Interview de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à "Canal Plus" le 16 décembre 2010, sur la dérive droitière de l'UMP selon certains de ses membres à propos de la relance de la question de l'identité nationale, sur le déficit du commerce extérieur et les efforts de la France pour suivre le modèle allemande en matière économique.

Prononcé le

Média : Canal Plus

Texte intégral

M. Biraben et C. Roux.- M. Biraben : P. Lellouche, secrétaire d'Etat chargé du Commerce extérieur, est l'invité de « La matinale ». Sa mission : gérer le déficit du commerce extérieur, moins 50 milliards d'euros pour la France alors que l'Allemagne enregistre un excédent record de 150 milliards. Forcément, l'idée à l'instar de la fiscalité c'est de suivre le modèle allemand. Vous avez compris, tout faire pareil ! Et pendant ce temps, R. Yade claque la porte. P. Lellouche, bonjour.

Bonjour. C'est sympa d'avoir commencé avec ma circonscription, le 9e et l'Olympia.

C. Roux : Eh ben, voilà, c'est fait !

M. Biraben : Parfait !

C. Roux : Alors, donc, ce matin, dans Le Parisien, R. Yade explique qu'elle rejoint le Parti radical et J.-L. Borloo. Elle explique que "l'UMP est trop monocorde, déséquilibré" dit-elle, et qu'"elle ne prend pas assez en compte la souffrance sociale des Français". La question qui se pose ce matin c'est est-ce que l'UMP est trop à droite ?

Non, je trouve qu'il y a beaucoup de vent autour de cette histoire, et je rappelle simplement que R. Yade est une fille talentueuse, qui siège à côté de V. Pécresse au Conseil régional, que le Parti radical est un Parti associé de la majorité, et que tout cela se fait en famille, voilà. Donc, tout va bien.

C. Roux : Il n'y a rien de vrai dans ce qu'elle dit ? L'UMP déséquilibré ? Quand elle dit, par exemple, « tout à la sécurité et à la course avec le Front National, on en oublie de voir ce qui intéresse vraiment les Français ».

Ce qui intéresse vraiment les Français c'est d'essayer de sortir de la crise, voilà. Et à ma connaissance cette jeune femme fait toujours partie de la majorité présidentielle, donc cela ne sert pas à grand-chose d'en rajouter.

C. Roux : Alors, on va quand même en rajouter, si vous le voulez bien, puisque F. Fillon lui-même en a rajouté, « il ne faut pas jouer avec les vieilles allumettes qui ont si souvent et si inutilement consumé la droite ».

Oui.

C. Roux : Ils ne disent pas un peu la même chose F. Fillon et R. Yade ?

J'étais ce soir-là avec F. Fillon, il a surtout dit qu'on n'était pas obligé de tomber dans tous les pièges du Front National, et que, quand madame Le Pen utilise d'ailleurs les techniques de son père par "la provoc" la plus forte, l'outrance, pour essayer de se situer au centre du jeu politique, on n'est pas obligé de tomber dans le piège, voilà.

C. Roux : Est-ce que vous considérez que le retour du débat sur l'identité nationale fait partie des vielles allumettes ?

J'ai une vision, pardon, un peu équilibrée de tout cela. Ce qui est sûr, c'est que l'Europe vit des flux migratoires sans précédent dans son histoire et que ces flux migratoires couplés à la crise économique ont un impact sur les élections dans l'ensemble des pays européens. Et je crois qu'il serait faux de ne pas voir cette réalité en face. Par exemple, aujourd'hui-même, il y a un vrai problème de contrôle des frontières de l'Union, les frontières Schengen, en Grèce. Les flux de clandestins se sont déplacés vers la Grèce. Donc, refuser de voir cela c'est un problème. Refuser de voir que l'intégration se passe difficilement à cause de la situation économique dans certains pays, c'est un problème. Donc, ne laissons pas ces questions en jachère, mais la réponse qui est apportée par madame Le Pen qui consiste à parler d'"occupation", à dresser les Français les uns contre les autres, est une réponse dangereuse.

