Texte intégral
* Le ministre d'État, ministre des Affaires étrangères et européennes, Alain Juppé
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, c'est avec beaucoup de plaisir que je m'exprime devant vous à l'occasion de ce traditionnel débat préalable au Conseil européen. Naturellement, la réunion des 24 et 25 mars sera marquée par la tragédie que connaît aujourd'hui le Japon et abordera notamment la question de la sûreté nucléaire.
Cette question, la situation nous impose de la traiter sous trois angles : solidarité avec le Japon, sûreté des réacteurs en exploitation en Europe, sûreté des réacteurs qui seront construits dans le monde. Comme l'a dit hier le Premier ministre, aucun débat ne doit être esquivé. Mais nous sommes aujourd'hui dans le temps de l'urgence, auquel devra succéder le temps du retour d'expérience.
Au sein de l'Union européenne, une directive de juin 2009 a établi un cadre communautaire pour la sûreté des installations nucléaires. Dans ce cadre, nous soutenons un examen par les pairs des mesures prises pour assurer en permanence, en exploitation normale et en situation d'urgence, le plus haut niveau de sûreté des réacteurs en Europe. Le commissaire européen en charge de l'énergie, l'Allemand Günther Oettinger, a réuni hier à Bruxelles les autorités nationales de sûreté nucléaire et de l'industrie. Ces experts ont marqué leur accord pour évaluer l'état de préparation de l'Union à des situations similaires et pour soumettre les quelque 150 réacteurs en Europe à des tests de résistance. C'est dans cet esprit que s'inscrit l'audit du parc nucléaire français annoncé hier par le Premier ministre.
À Bruxelles, il s'agira de continuer à porter la sûreté nucléaire au plus haut niveau, de tirer les leçons de la tragédie au Japon et d'agir dans la transparence à l'égard des populations.
Nous devons en effet répondre à l'inquiétude très compréhensible de nos concitoyens. Mais nous devons aussi éviter les réactions précipitées. Chaque État membre reste responsable de son mix énergétique. Et nous ne pourrons nous passer de l'énergie nucléaire avant plusieurs décennies, surtout si nous voulons atteindre nos objectifs européens d'une économie décarbonée.
Une séquence de réunions internationales s'ouvre devant nous : conseil énergie exceptionnel le 21 mars à Bruxelles, Conseil européen les 24 et 25 mars, réunion du Nuclear safety and security group du G8 les 24 et 25 mars, Sommet de Deauville les 26 et 27 mai. Le G20 pourrait aussi être saisi de la question. Nous mettrons à profit ces échéances pour défendre l'exigence du plus haut niveau de sûreté nucléaire.
Outre la question du Japon et ses conséquences sur la sûreté nucléaire, le Conseil européen des 24 et 25 mars, qui inscrira ses travaux dans la lignée des décisions adoptées lors du Conseil européen extraordinaire sur la Libye et du sommet de la Zone euro le 11 mars, sera consacré à deux sujets majeurs : d'une part, le renforcement de la gouvernance économique de l'Union européenne et de la Zone euro, et, d'autre part, la construction d'un nouveau partenariat entre l'Union européenne et la rive Sud de la Méditerranée.
Pour ce qui est du renforcement de la gouvernance économique de l'Union européenne et de la Zone euro, il s'agit à la fois de finaliser la réponse globale à la crise et de renforcer le pilier économique de l'Union économique et monétaire. Le prochain Conseil européen devrait prendre trois décisions majeures en ce sens.
D'abord, il adoptera formellement la décision de modification limitée du traité permettant la mise en place pérenne, en 2013, du Mécanisme européen de stabilité.
Ensuite, il devrait adopter formellement le pacte pour l'euro, de façon ouverte et inclusive, afin de permettre aux États membres n'appartenant pas à la Zone euro de s'y joindre, s'ils le souhaitent et s'ils en acceptent les engagements.
Enfin, le Conseil européen engagera le Conseil et le Parlement européen à aboutir d'ici au mois de juin à un accord sur des propositions législatives présentées par la Commission pour renforcer la gouvernance économique.
Grâce à ces trois décisions, nous parachèverons l'effort engagé lors de la crise de la dette grecque pour défendre l'euro, rétablir de façon coordonnée la maîtrise de nos finances publiques et définir un véritable volet de convergence et de compétitivité au service de la croissance. En un an à peine, grâce à la détermination du couple franco-allemand, nous aurons construit une réponse européenne globale à la crise économique. Permettez-moi aujourd'hui de vous en rappeler cinq éléments essentiels.
Premier élément : le Fonds européen de stabilité financière. Créé juste après la crise de la dette grecque, il a permis d'apporter une réponse immédiate à la crise bancaire irlandaise et d'empêcher un effet de domino qui aurait menacé toute la Zone euro. Le sommet du 11 mars a décidé que sa capacité de financement convenue, de 440 milliards d'euros, serait rendue pleinement opérationnelle. Cette capacité globale effective de financement sera portée à 500 milliards d'euros lors du passage du Fonds au Mécanisme européen de stabilité.
Deuxième élément : le «semestre européen». Son objectif est d'engager une véritable coordination des politiques budgétaires nationales, intégrant les objectifs européens et les engagements souscrits dans le pacte de stabilité et de croissance.
Ce cycle a été lancé en janvier, avec le premier rapport annuel sur la croissance de la Commission. Le Conseil européen donnera son accord sur les priorités en matière de réformes structurelles et d'assainissement des finances publiques. Sur cette base, les États membres présenteront mi-avril leurs programmes de stabilité et de convergence, ainsi que leurs programmes nationaux de réforme. C'est une innovation majeure dans la procédure budgétaire. C'est donc en parfaite cohérence européenne qu'après cette première phase du «semestre européen», chaque État membre engagera la construction de son budget et le vote de sa loi de finances, conformément à ses procédures nationales et dans le respect des prérogatives des parlements nationaux.
Troisième élément : la supervision financière. Avec l'appui décisif du commissaire européen chargé du marché intérieur et des services financiers, Michel Barnier, dont je tiens à saluer le travail, elle a été considérablement renforcée.
J'en veux pour preuve la création du Conseil européen du risque systémique et de trois autorités européennes indépendantes de supervision, couvrant les marchés financiers, les banques et les assurances. Aujourd'hui, le renforcement des ratios prudentiels avec les accords Bâle III, l'adoption de la directive «hedge funds», de nouvelles règles de transparence sur les produits dérivés et le renforcement des «stress tests» pour les banques sont une réalité. On ne peut plus dire que les leçons de la crise financière n'ont pas été tirées.
J'en veux aussi pour preuve l'étape supplémentaire franchie lors du sommet de la Zone euro le 11 mars, avec la nécessité affirmée de réfléchir à l'introduction d'une taxe sur les transactions financières et de faire avancer les travaux au niveau de la Zone euro, à celui de l'Union européenne, ainsi que sur le plan international. Cette décision n'était pas facile, et la France, sous l'impulsion du président de la République, ainsi que l'Allemagne, l'ont fait adopter par l'ensemble de nos partenaires.
