Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, sur les raisons de l'opposition du gouvernement à une proposition de loi sur la compétitivité de l'agriculture française, à l'Assemblée nationale le 14 avril 2011.

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Circonstance : Examen de la proposition de loi sur le renforcement de la compétitivité de l'agriculture française, à l'Assemblée nationale le 14 avril 2011

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Je suis très heureux que nous puissions débattre aujourd’hui de la compétitivité de l’agriculture française. Sur ce sujet, comme sur la question du coût du travail, je partage pleinement l’analyse de votre rapporteur, M. Jean Dionis du Séjour.
Durant des années, nous n’avons pas voulu regarder en face la réalité de la compétition mondiale en matière agricole. Nous avons cru que l’accumulation des subventions et des aides d’État parfois illégales pouvait nous dispenser du travail nécessaire en faveur de la compétitivité agricole française. Résultats des courses : M. Dionis du Séjour l’a dit, les productions allemandes, et celles de nouvelles puissances agricoles comme le Brésil, ont commencé à prendre le pas sur les productions françaises.
C’est inacceptable ! Nos coûts de production ne peuvent pas continuer à être systématiquement plus élevés que ceux de nos voisins, au point que nos produits se vendent moins bien que les leurs. Aujourd’hui, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ou encore le Brésil nous prennent des parts de marché.
Je me trouvais à Brasilia il y a seulement quelques jours. L’excédent commercial agricole du Brésil s’élève à 50 milliards d’euros par an alors qu’en France il représente un peu moins de 10 milliards d’euros, dont 6 milliards pour la seule viticulture. Même si un mouvement de reprise se fait sentir, même si notre excédent en 2010 s’améliore grâce aux décisions prises par la majorité, nous ne sommes pas au bout du chemin. Il faut continuer la bataille de la compétitivité et il faut la gagner. Je vous garantis que les agriculteurs français, avec leur talent et leur savoir-faire, ont les moyens d’y parvenir.
Encore faut-il que nous leur donnions les instruments pour qu’ils puissent, comme le disait le rapporteur, se battre «à armes égales» avec leurs concurrents.
Jean Dionis du Séjour a cité l’exemple de la fraise gariguette, nous pourrions prendre celui de la poire ou de la pomme ou rappeler, comme je l’ai fait lors du débat sur le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, qu’il y a quinze ans, la France et l’Allemagne produisaient 25 millions de porcs mais qu’aujourd’hui, notre pays en est toujours au même point alors que la production allemande s’élève à 40 millions de porcs. Conséquence : progressivement nos concurrents nous prennent des parts de marché.
Nous aurions pu citer ce matin, en présence d’Antoine Herth, l’exemple de l’asperge alsacienne : son coût de production est de 30 % supérieur à celui de l’asperge allemande produite seulement à quelques kilomètres. Cette différence n’a qu’une explication : le coût du travail dans notre pays est beaucoup plus élevé qu’en Allemagne. Nous devons trouver une solution à ce problème.
Je tiens toutefois à rappeler que, confrontés à cette question, nous ne sommes pas restés les bras croisés depuis deux ans. Je suis fier que notre majorité ait été la première à adopter une mesure d’exonération totale de charges patronales sur le travail agricole saisonnier. Le gouvernement et le Parlement ont ramené le coût horaire du travail saisonnier de 12,39 euros à 9,43 euros. Tous les agriculteurs, tous les maraîchers, tous les saisonniers, tous les producteurs de fruits ou de légumes reconnaissent cet effort et saluent cette mesure dont ils sont satisfaits. Il s’agit d’une bonne décision que nous devons à cette majorité.
Je veux être très clair sur un point : je ne suis pas prêt à aller dans la direction du «moins-disant social». Contrairement à M. Jean Dionis du Séjour, je ne crois pas que l’harmonisation sociale européenne soit une chimère qui ne sera mise en place que dans plusieurs décennies. Je pense, au contraire, qu’elle constitue d’une obligation pour nous tous. À mon sens, c’est même un impératif pour l’Europe ; nous ne devons pas en démordre. Je ne suis pas prêt à voir, en France, les salariés agricoles rémunérés 4 ou 5 euros de l’heure, comme cela se pratique dans certains pays européens.
