Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, dans "Isto E Dinheiro", le 16 avril 2011, sur les convergences de vue entre le Brésil et la France sur la nécessaire réorganisation de l'agriculture au niveau mondial.

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Média : Isto é dinheiro

Texte intégral

Q - Quelle est la proposition commune que le Brésil et la France doivent présenter au G20 ?
R - Nous avons une idée commune, et j’ai pu le constater lors de mon entretien avec mon homologue brésilien, M. Wagner Rossi. Le Brésil et la France sont sur la même longueur d’onde quant au besoin d’une réorganisation de l’agriculture au niveau mondial. Le Brésil et la France veulent tous deux plus de transparence sur les stocks, une meilleure coordination entre les membres du G20, un plus grand soutien aux pays en développement et une plus grande régulation des marchés financiers touchant les matières premières agricoles.
Q - En quoi consiste cette régulation du marché financier ?
R - Il s’agit bien de régulation, pas d’un contrôle des prix. Nous sommes opposés aux prix administrés. Et nous nous réjouissons lorsque les prix sont à la hausse parce que cela veut dire une bonne rémunération pour les agriculteurs. Mais aujourd’hui il y a une part de la hausse des prix qui est due à la spéculation sur le marché, et c’est cela que l’on doit réguler.
Q - À d’autres occasions, vous-même et le président Nicolas Sarkozy aviez parlé de contrôle, et le gouvernement brésilien s’y était opposé parce qu’il estimait qu’il s’agissait d’une interférence sur les prix. Cette divergence est-elle réglée à présent ?
R - C’est vrai, il y avait une incompréhension, et la raison de mon voyage est de défaire ce malentendu. Dans le passé, l’Union européenne a essayé de contrôler les prix et cela n’a pas fonctionné. Ce que nous voulons éviter, et sur ce point nous sommes d’accord avec le gouvernement brésilien, c’est la volatilité excessive des cours, car elle est source d’instabilité chez les exploitants.
Q - Actuellement, on observe que cette volatilité est plus faible et que les prix restent élevés, ce qui est bon pour les pays exportateurs, et mauvais pour les importateurs. Comment faire en sorte que ces différents intérêts soient compatibles dans le cadre du G20 ?
R - Le Brésil est un grand exportateur. Tandis que le Brésil exporte vers le marché européen 20 milliards de dollars en produits agricoles, l’Europe exporte vers le Brésil 2 milliards de dollars, soit un dixième (si l’on prend en compte les produits manufacturés, le Brésil a exporté 43 milliards de dollars vers l’Union européenne en 2010, et a importé 39 milliards de dollars. NDR). Je crois que l’équilibre entre pays exportateurs et importateurs demande un minimum de stabilité et de prévisibilité. C’est ce que nous souhaitons construire dans le cadre du G20. Nous ne défendons pas les prix bas, ce qui serait mauvais tant pour les producteurs brésiliens que français. Dans les exportations brésiliennes, les produits agricoles représentent 72 milliards de dollars. La France exporte beaucoup elle aussi, 13 milliards de dollars. Ce que nous voulons, ce ne sont pas des prix bas, c’est éviter l’effet yoyo.
Q - De quelle manière la régulation peut-elle permettre de l’éviter ?
R - Le premier point, et il est d’une importance majeure, c’est la transparence des stocks. Les marchés ont des réactions exagérées justement parce qu’on ne sait pas quelle sont les stocks existants. Sur ce plan, le Brésil est un exemple à suivre parce c’est un des pays les plus transparents en matière de stocks. Le deuxième élément, c’est la mise en place d’un mécanisme de coordination et d’alerte rapide, dans le cadre de la FAO. Par exemple, si la Russie décidait de suspendre l’exportation de blé, les autres pays pourraient se réunir rapidement et prendre une décision afin de subvenir à leur approvisionnement. Le troisième élément majeur est l’aide aux pays en développement. Il faut augmenter la capacité de stockage régional et limiter les restrictions aux exportations pour les pays en développement afin d’éviter qu’ils ne soient affectés en cas de changements du marché. Il s’agirait d’un mécanisme volontaire, d’un engagement politique entre les membres du G20. Et la quatrième priorité, c’est la régulation des marchés. Nous souhaitons présenter un accord pour l’augmentation de la production mondiale à la réunion du G20 en juin.
Q - Où y a-t-il de l’espace pour augmenter la production ? En Afrique ? Dans d’autres régions ?
R - Les grands exploitants ont à la fois l’obligation d’augmenter leur production et de respecter l’environnement, d’alterner les terres, etc. Mais nous avons aussi la responsabilité de développer une agriculture autonome dans les pays en développement, notamment en Afrique. Sur ce point également, le Brésil et la France sont d’accord.
