Déclaration de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, sur la formation des fonctionnaires dans les instituts régionaux d'administration (IRA) et sur la politique culturelle menée par les services publics, Lyon le 17 mai 2001.

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Circonstance : Ouverture du colloque "Culture et service public" à l'occasion du 30ème anniversaire de l'Institut Régional d'Administration (IRA) de Lyon, à Lyon (Rhône), le 17 mai 2001

Texte intégral

Monsieur le directeur,
Monsieur le Préfet,
Monsieur Jean-Paul Bret, député-maire de Villeurbanne,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Monsieur le Président du Conseil d'Administration, Georges Consolo,
Messieurs les Directeurs d'écoles et particulièrement des I.R.A. de Metz et Nantes,
Madame Estelle Chicouard, Présidente de l'association des anciens élèves,
Mesdames et Messieurs les Anciens Elèves,
Chers Elèves,
Je suis heureux de fêter aujourd'hui avec vous le 30ème anniversaire de l'IRA de Lyon. Il y a 30 ans en effet, on décidait de créer deux écoles, à Lyon et à Lille, pour pallier la crise de recrutement de cadres dans l'administration et offrir aux étudiants désireux de s'investir dans le service public une formation professionnelle de qualité, marquée par l'alternance des études et des stages, par une approche très pratique par le biais des études de cas et grâce à la mobilisation des professionnels de haut niveau.
Depuis lors, les IRA sont restés fidèles à leur vocation d'école d'application tout en adaptant en permanence leur formation aux nouveaux besoins et aux nouvelles missions du service public.
L'introduction des nouvelles technologies, l'approfondissement des nouvelles politiques publiques comme la politique de la ville ou les problématiques de l'aménagement du territoire en sont des exemples marquants. La création du troisième concours, en permettant l'accès à la fonction publique de personnes ayant exercé des responsabilités électives ou associatives ou ayant une expérience professionnelle dans le secteur privé est un gage d'enrichissement et de diversification de la fonction publique.
La récente réforme de la scolarité des IRA témoigne de cette nécessaire évolution de la formation des futurs responsables de l'administration. Le recentrage de la scolarité sur une plus grande professionnalisation, l'importance donnée au stage pratique et l'effort pour individualiser les parcours de formation participent du souci de coller au plus près des besoins de l'administration du 21ème siècle, c'est-à-dire une administration plus proche des usagers et davantage apte à appréhender, de manière transversale, les politiques publiques.
Les IRA ont également développé des actions de formation continue dont la qualité est désormais largement reconnue. Il s'agit là d'une de mes principales priorités. La gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences, et la mobilisation du système de formation tout au long de la carrière de l'ensemble des fonctionnaires, et tout particulièrement des cadres, constituent des enjeux majeurs de la réforme de l'Etat. Vous le savez, le Parlement a entrepris une profonde réforme de l'ordonnance de 1959 qui régit la procédure budgétaire et induit une véritable transformation des méthodes et de l'organisation des administrations.
Passer d'une logique comptable à une logique de programme requiert des compétences nouvelles et renouvellera dans le sens d'une plus grande autonomie et responsabilité, les métiers de la fonction publique. C'est une formidable opportunité, pour le service public, de réfléchir à ses missions et de se moderniser.
Je compte sur le réseau des IRA pour être, tant en formation initiale qu'en formation continue, à la pointe de ce mouvement de rénovation.
Enfin, l'administration française ne saurait demeurer centrée sur elle-même. Elle doit s'ouvrir à la problématique européenne bien sûr, mais également aller à la rencontre des autres organisations publiques. Là encore, les IRA ont mené ces dernières années des actions exemplaires en matière de coopération administrative, en participant à des programmes européens de formation, en accueillant des stagiaires étrangers, en participant à la réflexion sur les organisations publiques. Je souhaite que les instituts, avec les autres membres de la conférence des écoles que sont le CEES et le futur ensemble ENA-IIAP, poursuivent et développent leurs actions de coopération administrative internationale.
L'ensemble de ces grandes missions : formation initiale, formation continue et coopération administrative, doivent être partie intégrante du contrat de gestion qui liera dès 2002 les établissements publics relevant du Ministère de la fonction publique et de la réforme de l'Etat et leur autorité de tutelle. Il s'agit de fixer de manière contractuelle les objectifs pluriannuels comme les moyens qui les accompagnent. Là encore, c'est vers une plus grande autonomie et une plus grande responsabilisation que l'on se dirige.
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A l'occasion des trente ans de l'I.R.A. de Lyon, vous avez fait le choix, Monsieur le Directeur, d'organiser un colloque sur la Culture et le Service Public.
Non pas, vous l'avez précisé, que la gestion des ressources humaines, la mobilité, l'évaluation des politiques publiques, voire la réforme de l'Etat ne soient pas rassembleurs ou motivants pour une école de fonctionnaires mais plutôt parce que le sujet culturel est de ceux qui nous touchent tous, à chaque instant de la vie.
Vous avez fait là un choix ambitieux :
- par l'ampleur du sujet, d'abord. Kluckholm, anthropologue américain, a dénombré 400 définitions du mot culture. En outre, ces définitions sont vivantes, évolutives, peut-être même aurez-vous, demain, au terme de vos travaux, inventé une 401ème définition ?
- par sa difficulté, ensuite : car comme le disait Jacques Duhamel, " la culture n'est pas un service public comme les autres ".
Non pas que l'Etat y soit moins présent qu'ailleurs, bien au contraire : la politique culturelle française est traditionnellement caractérisée par une forte présence publique, et repose, pour être plus précis, sur un subtil agencement des relations entre l'Etat et les collectivités locales qui s'organisent pour garantir l'offre culturelle.