Je ne suis pas prêt à supprimer le salaire minimum dans l’agriculture française sous prétexte qu’il n’existe pas chez nos voisins allemands. Nous pouvons être fiers de nos avancées et de notre modèle social, même si ce n’est pas une raison pour ne pas réfléchir à son financement et à l’amélioration de notre compétitivité. Il reste que le moins-disant social, les prix les plus bas et les rémunérations les plus faibles ne doivent pas constituer l’horizon européen des agriculteurs.
Que pouvons-nous faire de plus pour les emplois agricoles permanents ? J’ai lu avec beaucoup d’attention la proposition de loi de M. Jean Dionis du Séjour. Il l’a défendue à la tribune avec toute la fougue gasconne que nous lui connaissons.
Ce texte a l’immense intérêt à mes yeux de mettre le doigt sur la question de la compétitivité de l’agriculture française et de rappeler qu’en traitant du travail saisonnier nous n’avons fait, à ce jour, que la moitié du chemin : reste l’autre moitié concernant les emplois permanents.
Toutefois, le gouvernement reste défavorable à cette proposition de loi. En effet, je l’ai déjà dit devant la commission des Affaires économiques présidée pas M. Serge Poignant, ce texte présente deux difficultés.
La première difficulté est celle de l’eurocompatibilité. Le dispositif d’exonération dit TO-DE, applicable aux travailleurs occasionnels ou demandeurs d’emplois, est eurocompatible. En effet, avant de le mettre en place, j’ai plaidé notre cause devant la Commission européenne. Je lui ai présenté un argument principal afin d’obtenir son accord : nous voulions mettre le TO-DE en place pour lutter contre le travail illégal dans le secteur agricole. J’ai expliqué qu’un coût trop élevé du travail saisonnier agricole entraînerait un développement du travail au noir – qui constitue un risque majeur dans ce secteur. La Commission a accepté cet argument et elle a donné son accord à l’exonération de charges que vous avez votée. Aujourd’hui, les yeux dans les yeux, je peux donc affirmer à tous les agriculteurs qui bénéficient du dispositif que l’on ne viendra pas leur réclamer de restituer l’aide que l’État français leur a accordée en matière d’exonération de charges sur le travail occasionnel.
Cependant, l’argument de la lutte contre le travail illégal que j’ai pu utiliser pour les emplois saisonniers de l’agriculture n’est pas recevable pour les emplois permanents du secteur. En conséquence, notre évaluation juridique reste strictement la même que celle que je vous ai déjà présentée : la proposition de loi déposée par Jean Dionis du Séjour en faveur d’une exonération totale de charge sur le travail permanent dans l’agriculture n’est pas conforme au droit européen. Cette exonération s’apparente en effet à une aide d’État permanente destinée à améliorer la compétitivité de l’agriculture française par rapport à celle des autres agricultures européennes. Si nous la mettions en place, elle ferait l’objet d’un recours et elle serait sanctionnée. Cela nous exposerait à devoir réclamer à tous les agriculteurs la restitution des sommes concernées.
Permettez-moi de vous faire part de mon expérience en la matière. Le remboursement des aides d’État illégales accordées par des ministres successifs, de droite comme de gauche, aux producteurs de fruits et légumes a été la première difficulté que j’ai eu à affronter lorsque je suis arrivé au ministère de l’Agriculture. La procédure avait duré plusieurs années et la Commission avait attendu le changement de ministre pour la mener à son terme. Elle m’imposait une alternative : soit le remboursement, soit le paiement de pénalités mensuelles de 80 millions d’euros et une amende finale qui se chiffrerait en centaines de millions d’euros. Je n’ai pas voulu exposer le budget de l’État à une telle ponction financière, il ne me restait donc qu’à aller récupérer les aides d’État chez les agriculteurs, chez les petits exploitants du Lot-et-Garonne, du Gers, d’Alsace ou d’ailleurs.
Croyez-moi, je ne veux pas avoir à revivre cette expérience ; je ne veux pas non plus que l’un de mes successeurs soit confronté à la difficulté morale qui se pose quand vous devez expliquer à un paysan que l’État français a été suffisamment irresponsable pour lui accorder des aides dont, dix ans plus tard, il lui demande le remboursement. Imaginez que l’État ait fait à chacun d’entre vous un chèque de 300, de 500 ou de 800 euros pour vous soutenir dans une passe financière difficile et qu’il vienne vous voir dans dix ans pour vous dire : «Désolé, nous avons fait une erreur, ce chèque n’était pas conforme au droit européen : il faut que vous le remboursiez.» Imaginez votre colère ! Imaginez celle des paysans à qui nous avons dû expliquer qu’ils devaient rembourser des sommes considérables parce que les ministres de l’agriculture successifs avaient été suffisamment irresponsables pour accorder des aides d’État illégales au regard du droit européen ! Je ne referai jamais cela ! Je ne prendrai jamais le moindre risque qui exposerait les paysans français à rembourser des aides que l’État leur aurait accordées illégalement au regard du droit européen.
