et éducatifs.
L'enjeu de la formation professionnelle dans l'adaptation des pratiques à la révolution numérique.
Investir, créer les conditions d'un développement compétitif des nouvelles offres, favoriser l'innovation technologique, n'atteindront leur objectif à condition que les structures humaines et organisationnelles s'approprient cette révolution numérique.
Je comprends le désarroi de certains qui se sentent à juste titre désorientés par cette accélération de l'histoire numérique. C'est pourquoi j'attache une attention toute particulière à la préservation des valeurs des professionnelles, dans le cadre de l'évolution inévitable des pratiques.
Dans le secteur des médias, les outils ministère de la Culture et de la Communication en matière de formation professionnelle sont par nature limités, et je suis heureux, sur cette question essentielle, de compter sur l'engagement et le soutien de plusieurs de mes confrères du gouvernement. C'est le cas de Valérie PECRESSE avec qui j'ai par exemple organisé, avec les professionnels du secteur, la Conférence Nationale des Métiers du Journalisme qui s'est réunie pour la première fois en septembre dernier. Il s'agit d'engager sans attendre un travail vers plus de cohérence entre les critères de reconnaissance de la profession pour la formation initiale des journalistes et ceux sur lesquels veille le ministère de l'Enseignement supérieur dans la filière universitaire.
Cette rencontre de deux mondes, jusqu'à présent largement cloisonnés, est le début d'un processus qui doit réduire l'écart entre les 13 écoles reconnues et les très nombreuses autres formations au journalisme recensées en France. En relevant le niveau d'ensemble autour d'un référentiel qui sera revisité à l'horizon 2012, il s'agira surtout de les faire converger vers des objectifs partagés d'excellence et d'efficacité au service l'insertion professionnelle.
J'ai peur d'avoir été trop long, pour une clôture de colloque. Je vous prie de m'en excuser même si je n'ai, de loin, pas épuisé tous les sujets qui tous ont en commun la préservation de la liberté d'informer et d'être informé dans un environnement pluraliste et diversifié. Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 14 décembre 2010