Discours de M. Michel Rocard, Premier ministre, sur la politique de l'eau et notamment les dispositions prévues dans le projet de loi sur l'eau, Paris le 20 mars 1991.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assises nationales de l'eau à la cité des sciences et de l'industrie les 19 et 20 mars 1991

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Vous connaissez mon engagement vigoureux pour la protection de l'environnement. La France accusait un retard considérable en la matière, et je me bats depuis maintenant trois ans pour rattraper ce retard, et combler le déficit écologique accumulé par les années d'indifférence.
Notre action a été, d'abord, diplomatique. L'Appel de la Haye, à l'initiative de la France, marquait un premier pas en faveur de la planète. Cette initiative a été poursuivie avec le protocole de Montréal sur l'utilisation des CFC, et la Conférence Mondiale sur le Climat à Genève en novembre dernier, qui a permis à tous de constater que notre pays était à la pointe du combat contre l'effet de serre.
La France a lancé également, aux côtés de l'Australie, le projet d'une convention pour la protection de l'Antarctique, qui permette de sauvegarder le dernier continent vierge de toute pollution.
Observatoire du Sahara et du Sahel, Observatoire permanent de surveillance de l'environnement dans le Pacifique Sud, voilà deux autres initiatives de notre pays pour constituer les outils d'observation dont manque encore cruellement la planète.
Au plan national, j'ai engagé le gouvernement dans des démarches résolues, portant sur la voiture propre, l'épuration de l'air, et le traitement des déchets.
Le Plan National pour l'Environnement enfin est venu donner le cadre global de la nouvelle ambition de notre politique d'environnement. Il lui a assigné des objectifs nouveaux, et nous mettons en place des outils tels que l'Agence de l'Environnement et la Maîtrise de l'Énergie et l'Institut Français de l'Environnement pour parvenir à ces objectifs.
L'eau enfin.
J'ai saisi le gouvernement il y a dix-huit mois de la définition d'une politique de l'eau qui réponde aux immenses attentes de nos concitoyens sur un sujet qui les touche de près. Une grande concertation a alors été lancée avec tous les acteurs de l'eau, sous l'égide des agences de bassin, dont ces Assises marquent l'aboutissement.
Il s'agit d'un sujet important, vital au sens propre du mot, qui mobilise à juste titre, vous l'avez vous-mêmes constaté, une bonne partie de mon gouvernement.
La montée des pollutions de toutes sortes, la rareté de la ressource face à la croissance des usages, accentuée encore par deux années de sécheresse successives, la sensibilité avivée de nos concitoyens à l'équilibre des écosystèmes : autant d'enjeux qui nous rassemblent.
Vous êtes nombreux ici à m'avoir déjà entendu évoquer ma rencontre, il y a plus de quinze ans, avec les agences de bassin. Vous gavez qu'elle m'a familiarisé avec le sujet, et combien il me passionne.
L'exemple de gestion décentralisée, à la fois politique et technique, d'une partie essentielle de notre patrimoine naturel m'avait aussitôt séduit et mobilisé aux côtés des Agences de Bassin.
J'ai toujours considéré aussi que la loi sur l'eau de 1964 élaborée à partir des intuitions de M. CHERET, était un coup de génie administratif dont la France pouvait être fière.
Le maire de Conflans-Sainte-Honorine a eu, pour sa part, mainte occasion de constater le rôle essentiel joué par l'agence de bassin dans la protection et dans la gestion de la ressource en eau, si présente dans la vie quotidienne de chacun.
Depuis que le gouvernement a décidé de lancer, avec le comité interministériel sur l'eau du 26 avril 1990, la reconquête de l'eau, j'ai suivi attentivement la concertation et la progression des idées.
Nous voici aujourd'hui au point d'orgue de cette concertation. A partir des travaux menés dans chaque bassin hydrographique, nous allons maintenant pouvoir fixer les objectifs d'une nouvelle politique de l'eau, et proposer les moyens juridiques et financiers qui permettront de les atteindre.
Les enseignements à tirer des conclusions des assises de bassin sont multiples. J'en ai personnellement retenu trois que je juge essentiels.
1 La politique de l'eau doit être équilibrée entre les différents usages, nécessairement concurrents dès lors que la ressource est limitée, et prendre en compte de façon cohérente les nécessairement és économiques et les préoccupations écologiques.
La préservation de l'équilibre des écosystèmes aquatiques est, tout à la fois, une nécessité sociale et une obligation -morale, que nous proposons de rendre légale. Elle garantit la richesse de notre patrimoine naturel.