J’ajoute qu’il n’est pas judicieux, alors que nous sommes en pleine négociation du budget de la Politique agricole commune pour la période postérieure à 2013, de prendre une décision qui pourrait donner le sentiment que la représentation nationale française s’assied sur les règles européennes alors que notre pays bénéficie tous les ans de plus de 10 milliards d’euros d’aides européennes pour l’agriculture. Ce serait irresponsable. Nous laisserions les Européens croire qu’une nouvelle fois, l’État français prend de l’Europe ce qui peut lui rapporter mais qu’il la critique et qu’il s’assied sur ses réglementations quand cela l’arrange. Je ne m’engagerai pas dans cette voie.
Le financement est la seconde difficulté que soulève cette proposition de loi. Un problème se pose d’abord au regard de la législation européenne. Charles de Courson a cosigné cette proposition de loi, mais il avait été suffisamment avisé, lorsqu’une «taxe poisson » avait été proposée, pour dire - j’ai relu les propos pertinents qu’il tenait alors - qu’il ne la voterait pas parce qu’il estimait qu’elle n’était pas conforme au droit européen.
Il avait eu raison avant l’heure puisque nous faisons l’objet de deux procédures de sanction contre la «taxe poisson » que je tente actuellement de démanteler tout en cherchant, pour les pêcheurs, une source de financement, plus conforme au droit européen. Permettez-moi de vous dire que ce qui vaut pour le poisson vaut aussi pour les fruits et légumes : si nous votions une taxe sur la distribution de ces produits, nous serions sanctionnés exactement de la même façon. Je vous recommande donc de ne pas vous engager dans cette voie.
Le problème posé est, ensuite, économique. Instaurer une taxe sur la grande distribution, c’est sympathique sur le papier. Si l’on considère l’image de ce secteur auprès de nos concitoyens, le taxer sera toujours relativement populaire. Cependant, nous sommes réunis pour prendre des décisions responsables et pour anticiper leurs conséquences. Qui paiera une nouvelle taxe imposée à la grande distribution ? Pas la grande distribution. Prenons garde : les payeurs seront les consommateurs et les agriculteurs qui seront moins bien rémunérés.
Je ne suis donc décidément pas favorable au mode de financement retenu par la proposition de loi.
Il reste que nous sommes d’accord sur la nécessité d’améliorer la compétitivité agricole française et de réduire le coût du travail. À la suite des propos tenus par le Premier ministre lors du Congrès de la FNSEA à Saint-Malo, je prends un engagement : nous allons franchir une nouvelle étape en allégeant le coût du travail agricole pour les salariés permanents de l’agriculture. Sur la base du rapport confié à Bernard Reynès, je propose que nous travaillions ensemble à une proposition qui permette d’alléger significativement le coût du travail permanent dans ce secteur. Je propose que cette disposition soit adoptée à l’autonome prochain et qu’elle soit mise en place le 1er janvier 2012. J’en prends l’engagement au nom du Gouvernement : à cette date, chaque agriculteur de notre pays qui emploie des salariés permanents pourra constater, au bas des fiches de paye, que ses charges ont été allégées.
Je veux insister sur un point : la question de la compétitivité ne se résume pas à la seule question du coût du travail, même si le Nouveau Centre a eu raison de mettre le doigt sur cette question effectivement cruciale.
D’abord, la compétitivité n’est pas seulement l’affaire des producteurs. Je veux me faire le porte-parole de tous les producteurs - bovins, porcins, de fruits et légumes et de lait - qui sont saturés des discours consistant à leur dire qu’ils ne sont pas assez bons pour être compétitifs par rapport aux Allemands, aux Espagnols ou aux Italiens. La compétitivité est aussi l’affaire de l’industrie agro-alimentaire ; des abattoirs, qui ont beaucoup à faire en la matière - ce qui justifie que j’aie demandé un audit portant sur tous les abattoirs français, qui me sera rendu avant l’été prochain ; des distributeurs, qui ont, eux aussi, beaucoup d’efforts à faire. La compétitivité n’est pas seulement l’affaire des producteurs, c’est l’affaire de la filière tout entière !
