Interview de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, par la Coalition des jeunes pour la révolution le 6 mars 2011 au Caire, sur la France et le processus de transition démocratique dans les pays du Sud de la Méditerranée.

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Circonstance : Voyage d'Alain Juppé en Egypte les 5 et 6 mars 2011

Texte intégral

Q - (Sur le gel des avoirs et sur les relations avec les pays africains)
R - Sur ce que vous venez de dire, sur le gel des avoirs, je vous ai dit que l'on était en train d'y travailler. Sur nos relations avec les pays africains, je voudrais quand même faire une petite remarque, c'est que la France n'est plus la puissance coloniale. Je ne peux donc pas dire au gouvernement tchadien, à ces gouvernements, ce qu'il faut faire. Ce sont des pays souverains.
Q - (sur le rôle que la France entend jouer dans la transition politique)
R - Je vous ai dit que je ne suis pas venu pour me mettre à votre place. Ce n'est pas à la France de dire comment les choses doivent se passer ; quel doit être le processus électoral ; quel doit être le rôle des partis politiques.
Moi, je suis là pour vous dire que nous soutenons votre combat pour la démocratie et que selon les modalités que vous nous demanderez, nous sommes prêts à vous aider. Mais il ne faut pas inverser l'ordre des facteurs.
Je voulais d'abord vous remercier et j'ai l'impression que notre dialogue ne fait que commencer. On arrive au coeur des problèmes mais il nous faudrait beaucoup de temps. Je voudrais donc à nouveau saluer votre sens des responsabilités aux uns et aux autres. Ce que vous m'avez dit montre à quel point vous faites preuve de sang-froid et de lucidité.
Laissez-moi vous dire que ce qui vous attend va être encore plus dur que ce que vous avez déjà fait parce que j'imagine que le peuple égyptien a de grandes attentes, notamment sur le plan économique et social, et que ces attentes ne vont pas pouvoir être satisfaites tout de suite. Il va donc falloir du courage et de la détermination.
Je voudrais conclure simplement sur deux points.
Que pouvons-nous faire, nous ?
D'abord, poursuivre avec vous un dialogue politique, notamment autour de ce qui est revenu souvent autour de la table, à savoir notre relation avec l'islam, disons les choses très clairement. C'est vrai que nous nous sommes laissés peut-être intoxiquer, dans les années passées, quand on nous disait que les régimes autoritaires en place sont les seuls remparts contre l'extrémisme. Et c'est là-dessus qu'il faut faire la lumière, par le dialogue, parce que, comme vous l'avez dit, l'islam n'est pas quelque chose d'unique. Nous sommes, nous, l'objet de menaces terroristes de la part de certains mouvements radicaux et extrémistes. Et donc cela porte dans les opinions publiques européennes. Il faut donc que nous continuions ce dialogue avec ceux qui, comme l'un d'entre vous s'est présenté, je crois, se présentent comme islamistes libéraux.
Qu'est ce que le concept de laïcité et comment fonctionne-t-il avec l'islam ? Ce sont des problèmes qui concernent notre relation mais, vous avez vu, qui concernent aussi la société française. C'est donc un premier point important, me semble-t-il.
Le deuxième domaine, c'est que tout va se jouer bien sûr sur votre capacité à donner du travail à ces 70 % de la population qui sont des jeunes de moins de trente ans et qui sont en âge de travailler. C'est cela l'essentiel. Et c'est là dessus qu'il faut qu'on trouve de nouveaux modes de coopération entre le nord et le sud de la Méditerranée pour vous aider davantage. Et quand je parle de refondation de l'Union pour la Méditerranée, c'est sans doute là-dessus qu'il faudra mettre le projecteur. J'ai rencontré, ce matin, des chefs d'entreprise de la communauté française et beaucoup m'ont dit ce que vous m'avez dit, c'est-à-dire que le rôle des PME, des petites et moyennes entreprises, va être essentiel à cette création d'emplois qui est nécessaire à la société égyptienne. Alors, nous avons des moyens de vous aider dans ce domaine. Il faut que l'Union européenne le fasse aussi. Ce sont de vastes chantiers qui sont devant vous.
En tout cas, vous m'avez dit que les ministres ne rencontraient que leurs homologues dans leurs voyages officiels. Je crois vous avoir montré ce matin que je souhaitais également un contact avec la société civile et ce que vous représentez, et je voudrais vous en remercier chaleureusement car, pour moi, ce moment était très important, très vrai.

Merci.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2011