Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Je suis très heureux que nous puissions débattre aujourdhui de la compétitivité de lagriculture française. Sur ce sujet, comme sur la question du coût du travail, je partage pleinement lanalyse de votre rapporteur, M. Jean Dionis du Séjour.
Durant des années, nous navons pas voulu regarder en face la réalité de la compétition mondiale en matière agricole. Nous avons cru que laccumulation des subventions et des aides dÉtat parfois illégales pouvait nous dispenser du travail nécessaire en faveur de la compétitivité agricole française. Résultats des courses : M. Dionis du Séjour la dit, les productions allemandes, et celles de nouvelles puissances agricoles comme le Brésil, ont commencé à prendre le pas sur les productions françaises.
Cest inacceptable ! Nos coûts de production ne peuvent pas continuer à être systématiquement plus élevés que ceux de nos voisins, au point que nos produits se vendent moins bien que les leurs. Aujourdhui, lAllemagne, lEspagne, lItalie ou encore le Brésil nous prennent des parts de marché.
Je me trouvais à Brasilia il y a seulement quelques jours. Lexcédent commercial agricole du Brésil sélève à 50 milliards deuros par an alors quen France il représente un peu moins de 10 milliards deuros, dont 6 milliards pour la seule viticulture. Même si un mouvement de reprise se fait sentir, même si notre excédent en 2010 saméliore grâce aux décisions prises par la majorité, nous ne sommes pas au bout du chemin. Il faut continuer la bataille de la compétitivité et il faut la gagner. Je vous garantis que les agriculteurs français, avec leur talent et leur savoir-faire, ont les moyens dy parvenir.
Encore faut-il que nous leur donnions les instruments pour quils puissent, comme le disait le rapporteur, se battre «à armes égales» avec leurs concurrents.
Jean Dionis du Séjour a cité lexemple de la fraise gariguette, nous pourrions prendre celui de la poire ou de la pomme ou rappeler, comme je lai fait lors du débat sur le projet de loi de modernisation de lagriculture et de la pêche, quil y a quinze ans, la France et lAllemagne produisaient 25 millions de porcs mais quaujourdhui, notre pays en est toujours au même point alors que la production allemande sélève à 40 millions de porcs. Conséquence : progressivement nos concurrents nous prennent des parts de marché.
Nous aurions pu citer ce matin, en présence dAntoine Herth, lexemple de lasperge alsacienne : son coût de production est de 30 % supérieur à celui de lasperge allemande produite seulement à quelques kilomètres. Cette différence na quune explication : le coût du travail dans notre pays est beaucoup plus élevé quen Allemagne. Nous devons trouver une solution à ce problème.
Je tiens toutefois à rappeler que, confrontés à cette question, nous ne sommes pas restés les bras croisés depuis deux ans. Je suis fier que notre majorité ait été la première à adopter une mesure dexonération totale de charges patronales sur le travail agricole saisonnier. Le gouvernement et le Parlement ont ramené le coût horaire du travail saisonnier de 12,39 euros à 9,43 euros. Tous les agriculteurs, tous les maraîchers, tous les saisonniers, tous les producteurs de fruits ou de légumes reconnaissent cet effort et saluent cette mesure dont ils sont satisfaits. Il sagit dune bonne décision que nous devons à cette majorité.
Je veux être très clair sur un point : je ne suis pas prêt à aller dans la direction du «moins-disant social». Contrairement à M. Jean Dionis du Séjour, je ne crois pas que lharmonisation sociale européenne soit une chimère qui ne sera mise en place que dans plusieurs décennies. Je pense, au contraire, quelle constitue dune obligation pour nous tous. À mon sens, cest même un impératif pour lEurope ; nous ne devons pas en démordre. Je ne suis pas prêt à voir, en France, les salariés agricoles rémunérés 4 ou 5 euros de lheure, comme cela se pratique dans certains pays européens.
Je ne suis pas prêt à supprimer le salaire minimum dans lagriculture française sous prétexte quil nexiste pas chez nos voisins allemands. Nous pouvons être fiers de nos avancées et de notre modèle social, même si ce nest pas une raison pour ne pas réfléchir à son financement et à lamélioration de notre compétitivité. Il reste que le moins-disant social, les prix les plus bas et les rémunérations les plus faibles ne doivent pas constituer lhorizon européen des agriculteurs.
Que pouvons-nous faire de plus pour les emplois agricoles permanents ? Jai lu avec beaucoup dattention la proposition de loi de M. Jean Dionis du Séjour. Il la défendue à la tribune avec toute la fougue gasconne que nous lui connaissons.
Ce texte a limmense intérêt à mes yeux de mettre le doigt sur la question de la compétitivité de lagriculture française et de rappeler quen traitant du travail saisonnier nous navons fait, à ce jour, que la moitié du chemin : reste lautre moitié concernant les emplois permanents.
Toutefois, le gouvernement reste défavorable à cette proposition de loi. En effet, je lai déjà dit devant la commission des Affaires économiques présidée pas M. Serge Poignant, ce texte présente deux difficultés.
La première difficulté est celle de leurocompatibilité. Le dispositif dexonération dit TO-DE, applicable aux travailleurs occasionnels ou demandeurs demplois, est eurocompatible. En effet, avant de le mettre en place, jai plaidé notre cause devant la Commission européenne. Je lui ai présenté un argument principal afin dobtenir son accord : nous voulions mettre le TO-DE en place pour lutter contre le travail illégal dans le secteur agricole. Jai expliqué quun coût trop élevé du travail saisonnier agricole entraînerait un développement du travail au noir qui constitue un risque majeur dans ce secteur. La Commission a accepté cet argument et elle a donné son accord à lexonération de charges que vous avez votée. Aujourdhui, les yeux dans les yeux, je peux donc affirmer à tous les agriculteurs qui bénéficient du dispositif que lon ne viendra pas leur réclamer de restituer laide que lÉtat français leur a accordée en matière dexonération de charges sur le travail occasionnel.
Cependant, largument de la lutte contre le travail illégal que jai pu utiliser pour les emplois saisonniers de lagriculture nest pas recevable pour les emplois permanents du secteur. En conséquence, notre évaluation juridique reste strictement la même que celle que je vous ai déjà présentée : la proposition de loi déposée par Jean Dionis du Séjour en faveur dune exonération totale de charge sur le travail permanent dans lagriculture nest pas conforme au droit européen. Cette exonération sapparente en effet à une aide dÉtat permanente destinée à améliorer la compétitivité de lagriculture française par rapport à celle des autres agricultures européennes. Si nous la mettions en place, elle ferait lobjet dun recours et elle serait sanctionnée. Cela nous exposerait à devoir réclamer à tous les agriculteurs la restitution des sommes concernées.
Permettez-moi de vous faire part de mon expérience en la matière. Le remboursement des aides dÉtat illégales accordées par des ministres successifs, de droite comme de gauche, aux producteurs de fruits et légumes a été la première difficulté que jai eu à affronter lorsque je suis arrivé au ministère de lAgriculture. La procédure avait duré plusieurs années et la Commission avait attendu le changement de ministre pour la mener à son terme. Elle mimposait une alternative : soit le remboursement, soit le paiement de pénalités mensuelles de 80 millions deuros et une amende finale qui se chiffrerait en centaines de millions deuros. Je nai pas voulu exposer le budget de lÉtat à une telle ponction financière, il ne me restait donc quà aller récupérer les aides dÉtat chez les agriculteurs, chez les petits exploitants du Lot-et-Garonne, du Gers, dAlsace ou dailleurs.
Croyez-moi, je ne veux pas avoir à revivre cette expérience ; je ne veux pas non plus que lun de mes successeurs soit confronté à la difficulté morale qui se pose quand vous devez expliquer à un paysan que lÉtat français a été suffisamment irresponsable pour lui accorder des aides dont, dix ans plus tard, il lui demande le remboursement. Imaginez que lÉtat ait fait à chacun dentre vous un chèque de 300, de 500 ou de 800 euros pour vous soutenir dans une passe financière difficile et quil vienne vous voir dans dix ans pour vous dire : «Désolé, nous avons fait une erreur, ce chèque nétait pas conforme au droit européen : il faut que vous le remboursiez.» Imaginez votre colère ! Imaginez celle des paysans à qui nous avons dû expliquer quils devaient rembourser des sommes considérables parce que les ministres de lagriculture successifs avaient été suffisamment irresponsables pour accorder des aides dÉtat illégales au regard du droit européen ! Je ne referai jamais cela ! Je ne prendrai jamais le moindre risque qui exposerait les paysans français à rembourser des aides que lÉtat leur aurait accordées illégalement au regard du droit européen.