Par ailleurs, la compétitivité ne se résume pas au coût du travail, elle dépend également de la réduction des coûts de production et du coût énergétique, ainsi que du développement de la méthanisation, que nous avons engagé avec l’alignement des tarifs de rachat du biogaz français sur les tarifs de rachat du biogaz allemand, afin de rattraper le retard accumulé depuis des années dans ce domaine.
La compétitivité est également affaire de structuration des filières : on n’est pas compétitif quand on compte quatorze interprofessions viticoles dans le Languedoc-Roussillon, alors qu’il n’y en a qu’une au Chili ! Le fait que nous ayons ramené ces quatorze interprofessions à quatre - en attendant, je l’espère, de les ramener bientôt à une seule - doit nous permettre de gagner des parts de marché.
On n’est pas compétitif quand, dans l’élevage bovin, on laisse pendant des années treize intervenants négocier à l’exportation nos parts de marché avec la Russie et la Turquie. J’ai bataillé pendant un an, aux côtés de François Fillon, avant d’obtenir du gouvernement russe - en l’occurrence, de Vladimir Poutine lui-même - la levée de l’embargo sur la viande bovine française. Au bout d’un an, après de multiples déplacements à Moscou et des échanges répétés avec les services vétérinaires russes et mon homologue russe, nous avons obtenu la levée de l’embargo sur les importations françaises et une proposition de contrat portant sur mille têtes de bétail à destination de la Russie. Est-il normal qu’une fois cet accord obtenu, nous ne soyons pas capables de fournir les mille têtes de bétail, parce que notre système d’exportation des bovins n’est pas suffisamment structuré ? C’est un fait, nous avons des efforts à faire pour gagner des parts de marché à l’exportation, pour mieux structurer les filières et améliorer ainsi les capacités exportatrices françaises.
La compétitivité est une vraie bataille pour l’agriculture française, une bataille que nous devons gagner, que nous allons gagner. En effet, nous avons la plus belle agriculture d’Europe, et même du monde entier. Nous avons les plus beaux talents, le meilleur savoir-faire, des bêtes d’une qualité exceptionnelle. Le conseiller diplomatique de Mme Dilma Rousseff me disait à Brasilia, il y a quelques jours : «Mais comment faites-vous pour ne pas arriver à vendre votre viande, qui est la meilleure au monde ?» C’est tout simplement parce que nous n’avons pas su structurer les filières, prendre des parts de marché à l’exportation, organiser l’abattage de façon plus conquérante et plus compétitive.
Cette bataille se livrera sur plusieurs années, mais je suis persuadé que nous allons la remporter et que l’agriculture française en ressortira plus forte, avec des revenus meilleurs pour les paysans et la seule situation qui nous convienne : la première place à l’échelle européenne !
Interventions des Parlementaires
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais me féliciter de la très grande qualité de nos débats sur ce sujet très sensible de l’agriculture française. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut avancer, prendre des décisions concrètes, améliorer notre compétitivité et résister à la concurrence de nos amis allemands, italiens, espagnols, mais également des nouvelles puissances agricoles comme le Brésil, que j’ai déjà cité à plusieurs reprises.
J’évoquerai d’abord les problèmes généraux que vous avez soulevés avant de traiter de deux sujets principaux : la compétitivité et l’eurocompatibilité de la proposition de loi. J’entrerai un peu plus dans le détail juridique, afin que vous compreniez que mon avis n’est pas doctrinaire, mais purement juridique. Cette proposition de loi n’est pas compatible avec le droit européen.
Pour ce qui est des points généraux, je ne voudrais pas que vous sortiez de l’hémicycle en pensant que l’agriculture française est en situation d’effondrement généralisée ou de catalepsie. Elle obtient des résultats absolument exceptionnels. Elle reste de très loin la première production agricole européenne. M. de Courson a évoqué le problème des exportations agroalimentaires, j’y reviendrai ; mais il faut bien faire la différence entre la production de base de produits bruts, sur laquelle nous restons très performants, et la transformation, sur laquelle, effectivement, nous perdons davantage de terrain. Nous restons le premier producteur viticole au monde, avec une surface relativement réduite. Nous sommes parvenus à reprendre cette première place, l’an dernier, à la suite de gros efforts de réorganisation de la filière. Nous restons le deuxième producteur de blé au monde malgré des superficies somme toute tout relativement réduites, parce que nous sommes productifs et que nos rendements à l’hectare sont satisfaisants.
