Déclaration de M. Michel Rocard, ministre du plan et l'aménagement du territoire, sur les coopératives, à Bordeaux le 11 juin 1981.

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Circonstance : Congrès national de la Fédération nationale des coopératives de consommateurs à Bordeaux le 11 juin 1981

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Pourquoi vous cacherais-je le plaisir tout particulier que j'éprouve à m'adresser à vous à l'occasion de votre congrès, à saluer à travers vous les millions d'adhérents des coopératives de consommateurs et à vous consacrer ainsi mon premier déplacement officiel en tant que membre du Gouvernement ?
Le décret du Président de la République qui fixe mes attributions me charge en effet « d'étudier et proposer toutes mesures intéressant la coopération » et de présider, par délégation du Premier ministre, le Conseil Supérieur de la Coopération.
A travers cette responsabilité se trouvent donc honorés les engagements pris par François Mitterrand en tant que candidat à la présidence de la République et confirmés mardi dernier encore à une délégation du groupement national de la coopération à laquelle participait votre Président mon ami Roger Kerinec.
Je me réjouis du rattachement de fait de la coopération au ministère du Plan et de l'Aménagement du Territoire dont j'ai la charge, pour plusieurs raisons que je vais développer, mais dont la première - et peut-être au fond la principale - est tout simplement celle-ci :
Vous, les coopérateurs, vous, les mutualistes représentés à ce congrès, vous les associations également intéressées à ces travaux, et nous les socialistes, qui avons aujourd'hui la responsabilité du Gouvernement de la République, au fond, nous sommes de la même famille.
Au XIXème siècle, à l'époque où les prolétaires des premiers âges, arrachés à la société rurale et jetés dans les bras de la société industrielle, entassés à l'usine, parqués devant les machines, commencent à s'organiser pour tout simplement survivre, la première forme de leur organisation, leur premier moyen d'émancipation et de résistance, ce ne fut pas le parti, même pas le syndicat, ce fut - d'abord - la société de secours mutuel.
Ce n'est qu'après bien des années que les sociétés de secours mutuel se développèrent, donnèrent naissance aux coopératives et aux syndicats, aux bourses du travail, puis aux partis ouvriers mais nous sommes, les uns et les autres, et chacun à notre manière, les enfants de cette même histoire.
Certes, il y a loin de cette organisation pour la survie aux puissantes fédérations des coopératives et de mutuelles que nous connaissons aujourd'hui, capables de traiter d'égal à égal avec les plus grandes banques et les distributeurs les plus puissants, mais, comme dit le proverbe, « Bon sang ne saurait mentir », et je me réjouissais de lire en venant le rapport introductif de votre président rappelant les grandes finalités que vos statuts ont tracées et soulignant les efforts nécessaires pour « améliorer (votre) contribution à l'édification d'un monde plus proches de notre conception que celui dans lequel nous vivons ».
Je suis de ceux qui, au sein du mouvement socialiste ont oeuvré sans relâche - vos dirigeants le savent - pour que la famille issue du même mouvement ouvrier se retrouve, se souvienne ensemble de sa raison d'être et redécouvre ainsi ses finalités communes.
C'est donc pour moi à la fois un honneur et une responsabilité particulière d'avoir désormais la charge au sein du Gouvernement de François Mitterrand et de Pierre Mauroy, de donner corps à votre espérance.
J'ai fait référence, voici quelques instants, aux mutuelles et au mouvement associatif. J'aurai pu évoquer aussi les coopératives de production dont j'irai, dans une semaine, saluer le congrès national. C'est que je crois en effet profondément à la nécessité de ne pas limiter notre réflexion à une seule forme d'organisation, mais de définir au contraire les contours et le rôle nouveau de ce « tiers-secteur », ni capitaliste dans sa finalité, ni étatique dans son système de propriété et que l'on appelle d'un nom qui n'a pas encore trouvé sa sanction juridique : l'économie sociale.