Jajoute quil nest pas judicieux, alors que nous sommes en pleine négociation du budget de la Politique agricole commune pour la période postérieure à 2013, de prendre une décision qui pourrait donner le sentiment que la représentation nationale française sassied sur les règles européennes alors que notre pays bénéficie tous les ans de plus de 10 milliards deuros daides européennes pour lagriculture. Ce serait irresponsable. Nous laisserions les Européens croire quune nouvelle fois, lÉtat français prend de lEurope ce qui peut lui rapporter mais quil la critique et quil sassied sur ses réglementations quand cela larrange. Je ne mengagerai pas dans cette voie.
Le financement est la seconde difficulté que soulève cette proposition de loi. Un problème se pose dabord au regard de la législation européenne. Charles de Courson a cosigné cette proposition de loi, mais il avait été suffisamment avisé, lorsquune «taxe poisson » avait été proposée, pour dire - jai relu les propos pertinents quil tenait alors - quil ne la voterait pas parce quil estimait quelle nétait pas conforme au droit européen.
Il avait eu raison avant lheure puisque nous faisons lobjet de deux procédures de sanction contre la «taxe poisson » que je tente actuellement de démanteler tout en cherchant, pour les pêcheurs, une source de financement, plus conforme au droit européen. Permettez-moi de vous dire que ce qui vaut pour le poisson vaut aussi pour les fruits et légumes : si nous votions une taxe sur la distribution de ces produits, nous serions sanctionnés exactement de la même façon. Je vous recommande donc de ne pas vous engager dans cette voie.
Le problème posé est, ensuite, économique. Instaurer une taxe sur la grande distribution, cest sympathique sur le papier. Si lon considère limage de ce secteur auprès de nos concitoyens, le taxer sera toujours relativement populaire. Cependant, nous sommes réunis pour prendre des décisions responsables et pour anticiper leurs conséquences. Qui paiera une nouvelle taxe imposée à la grande distribution ? Pas la grande distribution. Prenons garde : les payeurs seront les consommateurs et les agriculteurs qui seront moins bien rémunérés.
Je ne suis donc décidément pas favorable au mode de financement retenu par la proposition de loi.
Il reste que nous sommes daccord sur la nécessité daméliorer la compétitivité agricole française et de réduire le coût du travail. À la suite des propos tenus par le Premier ministre lors du Congrès de la FNSEA à Saint-Malo, je prends un engagement : nous allons franchir une nouvelle étape en allégeant le coût du travail agricole pour les salariés permanents de lagriculture. Sur la base du rapport confié à Bernard Reynès, je propose que nous travaillions ensemble à une proposition qui permette dalléger significativement le coût du travail permanent dans ce secteur. Je propose que cette disposition soit adoptée à lautonome prochain et quelle soit mise en place le 1er janvier 2012. Jen prends lengagement au nom du Gouvernement : à cette date, chaque agriculteur de notre pays qui emploie des salariés permanents pourra constater, au bas des fiches de paye, que ses charges ont été allégées.
Je veux insister sur un point : la question de la compétitivité ne se résume pas à la seule question du coût du travail, même si le Nouveau Centre a eu raison de mettre le doigt sur cette question effectivement cruciale.
Dabord, la compétitivité nest pas seulement laffaire des producteurs. Je veux me faire le porte-parole de tous les producteurs - bovins, porcins, de fruits et légumes et de lait - qui sont saturés des discours consistant à leur dire quils ne sont pas assez bons pour être compétitifs par rapport aux Allemands, aux Espagnols ou aux Italiens. La compétitivité est aussi laffaire de lindustrie agro-alimentaire ; des abattoirs, qui ont beaucoup à faire en la matière - ce qui justifie que jaie demandé un audit portant sur tous les abattoirs français, qui me sera rendu avant lété prochain ; des distributeurs, qui ont, eux aussi, beaucoup defforts à faire. La compétitivité nest pas seulement laffaire des producteurs, cest laffaire de la filière tout entière !
Par ailleurs, la compétitivité ne se résume pas au coût du travail, elle dépend également de la réduction des coûts de production et du coût énergétique, ainsi que du développement de la méthanisation, que nous avons engagé avec lalignement des tarifs de rachat du biogaz français sur les tarifs de rachat du biogaz allemand, afin de rattraper le retard accumulé depuis des années dans ce domaine.
La compétitivité est également affaire de structuration des filières : on nest pas compétitif quand on compte quatorze interprofessions viticoles dans le Languedoc-Roussillon, alors quil ny en a quune au Chili ! Le fait que nous ayons ramené ces quatorze interprofessions à quatre - en attendant, je lespère, de les ramener bientôt à une seule - doit nous permettre de gagner des parts de marché.
On nest pas compétitif quand, dans lélevage bovin, on laisse pendant des années treize intervenants négocier à lexportation nos parts de marché avec la Russie et la Turquie. Jai bataillé pendant un an, aux côtés de François Fillon, avant dobtenir du gouvernement russe - en loccurrence, de Vladimir Poutine lui-même - la levée de lembargo sur la viande bovine française. Au bout dun an, après de multiples déplacements à Moscou et des échanges répétés avec les services vétérinaires russes et mon homologue russe, nous avons obtenu la levée de lembargo sur les importations françaises et une proposition de contrat portant sur mille têtes de bétail à destination de la Russie. Est-il normal quune fois cet accord obtenu, nous ne soyons pas capables de fournir les mille têtes de bétail, parce que notre système dexportation des bovins nest pas suffisamment structuré ? Cest un fait, nous avons des efforts à faire pour gagner des parts de marché à lexportation, pour mieux structurer les filières et améliorer ainsi les capacités exportatrices françaises.
La compétitivité est une vraie bataille pour lagriculture française, une bataille que nous devons gagner, que nous allons gagner. En effet, nous avons la plus belle agriculture dEurope, et même du monde entier. Nous avons les plus beaux talents, le meilleur savoir-faire, des bêtes dune qualité exceptionnelle. Le conseiller diplomatique de Mme Dilma Rousseff me disait à Brasilia, il y a quelques jours : «Mais comment faites-vous pour ne pas arriver à vendre votre viande, qui est la meilleure au monde ?» Cest tout simplement parce que nous navons pas su structurer les filières, prendre des parts de marché à lexportation, organiser labattage de façon plus conquérante et plus compétitive.
Cette bataille se livrera sur plusieurs années, mais je suis persuadé que nous allons la remporter et que lagriculture française en ressortira plus forte, avec des revenus meilleurs pour les paysans et la seule situation qui nous convienne : la première place à léchelle européenne !
Interventions des Parlementaires
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais me féliciter de la très grande qualité de nos débats sur ce sujet très sensible de lagriculture française. Nous sommes tous daccord pour dire quil faut avancer, prendre des décisions concrètes, améliorer notre compétitivité et résister à la concurrence de nos amis allemands, italiens, espagnols, mais également des nouvelles puissances agricoles comme le Brésil, que jai déjà cité à plusieurs reprises.
Jévoquerai dabord les problèmes généraux que vous avez soulevés avant de traiter de deux sujets principaux : la compétitivité et leurocompatibilité de la proposition de loi. Jentrerai un peu plus dans le détail juridique, afin que vous compreniez que mon avis nest pas doctrinaire, mais purement juridique. Cette proposition de loi nest pas compatible avec le droit européen.
Pour ce qui est des points généraux, je ne voudrais pas que vous sortiez de lhémicycle en pensant que lagriculture française est en situation deffondrement généralisée ou de catalepsie. Elle obtient des résultats absolument exceptionnels. Elle reste de très loin la première production agricole européenne. M. de Courson a évoqué le problème des exportations agroalimentaires, jy reviendrai ; mais il faut bien faire la différence entre la production de base de produits bruts, sur laquelle nous restons très performants, et la transformation, sur laquelle, effectivement, nous perdons davantage de terrain. Nous restons le premier producteur viticole au monde, avec une surface relativement réduite. Nous sommes parvenus à reprendre cette première place, lan dernier, à la suite de gros efforts de réorganisation de la filière. Nous restons le deuxième producteur de blé au monde malgré des superficies somme toute tout relativement réduites, parce que nous sommes productifs et que nos rendements à lhectare sont satisfaisants.