En matière de production laitière également, nous restons l’une des plus belles industries au monde. Si pas moins de huit acheteurs, chinois, mexicains, américains, suisses se sont présentés lors de la vente de Yoplait, c’est bien la preuve que nous restons une agriculture compétitive, attractive avec des capacités à réussir tout à fait exceptionnelles. Louis Cosyns l’a rappelé tout à l’heure : nous avons une très belle agriculture et des agriculteurs remarquablement performants. Nous devons les soutenir. Le tableau n’est pas si noir que ce que l’on peut en dire.
Je regrette que M. Nicolas Dupont-Aignan ait jugé bon de quitter l’hémicycle : j’aurais aimé lui répondre que nous ne ménageons pas la chèvre européenne et le chou national.
Nous sommes au contraire cohérents dans notre approche. Nous défendons une approche européenne de l’agriculture française, parce que nous estimons que la régulation européenne des marchés est dans l’intérêt de l’agriculture française, et que la politique agricole commune aussi est dans l’intérêt de l’agriculture française. Allez expliquer aux paysans français que nous leur retirerons demain les 10 milliards d’euros de subventions de la Politique agricole commune… Je serais curieux de voir leurs réactions !
M. Dupont-Aignan nous a taxés d’inaction : cela aura été le seul moment de réel populisme que nous avons eu dans ce débat et je le regrette. Si le gouvernement se bat depuis deux ans pour la régulation européenne, pour le soutien aux agriculteurs, pour les exonérations de charges, pour parvenir à obtenir des résultats concrets et il a obtenu de vrais résultats, personne ne peut le taxer d’inaction. On peut lui reprocher ses orientations, mais certainement pas son inaction. J’aimerais demander à M. Dupont-Aignant où il est parti à la fin de ce débat, où il était pendant l’examen de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, où il était pendant la crise du lait, où il était pendant la crise des fruits et légumes. Quelles propositions a-t-il faites ? Quelles avancées concrètes a-t-il proposées ? Je ne l’ai pas beaucoup entendu sur toute l’agriculture, je n’ai pas vu ses propositions et je regrette qu’il ne soit pas resté pour écouter mes propos.
Nous avons un problème réel de compétitivité, nous en sommes tous bien convaincus et nous devons nous battre pour avancer sur ce sujet.
Madame Poursinoff, je suis en désaccord avec vous sur la question des exportations. Si vous retirez la capacité d’exportation aux producteurs agricoles français, que ce soit pour le lait, les bovins, la viticulture ou les fruits et légumes, vous retrouverez une agriculture dans une situation absolument déplorable.
Qu’est-ce qui a sauvé la viticulture française ?
C’est le fait que, au lieu de se tourner exclusivement vers le marché national ou européen, elle a compris qu’elle devait se structurer pour exporter vers la Chine. Elle a obtenu des excédents commerciaux de 6 milliards d’euros par an, comparables à ceux d’Airbus. Ne faisons pas croire aux producteurs que nous replier sur nous-mêmes. Je crois, je le répète, à une Europe ouverte, à une nation française ouverte. Je crois que l’agriculture française a tout intérêt à s’ouvrir vers les marchés extérieurs.
Ajoutons que la compétitivité ne se résume pas uniquement au coût du travail. Jean Gaubert a tenu des propos pleins de justesse ; je n’aurai pas le front de revenir sur la question du découplage de 2003, j’ai mon opinion personnelle sur le sujet, mais je la garderai pour moi. Je crois en tout cas avoir montré que j’étais capable de renverser les positions quand elles ne me semblaient pas justes, y compris celles des membres de ma propre majorité.