Quatrième élément : la gouvernance économique, dont la refonte est engagée. Je pense aux six propositions législatives présentées par la Commission à l'automne dernier, qui devront être adoptées sur la base de l'équilibre dégagé au sein de ce qu'on appelle, dans le langage bruxellois, la «task force Van Rompuy» et endossé par le Conseil européen d'octobre dernier.
Ces propositions ne se limitent pas à une réforme des volets préventifs et correctifs du pacte de stabilité et à l'introduction de sanctions financières. Au-delà du critère de déficit public, elles intègrent une meilleure prise en compte du critère de dette publique. Elles introduisent également une nouvelle procédure de surveillance des déséquilibres macroéconomiques excessifs.
Ce renforcement des disciplines budgétaires et de la supervision financière ira de pair - et c'est le cinquième élément - avec un véritable volet de convergence et de compétitivité au service de la croissance et de l'emploi. C'est tout le sens du pacte pour l'euro, dont l'idée avait été lancée par le président de la République et la chancelière au conseil des ministres franco-allemand de Fribourg en décembre dernier, et qui a été approuvé au sommet du 11 mars.
Ce pacte, qui fera l'objet d'un suivi annuel par les chefs d'État et de gouvernement, s'appuiera sur un ensemble d'indicateurs couvrant la compétitivité, l'emploi, la viabilité budgétaire et la stabilité financière. Les États membres seront invités à annoncer, dès le Conseil européen des 24 et 25 mars, de premiers engagements concrets à mettre en ?uvre dans les douze mois suivants.
Nous avons aussi obtenu, et ce n'est pas le moins important, que le pacte pour l'euro porte une attention particulière à la coordination des politiques fiscales et que les États membres s'engagent à entamer des discussions structurées, notamment sur la prévention des pratiques fiscales nuisibles. Le sommet du 11 mars a également posé un jalon vers une assiette commune de l'impôt sur les sociétés à l'intérieur de la Zone euro, ce qui est une percée d'une grande importance.
Le second grand enjeu de ce Conseil européen, c'est la construction d'un nouveau partenariat pour la démocratie entre l'Union européenne et ses voisins du Sud de la Méditerranée. Cela suppose une refondation de la politique européenne de voisinage, qui doit désormais inclure l'Union pour la Méditerranée.
Cette nécessité a été clairement affirmée par le Conseil européen extraordinaire du 11 mars, qui a adressé un message clair et complet.
Un message pour l'immédiat : sur le départ de Kadhafi et le renforcement des sanctions, sur la reconnaissance comme interlocuteur du Conseil national de transition libyen, sur le maintien de toutes les options sur la table moyennant une nécessité démontrée, une base légale claire et un soutien régional avéré, et, enfin, sur la perspective d'un sommet réunissant l'Union européenne, la Ligue arabe et l'Union africaine.
En ce moment même, à New York, nos diplomates sont à la tâche. Nous avons déposé, avec nos amis britanniques et libanais, une résolution au Conseil de sécurité qui élargit le champ des sanctions et ouvre la voie à l'utilisation des moyens nécessaires pour stopper l'offensive de Kadhafi. C'est un enjeu majeur. La France, de ce point de vue, a donné l'exemple et tracé la voie. Je peux vous dire que j'ai quelques raisons de penser que nous pourrons atteindre l'objectif qui est le nôtre. Nous n'interviendrons, bien entendu, que sous un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies et avec, non seulement le soutien, mais la participation active des pays arabes.
J'aurais pu imaginer que, sur cette stratégie, nous recueillions un large soutien, y compris de l'opposition, parce que dans ce domaine et par son attitude, la France a dans les pays arabes, je peux l'attester encore après l'entretien que je viens d'avoir avec mon homologue des Émirats arabes unis, une image extrêmement positive qui nous met en position de défendre le processus démocratique.
Nous adresserons aussi au Conseil européen un message pour le moyen et le long terme, avec la volonté affirmée de l'Union européenne de mettre en place un «partenariat pour la démocratie et la prospérité partagée au Sud de la Méditerranée», en prenant appui notamment sur les propositions de la Haute Représentante Catherine Ashton et de la Commission.
Ce nouveau partenariat, l'Union européenne le veut à la fois global et différencié pour chaque pays de la rive Sud, sans paternalisme, sans modèle préconçu, en le fondant sur les besoins exprimés et en privilégiant un appui résolu à la transformation démocratique.
C'est dans cet esprit que le Conseil européen a salué le discours du roi du Maroc annonçant des réformes constitutionnelles. Je voudrais d'ailleurs insister sur ce point : c'est la première fois qu'un monarque du monde arabe propose de transformer son régime en une monarchie constitutionnelle. C'est un événement d'une grande portée, que nous devons soutenir avec beaucoup de vigueur, je dirais même d'enthousiasme.
C'est aussi dans cet esprit que le Conseil a confirmé le soutien de l'Union européenne à la transition démocratique en Égypte.
C'est enfin la raison pour laquelle il a réaffirmé son appui à la Tunisie, y compris au moyen d'un statut avancé entre l'Union européenne et la Tunisie, en vue de l'élection d'une assemblée constituante le 24 juillet pour relever les immenses défis économiques et sociaux auxquels ce pays est confronté.
Trois jalons de ce nouveau partenariat ont été posés.
Le premier, c'est la décision de reprogrammer rapidement l'aide financière de l'Union européenne, en se fondant sur une approche différenciée par pays et selon une logique incitative reposant sur l'obtention de résultats.
Le deuxième, c'est la décision de relever rapidement les capacités d'intervention de la Banque européenne d'investissement en Méditerranée et de la facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat.
Le troisième, c'est la promotion d'une approche globale des migrations, en affirmant la nécessité d'une concertation étroite avec les pays concernés sur l'aide au contrôle des frontières et à la facilitation du retour des immigrants dans leurs pays d'origine.
Cette approche devra aussi favoriser les contacts entre sociétés civiles, par des partenariats ciblés pour la mobilité, avec ceux des partenaires qui seront suffisamment avancés dans leur processus de réforme et qui coopéreront dans la lutte contre l'immigration illégale. Je pense notamment à la mobilité des étudiants : c'est l'intérêt des pays du Sud de pouvoir envoyer leurs meilleurs esprits faire leurs études dans nos pays et c'est le nôtre qu'ils puissent ensuite assumer des responsabilités importantes dans leur pays d'origine.
Au-delà de ces avancées, je souhaite que le Conseil européen des 24 et 25 mars jette les bases d'une véritable refondation de la politique européenne de voisinage méditerranéen. Nous appelons au maintien d'une politique de voisinage unique de l'Union européenne, avec son «partenariat oriental» pour le voisinage est, avec l'Union pour la Méditerranée pour son voisinage Sud.