En matière de production laitière également, nous restons lune des plus belles industries au monde. Si pas moins de huit acheteurs, chinois, mexicains, américains, suisses se sont présentés lors de la vente de Yoplait, cest bien la preuve que nous restons une agriculture compétitive, attractive avec des capacités à réussir tout à fait exceptionnelles. Louis Cosyns la rappelé tout à lheure : nous avons une très belle agriculture et des agriculteurs remarquablement performants. Nous devons les soutenir. Le tableau nest pas si noir que ce que lon peut en dire.
Je regrette que M. Nicolas Dupont-Aignan ait jugé bon de quitter lhémicycle : jaurais aimé lui répondre que nous ne ménageons pas la chèvre européenne et le chou national.
Nous sommes au contraire cohérents dans notre approche. Nous défendons une approche européenne de lagriculture française, parce que nous estimons que la régulation européenne des marchés est dans lintérêt de lagriculture française, et que la politique agricole commune aussi est dans lintérêt de lagriculture française. Allez expliquer aux paysans français que nous leur retirerons demain les 10 milliards deuros de subventions de la Politique agricole commune Je serais curieux de voir leurs réactions !
M. Dupont-Aignan nous a taxés dinaction : cela aura été le seul moment de réel populisme que nous avons eu dans ce débat et je le regrette. Si le gouvernement se bat depuis deux ans pour la régulation européenne, pour le soutien aux agriculteurs, pour les exonérations de charges, pour parvenir à obtenir des résultats concrets et il a obtenu de vrais résultats, personne ne peut le taxer dinaction. On peut lui reprocher ses orientations, mais certainement pas son inaction. Jaimerais demander à M. Dupont-Aignant où il est parti à la fin de ce débat, où il était pendant lexamen de la loi de modernisation de lagriculture et de la pêche, où il était pendant la crise du lait, où il était pendant la crise des fruits et légumes. Quelles propositions a-t-il faites ? Quelles avancées concrètes a-t-il proposées ? Je ne lai pas beaucoup entendu sur toute lagriculture, je nai pas vu ses propositions et je regrette quil ne soit pas resté pour écouter mes propos.
Nous avons un problème réel de compétitivité, nous en sommes tous bien convaincus et nous devons nous battre pour avancer sur ce sujet.
Madame Poursinoff, je suis en désaccord avec vous sur la question des exportations. Si vous retirez la capacité dexportation aux producteurs agricoles français, que ce soit pour le lait, les bovins, la viticulture ou les fruits et légumes, vous retrouverez une agriculture dans une situation absolument déplorable.
Quest-ce qui a sauvé la viticulture française ?
Cest le fait que, au lieu de se tourner exclusivement vers le marché national ou européen, elle a compris quelle devait se structurer pour exporter vers la Chine. Elle a obtenu des excédents commerciaux de 6 milliards deuros par an, comparables à ceux dAirbus. Ne faisons pas croire aux producteurs que nous replier sur nous-mêmes. Je crois, je le répète, à une Europe ouverte, à une nation française ouverte. Je crois que lagriculture française a tout intérêt à souvrir vers les marchés extérieurs.
Ajoutons que la compétitivité ne se résume pas uniquement au coût du travail. Jean Gaubert a tenu des propos pleins de justesse ; je naurai pas le front de revenir sur la question du découplage de 2003, jai mon opinion personnelle sur le sujet, mais je la garderai pour moi. Je crois en tout cas avoir montré que jétais capable de renverser les positions quand elles ne me semblaient pas justes, y compris celles des membres de ma propre majorité.
La compétitivité se conduit aussi sur lavantage énergétique : cest un point clé, et plusieurs dentre vous lont fort bien souligné. Prenons lexemple de la méthanisation, car il sagit dun sujet majeur. On dénombre 4 000 installations de méthanisation sur le territoire allemand, dont chacune rapporte environ 15 000 euros par an aux agriculteurs allemands ; on en trouve à peine une vingtaine en France ! Nous devons développer la méthanisation, mais en suivant notre propre modèle. Prenons garde à ne pas copier rigoureusement nos amis de lautre côté du Rhin. Leurs solutions ne sont pas forcément celles que nous suivrons. Ils ont développé une méthanisation qui utilise à la fois les effluents délevage, mais elle consomme également une très grosse part de produits issus du maïs, ce qui les conduit à faire pousser du maïs dans le seul but dalimenter la méthanisation. Je ne suis pas favorable à cette solution, qui nest pas à mes yeux écologiquement compatible et qui na pas de sens sur le plan énergétique.
Je souhaite donc que larrêté qui définira les conditions dutilisation de la méthanisation fixe un niveau dutilisation des effluents délevage, qui pourrait être compris entre 30 et 60 % et qui respecte lobjectif environnemental du développement de la méthanisation.
Comme la fort bien souligné tout à lheure Michel Raison, la compétitivité passe aussi par la question de labattage. Nous avons besoin dabattoirs plus compétitifs. Jai commandé un audit complet sur tous les abattoirs français, car je souhaite quils soient plus compétitifs. Je souhaite que nous arrêtions denvoyer des tonnes de porc breton aller se faire abattre à Lübeck, à deux mille kilomètres, au seul motif que nous ne sommes pas assez compétitifs pour les abattre sur place !
Je souhaite aussi que nos filières dabattage puissent sortir des produits transformés. Il nest pas normal que nous nayons que des produits bruts à la sortie de nos abattoirs alors quau Danemark, en Suède, aux Pays-Bas ou en Allemagne, les viandes sorte des abattoirs déjà conditionnées en barquettes, marketées, prêtes à vendre, bien plus fortement valorisées. Faisons revenir la valorisation agricole sur le territoire français et cessons de faire des produits bas de gamme mal valorisés.
La compétitivité, comme Charles de Courson la indiqué, ce sont aussi les industries agroalimentaires : cest le point sur lequel nous perdons le plus de terrain. Nos industries agroalimentaires sont segmentées, comme malheureusement une grande partie de lindustrie française : dun côté dix grands groupes de taille mondiale, qui réussissent remarquablement bien, et de lautre une myriade de petits groupes de taille insuffisante, incapables dexporter et damortir leur coût de production. Il faut regrouper nos industries agroalimentaires pour avoir des PME plus compétitives, capables dexporter et de garder la valorisation pour elles.
Vous avez parlé du coût de lalimentation animale : cela fait aussi partie des questions de compétitivité. Nous allons travailler dans deux directions. Premièrement, nous allons mettre au point un contrat interfilières entre les filières grandes cultures et les filières animales de façon à les protéger contre la volatilité des prix de lalimentation animale. Cest indispensable. Cest aussi un geste de solidarité entre les filières agricoles. Deuxièmement, je souhaite que nous instaurions très rapidement, dans les semaines qui viennent, un dispositif dindexation sur le coût de lalimentation, qui serait mis en uvre par la grande distribution. Le but est de faire en sorte que lorsque le prix de lalimentation augmente, les prix de vente de la viande bovine, porcine ou de volaille augmentent également pour permettre au producteur de couvrir ses coûts de production. Cest une question de justice et damélioration du revenu des producteurs. Si nous voulons garder les producteurs, il faut assumer le fait que la production de viandes de qualité a un coût, y compris pour le consommateur.
Enfin, il ny a pas de compétitivité sans régulation européenne des marchés. Vous savez, Monsieur Peiro, que je me suis battu depuis deux ans et que je continue à me battre pour la régulation européenne des marchés agricoles. Elle est absolument indispensable. Nous avons déjà obtenu des résultats concrets : le groupe à haut niveau sur le lait, le rétablissement des mesures dintervention sur les marchés. Je souhaite que ce soit le cas pour toutes les filières agricoles, car il est impensable de continuer à laisser nos producteurs agricoles seuls et démunis lorsque les prix seffondrent : cela pourra toujours reproduire car linstabilité est désormais la règle sur les marchés agricoles.
Une Europe qui ne protège pas ses agriculteurs est une Europe qui ne sert à rien.
Une Europe qui ne permet pas de faire remonter les prix lorsquon a la possibilité de le faire est une Europe qui ne sert à rien.