La compétitivité se conduit aussi sur l’avantage énergétique : c’est un point clé, et plusieurs d’entre vous l’ont fort bien souligné. Prenons l’exemple de la méthanisation, car il s’agit d’un sujet majeur. On dénombre 4 000 installations de méthanisation sur le territoire allemand, dont chacune rapporte environ 15 000 euros par an aux agriculteurs allemands ; on en trouve à peine une vingtaine en France ! Nous devons développer la méthanisation, mais en suivant notre propre modèle. Prenons garde à ne pas copier rigoureusement nos amis de l’autre côté du Rhin. Leurs solutions ne sont pas forcément celles que nous suivrons. Ils ont développé une méthanisation qui utilise à la fois les effluents d’élevage, mais elle consomme également une très grosse part de produits issus du maïs, ce qui les conduit à faire pousser du maïs dans le seul but d’alimenter la méthanisation. Je ne suis pas favorable à cette solution, qui n’est pas à mes yeux écologiquement compatible et qui n’a pas de sens sur le plan énergétique.
Je souhaite donc que l’arrêté qui définira les conditions d’utilisation de la méthanisation fixe un niveau d’utilisation des effluents d’élevage, qui pourrait être compris entre 30 et 60 % et qui respecte l’objectif environnemental du développement de la méthanisation.
Comme l’a fort bien souligné tout à l’heure Michel Raison, la compétitivité passe aussi par la question de l’abattage. Nous avons besoin d’abattoirs plus compétitifs. J’ai commandé un audit complet sur tous les abattoirs français, car je souhaite qu’ils soient plus compétitifs. Je souhaite que nous arrêtions d’envoyer des tonnes de porc breton aller se faire abattre à Lübeck, à deux mille kilomètres, au seul motif que nous ne sommes pas assez compétitifs pour les abattre sur place !
Je souhaite aussi que nos filières d’abattage puissent sortir des produits transformés. Il n’est pas normal que nous n’ayons que des produits bruts à la sortie de nos abattoirs alors qu’au Danemark, en Suède, aux Pays-Bas ou en Allemagne, les viandes sorte des abattoirs déjà conditionnées en barquettes, marketées, prêtes à vendre, bien plus fortement valorisées. Faisons revenir la valorisation agricole sur le territoire français et cessons de faire des produits bas de gamme mal valorisés.
La compétitivité, comme Charles de Courson l’a indiqué, ce sont aussi les industries agroalimentaires : c’est le point sur lequel nous perdons le plus de terrain. Nos industries agroalimentaires sont segmentées, comme malheureusement une grande partie de l’industrie française : d’un côté dix grands groupes de taille mondiale, qui réussissent remarquablement bien, et de l’autre une myriade de petits groupes de taille insuffisante, incapables d’exporter et d’amortir leur coût de production. Il faut regrouper nos industries agroalimentaires pour avoir des PME plus compétitives, capables d’exporter et de garder la valorisation pour elles.
Vous avez parlé du coût de l’alimentation animale : cela fait aussi partie des questions de compétitivité. Nous allons travailler dans deux directions. Premièrement, nous allons mettre au point un contrat interfilières entre les filières grandes cultures et les filières animales de façon à les protéger contre la volatilité des prix de l’alimentation animale. C’est indispensable. C’est aussi un geste de solidarité entre les filières agricoles. Deuxièmement, je souhaite que nous instaurions très rapidement, dans les semaines qui viennent, un dispositif d’indexation sur le coût de l’alimentation, qui serait mis en œuvre par la grande distribution. Le but est de faire en sorte que lorsque le prix de l’alimentation augmente, les prix de vente de la viande bovine, porcine ou de volaille augmentent également pour permettre au producteur de couvrir ses coûts de production. C’est une question de justice et d’amélioration du revenu des producteurs. Si nous voulons garder les producteurs, il faut assumer le fait que la production de viandes de qualité a un coût, y compris pour le consommateur.
Enfin, il n’y a pas de compétitivité sans régulation européenne des marchés. Vous savez, Monsieur Peiro, que je me suis battu depuis deux ans et que je continue à me battre pour la régulation européenne des marchés agricoles. Elle est absolument indispensable. Nous avons déjà obtenu des résultats concrets : le groupe à haut niveau sur le lait, le rétablissement des mesures d’intervention sur les marchés. Je souhaite que ce soit le cas pour toutes les filières agricoles, car il est impensable de continuer à laisser nos producteurs agricoles seuls et démunis lorsque les prix s’effondrent : cela pourra toujours reproduire car l’instabilité est désormais la règle sur les marchés agricoles.
Une Europe qui ne protège pas ses agriculteurs est une Europe qui ne sert à rien.
Une Europe qui ne permet pas de faire remonter les prix lorsqu’on a la possibilité de le faire est une Europe qui ne sert à rien.