Q - Pensez-vous qu’un accord sera trouvé sur ces points d’ici à la réunion de juin ?
R - Je crois que d’ici là les membres du G20 seront arrivés à un consensus. Il reste beaucoup de travail à faire, il faut convaincre certains membres du groupe. Je vais m’y attacher entièrement jusqu’à la réunion. Il est de notre responsabilité de trouver des solutions concrètes. Je vais également me rendre aux Etats-Unis et en Chine.
Q - Pensez-vous avoir l’accord du Brésil sur ces propositions ?
R - M. Wagner Rossi me l’a assuré.
Q - Quel poids la Chine exerce-t-elle sur le marché agricole mondial ?
R - La Chine a un problème bien particulier, et il faut en tenir compte, qui est d’alimenter 1,2 milliard d’habitants. C’est la préoccupation première de la Chine, et c’est légitime. Mon objectif, c’est de faire prendre conscience à nos partenaires chinois que c’est pour eux une manière d’obtenir leur propre sécurité alimentaire.
Q - On a souvent dit que la hausse des prix ayant précédé la crise financière de 2008 était due à la croissance chinoise. Partagez-vous ce point de vue ? En quoi la situation a-t-elle évolué depuis ?
R - Je ne crois que la Chine soit responsable de la hausse des prix. C’est un problème mondial. Nous faisons face à une population mondiale qui augmente et dont les habitudes alimentaires changent vite. Tous les spécialistes sont d’accord pour dire qu’il faut augmenter la production mondiale. Il y a dix ans, la production augmentait de 3 % par an : il y avait alors un problème de distribution, mais pas de production. Aujourd’hui la production augmente de 1,5 % par an. Il manque des terres, les agriculteurs rejoignent les villes, le rendement n’est plus le même qu’avant. Le résultat, c’est l’apparition de très fortes tensions sur ces marchés, et cela va durer. Raison de plus pour que nous ayons une meilleure organisation des marchés agricoles. Il n’est pas concevable qu’un marché aussi stratégique soit aujourd’hui aussi mal structuré. Il est de notre responsabilité à tous de travailler pour mieux l’organiser. Je ne peux prévoir ce qui arrivera au cours des années à venir, mais des spécialistes disent que ces marchés doivent continuer de croître. Ma responsabilité, en tant qu’homme politique, ce n’est pas de faire de fausses promesses, mais de créer des outils permettant de faire face à cette expansion. Nous devons anticiper les mesures à prendre.
Q - Les agriculteurs brésiliens se plaignent que la France et d’autres pays européens imposent des exigences phytosanitaires cachant en fait des barrières à l’accès au marché européen. Selon vous, cette situation doit-elle changer au cours des années à venir.
R - J’aimerais qu’on en finisse avec certaines idées reçues. La France n’est pas protectionniste. La France ne dresse pas de barrières à l’importation de produits du Brésil ou d’autres pays. Les chiffres de l’importation provenant du Brésil en sont une preuve. Ce que nous défendons, c’est le principe de réciprocité. Les exigences que je pose à mes éleveurs, à mes producteurs de lait, je les pose aussi aux exportateurs. Cette réciprocité est importante non seulement pour les producteurs français, mais aussi pour les consommateurs français.
Q - Les producteurs brésiliens se plaignent de ces règles et également des aides accordées par le gouvernement français.
R - Là aussi, il faut faire attention car il peut y avoir un certain préjugé. L’Union européenne ne verse pas d’aides financières directes aux revenus de ses agriculteurs. Cette politique évolue. Des aides sont accordées pour le respect de l’environnement, pour l’aménagement du territoire en matière agricole et dans le domaine de la sécurité sanitaire. La France est un pays ouvert à condition que l’on respecte les règles.
Q - Le Brésil et la France ont suivi des chemins opposés dans le domaine des OGM. Estimez-vous que la position prise par le Brésil lui fasse gagner ou perdre un marché en Europe ?
R - La question des OGM n’est pas simplement d’ordre économique. Elle passe également par une vision de la société, par une vision politique. Je respecte pleinement les choix faits par le gouvernement brésilien et j’attends en retour que les choix faits par les gouvernements européens le soient aussi. Et sur le seul plan économique, il est très difficile de savoir quels sont les bénéfices.
Q - Mais cette prise de position du Brésil ne lui fait-elle par perdre un marché en Europe ?
R - La réalité, c’est que les consommateurs européens ne veulent pas d’OGM, et c’est une réalité qui durera longtemps.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 avril 2011