Une Europe qui nest pas capable de tendre la main à des producteurs de lait, étranglés financièrement, notamment les plus jeunes, les plus compétitifs parce que, par idéologie, elle estime quil ne faut pas intervenir sur le marché, ce nest pas lEurope dont nous voulons.
Je voudrais également faire remarquer, sans aucune malice, à M. Germinal Peiro que le plus grand obstacle à la régulation européenne des marchés se trouve plutôt du côté dun ancien candidat socialiste aux élections législatives : je veux parler du directeur général de lorganisation mondiale du commerce Pascal Lamy, qui défend une libéralisation dans le cadre de lOMC, bien peu conforme à la régulation européenne des marchés.
Pour ce qui est de leurocompatibilité, M. Reynès et Diefenbacher lont très bien dit : on ne peut prendre aucun risque sur la question de la compatibilité de cette proposition de loi avec le droit européen. Je vais quitter le terrain politique et tenir un discours un peu plus technique, afin quil ne subsiste aucun doute là-dessus.
Larticle 107 du Traité portant création de lUnion européenne établit sans aucune ambiguïté que sont interdites les aides accordées par les États au moyen de ressources dÉtat, sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence. La jurisprudence précise, notamment dans larrêt Pearle de la Cour de justice des communautés européenne, quune mesure nationale est une aide dÉtat lorsquelle remplit quatre conditions cumulatives.
Premièrement, elle est financée au moyen de ressources dÉtat ou de taxes, et cest bien le cas de votre proposition de loi ;
Deuxièmement, elle confère un avantage concurrentiel, ce qui est précisément le cas de la proposition de loi qui nous donne un avantage concurrentiel sur le coût du travail ;
Troisièmement, elle ne confère un avantage quà certains types de production - en loccurrence le secteur agricole et particulièrement, Michel Raison la très bien dit, les filières fruits et légumes et viticulture, premiers embaucheurs de salariés agricoles permanents, sans aucun bénéfice pour les filières élevage ou laitière ;
Enfin, elle est susceptible daffecter les échanges entre les États membres. Cest aussi le cas de cette proposition de loi.
Ainsi, cette proposition de loi établit très clairement une aide dÉtat permanente non compatible avec le droit européen.
Plusieurs dentre vous ont excipé du cas allemand : je rappelle que sil figure dans le Traité, cest à titre de dérogation. Nos amis allemands ne font quutiliser une clause dérogatoire que nous leur avons accordée. Soyons cohérents et ne rejetons pas la faute sur les uns ou sur les autres. Aux termes du paragraphe 2c de larticle 107, sont compatibles avec le marché intérieur «les aides octroyées à léconomie de certaines régions de la République fédérale dAllemagne affectées par la division de lAllemagne, dans la mesure où elles sont nécessaires pour compenser les désavantages économiques causés par cette division.» Cela est écrit noir sur blanc, et cela a été accepté par le gouvernement français.
Par conséquent, je souhaite que cette disposition garde son caractère dérogatoire et quau moment où elle doit sépuiser, elle ne soit en aucun cas renouvelée. LAllemagne a rétabli sa compétitivité et a réussi, tant mieux, sa réunification ; mais maintenant que sa réunification et le retour de sa compétitivité sont derrière nous, je souhaite que lAllemagne revienne au droit commun. Mais ne soyons pas naïfs, et cest là que lon revient à la question de lharmonisation européenne : on retombe sur le vrai sujet, à savoir labsence de salaire minimum en Allemagne. Cest bien pour cela quil faut défendre une harmonisation sociale européenne car sinon, nous aurons toujours cet écart de compétitivité, clause dérogatoire ou pas.
Il existe malgré tout une solution jurisprudentielle, un petit interstice dans lequel nous pouvons nous glisser pour parvenir à défendre une exonération de charges sur le travail permanent dans lagriculture. Cette solution jurisprudentielle est définie dans larrêt Royaume de Belgique de la CJCE du 17 juin 1999 : «Les cotisations sociales peuvent être fixées en tenant compte pour certains secteurs de la nécessité de maintenir ou de développer lemploi à lexclusion des motifs de compétitivité». Autrement dit, si nous appuyons notre discours non seulement sur la question du travail illégal comme on la fait pour le TO/DE - qui ressort dune logique différente -, mais également sur un argumentaire articulé autour la défense de lemploi, nous pourrons trouver la voie de passage qui rendra notre disposition compatible avec le droit européen. Ce nest pas largumentaire qui a été retenu par Jean Dionis du Séjour dans la proposition de loi : «Le coût élevé du travail agricole en France représente un handicap insoutenable pour la compétitivité de lagriculture française». Sa proposition de loi sest malheureusement placée, je le regrette, sur le mauvais terrain, celui de la compétitivité alors quil aurait fallu se placer sur celui de lemploi pour trouver un espace de compatibilité européenne.
Jai bien écouté largumentaire de notre ami Charles de Courson sur la «taxe poisson», effectivement euro-incompatible. Nous avons eu un nouveau recours contre nous il y a moins dun mois - je le dis au rapporteur pour que les choses soient bien claires et quil comprenne à quel point nous sommes déterminés à rendre cette taxe compatible. Lélément nouveau, cest que les recours contre nous se multiplient sur ce sujet. Je dois reconnaître, pour être tout à fait franc - Charles de Courson et de Jean Dionis du Séjour ont eu lélégance de ne pas le rappeler - quen tant que membre de la commission des Finances, javais moi-même voté la «taxe poisson».
Comme le dit ladage latin errare humanum est, perseverare diabolicum !
Si lon pouvait cesser de persister dans lerreur, cela serait une bonne chose : comme la très bien dit Michel Raison, ce sont les producteurs qui paieront.
Annick Le Loch sait lintérêt que je porte aux pêcheurs. Cest probablement lun des secteurs qui souffre le plus aujourdhui. On en parle moins parce que les pêcheurs sont moins nombreux. Mais ce nest pas parce quils ne sont que 15.000 embarqués sur des bateaux quil faut oublier les difficultés terribles quils traversent actuellement.
Nous trouverons un moyen, notamment avec la grande distribution, de compenser la suppression de la «taxe poisson». Il nest pas question de faire abandonner une ressource financière dont les pêcheurs ont absolument besoin, qui sert à financer les «contrats bleus». Nous devons trouver cette nouvelle ressource.
Mais cette ressource - et pardonnez-moi dinsister lourdement - doit être eurocompatible. On a eu le problème des fruits et légumes, mais nous avons aussi le problème du fonds de prévention des aléas à la pêche et du fonds pêche, que vous connaissez bien. Lorsquil faut aller devant un armateur ou devant les marins pêcheurs, qui touchent entre 600 et 800 euros par mois, et leur expliquer quon vient récupérer une aide dÉtat qui leur a été accordée de manière illégale, vous avez intérêt à vous cramponner au bastingage pour tenir devant eux ! Parce quils sont en colère, et ils ont raison de lêtre.
Je nirai jamais vers des aides qui soient incompatibles avec le droit européen, car ce sont toujours les mêmes qui paient à la fin, les producteurs, les pêcheurs, les plus faibles.
En conclusion, comme la dit Jacques Lamblin, cette proposition dappel doit déboucher sur une solution concrète - le président de la commission qui la excellemment rappelé sera très vigilant sur ce sujet.
Je vous redis mon engagement pour que nous travaillions ensemble sur la base des propositions que présentera Bernard Reynès, qui a travaillé avec le Nouveau Centre à lélaboration dun dispositif dexonérations de charges sur le travail permanent dans lagriculture. Adopté à lautomne prochain, il sera mis en place au 1er janvier 2012. Ce dispositif devra être significatif. Il ne sagit pas de bouger de deux ou trois millimètres, mais de faire en sorte que tous les producteurs, notamment de fruits et légumes, dans le Lot-et-Garonne et ailleurs, constatent quune nouvelle étape a été franchie dans lallégement des charges sur le travail permanent dans les cultures et que le coût du travail a été significativement abaissé pour quils soient aussi compétitifs que leurs voisins allemands. Cest lengagement que je prends. Jai bien conscience que jaurai besoin de chacun dentre vous sur ces bancs pour arriver à obtenir gain de cause à la fin de cette partie.