Une Europe qui n’est pas capable de tendre la main à des producteurs de lait, étranglés financièrement, notamment les plus jeunes, les plus compétitifs parce que, par idéologie, elle estime qu’il ne faut pas intervenir sur le marché, ce n’est pas l’Europe dont nous voulons.
Je voudrais également faire remarquer, sans aucune malice, à M. Germinal Peiro que le plus grand obstacle à la régulation européenne des marchés se trouve plutôt du côté d’un ancien candidat socialiste aux élections législatives : je veux parler du directeur général de l’organisation mondiale du commerce Pascal Lamy, qui défend une libéralisation dans le cadre de l’OMC, bien peu conforme à la régulation européenne des marchés.
Pour ce qui est de l’eurocompatibilité, M. Reynès et Diefenbacher l’ont très bien dit : on ne peut prendre aucun risque sur la question de la compatibilité de cette proposition de loi avec le droit européen. Je vais quitter le terrain politique et tenir un discours un peu plus technique, afin qu’il ne subsiste aucun doute là-dessus.
L’article 107 du Traité portant création de l’Union européenne établit sans aucune ambiguïté que sont interdites les aides accordées par les États au moyen de ressources d’État, sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence. La jurisprudence précise, notamment dans l’arrêt Pearle de la Cour de justice des communautés européenne, qu’une mesure nationale est une aide d’État lorsqu’elle remplit quatre conditions cumulatives.
Premièrement, elle est financée au moyen de ressources d’État ou de taxes, et c’est bien le cas de votre proposition de loi ;
Deuxièmement, elle confère un avantage concurrentiel, ce qui est précisément le cas de la proposition de loi qui nous donne un avantage concurrentiel sur le coût du travail ;
Troisièmement, elle ne confère un avantage qu’à certains types de production - en l’occurrence le secteur agricole et particulièrement, Michel Raison l’a très bien dit, les filières fruits et légumes et viticulture, premiers embaucheurs de salariés agricoles permanents, sans aucun bénéfice pour les filières élevage ou laitière ;
Enfin, elle est susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. C’est aussi le cas de cette proposition de loi.
Ainsi, cette proposition de loi établit très clairement une aide d’État permanente non compatible avec le droit européen.
Plusieurs d’entre vous ont excipé du cas allemand : je rappelle que s’il figure dans le Traité, c’est à titre de dérogation. Nos amis allemands ne font qu’utiliser une clause dérogatoire que nous leur avons accordée. Soyons cohérents et ne rejetons pas la faute sur les uns ou sur les autres. Aux termes du paragraphe 2c de l’article 107, sont compatibles avec le marché intérieur «les aides octroyées à l’économie de certaines régions de la République fédérale d’Allemagne affectées par la division de l’Allemagne, dans la mesure où elles sont nécessaires pour compenser les désavantages économiques causés par cette division.» Cela est écrit noir sur blanc, et cela a été accepté par le gouvernement français.
Par conséquent, je souhaite que cette disposition garde son caractère dérogatoire et qu’au moment où elle doit s’épuiser, elle ne soit en aucun cas renouvelée. L’Allemagne a rétabli sa compétitivité et a réussi, tant mieux, sa réunification ; mais maintenant que sa réunification et le retour de sa compétitivité sont derrière nous, je souhaite que l’Allemagne revienne au droit commun. Mais ne soyons pas naïfs, et c’est là que l’on revient à la question de l’harmonisation européenne : on retombe sur le vrai sujet, à savoir l’absence de salaire minimum en Allemagne. C’est bien pour cela qu’il faut défendre une harmonisation sociale européenne car sinon, nous aurons toujours cet écart de compétitivité, clause dérogatoire ou pas.
Il existe malgré tout une solution jurisprudentielle, un petit interstice dans lequel nous pouvons nous glisser pour parvenir à défendre une exonération de charges sur le travail permanent dans l’agriculture. Cette solution jurisprudentielle est définie dans l’arrêt Royaume de Belgique de la CJCE du 17 juin 1999 : «Les cotisations sociales peuvent être fixées en tenant compte pour certains secteurs de la nécessité de maintenir ou de développer l’emploi à l’exclusion des motifs de compétitivité». Autrement dit, si nous appuyons notre discours non seulement sur la question du travail illégal comme on l’a fait pour le TO/DE - qui ressort d’une logique différente -, mais également sur un argumentaire articulé autour la défense de l’emploi, nous pourrons trouver la voie de passage qui rendra notre disposition compatible avec le droit européen. Ce n’est pas l’argumentaire qui a été retenu par Jean Dionis du Séjour dans la proposition de loi : «Le coût élevé du travail agricole en France représente un handicap insoutenable pour la compétitivité de l’agriculture française». Sa proposition de loi s’est malheureusement placée, je le regrette, sur le mauvais terrain, celui de la compétitivité alors qu’il aurait fallu se placer sur celui de l’emploi pour trouver un espace de compatibilité européenne.