Nous souhaitons également que l'Union européenne continue d'accorder une véritable priorité financière au voisinage méditerranéen, au moins les deux tiers de l'enveloppe de la politique européenne de voisinage, notamment dans les perspectives financières pour les années 2014 à 2020. L'Union européenne devra aussi accorder un soutien financier plus conséquent aux projets concrets de l'Union pour la Méditerranée, tels que le plan solaire méditerranéen, la protection civile, l'Office méditerranéen de la jeunesse ou les autoroutes de la mer.
Pour l'investissement, l'ampleur des besoins et la nécessité d'appuyer le redémarrage de l'économie en vue d'une véritable redistribution des fruits de la croissance nous appellent à aller au-delà du seul renforcement des moyens de la Banque européenne d'investissement. Nous souhaitons développer les moyens de financement européens destinés à la rive Sud de la Méditerranée, en nous appuyant - je l'ai dit - sur la facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat.
S'agissant des migrations, notre objectif sera d'avancer dans une coopération étroite avec les pays du Sud, sans laquelle rien ne se fera, et de renforcer les moyens concrets de l'agence européenne FRONTEX contre l'immigration illégale. Ce sera aussi, comme je l'ai déjà évoqué, de promouvoir la création d'un Office méditerranéen de la jeunesse avec le soutien de l'Union pour la Méditerranée, une sorte d'Erasmus euroméditerranéen pour favoriser les contacts entre sociétés civiles et conforter les acteurs de la rive Sud qui ?uvrent à la démocratisation.
Enfin, nous devons engager la relance de l'Union pour la Méditerranée en la recentrant sur des projets concrets. Je note que la chancelière allemande a clairement pris position en ce sens. Je souhaite donc que nous parvenions à incarner cette dimension concrète en désignant rapidement un nouveau secrétaire général, basé à Barcelone, qui soit originaire de la rive Sud et qui incarne la transition démocratique. D'une manière plus générale, je souhaite qu'un groupe de sages, composé de personnalités des deux rives, soit désigné pour formuler des propositions afin de donner un nouveau souffle à cette initiative prémonitoire lancée par le président de la République qu'est l'Union pour la Méditerranée. C'est par cette refondation, par la réalisation enfin tangible de ces projets concrets, que l'Union pour la Méditerranée, qui s'impose à l'évidence encore plus après les événements qui viennent de secouer la rive Sud, pourra s'affirmer et renforcer le rôle de l'Union européenne, notamment dans le processus de paix au Proche-Orient.
Vous le voyez, Mesdames, Messieurs les Députés, le Conseil européen des 24 et 25 mars, dans la ligne de celui du 11 mars, qui a été du point de vue français un grand succès, s'annonce comme une étape clé pour renforcer l'intégration économique et financière de l'Union et lui permettre de mieux répondre à la crise, mais aussi pour jeter les bases d'un nouveau partenariat que nous appelons de nos voeux entre l'Europe et le Sud de la Méditerranée.
Vous pouvez compter sur ma détermination et sur celle de Laurent Wauquiez pour relever ensemble ces deux défis et aboutir à des décisions concrètes.
* Le ministre chargé des Affaires européennes, Laurent Wauquiez
Madame la Présidente, Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères, monsieur le président de la Commission des Affaires européennes, Mesdames, Messieurs les Députés, je vais tenter de revenir de la manière la plus synthétique possible sur les différents éléments de notre débat - car il s'agit bien d'un débat, monsieur de Charette - afin d'illustrer notre vision des enjeux du prochain Conseil européen. Ce faisant, je m'efforcerai de répondre aux questions qui m'ont été posées par les différents intervenants qui nous font l'amabilité d'être présents, y compris pour écouter les réponses du gouvernement.
Ce Conseil européen est l'aboutissement d'une longue marche que l'Europe a commencée il y a deux ans et qui l'a conduite à apporter des réponses à l'une des crises qui étaient le plus susceptibles de déstabiliser l'organisation européenne. Tous, nous avons souligné les risques que comporterait le fait de ne pas parvenir à dégager des positions européennes cohérentes. Le Conseil européen qui se tiendra la semaine prochaine est le point d'aboutissement des efforts déployés pour surmonter les difficultés et les écueils. Ses réalisations, extrêmement concrètes, nous permettent de mesurer l'importance du chemin parcouru.
Premièrement, nous ne disposions pas d'outil permanent de défense de l'euro : nous allons nous doter d'un fonds de stabilité qui permettra de mobiliser d'abord 440 milliards, puis 500 milliards d'euros. Souvenons-nous des débats qu'avait suscités, au moment de la crise grecque, le simple principe d'une intervention conjoncturelle destinée à défendre notre monnaie commune.
À ce propos, vous me permettrez d'insister sur le fait que c'est bien l'euro qui nous a protégés, lors de cette crise. Souvenons-nous, en effet, des attaques spéculatives dont le franc a fait l'objet en 1993 et 1994, dans une période beaucoup moins tourmentée que celle que nous avons vécue, et de leurs conséquences sur les cours d'achat des matières premières. À l'époque du franc, les taux d'intérêt étaient proches de 9 % ; ils se situent aujourd'hui entre 3 % et 3,5 %. L'euro nous permet ainsi de bénéficier de garanties sur un certain nombre de crédits, notamment en matière de logement.
Ceux qui appellent à une sortie de l'euro et à un retour du franc sont donc irresponsables. Une sortie de l'euro entraînerait, en effet, une diminution de 20 % à 30 % de l'épargne de chacun de nos compatriotes, un renchérissement de 20 % à 30 % du prix des matières premières, alors que celui-ci s'est déjà envolé, et une augmentation de 20 % de notre ratio dette-PIB. Encore une fois, c'est l'euro qui nous a protégés lors de la crise.
Deuxièmement, la décision a été prise collectivement d'abaisser de près de cent points de taux de base le coût du refinancement de l'économie grecque, afin de saluer les décisions courageuses prises par la Grèce et les efforts supplémentaires qu'elle a consentis.
Troisième point, essentiel, qu'ont souligné Hervé de Charette, Pierre Lequiller et Pascale Gruny : le pacte pour l'euro. La notion même de gouvernement économique était un tabou. M. Moscovici - dont je regrette qu'il soit parti sans attendre ma réponse - est bien placé pour savoir que, pendant des années, les socialistes ont plaidé, en vain, pour la création d'un gouvernement économique. Eh, bien, pour la première fois, l'Europe va se doter d'un tel gouvernement économique. Celui-ci s'inscrit dans le cadre de la Zone euro, il repose d'abord sur les dix-sept pays qui ont en partage la monnaie commune et trouve sa traduction dans le pacte pour l'euro. Ce dernier est équilibré et concerne à la fois les déficits - M. de Charette a raison d'exprimer cette préoccupation - et ce que j'appelle la compétitivité offensive, laquelle consiste à investir dans les infrastructures et l'innovation, à accentuer nos efforts en faveur de la recherche et à améliorer la situation de l'emploi, notamment en agissant sur la formation des jeunes afin de réduire les passerelles entre formation et accès à l'emploi.