Je vous indique enfin, Monsieur le Président, quen application de larticle 96 du règlement de lAssemblée nationale, le gouvernement demande la réserve du vote sur les articles et les amendements en discussion.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 avril 2011
Mesdames, Messieurs les Députés,
Je suis très heureux que nous puissions débattre aujourdhui de la compétitivité de lagriculture française. Sur ce sujet, comme sur la question du coût du travail, je partage pleinement lanalyse de votre rapporteur, M. Jean Dionis du Séjour.
Durant des années, nous navons pas voulu regarder en face la réalité de la compétition mondiale en matière agricole. Nous avons cru que laccumulation des subventions et des aides dÉtat parfois illégales pouvait nous dispenser du travail nécessaire en faveur de la compétitivité agricole française. Résultats des courses : M. Dionis du Séjour la dit, les productions allemandes, et celles de nouvelles puissances agricoles comme le Brésil, ont commencé à prendre le pas sur les productions françaises.
Cest inacceptable ! Nos coûts de production ne peuvent pas continuer à être systématiquement plus élevés que ceux de nos voisins, au point que nos produits se vendent moins bien que les leurs. Aujourdhui, lAllemagne, lEspagne, lItalie ou encore le Brésil nous prennent des parts de marché.
Je me trouvais à Brasilia il y a seulement quelques jours. Lexcédent commercial agricole du Brésil sélève à 50 milliards deuros par an alors quen France il représente un peu moins de 10 milliards deuros, dont 6 milliards pour la seule viticulture. Même si un mouvement de reprise se fait sentir, même si notre excédent en 2010 saméliore grâce aux décisions prises par la majorité, nous ne sommes pas au bout du chemin. Il faut continuer la bataille de la compétitivité et il faut la gagner. Je vous garantis que les agriculteurs français, avec leur talent et leur savoir-faire, ont les moyens dy parvenir.
Encore faut-il que nous leur donnions les instruments pour quils puissent, comme le disait le rapporteur, se battre «à armes égales» avec leurs concurrents.
Jean Dionis du Séjour a cité lexemple de la fraise gariguette, nous pourrions prendre celui de la poire ou de la pomme ou rappeler, comme je lai fait lors du débat sur le projet de loi de modernisation de lagriculture et de la pêche, quil y a quinze ans, la France et lAllemagne produisaient 25 millions de porcs mais quaujourdhui, notre pays en est toujours au même point alors que la production allemande sélève à 40 millions de porcs. Conséquence : progressivement nos concurrents nous prennent des parts de marché.
Nous aurions pu citer ce matin, en présence dAntoine Herth, lexemple de lasperge alsacienne : son coût de production est de 30 % supérieur à celui de lasperge allemande produite seulement à quelques kilomètres. Cette différence na quune explication : le coût du travail dans notre pays est beaucoup plus élevé quen Allemagne. Nous devons trouver une solution à ce problème.
Je tiens toutefois à rappeler que, confrontés à cette question, nous ne sommes pas restés les bras croisés depuis deux ans. Je suis fier que notre majorité ait été la première à adopter une mesure dexonération totale de charges patronales sur le travail agricole saisonnier. Le gouvernement et le Parlement ont ramené le coût horaire du travail saisonnier de 12,39 euros à 9,43 euros. Tous les agriculteurs, tous les maraîchers, tous les saisonniers, tous les producteurs de fruits ou de légumes reconnaissent cet effort et saluent cette mesure dont ils sont satisfaits. Il sagit dune bonne décision que nous devons à cette majorité.
Je veux être très clair sur un point : je ne suis pas prêt à aller dans la direction du «moins-disant social». Contrairement à M. Jean Dionis du Séjour, je ne crois pas que lharmonisation sociale européenne soit une chimère qui ne sera mise en place que dans plusieurs décennies. Je pense, au contraire, quelle constitue dune obligation pour nous tous. À mon sens, cest même un impératif pour lEurope ; nous ne devons pas en démordre. Je ne suis pas prêt à voir, en France, les salariés agricoles rémunérés 4 ou 5 euros de lheure, comme cela se pratique dans certains pays européens.
Je ne suis pas prêt à supprimer le salaire minimum dans lagriculture française sous prétexte quil nexiste pas chez nos voisins allemands. Nous pouvons être fiers de nos avancées et de notre modèle social, même si ce nest pas une raison pour ne pas réfléchir à son financement et à lamélioration de notre compétitivité. Il reste que le moins-disant social, les prix les plus bas et les rémunérations les plus faibles ne doivent pas constituer lhorizon européen des agriculteurs.
Que pouvons-nous faire de plus pour les emplois agricoles permanents ? Jai lu avec beaucoup dattention la proposition de loi de M. Jean Dionis du Séjour. Il la défendue à la tribune avec toute la fougue gasconne que nous lui connaissons.
Ce texte a limmense intérêt à mes yeux de mettre le doigt sur la question de la compétitivité de lagriculture française et de rappeler quen traitant du travail saisonnier nous navons fait, à ce jour, que la moitié du chemin : reste lautre moitié concernant les emplois permanents.
Toutefois, le gouvernement reste défavorable à cette proposition de loi. En effet, je lai déjà dit devant la commission des Affaires économiques présidée pas M. Serge Poignant, ce texte présente deux difficultés.
La première difficulté est celle de leurocompatibilité. Le dispositif dexonération dit TO-DE, applicable aux travailleurs occasionnels ou demandeurs demplois, est eurocompatible. En effet, avant de le mettre en place, jai plaidé notre cause devant la Commission européenne. Je lui ai présenté un argument principal afin dobtenir son accord : nous voulions mettre le TO-DE en place pour lutter contre le travail illégal dans le secteur agricole. Jai expliqué quun coût trop élevé du travail saisonnier agricole entraînerait un développement du travail au noir qui constitue un risque majeur dans ce secteur. La Commission a accepté cet argument et elle a donné son accord à lexonération de charges que vous avez votée. Aujourdhui, les yeux dans les yeux, je peux donc affirmer à tous les agriculteurs qui bénéficient du dispositif que lon ne viendra pas leur réclamer de restituer laide que lÉtat français leur a accordée en matière dexonération de charges sur le travail occasionnel.
Cependant, largument de la lutte contre le travail illégal que jai pu utiliser pour les emplois saisonniers de lagriculture nest pas recevable pour les emplois permanents du secteur. En conséquence, notre évaluation juridique reste strictement la même que celle que je vous ai déjà présentée : la proposition de loi déposée par Jean Dionis du Séjour en faveur dune exonération totale de charge sur le travail permanent dans lagriculture nest pas conforme au droit européen. Cette exonération sapparente en effet à une aide dÉtat permanente destinée à améliorer la compétitivité de lagriculture française par rapport à celle des autres agricultures européennes. Si nous la mettions en place, elle ferait lobjet dun recours et elle serait sanctionnée. Cela nous exposerait à devoir réclamer à tous les agriculteurs la restitution des sommes concernées.
Permettez-moi de vous faire part de mon expérience en la matière. Le remboursement des aides dÉtat illégales accordées par des ministres successifs, de droite comme de gauche, aux producteurs de fruits et légumes a été la première difficulté que jai eu à affronter lorsque je suis arrivé au ministère de lAgriculture. La procédure avait duré plusieurs années et la Commission avait attendu le changement de ministre pour la mener à son terme. Elle mimposait une alternative : soit le remboursement, soit le paiement de pénalités mensuelles de 80 millions deuros et une amende finale qui se chiffrerait en centaines de millions deuros. Je nai pas voulu exposer le budget de lÉtat à une telle ponction financière, il ne me restait donc quà aller récupérer les aides dÉtat chez les agriculteurs, chez les petits exploitants du Lot-et-Garonne, du Gers, dAlsace ou dailleurs.
Croyez-moi, je ne veux pas avoir à revivre cette expérience ; je ne veux pas non plus que lun de mes successeurs soit confronté à la difficulté morale qui se pose quand vous devez expliquer à un paysan que lÉtat français a été suffisamment irresponsable pour lui accorder des aides dont, dix ans plus tard, il lui demande le remboursement. Imaginez que lÉtat ait fait à chacun dentre vous un chèque de 300, de 500 ou de 800 euros pour vous soutenir dans une passe financière difficile et quil vienne vous voir dans dix ans pour vous dire : «Désolé, nous avons fait une erreur, ce chèque nétait pas conforme au droit européen : il faut que vous le remboursiez.» Imaginez votre colère ! Imaginez celle des paysans à qui nous avons dû expliquer quils devaient rembourser des sommes considérables parce que les ministres de lagriculture successifs avaient été suffisamment irresponsables pour accorder des aides dÉtat illégales au regard du droit européen ! Je ne referai jamais cela ! Je ne prendrai jamais le moindre risque qui exposerait les paysans français à rembourser des aides que lÉtat leur aurait accordées illégalement au regard du droit européen.