2 La politique de l'eau doit être concertée entre l'État, les collectivités locales et les usagers ce qui implique les agences de bassin. C'est un des premiers impératifs que s'était fixés le gouvernement en lançant la reconquête de l'eau. Votre présence à tous témoigne de ce que vous le partagez.
Elle doit être, enfin, globale. (.'évidente unicité de la ressource, qu'il s'agisse d'eaux souterraines ou de surface, domaniales ou non domaniales, doit être respectée. Nous devrons abandonner la compartimentation historique du droit de l'eau pour lui préférer l'approche par bassins versants, la seule qui soit à la fois cohérente et pertinente.
Les grands objectifs qui ressortent de nos débats sont sans ambiguïté mieux assurer les besoins qualitatifs et quantitatifs,
renforcer la lutte contre les pollutions, en particulier les nouvelles formes de pollution que sont les pollutions diffuses et les pollutions résultant du ruissellement des eaux de pluie,
développer l'assainissement,
améliorer l'entretien des cours d'eau.
Ces objectifs, le gouvernement les a déjà fait siens ; il est prêt à mettre en uvre avec vous les mesures législatives, institutionnelles et financières nécessaires à la reconquête de l'eau.
Mesures législatives tout d'abord : ainsi qu'il en avait décidé en avril dernier, le gouvernement a élaboré un projet de loi sur l'eau. Ce texte a été transmis au Conseil d'Etat il y a quelques jours, et sera livré à la sagacité du Parlement à la fin du mois d'avril.
A chaque étape, l'élaboration de ce projet a rencontré un vaste écho médiatique. Tout a été dit, ou presque, sur son contenu, qui s'est d'ailleurs largement inspiré de l'important travail parlementaire réalisé ces derniers mois sur ce sujet.
Je salue en particulier le rapport sur la gestion de l'eau présenté par M. Guy MALANDRIN, et les propositions de loi de MM. Paul-Louis TENAILLON et Yves TAVERNIER, tous travaux importants même si je n'en partage pas toutes les conclusions.
Les innovations que nous proposons au législateur sont nombreuses, et, j'en ai la conviction, hardies. Elles ont déjà été exposées par Brice LALONDE. Aussi ne rappellerai-je que les principales :
un nouvel outil de planification de la gestion de l'eau à l'échelle de chaque bassin, le "schéma d'aménagement et de gestion des eaux", sera mis en place.
C'est en effet à partir de la concertation entre les différents usagers, plus que d'une gestion purement administrative, que pourra se réaliser une répartition harmonieuse de la ressource ; telle est en tout cas la conviction qui fonde ce nouvel outil.
Préparés principalement par les agences de bassin, en concertation avec les collectivités locales, ces schémas permettront de confronter la ressource au besoin, à court, moyen et long terme, et seront soumis aux comités de bassin avant d'être approuvés par l'autorité administrative.
Deuxième enjeu majeur d'une bonne gestion de la ressource : la connaissance des prélèvements. Elle sera assurée par l'obligation pour chacun de mesurer les quantités prélevées. Des seuils seront, bien entendu, prévus qui exonéreront les prélèvements les plus faibles.
Je ne suis personnellement pas hostile à ce que ces mesures puissent, dans certaines conditions, être effectuées par des groupements d'usagers pour en réduire les coûts, comme l'envisage notamment la profession agricole.
Troisième impératif, la mise à niveau des pénalités pour pollution, qui doivent se comparer aux risques qu'elles font peser sur le milieu naturel et sur la collectivité.
Quatrième point que je mentionnerai, le développement du droit de chacun à l'information et à l'expression. En créant de nouveaux droits pour le citoyen et les associations, la loi sera ainsi l'instrument de la nouvelle citoyenneté écologique définie par le Flan National pour l'Environnement.
Enfin, la loi sur l'eau ouvrira des possibilités nouvelles d'intervention aux collectivités locales, en matière d'assainissement d'une part, et de gestion des cours d'eau d'autre part. Nous restons là fidèles à notre volonté de confier la gestion locale aux autorités locales, dès lors qu'elles s'en donnent les moyens techniques et financiers.
Ce texte est bien entendu sujet à amendements. Le gouvernement est prêt à examiner de façon très ouverte les propositions des parlementaires qui s'inspireront des conclusions de ces Assises.
L'eau existait avant l'humanité et le droit de l'eau est l'un des plus anciens. C'est pourtant un domaine où nous devons innover avec hardiesse.