Vous constaterez néanmoins, tout au long de vos travaux, l'opposition déjà ancienne qui existe entre la forme juridique du service public, destinée à définir les activités d'intérêt général que doit assurer la puissance publique, et la revendication première du monde de la culture : la liberté et l'autonomie, nécessaires à la créativité.
Les acteurs publics en charge d'affaires culturelles connaissent bien cette ambivalence.
Elle remonte à loin : depuis la fin du Moyen-Age, la Monarchie, puis la République, ont cherché à faire des " Arts ", des " beaux-arts ", puis de la culture, une partie intégrante du Gouvernement de l'Etat.
Parmi les premières décisions des révolutionnaires, on retrouve la création des Archives Nationales, du museum central des arts ou la tranformation de la bibliothèque royale en bibliothèque nationale.
Mais la consécration juridique ne viendra qu'en 1946, dans le préambule de la Constitution, où l'on évoque l'accès à la culture comme un droit fondamental. Quelques années plus tard, on reconnaîtra, à l'occasion de la création d'un ministère des affaires culturelles (1958), l'existence d'un " service public à caractère culturel ou artistique ".
Cette notion de service public apparaît tout d'abord autour du théâtre populaire et décentralisé. Ce qui a fait dire à Jean Vilar : " le TNP est (...) au premier chef un service public, tout comme l'eau, le gaz et l'électricité ".
Mais ceux qui le connaissent savent bien qu'il disait aussi que " l'art du théâtre populaire est une révolution permanente ". Dans ces deux expressions, antinomiques en apparence, on retrouve cette opposition permanente entre deux mondes, deux cultures : la culture est à la fois un service public et un monde nécessairement, intrinsèquement anarchique.
Les élèves d'aujourd'hui qui choisiront de servir l'administration dans ce secteur vivront demain cette contradiction.
Mais il ne faut surtout pas entendre là un propos pessimiste.
Dans une vie culturelle désormais multipolaire, la demande d'intervention publique n'est pas en baisse, bien au contraire.
La culture attend de la puissance publique moins de gestion directe certes, mais tout autant d'énergie, d'analyse, d'incitations. Il suffit de penser à la problématique internationale : la puissance publique incarne la garantie de la diversité culturelle dont je sais que Jack Ralite aura tout à l'heure l'occasion de vous parler, soulignant l'évolution sémantique qui nous fit passer de l'exception culturelle à la diversité culturelle.
La mondialisation est une des données nouvelles que nous devons prendre en compte, au même titre que le multimédia ou la nécessité de ne pas laisser se creuser de fossé culturel entre ceux qui accèdent aisément à la culture et ceux au devant desquels la culture doit aller.
Ces enjeux nouveaux obligent à redéfinir la notion même de service public de la culture.
Si la puissance publique incarne pour beaucoup une garantie de qualité, de neutralité et de liberté, elle doit accompagner, observer mais ne pas se substituer aux acteurs culturels.
Au fil de ces vingt dernières années, la diffusion de la culture au plus près de la population s'est faite en utilisant des lieux insolites ou " alternatifs " (friches industrielles, appartements, cages d'escalier, structures itinérantes) ou en ouvrant de nouveaux types d'équipement (café-théâtre) à la recherche de nouveaux groupes sociaux, en oeuvrant pour la diffusion de cultures " émergentes ".
Ce faisant, nous avons défini de nouveaux modes de relation avec les acteurs culturels. De producteurs de culture, nous sommes devenus accompagnateurs de culture.
Cette nouvelle façon d'appréhender notre mission de service public se traduit notamment par la contractualisation ou le conventionnement entre la puissance publique et l'institution culturelle à laquelle elle reconnaît le statut de service public.
Dans la veine des chartes culturelles mises en place par Jacques Duhamel, depuis 1998, le ministère de la culture propose ainsi, sous l'autorité de Catherine TASCA, une charte des missions de services publics.
Ce référentiel commun est plus que jamais nécessaire face à des règles de gestion de la culture en pleine mutation, de plus en plus soumises aux coups de butoir du marché alors même que l'on ressent que la politique de démocratisation n'a pas encore porté tous ses fruits. Nous devons l'affirmer haut et fort, la culture n'est pas un produit comme un autre. Le service public peut et doit garder toute sa place, en redéfinissant son rôle par rapport au marché et en s'interrogeant le dessein des politiques culturelles.
Il doit pour cela avoir simultanément trois objectifs : évaluer, expérimenter et décentraliser.
L'évaluation est, comme pour toute politique publique, une condition pour une bonne politique de la culture - même si évaluer l'acte de production culturel est beaucoup plus difficile que pour les objets plus classiques auxquels nous sommes confrontés dans nos vies administratives.
L'expérimentation appartient au processus même de création artistique.
Enfin, la décentralisation s'impose, car une vision trop centrale de la politique culturelle s'avèrerait aujourd'hui inefficace. Au contraire, il faut être proche de la vie, des lieux de création. Pour cela, il est indispensable que les finalités, les objectifs et les moyens soient débattus à l'échelon local.
Si ces trois objectifs sont réunis, alors il est légitime de parler de service public de la culture, au sens où le service public est l'outil d'intervention au service du citoyen.
Le citoyen est le garant, le maître d'oeuvre, l'arbitre. Il est au quotidien celui qui légitime en France l'existence d'un service public de la culture.
Ce service public, il revient à toutes les écoles de fonctionnaires, au premier rang desquelles les IRA, de le réfléchir, de le construire, de le faire vivre et évoluer. Et je vous félicite d'en avoir fait aujourd'hui notre sujet de débat.
*Seul le discours prononcé fait foi.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 21 mai 2001)