J’ai bien écouté l’argumentaire de notre ami Charles de Courson sur la «taxe poisson», effectivement euro-incompatible. Nous avons eu un nouveau recours contre nous il y a moins d’un mois - je le dis au rapporteur pour que les choses soient bien claires et qu’il comprenne à quel point nous sommes déterminés à rendre cette taxe compatible. L’élément nouveau, c’est que les recours contre nous se multiplient sur ce sujet. Je dois reconnaître, pour être tout à fait franc - Charles de Courson et de Jean Dionis du Séjour ont eu l’élégance de ne pas le rappeler - qu’en tant que membre de la commission des Finances, j’avais moi-même voté la «taxe poisson».
Comme le dit l’adage latin errare humanum est, perseverare diabolicum !
Si l’on pouvait cesser de persister dans l’erreur, cela serait une bonne chose : comme l’a très bien dit Michel Raison, ce sont les producteurs qui paieront.
Annick Le Loch sait l’intérêt que je porte aux pêcheurs. C’est probablement l’un des secteurs qui souffre le plus aujourd’hui. On en parle moins parce que les pêcheurs sont moins nombreux. Mais ce n’est pas parce qu’ils ne sont que 15.000 embarqués sur des bateaux qu’il faut oublier les difficultés terribles qu’ils traversent actuellement.
Nous trouverons un moyen, notamment avec la grande distribution, de compenser la suppression de la «taxe poisson». Il n’est pas question de faire abandonner une ressource financière dont les pêcheurs ont absolument besoin, qui sert à financer les «contrats bleus». Nous devons trouver cette nouvelle ressource.
Mais cette ressource - et pardonnez-moi d’insister lourdement - doit être eurocompatible. On a eu le problème des fruits et légumes, mais nous avons aussi le problème du fonds de prévention des aléas à la pêche et du fonds pêche, que vous connaissez bien. Lorsqu’il faut aller devant un armateur ou devant les marins pêcheurs, qui touchent entre 600 et 800 euros par mois, et leur expliquer qu’on vient récupérer une aide d’État qui leur a été accordée de manière illégale, vous avez intérêt à vous cramponner au bastingage pour tenir devant eux ! Parce qu’ils sont en colère, et ils ont raison de l’être.
Je n’irai jamais vers des aides qui soient incompatibles avec le droit européen, car ce sont toujours les mêmes qui paient à la fin, les producteurs, les pêcheurs, les plus faibles.
En conclusion, comme l’a dit Jacques Lamblin, cette proposition d’appel doit déboucher sur une solution concrète - le président de la commission qui l’a excellemment rappelé sera très vigilant sur ce sujet.
Je vous redis mon engagement pour que nous travaillions ensemble sur la base des propositions que présentera Bernard Reynès, qui a travaillé avec le Nouveau Centre à l’élaboration d’un dispositif d’exonérations de charges sur le travail permanent dans l’agriculture. Adopté à l’automne prochain, il sera mis en place au 1er janvier 2012. Ce dispositif devra être significatif. Il ne s’agit pas de bouger de deux ou trois millimètres, mais de faire en sorte que tous les producteurs, notamment de fruits et légumes, dans le Lot-et-Garonne et ailleurs, constatent qu’une nouvelle étape a été franchie dans l’allégement des charges sur le travail permanent dans les cultures et que le coût du travail a été significativement abaissé pour qu’ils soient aussi compétitifs que leurs voisins allemands. C’est l’engagement que je prends. J’ai bien conscience que j’aurai besoin de chacun d’entre vous sur ces bancs pour arriver à obtenir gain de cause à la fin de cette partie.
Je vous indique enfin, Monsieur le Président, qu’en application de l’article 96 du règlement de l’Assemblée nationale, le gouvernement demande la réserve du vote sur les articles et les amendements en discussion.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 avril 2011