Jajoute quil nest pas judicieux, alors que nous sommes en pleine négociation du budget de la Politique agricole commune pour la période postérieure à 2013, de prendre une décision qui pourrait donner le sentiment que la représentation nationale française sassied sur les règles européennes alors que notre pays bénéficie tous les ans de plus de 10 milliards deuros daides européennes pour lagriculture. Ce serait irresponsable. Nous laisserions les Européens croire quune nouvelle fois, lÉtat français prend de lEurope ce qui peut lui rapporter mais quil la critique et quil sassied sur ses réglementations quand cela larrange. Je ne mengagerai pas dans cette voie.
Le financement est la seconde difficulté que soulève cette proposition de loi. Un problème se pose dabord au regard de la législation européenne. Charles de Courson a cosigné cette proposition de loi, mais il avait été suffisamment avisé, lorsquune «taxe poisson » avait été proposée, pour dire - jai relu les propos pertinents quil tenait alors - quil ne la voterait pas parce quil estimait quelle nétait pas conforme au droit européen.
Il avait eu raison avant lheure puisque nous faisons lobjet de deux procédures de sanction contre la «taxe poisson » que je tente actuellement de démanteler tout en cherchant, pour les pêcheurs, une source de financement, plus conforme au droit européen. Permettez-moi de vous dire que ce qui vaut pour le poisson vaut aussi pour les fruits et légumes : si nous votions une taxe sur la distribution de ces produits, nous serions sanctionnés exactement de la même façon. Je vous recommande donc de ne pas vous engager dans cette voie.
Le problème posé est, ensuite, économique. Instaurer une taxe sur la grande distribution, cest sympathique sur le papier. Si lon considère limage de ce secteur auprès de nos concitoyens, le taxer sera toujours relativement populaire. Cependant, nous sommes réunis pour prendre des décisions responsables et pour anticiper leurs conséquences. Qui paiera une nouvelle taxe imposée à la grande distribution ? Pas la grande distribution. Prenons garde : les payeurs seront les consommateurs et les agriculteurs qui seront moins bien rémunérés.
Je ne suis donc décidément pas favorable au mode de financement retenu par la proposition de loi.
Il reste que nous sommes daccord sur la nécessité daméliorer la compétitivité agricole française et de réduire le coût du travail. À la suite des propos tenus par le Premier ministre lors du Congrès de la FNSEA à Saint-Malo, je prends un engagement : nous allons franchir une nouvelle étape en allégeant le coût du travail agricole pour les salariés permanents de lagriculture. Sur la base du rapport confié à Bernard Reynès, je propose que nous travaillions ensemble à une proposition qui permette dalléger significativement le coût du travail permanent dans ce secteur. Je propose que cette disposition soit adoptée à lautonome prochain et quelle soit mise en place le 1er janvier 2012. Jen prends lengagement au nom du Gouvernement : à cette date, chaque agriculteur de notre pays qui emploie des salariés permanents pourra constater, au bas des fiches de paye, que ses charges ont été allégées.
Je veux insister sur un point : la question de la compétitivité ne se résume pas à la seule question du coût du travail, même si le Nouveau Centre a eu raison de mettre le doigt sur cette question effectivement cruciale.
Dabord, la compétitivité nest pas seulement laffaire des producteurs. Je veux me faire le porte-parole de tous les producteurs - bovins, porcins, de fruits et légumes et de lait - qui sont saturés des discours consistant à leur dire quils ne sont pas assez bons pour être compétitifs par rapport aux Allemands, aux Espagnols ou aux Italiens. La compétitivité est aussi laffaire de lindustrie agro-alimentaire ; des abattoirs, qui ont beaucoup à faire en la matière - ce qui justifie que jaie demandé un audit portant sur tous les abattoirs français, qui me sera rendu avant lété prochain ; des distributeurs, qui ont, eux aussi, beaucoup defforts à faire. La compétitivité nest pas seulement laffaire des producteurs, cest laffaire de la filière tout entière !
Par ailleurs, la compétitivité ne se résume pas au coût du travail, elle dépend également de la réduction des coûts de production et du coût énergétique, ainsi que du développement de la méthanisation, que nous avons engagé avec lalignement des tarifs de rachat du biogaz français sur les tarifs de rachat du biogaz allemand, afin de rattraper le retard accumulé depuis des années dans ce domaine.
La compétitivité est également affaire de structuration des filières : on nest pas compétitif quand on compte quatorze interprofessions viticoles dans le Languedoc-Roussillon, alors quil ny en a quune au Chili ! Le fait que nous ayons ramené ces quatorze interprofessions à quatre - en attendant, je lespère, de les ramener bientôt à une seule - doit nous permettre de gagner des parts de marché.
On nest pas compétitif quand, dans lélevage bovin, on laisse pendant des années treize intervenants négocier à lexportation nos parts de marché avec la Russie et la Turquie. Jai bataillé pendant un an, aux côtés de François Fillon, avant dobtenir du gouvernement russe - en loccurrence, de Vladimir Poutine lui-même - la levée de lembargo sur la viande bovine française. Au bout dun an, après de multiples déplacements à Moscou et des échanges répétés avec les services vétérinaires russes et mon homologue russe, nous avons obtenu la levée de lembargo sur les importations françaises et une proposition de contrat portant sur mille têtes de bétail à destination de la Russie. Est-il normal quune fois cet accord obtenu, nous ne soyons pas capables de fournir les mille têtes de bétail, parce que notre système dexportation des bovins nest pas suffisamment structuré ? Cest un fait, nous avons des efforts à faire pour gagner des parts de marché à lexportation, pour mieux structurer les filières et améliorer ainsi les capacités exportatrices françaises.
La compétitivité est une vraie bataille pour lagriculture française, une bataille que nous devons gagner, que nous allons gagner. En effet, nous avons la plus belle agriculture dEurope, et même du monde entier. Nous avons les plus beaux talents, le meilleur savoir-faire, des bêtes dune qualité exceptionnelle. Le conseiller diplomatique de Mme Dilma Rousseff me disait à Brasilia, il y a quelques jours : «Mais comment faites-vous pour ne pas arriver à vendre votre viande, qui est la meilleure au monde ?» Cest tout simplement parce que nous navons pas su structurer les filières, prendre des parts de marché à lexportation, organiser labattage de façon plus conquérante et plus compétitive.
Cette bataille se livrera sur plusieurs années, mais je suis persuadé que nous allons la remporter et que lagriculture française en ressortira plus forte, avec des revenus meilleurs pour les paysans et la seule situation qui nous convienne : la première place à léchelle européenne !
Interventions des Parlementaires
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais me féliciter de la très grande qualité de nos débats sur ce sujet très sensible de lagriculture française. Nous sommes tous daccord pour dire quil faut avancer, prendre des décisions concrètes, améliorer notre compétitivité et résister à la concurrence de nos amis allemands, italiens, espagnols, mais également des nouvelles puissances agricoles comme le Brésil, que jai déjà cité à plusieurs reprises.
Jévoquerai dabord les problèmes généraux que vous avez soulevés avant de traiter de deux sujets principaux : la compétitivité et leurocompatibilité de la proposition de loi. Jentrerai un peu plus dans le détail juridique, afin que vous compreniez que mon avis nest pas doctrinaire, mais purement juridique. Cette proposition de loi nest pas compatible avec le droit européen.
Pour ce qui est des points généraux, je ne voudrais pas que vous sortiez de lhémicycle en pensant que lagriculture française est en situation deffondrement généralisée ou de catalepsie. Elle obtient des résultats absolument exceptionnels. Elle reste de très loin la première production agricole européenne. M. de Courson a évoqué le problème des exportations agroalimentaires, jy reviendrai ; mais il faut bien faire la différence entre la production de base de produits bruts, sur laquelle nous restons très performants, et la transformation, sur laquelle, effectivement, nous perdons davantage de terrain. Nous restons le premier producteur viticole au monde, avec une surface relativement réduite. Nous sommes parvenus à reprendre cette première place, lan dernier, à la suite de gros efforts de réorganisation de la filière. Nous restons le deuxième producteur de blé au monde malgré des superficies somme toute tout relativement réduites, parce que nous sommes productifs et que nos rendements à lhectare sont satisfaisants.