Lorsque les négociations ont débuté, elles ne portaient pas forcément sur un tel contenu. Ce sont nos efforts conjoints, et les vôtres, qui ont permis de faire évoluer le pacte pour l'euro dans un sens beaucoup plus conforme à nos convictions, c'est-à-dire à une économie sociale de marché, à la fois compétitive et attentive au capital humain. J'ajoute, Pierre Lequiller l'a rappelé, qu'un sommet tripartite se tiendra chaque année, qui permettra d'associer pleinement les partenaires sociaux à nos réflexions.
Deux autres points sont révélateurs des acquis de ce Conseil européen. Le premier concerne la mise en place d'une véritable convergence fiscale. Là encore, évoquer ne serait-ce qu'une discussion sur un rapprochement des impôts à l'échelle européenne était un tabou absolu. Eh bien, le Conseil pose le principe d'une réflexion sur une harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. La France le demandait depuis des années ; pour la première fois, la Commission devra mener une étude précise et concrète sur la possibilité d'une meilleure harmonisation fiscale à l'échelle européenne.
Le second point concerne la création d'une taxe sur les transactions financières. Il s'agit, là aussi, d'une avancée décisive, en faveur de laquelle nous avons plaidé pendant des années, parfois des deux côtés de l'hémicycle, du reste. Vous y compris, en effet, ce qui montre que nous pouvons parfois nous retrouver sur les dossiers européens.
Je souhaiterais maintenant revenir sur l'intervention de Pierre Moscovici. Lui qui connaît bien la scène européenne, qui, objectivement, fut un bon ministre des affaires européennes et qui sut faire avancer un certain nombre de dossiers, ne peut tenir de tels propos. On le savait Cassandre, annonçant que notre économie allait souffrir du sauvetage des banques et que les Français allaient perdre leurs économies ; on le découvre Tartuffe, refusant de reconnaître les avancées que nous obtenons et en faveur desquelles le parti socialiste plaidait depuis des années. Vous vouliez le gouvernement économique ? Nous avons réussi à l'obtenir. Vous plaidiez pour la convergence fiscale ? Le Conseil européen permettra d'y parvenir. Certes, je comprends que ce soit un peu désagréable, mais, de grâce, ne jouons ni les Cassandre ni les Tartuffe !
Quant à notre prétendue incapacité à penser la relation franco-allemande, arrêtons de dévaloriser la diplomatie française ! Gouvernement économique, taxe financière, fonds de stabilité : l'Europe est de retour et, sur bien des sujets, c'est la France qui est à l'initiative.
Le président Poniatowski a évoqué la Libye. Sur ce sujet, nous espérons obtenir d'un certain nombre d'États membres du Conseil de sécurité des avancées positives. En tout cas, le ministre d'État ne ménage pas ses efforts et met tout en oeuvre pour que nous puissions réagir rapidement, afin que la Libye ne soit pas une tache rouge sur les espoirs qui se sont levés sur la rive Sud de la Méditerranée.
S'agissant de la Tunisie, je me retrouve dans les propos de M. Poniatowski : elle offre à l'Europe la possibilité de mener une action exemplaire. Mais, pour cela, il faut des moyens et des réalisations concrètes. La BEI peut étendre ses actions en Tunisie, et la BERD, qui en est aujourd'hui exclue, peut étendre son champ d'action à la Tunisie. Alain Juppé sera amené à se rendre bientôt dans ce pays, afin de marquer notre plein soutien à la transition démocratique et d'investir dans la démocratie.
Pour ce qui est des frontières, chacun connaît mes convictions profondément pro-européennes. Pour répondre à la question que vous avez posée, Madame Gruny, je dirai que la défense de nos frontières passe par l'Europe : une défense «nationalisante» n'aurait pas de sens. Nos frontières sont aujourd'hui communes, elles sont européennes et doivent donc être défendues à l'échelle européenne.
De ce point de vue, notre objectif est d'améliorer la capacité opérationnelle de FRONTEX - en coopération avec EUROPOL - et de multiplier les opérations appelées RABIT, qui ont prouvé leur efficacité en Grèce en divisant par deux les flux d'immigration illégale. Le problème n'est d'ailleurs pas tant les effectifs de FRONTEX que leur mise à disposition, c'est-à-dire l'existence de personnels et de matériel pré-identifiés, pouvant être mobilisés rapidement lorsqu'une opération européenne nécessite leur mise en ?uvre, comme c'est le cas en ce moment avec l'opération HERMES, consistant en la présence de navires qui patrouillent en Méditerranée, entre la Tunisie et l'Italie.
En ce qui concerne le programme d'investissement d'intérêt européen, évoqué par le président Lequiller, je crois personnellement aux «project bonds». Il faut simplement veiller à ce que le recours à de tels instruments ne conduise pas à multiplier des opérations «hors bilan» qui pourraient être dangereuses. Cela étant, l'idée de mettre en ?uvre des projets communautaires concrets, identifiés, pour lesquels le passage par un «project bond» peut avoir un effet de levier, me semble intéressante. Je pense que la vocation de la France est de soutenir les idées allant dans le sens d'une plus grande intégration européenne. Nous ne sommes pas dans le camp des eurosceptiques, notre travail est de soutenir ce qui favorise l'intégration européenne.
Enfin, l'Union pour la Méditerranée représente un travail qui doit se faire en étroite coordination avec les pays du Sud. Nous ne devons pas perdre de vue que ce sont eux qui ont fait la révolution, qui ont soulevé les espoirs, et que nous ne pouvons pas arriver maintenant en leur expliquant ce qu'ils doivent faire ou en leur donnant des leçons ! Notre travail consiste avant tout à écouter ce que souhaitent ces pays, et c'est dans ce cadre que la France propose la désignation d'un groupe de sages composé de personnalités des deux rives de la Méditerranée, qui devra prendre le temps de l'écoute.
Par ailleurs, l'Union pour la Méditerranée ne peut pas rester sans attaches : elle doit être reliée à la politique de voisinage de l'Union européenne afin de bénéficier du soutien financier le plus efficace.
Enfin - et, sur ce point, je vous rejoins totalement - l'Union pour la Méditerranée doit être concrète sur un certain nombre de projets identifiables. C'est l'une des leçons que nous pouvons tirer de l'histoire de la construction européenne : choisir des projets concrets, identifiables par nos compatriotes, est la meilleure façon de faire avancer les choses.
Des projets, nous n'en manquons pas : un plan solaire euroméditerranéen, un projet de dépollution de la Méditerranée, la création d'une chaîne euro-méditerranéenne, l'Office méditerranéen de la Jeunesse, un programme Erasmus, une coopération entre nos PME, notamment sur des projets environnementaux : autant de thèmes ayant vocation à être déclinés de manière concrète. Ne cherchons pas à tout prix de grands projets lointains, mieux vaut s'en tenir à quelque chose d'identifiable et de tangible !
