Interview de M. Denis Kessler, vice-président délégué du MEDEF, à Europe 1 le 11 juin 2001, sur le projet de loi sur les licenciements, la politique familiale et sociale du gouvernement et le financement des 35 heures.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach - De quel il les chefs d'entreprise du Medef regardent aujourd'hui la nouvelle tension Guigou-Hue sur les licenciements ?
- "C'est absolument incroyable. Ce texte remonte à plus d'un an. Et puis, tout d'un coup, il y a des événements, malheureusement regrettables, qui sont des licenciements absolument inévitables liés aux restructurations d'entreprises. On commence à amender ce texte, puis ce texte est repoussé de 15 jours, et puis on assiste à des tractations entre partis politiques pour essayer de"
Ca c'est normal, pour arriver à une nouvelle loi ou à un texte. Vous dites les licenciements inévitables et M. Hue, par exemple, et d'autres pensent qu'ils ne sont pas forcément inévitables ?
- "Si, évidemment, ils sont inévitables, parce que toute économie doit se restructurer en permanence et les entreprises doivent s'adapter, les entreprises françaises comme les entreprises des autres pays. Tout ce que l'on fait à l'heure actuelle, c'est quoi ? C'est complexifier la procédure, c'est renchérir la procédure et c'est allonger la procédure. Je ne suis absolument pas certain, en ce me concerne, que ceci va dans le sens de l'intérêt des salariés. Bien au contraire. On voit bien à l'heure actuelle qu'il s'agit simplement d'agiter tout le monde politique autour de cette question des licenciements. Et je considère pour ma part que ceci est très regrettable. "
Le Parti communiste et le Parti socialiste défendront peut-être mieux les salariés que vous, si vous me permettez, D. Kessler
- "Sûrement pas. C'est nous qui créons l'emploi, ce n'est pas eux. C'est nous qui avons créé un million d'emplois en l'espace de deux ans. C'est nous qui sommes à l'heure actuelle responsables de 15 millions d'emplois. Ce n'est certainement pas la LCR ou LO, ou je ne sais pas quel groupuscule gauchiste qui est à l'heure actuelle responsable des emplois en France. Ce sont les entreprises qui le sont. Et nous avons une responsabilité majeure c'est de maintenir la pérennité et le développement des entreprises françaises dans un monde concurrentiel. Vous comprenez que ça c'est une responsabilité qui ne se discute pas comme ça, avec quelques milliers de manifestants dans la rue porteurs de bandeaux rouges et de drapeaux noirs. Il faut faire les choses sérieusement. Nous sommes le dernier pays dans lequel ces questions fondamentales ... Il faut expliquer au pays, il faut expliquer aux citoyens pourquoi à l'heure actuelle nous devons nous adapter. Et vous voyez bien qu'il y a des tentatives simplement de diabolisation des entreprises, de leurs dirigeants de tout ce qu'ils représentent qui ne mène à rien, qui ne mène à rien. On a l'impression d'être dans des débats du siècle dans des cellules communistes au Kremlin !"
Pourquoi la restructuration ou la mondialisation se font-elles sur le dos et sur la douleur des salariés ? Regardez, qu'est-ce que vous répondez aux 875 salariés de Bata qui font grève et qui attendent aujourd'hui ce qui peut leur arriver et peut-être que leur entreprise ne ferme pas ?
- "Et si ces salariés croient que c'est une loi qui va changer malheureusement la situation dans laquelle ils sont. Ils se trompent. Et si on laisse croire aux Français que c'est en permanence en rajoutant des nouveaux textes législatifs que l'on arrivera à retrouver le plein emploi, on se trompe. Le plein emploi, y compris pour ces salariés là, passera par la création d'entreprises nouvelles, par des investissements dans notre pays."
Mais qu'est-ce qu'il y a de révolutionnaire dans la proposition, par exemple de R. Hue, de demander un droit nouveau des salariés pour contester les licenciements ?