J'en veux pour preuve le succès de l'initiative que nous avons prise, en réponse à la sécheresse, en signant le 16 mai dernier, avec Electricité de France, une convention - cadre qui organise la mise à disposition des usagers de l'eau des barrages, sans surcoût pour l'Entreprise.
Une petite révolution des mentalités chez notre producteur national d'électricité, peu enclin par tradition à s'écarter de sa vocation première...
Le bilan de cette convention annuelle vient d'être établi. Il est éloquent : six conventions concernant la Durance, la Vienne, la Vézère, le Tarn, l'Allier et le canal d'accès au port de Caen ont mis à la disposition des usagers 45 millions de mètres cubes d'eau supplémentaires, répondant ainsi aux situations critiques au plus fort de la sécheresse de l'été dernier.
Des conventions complémentaires pour l'Ariège, la Garonne, la Neste et le Lot étaient prêtes, et seraient intervenues en cas d'aggravation. du manque d'eau.
L'active concertation entre EDF, les collectivités locales et les Agences de Bassin a conduit, qui plus est, à lancer un ensemble d'études portant sur les conditions d'exploitation de certains ouvrages, la qualité des eaux, leur gestion, et l'adaptation de l'alimentation en eau aux besoins futurs.
Voilà un exemple des solutions que la concertation peut apporter dans un domaine où l'on aurait pu croire que tout avait été fait.
Cet appel à nos capacités d'innovation ne méconnait pas pour autant les moyens administratifs les plus éprouvés.
J'ai ainsi eu l'occasion le mois dernier encore d'user de la loi de 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique pour classer près de 1000 kilomètres de cours d'eau, dans onze départements, et favoriser ainsi le retour des poissons migrateurs appelé de ses voeux par le Ministre de l'Environnement.
J'aborde maintenant le deuxième volet de la nouvelle politique de l'eau, avec les réformes institutionnelles. Elles concernent l'ensemble des domaines de l'environnement, mais leur application au domaine de l'eau doit être spectaculaire.
Depuis plus de vingt ans que le ministère de l'Environnement a été créé, ses titulaires successifs n'ont jamais cessé de demander à disposer d'une administration régionale qui mette en oeuvre sur le terrain les décisions prises au niveau national.
Une nécessité aussi évidente à quoi sert de prendre des décisions, si personne ne veille à leur application ? s'était jusqu'à présent heurtée à des difficultés de taus ordres : administratives, politiques, budgétaires, humaines.
Ma conviction est qu'un ministère de l'Environnement ne peut plus aujourd'hui jouer son rôle, ni répondre aux immenses attentes de nos concitoyens, sur un sujet qui les touche d'aussi près, s'il ne dispose pas d'un relais régional.
Voilà pourquoi le gouvernement vient de décider de constituer une administration régionale de l'Environnement.
Les nouvelles directions régionales de l'Environnement seront créées avant l'été, à partir de services exerçant déjà, pour l'essentiel, leurs compétences dans ce domaine . Délégations régionales à l'Architecture et à l'Environnement, services régionaux d'aménagement des eaux, services hydrologiques centralisateurs et délégations de bassin.
L'eau, vous l'avez compris, sera au centre des compétences de ces nouveaux services. En tout, plus de mille agents seront ainsi regroupés dans les régions, pour mettre en uvre, jour après jour, sur le terrain, la politique de l'environnement.
En parallèle, l'autorité du Ministre de l'Environnement sur l'inspection des installations classées, spécialisée dans les pollutions industrielles, et forte de six cents agents, est renforcée.
Pour coordonner le tout, une direction de l'eau sera créée au sein des services centraux du ministère.
Les praticiens que vous êtes savent que ces décisions représentent une petite révolution dans l'administration de l'Etat. Révolution certes silencieuse et discrète, mais dont l'effet concret sera, j'en suis convaincu, considérable.
Nombre d'entre vous avaient stigmatisé, à juste titre, la dispersion de l'autorité administrative dans le domaine de l'eau. Ils ont été entendus, et cette réforme représente un pas important vers la nécessaire clarification des rôles.
Le droit de l'eau lui-même est aujourd'hui très éclaté que l'on songe seulement que notre projet de loi sur l'eau vient modifier six codes législatifs différents !
Ces décisions renforcent la cohérence et la lisibilité du dispositif public dans les régions, tout en permettant au ministère de l'Environnement de faire valoir son point de vue avant toute décision régionale.