Ma conviction est que l'année 2011 est celle d'un retour de l'Europe. Un retour qui, certes, se fait à travers des crises et des défis, et passe par des phases d'avancée et de recul, mais un vrai retour. À tous les défis qui nous sont lancés, la réponse est européenne, et la vocation de la France est de prendre l'initiative et de porter résolument l'ambition européenne.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mars 2011
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, c'est avec beaucoup de plaisir que je m'exprime devant vous à l'occasion de ce traditionnel débat préalable au Conseil européen. Naturellement, la réunion des 24 et 25 mars sera marquée par la tragédie que connaît aujourd'hui le Japon et abordera notamment la question de la sûreté nucléaire.
Cette question, la situation nous impose de la traiter sous trois angles : solidarité avec le Japon, sûreté des réacteurs en exploitation en Europe, sûreté des réacteurs qui seront construits dans le monde. Comme l'a dit hier le Premier ministre, aucun débat ne doit être esquivé. Mais nous sommes aujourd'hui dans le temps de l'urgence, auquel devra succéder le temps du retour d'expérience.
Au sein de l'Union européenne, une directive de juin 2009 a établi un cadre communautaire pour la sûreté des installations nucléaires. Dans ce cadre, nous soutenons un examen par les pairs des mesures prises pour assurer en permanence, en exploitation normale et en situation d'urgence, le plus haut niveau de sûreté des réacteurs en Europe. Le commissaire européen en charge de l'énergie, l'Allemand Günther Oettinger, a réuni hier à Bruxelles les autorités nationales de sûreté nucléaire et de l'industrie. Ces experts ont marqué leur accord pour évaluer l'état de préparation de l'Union à des situations similaires et pour soumettre les quelque 150 réacteurs en Europe à des tests de résistance. C'est dans cet esprit que s'inscrit l'audit du parc nucléaire français annoncé hier par le Premier ministre.
À Bruxelles, il s'agira de continuer à porter la sûreté nucléaire au plus haut niveau, de tirer les leçons de la tragédie au Japon et d'agir dans la transparence à l'égard des populations.
Nous devons en effet répondre à l'inquiétude très compréhensible de nos concitoyens. Mais nous devons aussi éviter les réactions précipitées. Chaque État membre reste responsable de son mix énergétique. Et nous ne pourrons nous passer de l'énergie nucléaire avant plusieurs décennies, surtout si nous voulons atteindre nos objectifs européens d'une économie décarbonée.
Une séquence de réunions internationales s'ouvre devant nous : conseil énergie exceptionnel le 21 mars à Bruxelles, Conseil européen les 24 et 25 mars, réunion du Nuclear safety and security group du G8 les 24 et 25 mars, Sommet de Deauville les 26 et 27 mai. Le G20 pourrait aussi être saisi de la question. Nous mettrons à profit ces échéances pour défendre l'exigence du plus haut niveau de sûreté nucléaire.
Outre la question du Japon et ses conséquences sur la sûreté nucléaire, le Conseil européen des 24 et 25 mars, qui inscrira ses travaux dans la lignée des décisions adoptées lors du Conseil européen extraordinaire sur la Libye et du sommet de la Zone euro le 11 mars, sera consacré à deux sujets majeurs : d'une part, le renforcement de la gouvernance économique de l'Union européenne et de la Zone euro, et, d'autre part, la construction d'un nouveau partenariat entre l'Union européenne et la rive Sud de la Méditerranée.
Pour ce qui est du renforcement de la gouvernance économique de l'Union européenne et de la Zone euro, il s'agit à la fois de finaliser la réponse globale à la crise et de renforcer le pilier économique de l'Union économique et monétaire. Le prochain Conseil européen devrait prendre trois décisions majeures en ce sens.
D'abord, il adoptera formellement la décision de modification limitée du traité permettant la mise en place pérenne, en 2013, du Mécanisme européen de stabilité.
Ensuite, il devrait adopter formellement le pacte pour l'euro, de façon ouverte et inclusive, afin de permettre aux États membres n'appartenant pas à la Zone euro de s'y joindre, s'ils le souhaitent et s'ils en acceptent les engagements.
Enfin, le Conseil européen engagera le Conseil et le Parlement européen à aboutir d'ici au mois de juin à un accord sur des propositions législatives présentées par la Commission pour renforcer la gouvernance économique.
Grâce à ces trois décisions, nous parachèverons l'effort engagé lors de la crise de la dette grecque pour défendre l'euro, rétablir de façon coordonnée la maîtrise de nos finances publiques et définir un véritable volet de convergence et de compétitivité au service de la croissance. En un an à peine, grâce à la détermination du couple franco-allemand, nous aurons construit une réponse européenne globale à la crise économique. Permettez-moi aujourd'hui de vous en rappeler cinq éléments essentiels.
Premier élément : le Fonds européen de stabilité financière. Créé juste après la crise de la dette grecque, il a permis d'apporter une réponse immédiate à la crise bancaire irlandaise et d'empêcher un effet de domino qui aurait menacé toute la Zone euro. Le sommet du 11 mars a décidé que sa capacité de financement convenue, de 440 milliards d'euros, serait rendue pleinement opérationnelle. Cette capacité globale effective de financement sera portée à 500 milliards d'euros lors du passage du Fonds au Mécanisme européen de stabilité.
Deuxième élément : le «semestre européen». Son objectif est d'engager une véritable coordination des politiques budgétaires nationales, intégrant les objectifs européens et les engagements souscrits dans le pacte de stabilité et de croissance.
Ce cycle a été lancé en janvier, avec le premier rapport annuel sur la croissance de la Commission. Le Conseil européen donnera son accord sur les priorités en matière de réformes structurelles et d'assainissement des finances publiques. Sur cette base, les États membres présenteront mi-avril leurs programmes de stabilité et de convergence, ainsi que leurs programmes nationaux de réforme. C'est une innovation majeure dans la procédure budgétaire. C'est donc en parfaite cohérence européenne qu'après cette première phase du «semestre européen», chaque État membre engagera la construction de son budget et le vote de sa loi de finances, conformément à ses procédures nationales et dans le respect des prérogatives des parlements nationaux.
Troisième élément : la supervision financière. Avec l'appui décisif du commissaire européen chargé du marché intérieur et des services financiers, Michel Barnier, dont je tiens à saluer le travail, elle a été considérablement renforcée.
J'en veux pour preuve la création du Conseil européen du risque systémique et de trois autorités européennes indépendantes de supervision, couvrant les marchés financiers, les banques et les assurances. Aujourd'hui, le renforcement des ratios prudentiels avec les accords Bâle III, l'adoption de la directive «hedge funds», de nouvelles règles de transparence sur les produits dérivés et le renforcement des «stress tests» pour les banques sont une réalité. On ne peut plus dire que les leçons de la crise financière n'ont pas été tirées.
J'en veux aussi pour preuve l'étape supplémentaire franchie lors du sommet de la Zone euro le 11 mars, avec la nécessité affirmée de réfléchir à l'introduction d'une taxe sur les transactions financières et de faire avancer les travaux au niveau de la Zone euro, à celui de l'Union européenne, ainsi que sur le plan international. Cette décision n'était pas facile, et la France, sous l'impulsion du président de la République, ainsi que l'Allemagne, l'ont fait adopter par l'ensemble de nos partenaires.