- "Le chef d'entreprise est responsable de l'embauche. Il est responsable des licenciements. C'est sa responsabilité. On voit bien la tentation à l'heure actuelle du Parti Communiste d'essayer de retirer cette responsabilité aux chefs d'entreprises, en la confiant au comité d'entreprise, que sais-je encore. Nous maintenons avec force que c'est la responsabilité du chef d'entreprise. Elle est lourde à assumer, elle n'est pas facile à assumer. "
Et la création proposée ici, hier par E. Guigou d'un médiateur qui rapprocherait les parties sans avoir le dernier mot, est-ce que ça ce n'est pas une bonne trouvaille ?
- "Mais non. Tout ceci c'est encore introduire un tiers dans l'entreprise. Qu'est-ce qu'il va faire ? Il va allonger, il va écouter, il va essayer de proposer, tergiverser. Dans de nombreux cas, il faut le dire, c'est des décisions lourdes, difficiles à prendre. Il ne faut pas les pousser, les repousser et faire en sorte qu'elles soient prises dans de mauvaises conditions. Ce n'est pas l'intérêt des salariés. "
Ce ne sont pas ces mesures qui vont dissuader les patrons d'investir et de produire en France, quand même ?
- "C'est terrible. A l'heure actuelle, il faut savoir qu'à force de multiplier les lois comme les 35 heures, multiplier les législations qui empêchent le développement des entreprises françaises en France, nous avons un flux d'exportation de capital à l'étranger absolument considérable. Je vous donne un chiffre : 900 milliards de francs d'investissements nets des entreprises françaises à l'étranger en l'an 2000. Nous sommes les principaux exportateurs de capital au monde. Il faut que ces ressources soient investies en France. C'est ça la condition du plein emploi. "
Donc hostilité totale, totale à tout ce qui se prépare en matière de loi de modernisation sociale et de lutte anti-licenciement ?
- "Modernisation sociale malheureusement les guillemets ne s'entendent pas à la radio, mais enfin soyons sérieux. On met des mots comme " modernisation sociale " pour des lois fourre-tout que l'on laisse comme ça en permanence en discussion, qui donnent lieu à toutes les surenchères. Mais ce n'est pas ça dont le pays a besoin. Le pays a besoin d'une vision claire. Nous avons besoin de restaurer les conditions de compétitivité de notre pays. Ce n'est certainement pas en multipliant les lois."
Alors du concret. L. Jospin, E. Guigou, S. Royal vont annoncer tout à l'heure des décisions concernant la famille : un congé de paternité. Vous soutenez ça au moins ?
- "L'idée est très bonne de dire que les pères doivent consacrer du temps à leurs enfants à la naissance. Excellente idée. A l'heure actuelle, nous avons plus de sept semaines de congés payés depuis l'introduction des 35 heures, on peut utiliser deux de ces sept semaines pour ses enfants. Je ne vois pas l'intérêt de continuer à dépenser de l'argent, d'introduire la Sécurité sociale et d'engager un milliard de francs dans cette opération. Encore une fois l'idée est bonne. Il n'y a aucune raison de socialiser ceci. Utilisons le temps libre."
Mais alors face aux 35 heures, aux emplois jeunes, à la famille, aux dépenses de santé, le Medef, qui propose comme leitmotiv la refondation sociale, bloque tout. Le Medef est contre toute sorte de politique sociale de la gauche plurielle ?
- "Pas du tout. Au contraire, nous sommes nous partisans de ce dialogue entre les partenaires sociaux, ce dialogue que nous avons lancé maintenant, il y a un an et demi, dans le cadre de la refondation sociale et qui a porté ses fruits : réforme de l'assurance chômage, réforme de la médecine du travail et de la santé au travail."
Oui ça traîne, ça traîne. Et madame Guigou est en train de vous faire un peu de concurrence avec son dialogue des chantiers de la démocratie sociale ?
- "Oui, incontestablement. "
Non mais concrètement, je voudrais savoir, sur par exemple les excédents de la Sécurité sociale, pour financer les 35 heures, vous dites que vous êtes contre. Est-ce que vous pourriez bloquer de telles décisions ?
- "Nous ferons tout pour le faire. D'abord parce que les excédents sont tout à fait transitoires, passagers et même nous contestons leur existence. Il faut savoir qu'à l'heure actuelle, la Sécurité sociale ,alors que nous avons une extraordinaire croissance, est juste à l'équilibre. Vous vous rendez compte ! Et avec le ralentissement actuel, nous avons le risque d'avoir dès la fin de l'année "
Un ralentissement, c'est-à-dire 2,4-2,5 dans l'année ?