En matière de production laitière également, nous restons lune des plus belles industries au monde. Si pas moins de huit acheteurs, chinois, mexicains, américains, suisses se sont présentés lors de la vente de Yoplait, cest bien la preuve que nous restons une agriculture compétitive, attractive avec des capacités à réussir tout à fait exceptionnelles. Louis Cosyns la rappelé tout à lheure : nous avons une très belle agriculture et des agriculteurs remarquablement performants. Nous devons les soutenir. Le tableau nest pas si noir que ce que lon peut en dire.
Je regrette que M. Nicolas Dupont-Aignan ait jugé bon de quitter lhémicycle : jaurais aimé lui répondre que nous ne ménageons pas la chèvre européenne et le chou national.
Nous sommes au contraire cohérents dans notre approche. Nous défendons une approche européenne de lagriculture française, parce que nous estimons que la régulation européenne des marchés est dans lintérêt de lagriculture française, et que la politique agricole commune aussi est dans lintérêt de lagriculture française. Allez expliquer aux paysans français que nous leur retirerons demain les 10 milliards deuros de subventions de la Politique agricole commune Je serais curieux de voir leurs réactions !
M. Dupont-Aignan nous a taxés dinaction : cela aura été le seul moment de réel populisme que nous avons eu dans ce débat et je le regrette. Si le gouvernement se bat depuis deux ans pour la régulation européenne, pour le soutien aux agriculteurs, pour les exonérations de charges, pour parvenir à obtenir des résultats concrets et il a obtenu de vrais résultats, personne ne peut le taxer dinaction. On peut lui reprocher ses orientations, mais certainement pas son inaction. Jaimerais demander à M. Dupont-Aignant où il est parti à la fin de ce débat, où il était pendant lexamen de la loi de modernisation de lagriculture et de la pêche, où il était pendant la crise du lait, où il était pendant la crise des fruits et légumes. Quelles propositions a-t-il faites ? Quelles avancées concrètes a-t-il proposées ? Je ne lai pas beaucoup entendu sur toute lagriculture, je nai pas vu ses propositions et je regrette quil ne soit pas resté pour écouter mes propos.
Nous avons un problème réel de compétitivité, nous en sommes tous bien convaincus et nous devons nous battre pour avancer sur ce sujet.
Madame Poursinoff, je suis en désaccord avec vous sur la question des exportations. Si vous retirez la capacité dexportation aux producteurs agricoles français, que ce soit pour le lait, les bovins, la viticulture ou les fruits et légumes, vous retrouverez une agriculture dans une situation absolument déplorable.
Quest-ce qui a sauvé la viticulture française ?
Cest le fait que, au lieu de se tourner exclusivement vers le marché national ou européen, elle a compris quelle devait se structurer pour exporter vers la Chine. Elle a obtenu des excédents commerciaux de 6 milliards deuros par an, comparables à ceux dAirbus. Ne faisons pas croire aux producteurs que nous replier sur nous-mêmes. Je crois, je le répète, à une Europe ouverte, à une nation française ouverte. Je crois que lagriculture française a tout intérêt à souvrir vers les marchés extérieurs.
Ajoutons que la compétitivité ne se résume pas uniquement au coût du travail. Jean Gaubert a tenu des propos pleins de justesse ; je naurai pas le front de revenir sur la question du découplage de 2003, jai mon opinion personnelle sur le sujet, mais je la garderai pour moi. Je crois en tout cas avoir montré que jétais capable de renverser les positions quand elles ne me semblaient pas justes, y compris celles des membres de ma propre majorité.
La compétitivité se conduit aussi sur lavantage énergétique : cest un point clé, et plusieurs dentre vous lont fort bien souligné. Prenons lexemple de la méthanisation, car il sagit dun sujet majeur. On dénombre 4 000 installations de méthanisation sur le territoire allemand, dont chacune rapporte environ 15 000 euros par an aux agriculteurs allemands ; on en trouve à peine une vingtaine en France ! Nous devons développer la méthanisation, mais en suivant notre propre modèle. Prenons garde à ne pas copier rigoureusement nos amis de lautre côté du Rhin. Leurs solutions ne sont pas forcément celles que nous suivrons. Ils ont développé une méthanisation qui utilise à la fois les effluents délevage, mais elle consomme également une très grosse part de produits issus du maïs, ce qui les conduit à faire pousser du maïs dans le seul but dalimenter la méthanisation. Je ne suis pas favorable à cette solution, qui nest pas à mes yeux écologiquement compatible et qui na pas de sens sur le plan énergétique.
Je souhaite donc que larrêté qui définira les conditions dutilisation de la méthanisation fixe un niveau dutilisation des effluents délevage, qui pourrait être compris entre 30 et 60 % et qui respecte lobjectif environnemental du développement de la méthanisation.
Comme la fort bien souligné tout à lheure Michel Raison, la compétitivité passe aussi par la question de labattage. Nous avons besoin dabattoirs plus compétitifs. Jai commandé un audit complet sur tous les abattoirs français, car je souhaite quils soient plus compétitifs. Je souhaite que nous arrêtions denvoyer des tonnes de porc breton aller se faire abattre à Lübeck, à deux mille kilomètres, au seul motif que nous ne sommes pas assez compétitifs pour les abattre sur place !
Je souhaite aussi que nos filières dabattage puissent sortir des produits transformés. Il nest pas normal que nous nayons que des produits bruts à la sortie de nos abattoirs alors quau Danemark, en Suède, aux Pays-Bas ou en Allemagne, les viandes sorte des abattoirs déjà conditionnées en barquettes, marketées, prêtes à vendre, bien plus fortement valorisées. Faisons revenir la valorisation agricole sur le territoire français et cessons de faire des produits bas de gamme mal valorisés.
La compétitivité, comme Charles de Courson la indiqué, ce sont aussi les industries agroalimentaires : cest le point sur lequel nous perdons le plus de terrain. Nos industries agroalimentaires sont segmentées, comme malheureusement une grande partie de lindustrie française : dun côté dix grands groupes de taille mondiale, qui réussissent remarquablement bien, et de lautre une myriade de petits groupes de taille insuffisante, incapables dexporter et damortir leur coût de production. Il faut regrouper nos industries agroalimentaires pour avoir des PME plus compétitives, capables dexporter et de garder la valorisation pour elles.
Vous avez parlé du coût de lalimentation animale : cela fait aussi partie des questions de compétitivité. Nous allons travailler dans deux directions. Premièrement, nous allons mettre au point un contrat interfilières entre les filières grandes cultures et les filières animales de façon à les protéger contre la volatilité des prix de lalimentation animale. Cest indispensable. Cest aussi un geste de solidarité entre les filières agricoles. Deuxièmement, je souhaite que nous instaurions très rapidement, dans les semaines qui viennent, un dispositif dindexation sur le coût de lalimentation, qui serait mis en uvre par la grande distribution. Le but est de faire en sorte que lorsque le prix de lalimentation augmente, les prix de vente de la viande bovine, porcine ou de volaille augmentent également pour permettre au producteur de couvrir ses coûts de production. Cest une question de justice et damélioration du revenu des producteurs. Si nous voulons garder les producteurs, il faut assumer le fait que la production de viandes de qualité a un coût, y compris pour le consommateur.
Enfin, il ny a pas de compétitivité sans régulation européenne des marchés. Vous savez, Monsieur Peiro, que je me suis battu depuis deux ans et que je continue à me battre pour la régulation européenne des marchés agricoles. Elle est absolument indispensable. Nous avons déjà obtenu des résultats concrets : le groupe à haut niveau sur le lait, le rétablissement des mesures dintervention sur les marchés. Je souhaite que ce soit le cas pour toutes les filières agricoles, car il est impensable de continuer à laisser nos producteurs agricoles seuls et démunis lorsque les prix seffondrent : cela pourra toujours reproduire car linstabilité est désormais la règle sur les marchés agricoles.
Une Europe qui ne protège pas ses agriculteurs est une Europe qui ne sert à rien.
Une Europe qui ne permet pas de faire remonter les prix lorsquon a la possibilité de le faire est une Europe qui ne sert à rien.
