Entretien de M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, à Radio France Internationale le 13 avril 2011, sur l'action de la France en Côte d'Ivoire.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Le porte-parole de Laurent Gbagbo en France, Toussaint Alain, a affirmé hier que ce sont les forces françaises qui ont arrêté l’ancien président ivoirien et qui l’ont conduit à l’hôtel du Golf. Est-ce que vous pouvez affirmer de la manière la plus claire, la plus formelle, que les forces françaises n’ont pas participé à l’arrestation de Laurent Gbagbo ?
R - Comme les plus hautes autorités de l’État, je confirme en effet que les forces françaises aux côtés de l’ONU ont rempli la mission qui leur avait été assignée par la communauté internationale, c’est-à-dire de détruire les armes lourdes que M. Gbagbo possédait encore et avec lesquelles il tirait, faisant d’innombrables victimes. C’est ce que nous avons fait tout au long de la semaine dernière ; c’est ce que nous avons fait à la fin de la semaine autour du palais présidentiel mais bien évidemment, les forces françaises ne sont pas rentrées dans l’enceinte de la résidence présidentielle à Abidjan. Je ne comprends pas pourquoi on continue à essayer de jeter ainsi le discrédit sur les forces françaises.
Q - Peut-être parce qu’au fond, on joue un peu sur les mots de toute façon, dans la mesure où c’est bien l’intervention des forces françaises et de l’ONU qui a permis l’arrestation de Laurent Gbagbo.
R - Oui, parce que tout ceci c’est l’aboutissement d’un processus porté depuis des mois par la communauté internationale qui a conduit à l’organisation des élections. Je rappelle que ce processus avait été validé d’ailleurs par les acteurs de la vie politique ivoirienne et donc à la fois M. Ouattara mais aussi M. Gbagbo, et que les choses se sont bien déroulées jusqu’au moment de la publication des résultats de l’élection présidentielle au second tour que M. Gbagbo n’a pas voulu accepter et à partir de là, le conseil de sécurité a laissé tout le temps nécessaire pour que les organisations africaines puissent tenter un certain nombre de médiations pour régler la question, parce que effectivement tout le monde souhaitait que la situation de la Côte d’Ivoire puisse trouver une issue portée d’abord et avant tout par la communauté africaine. Cela n’a pas été possible et cela a donc conduit le Conseil de sécurité à l’unanimité à voter cette résolution 1975 qui donne aux forces de l’ONU présentes à Abidjan la mission de détruire les armes lourdes. Et c’est le Secrétaire général des Nations unies, par courrier, qui a sollicité la France pour que les forces françaises qui sont là pour d’abord protéger nos ressortissants, puisse appuyer par des tirs mais pas par la présence physique de troupes sur le terrain, l’action de l’ONU. Donc c’est un processus qui est totalement transparent du début jusqu’à la fin.
Q - Récemment Nicolas Sarkozy avait assuré que les soldats de la France n’avaient pas vocation à s’ingérer dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire et il avait dit également qu’il ne voulait plus que la France soit le gendarme de l’Afrique. Est-ce que cette doctrine aujourd’hui n’est plus d’actualité ?
R - Eh bien au contraire, je crois que cette doctrine se trouve renforcée par l’action qui s’est déroulée ces derniers jours à Abidjan et dans l’ensemble de la Côte d’Ivoire. La France ne s’est pas du tout érigée en gendarme de l’Afrique : la France a rempli une mission à la demande de la communauté internationale sous l’égide de l’ONU. Donc là encore, il n’y a aucune espèce d’ambiguïté.
Q - Mais quand Alain Juppé, le ministre des Affaires étrangères, dit - c’était hier : «Nous avons envoyé un message symbolique extrêmement fort à tous les dictateurs, nous leur avons indiqué que la légalité et la démocratie devaient être respectées, et qu’il y avait des risques pour ceux qui ne le faisaient pas». Ce n’est pas le message d’un gendarme, ça ?
R - Ce n’est pas le message d’un gendarme : c’est le message de la communauté.
Q - Mais c’est quand même : «Faites attention».