C. Roux : Alors, la question que j'essaie de vous poser...

... et notre responsabilité à nous c'est de traiter les problèmes - immigration, crise économique - de le faire avec beaucoup de sérénité et de force.

C. Roux : De sérénité, j'entends bien. La question juste qu'on vous pose ce matin, c'est : est-ce que l'UMP répond correctement à ce sujet et à cette problématique que vous venez d'évoquer ? Est-ce que, J.-F. Copé veut reposer le débat sur l'identité nationale, est-ce que vous considérez que c'est utile, que c'est nécessaire pour répondre à cette problématique ?

J.-F. Copé est quelqu'un d'intelligent, d'ambitieux, de capable, il aime manier les idées, et il est dans son job de patron d'un Parti politique en ouvrant des débats et en poussant les débats. Le Gouvernement dans son travail essaie de trouver des solutions. Le travail qui est le nôtre c'est une politique migratoire qui n'est pas subie mais contrôlée, y compris au niveau européen, et une politique économique extrêmement rigoureuse qui vise à faire baisser nos déficits et à relancer l'emploi. C'est ce que je fais toute la journée pour ma part dans le secteur qui est le mien, c'est-à-dire en essayant de pousser nos entreprises à l'exportation.

C. Roux : Donc, on termine, pour résumer, ce que certains considèrent comme une dérive droitière de l'UMP n'est pas un problème pour vous, mais une solution.

Ce n'est pas une dérive droitière. C'est un débat qu'il est normal d'avoir à l'intérieur d'un Parti politique, que toute l'Europe a, et qui doit amener les Français à débattre. Il ne sert à rien de dire qu'il n'y a pas un problème, il y a un problème. Ce qui ne va pas dans ce que dit madame Le Pen c'est la conclusion, à savoir qu'il s'agit d'"une occupation" et donc d'une sorte de guerre civile entre les Français. Cela n'est pas acceptable. Mais refuser de voir cette réalité en soi est un autre problème. Donc, c'est pour cela que je dis que ma position est équilibrée parce que je vis au contact de mes concitoyens, je sais la difficulté. Il ne sert à rien de se cacher derrière son petit doigt ou de casser le thermomètre. Mais les réponses ne sont pas celles qui sont proposées par l'extrême droite, ni en France, ni en Suisse où ils sont à 30 %, ni en Suède, ni en Hollande où ils participent d'une façon ou d'une autre au gouvernement. Attention à cette dérive. C'est une vraie dérive.

C. Roux : Est-ce que les bonnes réponses peuvent être apportées par le Parti socialiste en la matière.

Je ne les ai pas encore entendues.

C. Roux : Parce que B. Hamon considère que "les prieurs de rue sont inacceptables au nom de la laïcité", il demande l'ouverture d'un calendrier afin de trouver des solutions.

Il a raison ! Il a raison, B. Hamon. L'espace public c'est l'espace public en République. C'est vrai pour le voile, c'est vrai pour les prières publiques. C'est tout à fait vrai. Et s'il y avait plus de voix de ce type à gauche, et on pouvait bâtir un consensus sur les règles républicaines, croyez-moi, cela marginaliserait tous ceux qui veulent entraîner ce pays dans des tensions civiles très fortes. Donc, oui, je me félicite qu'il y ait au moins quelques voix... moi, j'attends, au contraire, je suis aussi un citoyen, et je voudrais en face de moi une opposition qui apporte des propositions et qui...sur ce point, je suis entièrement d'accord. Le débat... hier soir, j'avais une réunion de militants à Paris, une dame s'est levée pour dire "l'espace public c'est sacré dans notre pays", elle n'en voulait pas à qui que ce soit, mais c'est un endroit où on ne fait pas de provocation politique, religieuse de ce type.