Une Europe qui nest pas capable de tendre la main à des producteurs de lait, étranglés financièrement, notamment les plus jeunes, les plus compétitifs parce que, par idéologie, elle estime quil ne faut pas intervenir sur le marché, ce nest pas lEurope dont nous voulons.
Je voudrais également faire remarquer, sans aucune malice, à M. Germinal Peiro que le plus grand obstacle à la régulation européenne des marchés se trouve plutôt du côté dun ancien candidat socialiste aux élections législatives : je veux parler du directeur général de lorganisation mondiale du commerce Pascal Lamy, qui défend une libéralisation dans le cadre de lOMC, bien peu conforme à la régulation européenne des marchés.
Pour ce qui est de leurocompatibilité, M. Reynès et Diefenbacher lont très bien dit : on ne peut prendre aucun risque sur la question de la compatibilité de cette proposition de loi avec le droit européen. Je vais quitter le terrain politique et tenir un discours un peu plus technique, afin quil ne subsiste aucun doute là-dessus.
Larticle 107 du Traité portant création de lUnion européenne établit sans aucune ambiguïté que sont interdites les aides accordées par les États au moyen de ressources dÉtat, sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence. La jurisprudence précise, notamment dans larrêt Pearle de la Cour de justice des communautés européenne, quune mesure nationale est une aide dÉtat lorsquelle remplit quatre conditions cumulatives.
Premièrement, elle est financée au moyen de ressources dÉtat ou de taxes, et cest bien le cas de votre proposition de loi ;
Deuxièmement, elle confère un avantage concurrentiel, ce qui est précisément le cas de la proposition de loi qui nous donne un avantage concurrentiel sur le coût du travail ;
Troisièmement, elle ne confère un avantage quà certains types de production - en loccurrence le secteur agricole et particulièrement, Michel Raison la très bien dit, les filières fruits et légumes et viticulture, premiers embaucheurs de salariés agricoles permanents, sans aucun bénéfice pour les filières élevage ou laitière ;
Enfin, elle est susceptible daffecter les échanges entre les États membres. Cest aussi le cas de cette proposition de loi.
Ainsi, cette proposition de loi établit très clairement une aide dÉtat permanente non compatible avec le droit européen.
Plusieurs dentre vous ont excipé du cas allemand : je rappelle que sil figure dans le Traité, cest à titre de dérogation. Nos amis allemands ne font quutiliser une clause dérogatoire que nous leur avons accordée. Soyons cohérents et ne rejetons pas la faute sur les uns ou sur les autres. Aux termes du paragraphe 2c de larticle 107, sont compatibles avec le marché intérieur «les aides octroyées à léconomie de certaines régions de la République fédérale dAllemagne affectées par la division de lAllemagne, dans la mesure où elles sont nécessaires pour compenser les désavantages économiques causés par cette division.» Cela est écrit noir sur blanc, et cela a été accepté par le gouvernement français.
Par conséquent, je souhaite que cette disposition garde son caractère dérogatoire et quau moment où elle doit sépuiser, elle ne soit en aucun cas renouvelée. LAllemagne a rétabli sa compétitivité et a réussi, tant mieux, sa réunification ; mais maintenant que sa réunification et le retour de sa compétitivité sont derrière nous, je souhaite que lAllemagne revienne au droit commun. Mais ne soyons pas naïfs, et cest là que lon revient à la question de lharmonisation européenne : on retombe sur le vrai sujet, à savoir labsence de salaire minimum en Allemagne. Cest bien pour cela quil faut défendre une harmonisation sociale européenne car sinon, nous aurons toujours cet écart de compétitivité, clause dérogatoire ou pas.
Il existe malgré tout une solution jurisprudentielle, un petit interstice dans lequel nous pouvons nous glisser pour parvenir à défendre une exonération de charges sur le travail permanent dans lagriculture. Cette solution jurisprudentielle est définie dans larrêt Royaume de Belgique de la CJCE du 17 juin 1999 : «Les cotisations sociales peuvent être fixées en tenant compte pour certains secteurs de la nécessité de maintenir ou de développer lemploi à lexclusion des motifs de compétitivité». Autrement dit, si nous appuyons notre discours non seulement sur la question du travail illégal comme on la fait pour le TO/DE - qui ressort dune logique différente -, mais également sur un argumentaire articulé autour la défense de lemploi, nous pourrons trouver la voie de passage qui rendra notre disposition compatible avec le droit européen. Ce nest pas largumentaire qui a été retenu par Jean Dionis du Séjour dans la proposition de loi : «Le coût élevé du travail agricole en France représente un handicap insoutenable pour la compétitivité de lagriculture française». Sa proposition de loi sest malheureusement placée, je le regrette, sur le mauvais terrain, celui de la compétitivité alors quil aurait fallu se placer sur celui de lemploi pour trouver un espace de compatibilité européenne.
Jai bien écouté largumentaire de notre ami Charles de Courson sur la «taxe poisson», effectivement euro-incompatible. Nous avons eu un nouveau recours contre nous il y a moins dun mois - je le dis au rapporteur pour que les choses soient bien claires et quil comprenne à quel point nous sommes déterminés à rendre cette taxe compatible. Lélément nouveau, cest que les recours contre nous se multiplient sur ce sujet. Je dois reconnaître, pour être tout à fait franc - Charles de Courson et de Jean Dionis du Séjour ont eu lélégance de ne pas le rappeler - quen tant que membre de la commission des Finances, javais moi-même voté la «taxe poisson».
Comme le dit ladage latin errare humanum est, perseverare diabolicum !
Si lon pouvait cesser de persister dans lerreur, cela serait une bonne chose : comme la très bien dit Michel Raison, ce sont les producteurs qui paieront.
Annick Le Loch sait lintérêt que je porte aux pêcheurs. Cest probablement lun des secteurs qui souffre le plus aujourdhui. On en parle moins parce que les pêcheurs sont moins nombreux. Mais ce nest pas parce quils ne sont que 15.000 embarqués sur des bateaux quil faut oublier les difficultés terribles quils traversent actuellement.
Nous trouverons un moyen, notamment avec la grande distribution, de compenser la suppression de la «taxe poisson». Il nest pas question de faire abandonner une ressource financière dont les pêcheurs ont absolument besoin, qui sert à financer les «contrats bleus». Nous devons trouver cette nouvelle ressource.
Mais cette ressource - et pardonnez-moi dinsister lourdement - doit être eurocompatible. On a eu le problème des fruits et légumes, mais nous avons aussi le problème du fonds de prévention des aléas à la pêche et du fonds pêche, que vous connaissez bien. Lorsquil faut aller devant un armateur ou devant les marins pêcheurs, qui touchent entre 600 et 800 euros par mois, et leur expliquer quon vient récupérer une aide dÉtat qui leur a été accordée de manière illégale, vous avez intérêt à vous cramponner au bastingage pour tenir devant eux ! Parce quils sont en colère, et ils ont raison de lêtre.
Je nirai jamais vers des aides qui soient incompatibles avec le droit européen, car ce sont toujours les mêmes qui paient à la fin, les producteurs, les pêcheurs, les plus faibles.
En conclusion, comme la dit Jacques Lamblin, cette proposition dappel doit déboucher sur une solution concrète - le président de la commission qui la excellemment rappelé sera très vigilant sur ce sujet.
Je vous redis mon engagement pour que nous travaillions ensemble sur la base des propositions que présentera Bernard Reynès, qui a travaillé avec le Nouveau Centre à lélaboration dun dispositif dexonérations de charges sur le travail permanent dans lagriculture. Adopté à lautomne prochain, il sera mis en place au 1er janvier 2012. Ce dispositif devra être significatif. Il ne sagit pas de bouger de deux ou trois millimètres, mais de faire en sorte que tous les producteurs, notamment de fruits et légumes, dans le Lot-et-Garonne et ailleurs, constatent quune nouvelle étape a été franchie dans lallégement des charges sur le travail permanent dans les cultures et que le coût du travail a été significativement abaissé pour quils soient aussi compétitifs que leurs voisins allemands. Cest lengagement que je prends. Jai bien conscience que jaurai besoin de chacun dentre vous sur ces bancs pour arriver à obtenir gain de cause à la fin de cette partie.
Je vous indique enfin, Monsieur le Président, quen application de larticle 96 du règlement de lAssemblée nationale, le gouvernement demande la réserve du vote sur les articles et les amendements en discussion.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 avril 2011