Texte intégral
Monsieur le Président, cher Bruno LESOUEF,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Vous avez raison de le souligner, monsieur le Président, j'aime la presse magazine française. Sa qualité en fait, à l'échelle internationale, une spécificité culturelle, dont notre pays doit être fier.
Tout comme vous devez vous-mêmes être tous fiers de l'exemplarité avec laquelle vous avez si bien défendu vos publications, sur tous les fronts, au cours des deux dernières années.
En 2009, j'avais été interpellé, comme vous l'avez certainement été, par le discours de Maurice LEVY, qui, ici même, lors de la 7ème édition du prix du magazine de l'année avait affirmé qu'il ne fallait « pas s'attendre à une sortie de crise pour les médias traditionnels ». Alors que vous traversiez la tempête la plus sévère de ces dernières décennies, le propos pouvait être jugé pour le moins provocateur. Il vous invitait alors à renoncer aux « habituelles recettes anti-crise» et plutôt à vous attaquer à un changement radical conduisant à « faire voler en éclat quelques idées reçues et certaines situations acquises afin de s'adapter à la réalité du 21ème siècle».
Le moins que l'on puisse dire est que vous l'avez pris au mot. Sans verser dans un discours empreint d'angélisme qui vous annoncerait le « bout du tunnel », je dois reconnaître que vous avez, en deux ans, parfaitement entamé le tournant qu'appelait de ses vœux Maurice Levy.
La presse magazine, c'est toujours et avant tout, vous l'avez fait remarquer, une tradition d'engagement, un ensemble de talents et une réelle prise de risque pour les éditeurs à laquelle le ministère de la Culture et de la Communication s'associe pleinement. Vous le savez, vous l'avez constaté, j'ai pris la mesure du rôle éminent que la presse magazine joue dans l'économie générale des médias.
De la vitalité de la presse magazine dépend un vaste réseau de partenaires économiques : dans la distribution bien sûr ' messageries, dépositaires et diffuseurs de presse - qui continuent à concentrer toute notre attention, mais aussi un grand nombre de journalistes et de photojournalistes, de créateurs au sens large, auxquels j'attache naturellement la plus haute importance. Car, en dernier ressort, c'est sur eux que repose la qualité de vos contenus et de vos marques.
Le rôle incontournable de la filière magazine justifie donc toute l'attention que lui porte l'État. Nos efforts semblent être récompensés par des indicateurs de marché qui marquent un très net retournement de tendance après la sévère dépression de 2009.
Même si elle ne permet pas de rattraper les pertes préoccupantes de l'an passé, l'augmentation de près de 5% des recettes publicitaires enregistrées en 2010 est remarquable. Elle démontre la capacité de rebond du secteur et confirme l'attractivité de vos publications. Du côté des ventes, la presse féminine repart à la hausse, les titres d'informations se stabilisent, ce sont, là aussi, des signaux encourageants. Parallèlement, et pour la première fois depuis trois ans, l'évolution de l'audience de la presse magazine cesse de se dégrader. Si la tendance reste négative, elle n'en est pas moins encourageante. Elle nous incite à poursuivre dans la voie de la modernisation et de l'adaptation engagée depuis trois ans. L'enjeu est clair : il s'agit de faire vivre vos marques à l'heure de la convergence numérique et des nouvelles pratiques de lecture. Il en va de notre responsabilité collective.
C'est dans cet esprit que le Fonds d'aide au développement des services de presse en ligne a été créé en 2009 et que 20% des aides attribuées depuis sa création ont bénéficié à la presse magazine. Les dossiers déposés reflètent les interrogations actuelles sur la multiplicité des modèles économiques de l'Internet. La majorité des projets comporte désormais des déclinaisons des sites sur l'internet mobile. La compétition entre sites incite également les éditeurs à développer les contenus audiovisuels, présents dans de nombreux dossiers, et à mieux utiliser leurs ressources photographiques, ainsi qu'à développer des nouveaux modes de traitement de l'information, à l'image du journalisme de données.
Les dossiers déposés explorent et expérimentent de nouvelles sources de revenus, sous la forme par exemple de l'accès progressif aux articles payants. Mais c'est surtout l'apparition des tablettes - Ipad et autres terminaux similaires - qui suscite chez les éditeurs de magazines de grands espoirs de développement, sous la forme d'abonnements ou de vente au numéro. Il n'est pas anodin de constater que certaines marques papier, qui avaient parfois disparu des sites internet, refont ainsi leur apparition sur support mobile.
Donner une nouvelle impulsion à l'écrit, c'est répondre aux attentes des lecteurs. Il nous appartient de ne pas les décevoir en leur offrant l'accès à une information et à des contenus de qualité produits par des journalistes professionnels familiarisés aux nouvelles exigences de l'environnement pluri-media. Dans ce contexte de renouvellement profond des pratiques professionnelles, de questionnement sur les nouvelles missions des journalistes, il est absolument essentiel de conforter et réaffirmer ensemble les valeurs et les métiers du journalisme.