Par économie sociale, je veux en effet évoquer tout un secteur d'activité qui concernent aussi bien la production que la consommation, l'assurance et la prévention telles que les mutuelles peuvent y concourir, mais également les associations avec l'ensemble des services qu'elles peuvent procurer à leurs adhérents et dont la finalité essentielle n'est pas le profit individuel tel que l'entreprise privée l'assure, et qui dans forme d'organisation n'est pas dépendant de l'État, telles que les entreprises publiques et nationalisées le sont aujourd'hui.
Dire que l'économie sociale ne se fixe pas pour objectif le profit individuel, ne signifie évidemment pas qu'elle condamne le profit en tant que tel ; et beaucoup des activités prospères que les entreprises de ce secteur développent, témoignent qu'elles sont capables tout autant que les entreprises privées, de réussir sur le plan du développement économique.
Mais la vocation fondamentale qui est aux origines des activité coopératives et mutualistes est bien de reconnaître la primauté de l'individu sur l'argent, de l'adhérent en tant que partie prenante de l'activité économique et pas seulement dans son statut de salariés ou de client : l'homme est celui d'où tout part et d'abord (la décision) et c'est là la vocation fondamentale démocratique de cette institution, et c'est aussi à l'homme que tout revient en tant qu'utilisateur, et l'on retrouve là, la finalité fondamentale sociale de votre activité.
Je sais bien que toutes les coopératives, toutes les mutuelles, toutes les associations qui se reconnaissent dans le secteur de l'économie sociale, sont encore loin de répondre à cette définition quelque peu idéaliste.
Je sais aussi que, pressées par la concurrence et obligées de s'imposer sur un marché dont les lois ne sont pas très différentes de celles de la jungle, beaucoup de coopératives et de mutuelles ont dû emprunter des chemins de traverses par rapport aux objectifs qu'elles se sont donnés au départ, qui sont souvent inscrits dans leurs statuts et qui correspondent à l'esprit qui les a fait naître.
Je ne pense pas choquer beaucoup d'entre vous en disant cela car je sais qu'une des aspirations essentielles de votre mouvement aujourd'hui, - et une fois encore la lecture du rapport introductif de votre président me le confirme - est que l'arrivée aux responsabilités gouvernementales de gens qui sont au fond de la même famille que vous, permette de fixer de nouvelles règles, d'imposer à la vie économique de nouveaux rapports de force, et d'établir entre les partenaires économiques et sociaux de nouveaux contrats, afin que vous soyez en mesure de retrouver vos racines, vos finalités, votre raison d'être.
Reconnaître à la coopération et la mutualité leur rôle fondamental, c'est faire en sorte que l'entreprise, qu'il s'agisse de produire ou de consommer des biens ou de fournir des services soit conçue comme une collectivité d'hommes et de femmes associés à la même activité, se considère comme la mise en commun de forces collectives. Ces forces étant des capitaux bien sûr, du travail certainement, mais aussi des idées et de l'imagination, sans qu'aucun de ces trois ingrédients qui font la vitalité de l'entreprise soit en mesure de l'emporter sur les autres.
Il m'est arrivé dans bien des circonstances de faire observer que la notion d'entreprise n'avait pas de statut juridique dans notre droit, qui ne connait que la société par actions ou le propriétaire privé de capitaux, ou encore l'État comme tuteur des entreprises nationales.
Ce n'est pas un hasard si l'économie sociale n'a pas non plus de statut juridique bien défini, car elle aussi part du principe qu'il peut exister dans une activité donnée, une propriété collective qui soit fonction de la part de tous ceux qui travaillent dans l'entreprise prennent à cette activité. Je crois à cet égard important de dire qu'il faudrait, dans cette logique, que les salariés des coopératives, des mutuelles ou des associations se voient reconnaître, dans leur statut, dans leur participation à la vie de l'entreprise, et aussi dans leur rémunération qu'ils ne sont pas les salariés d'une entreprise comme les autres, car, et ce sera le dernier point que je veux évoquer sur ces finalités de l'activité coopérative et mutualiste, il y a dans cette conception économique et sociale, une reconnaissance fondamentale des valeurs de libertés et de responsabilité.Je sais bien que ces valeurs sont les choses du monde les mieux partagées au niveau des intentions et probablement les plus difficiles à mettre en pratique lorsqu'il s'agit des faits.