Quatrième élément : la gouvernance économique, dont la refonte est engagée. Je pense aux six propositions législatives présentées par la Commission à l'automne dernier, qui devront être adoptées sur la base de l'équilibre dégagé au sein de ce qu'on appelle, dans le langage bruxellois, la «task force Van Rompuy» et endossé par le Conseil européen d'octobre dernier.
Ces propositions ne se limitent pas à une réforme des volets préventifs et correctifs du pacte de stabilité et à l'introduction de sanctions financières. Au-delà du critère de déficit public, elles intègrent une meilleure prise en compte du critère de dette publique. Elles introduisent également une nouvelle procédure de surveillance des déséquilibres macroéconomiques excessifs.
Ce renforcement des disciplines budgétaires et de la supervision financière ira de pair - et c'est le cinquième élément - avec un véritable volet de convergence et de compétitivité au service de la croissance et de l'emploi. C'est tout le sens du pacte pour l'euro, dont l'idée avait été lancée par le président de la République et la chancelière au conseil des ministres franco-allemand de Fribourg en décembre dernier, et qui a été approuvé au sommet du 11 mars.
Ce pacte, qui fera l'objet d'un suivi annuel par les chefs d'État et de gouvernement, s'appuiera sur un ensemble d'indicateurs couvrant la compétitivité, l'emploi, la viabilité budgétaire et la stabilité financière. Les États membres seront invités à annoncer, dès le Conseil européen des 24 et 25 mars, de premiers engagements concrets à mettre en ?uvre dans les douze mois suivants.
Nous avons aussi obtenu, et ce n'est pas le moins important, que le pacte pour l'euro porte une attention particulière à la coordination des politiques fiscales et que les États membres s'engagent à entamer des discussions structurées, notamment sur la prévention des pratiques fiscales nuisibles. Le sommet du 11 mars a également posé un jalon vers une assiette commune de l'impôt sur les sociétés à l'intérieur de la Zone euro, ce qui est une percée d'une grande importance.
Le second grand enjeu de ce Conseil européen, c'est la construction d'un nouveau partenariat pour la démocratie entre l'Union européenne et ses voisins du Sud de la Méditerranée. Cela suppose une refondation de la politique européenne de voisinage, qui doit désormais inclure l'Union pour la Méditerranée.
Cette nécessité a été clairement affirmée par le Conseil européen extraordinaire du 11 mars, qui a adressé un message clair et complet.
Un message pour l'immédiat : sur le départ de Kadhafi et le renforcement des sanctions, sur la reconnaissance comme interlocuteur du Conseil national de transition libyen, sur le maintien de toutes les options sur la table moyennant une nécessité démontrée, une base légale claire et un soutien régional avéré, et, enfin, sur la perspective d'un sommet réunissant l'Union européenne, la Ligue arabe et l'Union africaine.
En ce moment même, à New York, nos diplomates sont à la tâche. Nous avons déposé, avec nos amis britanniques et libanais, une résolution au Conseil de sécurité qui élargit le champ des sanctions et ouvre la voie à l'utilisation des moyens nécessaires pour stopper l'offensive de Kadhafi. C'est un enjeu majeur. La France, de ce point de vue, a donné l'exemple et tracé la voie. Je peux vous dire que j'ai quelques raisons de penser que nous pourrons atteindre l'objectif qui est le nôtre. Nous n'interviendrons, bien entendu, que sous un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies et avec, non seulement le soutien, mais la participation active des pays arabes.
J'aurais pu imaginer que, sur cette stratégie, nous recueillions un large soutien, y compris de l'opposition, parce que dans ce domaine et par son attitude, la France a dans les pays arabes, je peux l'attester encore après l'entretien que je viens d'avoir avec mon homologue des Émirats arabes unis, une image extrêmement positive qui nous met en position de défendre le processus démocratique.
Nous adresserons aussi au Conseil européen un message pour le moyen et le long terme, avec la volonté affirmée de l'Union européenne de mettre en place un «partenariat pour la démocratie et la prospérité partagée au Sud de la Méditerranée», en prenant appui notamment sur les propositions de la Haute Représentante Catherine Ashton et de la Commission.
Ce nouveau partenariat, l'Union européenne le veut à la fois global et différencié pour chaque pays de la rive Sud, sans paternalisme, sans modèle préconçu, en le fondant sur les besoins exprimés et en privilégiant un appui résolu à la transformation démocratique.
C'est dans cet esprit que le Conseil européen a salué le discours du roi du Maroc annonçant des réformes constitutionnelles. Je voudrais d'ailleurs insister sur ce point : c'est la première fois qu'un monarque du monde arabe propose de transformer son régime en une monarchie constitutionnelle. C'est un événement d'une grande portée, que nous devons soutenir avec beaucoup de vigueur, je dirais même d'enthousiasme.
C'est aussi dans cet esprit que le Conseil a confirmé le soutien de l'Union européenne à la transition démocratique en Égypte.
C'est enfin la raison pour laquelle il a réaffirmé son appui à la Tunisie, y compris au moyen d'un statut avancé entre l'Union européenne et la Tunisie, en vue de l'élection d'une assemblée constituante le 24 juillet pour relever les immenses défis économiques et sociaux auxquels ce pays est confronté.
Trois jalons de ce nouveau partenariat ont été posés.
Le premier, c'est la décision de reprogrammer rapidement l'aide financière de l'Union européenne, en se fondant sur une approche différenciée par pays et selon une logique incitative reposant sur l'obtention de résultats.
Le deuxième, c'est la décision de relever rapidement les capacités d'intervention de la Banque européenne d'investissement en Méditerranée et de la facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat.
Le troisième, c'est la promotion d'une approche globale des migrations, en affirmant la nécessité d'une concertation étroite avec les pays concernés sur l'aide au contrôle des frontières et à la facilitation du retour des immigrants dans leurs pays d'origine.
Cette approche devra aussi favoriser les contacts entre sociétés civiles, par des partenariats ciblés pour la mobilité, avec ceux des partenaires qui seront suffisamment avancés dans leur processus de réforme et qui coopéreront dans la lutte contre l'immigration illégale. Je pense notamment à la mobilité des étudiants : c'est l'intérêt des pays du Sud de pouvoir envoyer leurs meilleurs esprits faire leurs études dans nos pays et c'est le nôtre qu'ils puissent ensuite assumer des responsabilités importantes dans leur pays d'origine.
Au-delà de ces avancées, je souhaite que le Conseil européen des 24 et 25 mars jette les bases d'une véritable refondation de la politique européenne de voisinage méditerranéen. Nous appelons au maintien d'une politique de voisinage unique de l'Union européenne, avec son «partenariat oriental» pour le voisinage est, avec l'Union pour la Méditerranée pour son voisinage Sud.
Nous souhaitons également que l'Union européenne continue d'accorder une véritable priorité financière au voisinage méditerranéen, au moins les deux tiers de l'enveloppe de la politique européenne de voisinage, notamment dans les perspectives financières pour les années 2014 à 2020. L'Union européenne devra aussi accorder un soutien financier plus conséquent aux projets concrets de l'Union pour la Méditerranée, tels que le plan solaire méditerranéen, la protection civile, l'Office méditerranéen de la jeunesse ou les autoroutes de la mer.