M. Biraben : Alors, là, où on a entendu la gauche s'exprimer c'est à propos du commerce extérieur, votre dossier.

C. Roux : Oui, parce que vous êtes en charge d'un ministère où le but c'est quand même de gérer du déficit, déficit du commerce extérieur. Alors, vous nous dites : l'idée c'est de prendre exemple sur le modèle allemand. Naturellement, le modèle allemand ça marche. On va prendre exemple sur le modèle allemand en matière de fiscalité, on va le faire aussi sur la question du commerce extérieur. Comment techniquement vous allez faire pour faire se rejoindre deux économies si différentes ? Est-ce que vous avez une méthode et un calendrier ?

Alors, j'ai un CDD d'un an et demi et j'ai trois métiers dans ce job. Le premier métier, c'est la régulation. Il faut que le commerce soit ouvert mais que les règles soient équilibrées, notamment avec les émergents, la Chine par exemple. Quand on applique des règles, il faut que les règles soient partagées par tous. Donc, il y a un vrai travail au niveau de l'OMC, du G20, sur ces affaires qui commencent. Il faut que les émergents appliquent les mêmes règles que les autres sinon la compétition elle est faussée. Deuxième sujet : accompagner les grands contrats. Nous sommes assez bons en France au niveau des grands contrats.

C. Roux : Vous ne parlez pas du Rafale ?

Non, mais je parle des Airbus...Mais elle est taquine Caroline.

C. Roux : Non mais c'est vrai.

C'est vrai que le Rafale est un problème à l'export mais c'est un très bon avion quand même. Et puis, il y a tout le tissu des PME. J'ai vu monsieur Schröder la semaine dernière à Paris. Qu'est-ce que je lui ai dit ? Je lui ai dit que l'Allemagne a eu beaucoup de chance de l'avoir parce qu'il y a dix ans Schröder a fait toutes les réformes sociales sur le coût du travail, sur les retraites à 67 ans. Et le résultat aujourd'hui c'est quoi ? C'est que l'Allemagne arrime sa croissance sur la croissance des émergents. 40 % de la richesse allemande aujourd'hui se base sur les exportations. C'est ce qui explique un taux de croissance...

C. Roux : ... vous avez raison de souligner, pardonnez-moi, les réformes ont été faites il y a dix ans.

Ben oui !

C. Roux : Elles n'ont pas été faites en France ?

Nous, on faisait les 35 h.

C. Roux : Comment vous faites ?

Attendez, il y a dix ans vous avez les 35 h, lui, il faisait les lois Hartz, ce qui explique qu'au niveau de la compétitivité de nos entreprises...

C. Roux : ... rappelez-moi combien de temps la droite a été aux responsabilités.

Elle est...oui, non, non, nous sommes aux responsabilités, nous faisons ces réformes en plein dans une crise. Rappelez-vous les neuf mois sur la réforme des retraites. Donc, à votre question, « comment on fait ? », nous avons un tissu de PME en France qui est le quart du tissu de PME de l'Allemagne à l'exportation. Quand ils ont 400.000 entreprises à l'export, nous en avons moins de 100.000. Donc, ce que j'essaie de faire, dans la suite d'ailleurs du travail de C. Lagarde sur Ubifrance, c'est de mettre en place des mécanismes qui permettent aux jeunes boîtes, aux créateurs... Aujourd'hui, en France, il est possible de créer une boîte en 48 h, je voudrais qu'il y ait une sorte de guichet unique où toute l'information secteur, l'information pays, la solution financière, soient en place et cela fait partie des réformes très importantes que je présenterai en début d'année. Pour l'instant, nous somme dans une situation où je regarde cela avec beaucoup de gravité et sans complaisance. On est à moins 40, vous l'avez dit, moins 40 milliards, les Allemands à + 140 milliards. Nous restons quand même la cinquième puissance exportatrice au monde, la deuxième en Europe, mais nous avons un travail de rattrapage considérable à faire.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 décembre 2010