C'est ce qui motive mon engagement en faveur d'une réflexion de fond sur l'avenir de la formation professionnelle, initiale et continue. C'est l'objectif confié à la Conférence Nationale des Métiers du Journalisme qui doit se réunir pour sa deuxième édition en septembre prochain. La Conférence est un groupe de travail permanent, ses travaux sont de qualité ; ils engagent l'avenir de la profession et de vos rédactions. Je constate que malheureusement trop peu d'éditeurs y participent. Je profite donc de la tribune qui m'est offerte pour vous encourager à rejoindre cette Conférence qui est au journalisme ce que les « Entretiens de Bichat » sont à la médecine.
Mais, dans le domaine de l'information, à l'heure de la globalisation et des réseaux d'information mondiaux, tout ne se joue pas au niveau national. A l'heure numérique, il importe de penser l'avenir de l'information et des médias à l'échelle européenne, notamment afin de régler la question de la TVA numérique à taux réduit.
Son application à la presse en ligne est complexe dans la mesure où elle nécessite l'adhésion de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne. C'est pourquoi, à quelques semaines du « G8 de l'Internet » qui se tiendra à Deauville, je me félicite de voir les éditeurs européens se mobiliser collectivement et prendre, depuis quelques semaines, le relais des positions affichées par la France il y a trois ans déjà à l'issue des Etats généraux de la presse écrite. « Civiliser internet », selon l'expression utilisée par le Président de la République, c'est notamment agir en faveur d'un développement équilibré de la presse numérique.
Dans ce contexte, le rapport de la mission de réflexion et de proposition confiée à Jacques Toubon sur les défis de la révolution numérique eu égard aux règles fiscales européennes, permettra d'appuyer le travail de conviction déjà entrepris par les Ministres des finances, des affaires étrangères et par moi-même.
Si le numérique est un enjeu majeur, il ne faut pas pour autant renier les fondements de la presse écrite. Cette dernière est aux sources de la liberté d'expression et du droit à l'information : son pluralisme et sa diversité sont des garanties démocratiques qu'il importe de préserver et de renforcer.
Dans le livre de Michel Houellebecq, La carte et le territoire, Jed, le "héros", dénigre les "supports fétiches" de la presse écrite, "survivance étrange, probablement condamnée à court terme". Analyse quelque peu pessimiste de l'amateur de science fiction, éminent spécialiste de Lovecraft. Je lui préfère le pragmatisme qui valorise l'écrit dans ses différentes expressions, papier et web. La complémentarité des supports est le meilleur rempart contre l'uniformité des sources et la standardisation imposée par ce que l'on appelle la « société des écrans ». Robert Darnton ne dit pas autre chose lorsqu'il évoque dans Apologie du livre. Hier, aujourd'hui, demain le développement parallèle de l'intelligence numériques et des apprentissages à travers le livre et le format papier dans la société du XXIe siècle.
La matérialité du papier pose la question de sa distribution. Comme vous l'avez souligné, elle est encore en grande difficulté malgré les efforts conjugués de l'État et de la profession. Ces efforts se poursuivent, vous devez les soutenir. Je prendrai pour exemple le soutien exceptionnel de l'État aux diffuseurs spécialisés, que mes services s'apprêtent à reconduire en 2011; ou encore, le Plan de développement des kiosques, commerce culturel favorisant les liens de proximité, qui a conduit à la signature, le 22 mars dernier, d'une convention entre le Ministère, le Conseil Supérieur des Messageries de Presse, et l'Association des maires de France (AMF). L'objectif de cette convention est de parvenir à la création en France de 300 nouveaux kiosques en trois ans, soit une progression d'environ 40%. Je l'ai dit, un kiosque ou un diffuseur de presse qui ouvre, c'est un acteur du lien social qui se crée ou qui renaît, c'est un lieu de sociabilité et de rencontres auquel on donne vie, c'est une chance pour l'exercice de la démocratie.
Le magazine tient une place essentielle dans ce dispositif de proximité où, comme vous le disiez fort justement, Monsieur le Président, la relation de confiance avec le lecteur s'est instaurée pas à pas, avec des accès d'enthousiasme et des déceptions profondes au fil des portraits, des chroniques et des billets d'humeur qui jalonnent notre quotidien. Le magazine éclaire l'information, il nourrit le débat, il renforce l'esprit critique et la citoyenneté par la mise en perspective d'un avenir commun et de références partagées.
Au-delà des émotions légitimes que suscite immanquablement l'événement brûlant, repris en boucle à l'échelon planétaire, il y a l'analyse et l'intelligence des faits et des hommes. Au-delà de la « dictature de l'urgence » relevée par certains essayistes, il y a la compréhension des enjeux de longue durée, la maîtrise du temps et la hiérarchie de l'information. Elle seule peut conduire le lecteur à construire son jugement, à lui offrir une véritable complexité et une véritable densité.
La place du magazine est, là encore, incontournable, comme en témoigne les lauréats de cette neuvième édition des Magazines de l'année qui vont vous être présentés et que je tiens à féliciter chaleureusement. La presse magazine accompagne les instants de sérénité, les moments d'attente, les voyages : elle est pour ainsi dire une « petite madeleine » de l'existence, un marqueur du temps, un compagnon qui joue avec nos habitudes autant qu'avec notre désir de connaissance et notre volonté de savoir. En d'autres termes, elle est pleinement à mes yeux un produit culturel à part entière qu'il importe de promouvoir et de valoriser, elle est l'un des ferments de la « diversité culturelle » que j'appelle de mes vœux.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 8 avril 2011