Pour l'investissement, l'ampleur des besoins et la nécessité d'appuyer le redémarrage de l'économie en vue d'une véritable redistribution des fruits de la croissance nous appellent à aller au-delà du seul renforcement des moyens de la Banque européenne d'investissement. Nous souhaitons développer les moyens de financement européens destinés à la rive Sud de la Méditerranée, en nous appuyant - je l'ai dit - sur la facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat.
S'agissant des migrations, notre objectif sera d'avancer dans une coopération étroite avec les pays du Sud, sans laquelle rien ne se fera, et de renforcer les moyens concrets de l'agence européenne FRONTEX contre l'immigration illégale. Ce sera aussi, comme je l'ai déjà évoqué, de promouvoir la création d'un Office méditerranéen de la jeunesse avec le soutien de l'Union pour la Méditerranée, une sorte d'Erasmus euroméditerranéen pour favoriser les contacts entre sociétés civiles et conforter les acteurs de la rive Sud qui ?uvrent à la démocratisation.
Enfin, nous devons engager la relance de l'Union pour la Méditerranée en la recentrant sur des projets concrets. Je note que la chancelière allemande a clairement pris position en ce sens. Je souhaite donc que nous parvenions à incarner cette dimension concrète en désignant rapidement un nouveau secrétaire général, basé à Barcelone, qui soit originaire de la rive Sud et qui incarne la transition démocratique. D'une manière plus générale, je souhaite qu'un groupe de sages, composé de personnalités des deux rives, soit désigné pour formuler des propositions afin de donner un nouveau souffle à cette initiative prémonitoire lancée par le président de la République qu'est l'Union pour la Méditerranée. C'est par cette refondation, par la réalisation enfin tangible de ces projets concrets, que l'Union pour la Méditerranée, qui s'impose à l'évidence encore plus après les événements qui viennent de secouer la rive Sud, pourra s'affirmer et renforcer le rôle de l'Union européenne, notamment dans le processus de paix au Proche-Orient.
Vous le voyez, Mesdames, Messieurs les Députés, le Conseil européen des 24 et 25 mars, dans la ligne de celui du 11 mars, qui a été du point de vue français un grand succès, s'annonce comme une étape clé pour renforcer l'intégration économique et financière de l'Union et lui permettre de mieux répondre à la crise, mais aussi pour jeter les bases d'un nouveau partenariat que nous appelons de nos voeux entre l'Europe et le Sud de la Méditerranée.
Vous pouvez compter sur ma détermination et sur celle de Laurent Wauquiez pour relever ensemble ces deux défis et aboutir à des décisions concrètes.
* Le ministre chargé des Affaires européennes, Laurent Wauquiez
Madame la Présidente, Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères, monsieur le président de la Commission des Affaires européennes, Mesdames, Messieurs les Députés, je vais tenter de revenir de la manière la plus synthétique possible sur les différents éléments de notre débat - car il s'agit bien d'un débat, monsieur de Charette - afin d'illustrer notre vision des enjeux du prochain Conseil européen. Ce faisant, je m'efforcerai de répondre aux questions qui m'ont été posées par les différents intervenants qui nous font l'amabilité d'être présents, y compris pour écouter les réponses du gouvernement.
Ce Conseil européen est l'aboutissement d'une longue marche que l'Europe a commencée il y a deux ans et qui l'a conduite à apporter des réponses à l'une des crises qui étaient le plus susceptibles de déstabiliser l'organisation européenne. Tous, nous avons souligné les risques que comporterait le fait de ne pas parvenir à dégager des positions européennes cohérentes. Le Conseil européen qui se tiendra la semaine prochaine est le point d'aboutissement des efforts déployés pour surmonter les difficultés et les écueils. Ses réalisations, extrêmement concrètes, nous permettent de mesurer l'importance du chemin parcouru.
Premièrement, nous ne disposions pas d'outil permanent de défense de l'euro : nous allons nous doter d'un fonds de stabilité qui permettra de mobiliser d'abord 440 milliards, puis 500 milliards d'euros. Souvenons-nous des débats qu'avait suscités, au moment de la crise grecque, le simple principe d'une intervention conjoncturelle destinée à défendre notre monnaie commune.
À ce propos, vous me permettrez d'insister sur le fait que c'est bien l'euro qui nous a protégés, lors de cette crise. Souvenons-nous, en effet, des attaques spéculatives dont le franc a fait l'objet en 1993 et 1994, dans une période beaucoup moins tourmentée que celle que nous avons vécue, et de leurs conséquences sur les cours d'achat des matières premières. À l'époque du franc, les taux d'intérêt étaient proches de 9 % ; ils se situent aujourd'hui entre 3 % et 3,5 %. L'euro nous permet ainsi de bénéficier de garanties sur un certain nombre de crédits, notamment en matière de logement.
Ceux qui appellent à une sortie de l'euro et à un retour du franc sont donc irresponsables. Une sortie de l'euro entraînerait, en effet, une diminution de 20 % à 30 % de l'épargne de chacun de nos compatriotes, un renchérissement de 20 % à 30 % du prix des matières premières, alors que celui-ci s'est déjà envolé, et une augmentation de 20 % de notre ratio dette-PIB. Encore une fois, c'est l'euro qui nous a protégés lors de la crise.
Deuxièmement, la décision a été prise collectivement d'abaisser de près de cent points de taux de base le coût du refinancement de l'économie grecque, afin de saluer les décisions courageuses prises par la Grèce et les efforts supplémentaires qu'elle a consentis.
Troisième point, essentiel, qu'ont souligné Hervé de Charette, Pierre Lequiller et Pascale Gruny : le pacte pour l'euro. La notion même de gouvernement économique était un tabou. M. Moscovici - dont je regrette qu'il soit parti sans attendre ma réponse - est bien placé pour savoir que, pendant des années, les socialistes ont plaidé, en vain, pour la création d'un gouvernement économique. Eh, bien, pour la première fois, l'Europe va se doter d'un tel gouvernement économique. Celui-ci s'inscrit dans le cadre de la Zone euro, il repose d'abord sur les dix-sept pays qui ont en partage la monnaie commune et trouve sa traduction dans le pacte pour l'euro. Ce dernier est équilibré et concerne à la fois les déficits - M. de Charette a raison d'exprimer cette préoccupation - et ce que j'appelle la compétitivité offensive, laquelle consiste à investir dans les infrastructures et l'innovation, à accentuer nos efforts en faveur de la recherche et à améliorer la situation de l'emploi, notamment en agissant sur la formation des jeunes afin de réduire les passerelles entre formation et accès à l'emploi.