- .".. Oui, en moyenne annuelle. Mais la décélération de l'économie française est considérable à l'heure actuelle. Et donc nous risquons d'avoir de nouveaux des déficits en fin d'année. L'idée d'aller ponctionner la Sécurité sociale - qui est faite pour les malades, pour les retraités, pour les familles - pour aller encourager la réduction du temps de travail, c'est-à-dire l'encouragement public à l'oisiveté, c'est une idée je veux dire tellement contraire aux missions de la Sécurité sociale que nous ne restons pas inactifs. Nous allons tout mettre en uvre ..."
Tout mettre en uvre, qu'est-ce que ça veut dire ?
- "D'abord tous les partenaires sociaux sont contre ça. Je rappelle que les cinq organisations syndicales salariales, que tous les employeurs sont contre cette mesure. Et je trouve encore fort de café, que le gouvernement une nouvelle fois, plutôt que de respecter les partenaires sociaux, grosso modo passe en force, comme d'ailleurs"
Quel est le recours ?
- "Nous allons voir ce que l'on peut faire à l'Acoss pour empêcher ce siphonnage"
L'Acoss c'est la banque ?
- "C'est la banque de Sécurité sociale. Donc pour empêcher ce siphonnage des fonds qui sont destinés encore une fois à nos salariés dans les situations que j'ai décrites tout à l'heure. Et je dois vous le dire - mais ça c'est d'une grande gravité - la question de notre participation à la Sécurité sociale, je parle des employeurs, est aujourd'hui posée. Nous ne pouvons pas continuer à rester dans une organisation dans laquelle il y a une telle confusion des missions, une telle confusion des responsabilités et une telle confusion des financements. Nous allons poser la question la semaine prochaine, mais c'est une décision historique, nous sommes impliqués dans la Sécurité sociale depuis 55 ans, la question se pose aujourd'hui de savoir qu'est-ce que nous y faisons, alors que l'Etat veut s'occuper de tout, alors que les ministères sont omniprésents, alors que le politique en permanence nous retire nos responsabilités."
Pardon, vous n'allez pas nous faire encore le coup du chantage : "on va s'en aller" ?
- "Ce n'est pas le coup du chantage. C'est une décision d'une grande gravité. On n'est pas là en train de faire des effets d'annonce etc. C'est très grave. Si nous prenons la décision de ne pas présenter de candidat pour occuper des postes d'administrateur à la Sécurité sociale au mois de juillet prochain, c'est une décision historique dans notre pays. Et si nous sommes appelés à la prendre - et c'est une décision qui sera prise par le conseil exécutif - c'est devant la gravité à l'heure actuelle, d'une situation dans laquelle nous ne sommes pas respectés."
Est-ce que le Medef est en état de donner des leçons de servir de modèle ? Vous jouez toujours effectivement les pères fouettards, vous êtes contre, contre ?
- "Mais attendez ! Notre rôle, nous, c'est en permanence de rappeler à l'ensemble des Français, à l'ensemble des forces politiques du pays, les conditions du développement économique de notre pays. Nous le faisons. Et lorsque l'on voit dérapages budgétaires, dépenses non financées, lorsque nous voyons des règles du jeu, sans arrêt changées, modifiées, par des jeux politiciens, lorsque nous voyons notre pays à l'heure actuelle perdre de sa force et de son dynamisme, c'est notre devoir de le dire."
Est-ce qu'E.-A. Seillière va rester jusqu'à la fin de son mandat à la tête du Medef ?
- "Absolument. "
Vous en êtes sûr ?
- "Absolument. "
Il vous l'a dit en dépit du fait qu'il a l'air affecté ?
- "Non, non, pas du tout. Il n'est pas du tout affecté, nous poursuivons les chantiers, nous poursuivons notre mission. Nous avons la légitimité de nos membres, nous y allons. "
Et vous aimeriez qu'il renouvelle son mandat ?
- "La question se posera dans un an. "
(Source http://www,medef,fr, le 14 Janvier 2003)