Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, dans "Le Journal du Dimanche", sur la sécurité alimentaire et la vigilance particulière sur l'utilisation de pesticides et d'antibiotiques, Paris le 12 mars 2011.

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Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Q - Notre assiette contient-elle des résidus de pesticides ?
Bruno Le Maire : Evitons de jouer avec les peurs des Français. En Europe, nous sommes passés de 1.000 molécules autorisées dans les pesticides à 250. En France, le plan Ecophytho lancé en 2008 à l’occasion du Grenelle de l’environnement fera diminuer de moitié l’usage des pesticides d’ici à 2018. Et aujourd’hui, un millier de fermes expérimentales testent de nouvelles pratiques de cultures.
Q - Est-il possible de bannir la chimie dans l’agriculture ?
Bruno Le Maire : Il faut surtout réduire les quantités utilisées. Avec Nathalie Kosciusko-Morizet [ministre de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement], nous soutenons le développement de la culture bio. Quinze nouvelles exploitations de ce type ouvrent chaque jour, la France rattrape son retard. Je refuse la désinformation des médias. Les crédits accordés à cette activité n’ont pas baissé : le bio reçoit 100 millions d’euros cette année, et je maintiens l’objectif d’offrir 20% de produits bio dans les cantines dans dix ans.
Q - Et les antibiotiques dans la nourriture animale ?
Bruno Le Maire : Nous devons diminuer, dans les élevages, les doses d’antibiotiques utilisées qui accroissent le risque de diffuser des microbes plus résistants dans l’environnement. Je souhaite que nous réduisions de 25% le recours aux antibiotiques d’ici à cinq ans. Ce plan démarrera en mai en concertation avec les éleveurs.
Q - La journaliste Marie-Monique Robin insiste dans son documentaire sur les dangers des cocktails de molécules dans le corps, qui favoriseraient des cancers.
Bruno Le Maire : Les recherches progressent pour mesurer la réalité de ces effets. De nombreuses études sont déjà en cours. Je viens de commander à l’Agence nationale de sécurité sanitaire, l’Anses, une étude supplémentaire sur les résidus chimiques présents dans 4.800 produits composant l’alimentation des enfants de 0 à 3 ans.
Q - Craignez-vous un scandale similaire à celui du Mediator, qui a souligné la collusion entre industriels et agences de contrôle ?
Bruno Le Maire : Il n’est pas question de mettre en cause la probité des scientifiques. Mais je compléterai le projet de loi sur les conflits d’intérêts que François Baroin, ministre du Budget, présentera au Parlement.
Q - Les agriculteurs sont victimes des pesticides. Comment les protéger ?
Bruno Le Maire : Je veux développer la formation des exploitants pour diminuer les risques qu’ils encourent. Depuis 2009, 45.000 agriculteurs ont suivi des sessions de deux jours sur l’usage des gants, des masques… Cela continuera. En 2014, il faudra montrer un certificat de formation pour acheter un produit phytosanitaire.
Q - Ces mesures semblent aller à contre-sens de la désormais fameuse déclaration de Nicolas Sarkozy : "L’environnement, ça commence à bien faire !"
Bruno Le Maire : Cette phrase a été mal interprétée. Avec le président de la République, nous voulons défendre une agriculture durable qui respecte les paysans, qui traversent une des crises les plus rudes de leur histoire et dont le revenu moyen est inférieur de 15% à celui de la population française. Les mises aux normes qu’ils doivent effectuer sont onéreuses : installer les truies dans des boxes de 2,5 mètres carrés coûte par exemple 370 millions d’euros.
Q - Il existe un hiatus entre la santé publique qui exige des réponses rapides, et la lenteur de l’évolution de la réglementation.
Bruno Le Maire : Il faut trouver l’équilibre entre la sécurité des consommateurs et la pérennité de l’agriculture. Si la France supprime l’usage des pesticides sur son sol et que d’autres pays continuent les mêmes pratiques, alors une partie des récoltes sera perdue. On devra acheter des aliments aux États moins scrupuleux.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 1er avril 2011