Lorsque les négociations ont débuté, elles ne portaient pas forcément sur un tel contenu. Ce sont nos efforts conjoints, et les vôtres, qui ont permis de faire évoluer le pacte pour l'euro dans un sens beaucoup plus conforme à nos convictions, c'est-à-dire à une économie sociale de marché, à la fois compétitive et attentive au capital humain. J'ajoute, Pierre Lequiller l'a rappelé, qu'un sommet tripartite se tiendra chaque année, qui permettra d'associer pleinement les partenaires sociaux à nos réflexions.
Deux autres points sont révélateurs des acquis de ce Conseil européen. Le premier concerne la mise en place d'une véritable convergence fiscale. Là encore, évoquer ne serait-ce qu'une discussion sur un rapprochement des impôts à l'échelle européenne était un tabou absolu. Eh bien, le Conseil pose le principe d'une réflexion sur une harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. La France le demandait depuis des années ; pour la première fois, la Commission devra mener une étude précise et concrète sur la possibilité d'une meilleure harmonisation fiscale à l'échelle européenne.
Le second point concerne la création d'une taxe sur les transactions financières. Il s'agit, là aussi, d'une avancée décisive, en faveur de laquelle nous avons plaidé pendant des années, parfois des deux côtés de l'hémicycle, du reste. Vous y compris, en effet, ce qui montre que nous pouvons parfois nous retrouver sur les dossiers européens.
Je souhaiterais maintenant revenir sur l'intervention de Pierre Moscovici. Lui qui connaît bien la scène européenne, qui, objectivement, fut un bon ministre des affaires européennes et qui sut faire avancer un certain nombre de dossiers, ne peut tenir de tels propos. On le savait Cassandre, annonçant que notre économie allait souffrir du sauvetage des banques et que les Français allaient perdre leurs économies ; on le découvre Tartuffe, refusant de reconnaître les avancées que nous obtenons et en faveur desquelles le parti socialiste plaidait depuis des années. Vous vouliez le gouvernement économique ? Nous avons réussi à l'obtenir. Vous plaidiez pour la convergence fiscale ? Le Conseil européen permettra d'y parvenir. Certes, je comprends que ce soit un peu désagréable, mais, de grâce, ne jouons ni les Cassandre ni les Tartuffe !
Quant à notre prétendue incapacité à penser la relation franco-allemande, arrêtons de dévaloriser la diplomatie française ! Gouvernement économique, taxe financière, fonds de stabilité : l'Europe est de retour et, sur bien des sujets, c'est la France qui est à l'initiative.
Le président Poniatowski a évoqué la Libye. Sur ce sujet, nous espérons obtenir d'un certain nombre d'États membres du Conseil de sécurité des avancées positives. En tout cas, le ministre d'État ne ménage pas ses efforts et met tout en oeuvre pour que nous puissions réagir rapidement, afin que la Libye ne soit pas une tache rouge sur les espoirs qui se sont levés sur la rive Sud de la Méditerranée.
S'agissant de la Tunisie, je me retrouve dans les propos de M. Poniatowski : elle offre à l'Europe la possibilité de mener une action exemplaire. Mais, pour cela, il faut des moyens et des réalisations concrètes. La BEI peut étendre ses actions en Tunisie, et la BERD, qui en est aujourd'hui exclue, peut étendre son champ d'action à la Tunisie. Alain Juppé sera amené à se rendre bientôt dans ce pays, afin de marquer notre plein soutien à la transition démocratique et d'investir dans la démocratie.
Pour ce qui est des frontières, chacun connaît mes convictions profondément pro-européennes. Pour répondre à la question que vous avez posée, Madame Gruny, je dirai que la défense de nos frontières passe par l'Europe : une défense «nationalisante» n'aurait pas de sens. Nos frontières sont aujourd'hui communes, elles sont européennes et doivent donc être défendues à l'échelle européenne.
De ce point de vue, notre objectif est d'améliorer la capacité opérationnelle de FRONTEX - en coopération avec EUROPOL - et de multiplier les opérations appelées RABIT, qui ont prouvé leur efficacité en Grèce en divisant par deux les flux d'immigration illégale. Le problème n'est d'ailleurs pas tant les effectifs de FRONTEX que leur mise à disposition, c'est-à-dire l'existence de personnels et de matériel pré-identifiés, pouvant être mobilisés rapidement lorsqu'une opération européenne nécessite leur mise en ?uvre, comme c'est le cas en ce moment avec l'opération HERMES, consistant en la présence de navires qui patrouillent en Méditerranée, entre la Tunisie et l'Italie.
En ce qui concerne le programme d'investissement d'intérêt européen, évoqué par le président Lequiller, je crois personnellement aux «project bonds». Il faut simplement veiller à ce que le recours à de tels instruments ne conduise pas à multiplier des opérations «hors bilan» qui pourraient être dangereuses. Cela étant, l'idée de mettre en ?uvre des projets communautaires concrets, identifiés, pour lesquels le passage par un «project bond» peut avoir un effet de levier, me semble intéressante. Je pense que la vocation de la France est de soutenir les idées allant dans le sens d'une plus grande intégration européenne. Nous ne sommes pas dans le camp des eurosceptiques, notre travail est de soutenir ce qui favorise l'intégration européenne.
Enfin, l'Union pour la Méditerranée représente un travail qui doit se faire en étroite coordination avec les pays du Sud. Nous ne devons pas perdre de vue que ce sont eux qui ont fait la révolution, qui ont soulevé les espoirs, et que nous ne pouvons pas arriver maintenant en leur expliquant ce qu'ils doivent faire ou en leur donnant des leçons ! Notre travail consiste avant tout à écouter ce que souhaitent ces pays, et c'est dans ce cadre que la France propose la désignation d'un groupe de sages composé de personnalités des deux rives de la Méditerranée, qui devra prendre le temps de l'écoute.
Par ailleurs, l'Union pour la Méditerranée ne peut pas rester sans attaches : elle doit être reliée à la politique de voisinage de l'Union européenne afin de bénéficier du soutien financier le plus efficace.
Enfin - et, sur ce point, je vous rejoins totalement - l'Union pour la Méditerranée doit être concrète sur un certain nombre de projets identifiables. C'est l'une des leçons que nous pouvons tirer de l'histoire de la construction européenne : choisir des projets concrets, identifiables par nos compatriotes, est la meilleure façon de faire avancer les choses.
Des projets, nous n'en manquons pas : un plan solaire euroméditerranéen, un projet de dépollution de la Méditerranée, la création d'une chaîne euro-méditerranéenne, l'Office méditerranéen de la Jeunesse, un programme Erasmus, une coopération entre nos PME, notamment sur des projets environnementaux : autant de thèmes ayant vocation à être déclinés de manière concrète. Ne cherchons pas à tout prix de grands projets lointains, mieux vaut s'en tenir à quelque chose d'identifiable et de tangible !
Ma conviction est que l'année 2011 est celle d'un retour de l'Europe. Un retour qui, certes, se fait à travers des crises et des défis, et passe par des phases d'avancée et de recul, mais un vrai retour. À tous les défis qui nous sont lancés, la réponse est européenne, et la vocation de la France est de prendre l'initiative et de porter résolument l'ambition européenne.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mars 2011