R - Oui, faites attention. Respectez donc le droit, respectez la légalité, et ainsi la communauté internationale ne sera pas amenée à s’ingérer effectivement dans la mise en œuvre des résultats d’une élection. Je crois que les dictateurs, si tant est - enfin les dictateurs doivent réfléchir véritablement avant de violer ainsi le droit. Les temps ont changé.
Q - Alors les temps ont changé. Êtes-vous sûr, Henri de Raincourt, que tous les pays d’Afrique, que la France soutient, avec lesquels elle entretient de bonnes relations, sont de parfaites démocraties dans lesquelles les élections sont au-dessus de tout soupçon ?
R - Ce que je remarque, c’est que la démocratie progresse dans de nombreux pays d’Afrique.
Q - Oui. Ce n’est pas exactement ma question.
R - Ce n’est peut-être pas exactement votre question mais il faut regarder la situation telle qu’elle était, il faut regarder comment elle évolue. Est-ce qu’elle fait des progrès ou est-ce que la démocratie régresse ? Moi, je vous réponds que la démocratie progresse et qu’elle progresse à vive allure. En l’espace de quelques semaines, je suis allé à l’installation du président Alfa Condé en Guinée Conakry qui n’avait pas vu un président de la République élu démocratiquement depuis cinquante-deux ans. Je suis allé à la fin de la semaine dernière à Niamey, au Niger, à l’installation de M. Issoufou, président du Niger, qui a été élu démocratiquement après une phase de transition, un coup d’État, etc.
Donc ce sont vraiment, je pense, des évolutions extrêmement positives et la Côte d’Ivoire qui, parce que la communauté internationale l’a imposé à M. Gbagbo, elle aussi a respecté le droit et la démocratie. Donc cela progresse et cela progresse bien.
Q - La France a annoncé hier qu’elle allait débloquer une aide d’urgence de 400 millions d’euros pour la Côte d’Ivoire. Quelle forme va prendre cette aide ? C’est un prêt ?
R – Alors, nous allons voir avec les autorités de Côte d’Ivoire dans les toutes prochaines heures, puisque effectivement la première des priorités pour ce qui concerne l’utilisation de ces 400 millions, c’est d’abord de payer les fonctionnaires pour permettre la reprise des services publics, et tout particulièrement à Abidjan puisque les salaires n’ont pas été payés.
D’autre part, de contribuer à la relance de l’activité économique et nous réunissons les entreprises très prochainement. Et puis l’aide humanitaire parce que, effectivement, on est au bord, à Abidjan, d’un drame humanitaire.
Il était temps à cet égard que les choses s’arrêtent, sinon cela aurait été une vraie tragédie et donc je crois que c’est très bien que la France ait dégagé ces 400 millions. Je rappelle que l’Union européenne…
Q - Qui prennent quelle forme alors ? C’est un prêt ou c’est un don ?
R - Ce n’est pas encore totalement déterminé. Ce n’est pas forcément 400 millions soit prêt, soit don : cela peut être un mix des deux en fonction de l’affectation des sommes et je rappelle qu’il faut ajouter à cela les 180 millions que l’Union européenne vient de décider.
Q - La France a aidé Alassane Ouattara à chasser Laurent Gbagbo ; elle fournit aussitôt une aide financière considérable. Est-ce que tout cela est complètement désintéressé ?
R - Tout cela est désintéressé. Tout cela doit permettre la reconstruction de la Côte d’Ivoire qui est absolument indispensable. La réconciliation et la reconstruction vont de paire. La réconciliation, c’est la responsabilité de M. Ouattara. La reconstruction, je pense que la communauté internationale doit s’intéresser à la reconstruction de la Côte d’Ivoire qui, je le rappelle, est une des perles du continent africain.
Q - Est-ce que cette aide sera soumise à des contreparties en matière de démocratie et de réconciliation ?
R - De toute façon, nous avons effectivement maintenant, chaque fois que nous apportons une aide en matière de bonne gouvernance, ce qu’on appelle bonne gouvernance, de pratiques de la démocratie, des exigences et nous avons les moyens de les évaluer et effectivement nous demandons de les respecter.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 avril 2011