Le niveau départemental n'est pas oublié dans cette redéfinition des administrations publiques, et fait l'objet en ce moment même d'une expérimentation sous l'égide des ministres de l'Agriculture et de l'Équipement.
J'en viens aux agences de bassin. Après de longues réflexions, le gouvernement n'a pas jugé nécessaire d'inscrire dans son projet de loi une modification du système de redevances.
Pourquoi, en effet, le Changer s'il fonctionne correctement ?
La volonté affirmée dans tous les bassins de prendre en compte les nouvelles formes de pollution peut trouver sa traduction à travers les modalités actuelles de la redevance et des procédures d'aides des agences de bassin.
Car il faudra effectivement s'attaquer à toutes les formes de pollution. Le diagnostic issu de nos assises est morose : deux millions de personnes sont desservies par une eau non potable, en 1990. Cela n'est pas acceptable, et nous devons y remédier vigoureusement.
L'augmentation continue de la teneur en nitrate des eaux de surface, au rythme d'un milligramme par litre chaque année dans certaines parties de l'Ouest et du Centre, ne peut davantage être tolérée.
La lutte contre les pesticides, la nécessité de doubler le taux de traitement des eaux usées, l'amélioration de la sureté de la ressource et de sa gestion, voilà autant d'objectifs mobilisateurs pour le Vlème programme que vous avez adopté, et sur lequel le gouvernement est prêt à vous suivre.
Je n'éluderai pas ici .la difficile question de la lutte contre les pollutions d'origine agricole
La profession agricole en a compris l'enjeu ; elle est prête à s'y attaquer.
Les agences de bassin retiennent d'ores et déjà dans leur sixième programme les financements nécessaires aux actions à entreprendre. qui demeurent limités en comparaison des enjeux.
Bref, tout est prêt pour que prenne place aujourd'hui, bassin par bassin, la concertation qui conduira à des mesures d'autant plus efficacement appliquées qu'elles auront été librement consenties.
L'ancien Ministre de l'Agriculture que je suis sait à quel point les professions agricoles ont le sens de leurs responsabilités, en particulier dans un domaine aussi sensible que celui de l'irrigation, et savent faire preuve de solidarité.
La sécheresse de l'été dernier l'a montré une nouvelle fois * dans plusieurs régions particulièrement `touchées, les agriculteurs ont mis en place de leur propre initiative aune gestion quantitative de l'eau qui a permis d'éviter le aire.
Ces questions sont mûres, et vos réflexions sur les pollutions agricoles le prouvent. N'attendons pas pour les traiter, car cela nous coûterait demain bien plus cher qu'aujourd'hui.
Le VIème programme que vous avez élaboré aborde 1"ensemble des enjeux que j'ai rappelés avec réalisme et détermination.
Les considérables montants financiers qui résultent du volontarisme des comité de bassin sont en proportion de l'ambition qui nous anime tous dans la reconquête de l'eau.
Dans ses objectifs comme dans ses implications financières, c'est un programme très ambitieux, qui implique que le gouvernement lui accorde toute l'attention nécessaire.
J'ai décidé en conséquence de réunir à nouveau, dans les prochains jours, les différents ministres concernés par la politique de l'eau pour que nous puissions nous prononcer sur la reconquête que vous projetez d'entreprendre dans les cinq années qui viennent.
Le Ministre chargé de l'Environnement et de la Prévention des Risques Technologiques et Naturels Majeurs préparera, à la suite de ce comité, une communication au Conseil des Ministres, afin que la vaste ambition que nous avons en commun pour cette ressource essentielle soit entérinée par les plus hautes autorités de l'Etat.
J'ai déjà eu l'occasion de vous le dire à plusieurs reprises : le gouvernement considère la politique de l'eau comme prioritaire.
Nos engagements communautaires - la directive sur les eaux usées a été adoptée avant-hier à Bruxelles avec l'appui de la France ou internationaux et les nécessités politiques ou économiques rendent la mise en uvre de vos propositions, pour l'essentiel, inéluctables.
Préserver les nappes d'eaux souterraines qui constituent un patrimoine à protéger, reconquérir les lacs et les rivières touchés pollution, satisfaire naturellement les besoins en eau potable, assurer les activités industrielles et l'irrigation des cultures : autant de besoins contradictoires, autant de conflits potentiels à gérer.
Le gouvernement compte sur vos travaux, sur vos réflexions, sur votre expérience, sur vos propositions pour entamer la reconquête de l'eau qui s'appuiera sur une administration rénovée et des agences de bassin aux ambitions renforcées.
Je vous remercie.