Interview de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, à LCI le 20 avril 2011, sur les effectifs et les suppressions de postes dans la fonction publique, notamment dans l'enseignement.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


 
 
CHRISTOPHE BARBIER Colère de l’enseignement catholique contre les 1 500 suppressions de postes qui le concerne sur 136 000 postes de cet enseignement. Allez-vous recevoir les dirigeants de cet enseignement ? Allez-vous négocier ?
 
LUC CHATEL J’ai reçu à plusieurs reprises les dirigeants de l’enseignement catholique comme je reçois l’ensemble des organisations syndicales et des représentants de l’éducation nationale.
 
CHRISTOPHE BARBIER Mais là ils sont en colère.
 
LUC CHATEL Ils sont en colère mais, vous savez, l’enseignement catholique, l’enseignement privé sous contrat (élargissons à l’ensemble de l’enseignement privé) représente 20 % de l’enseignement. Il est partie intégrante du service public de l’éducation. 20 %, ça veut dire 20 % des moyens, ça veut dire 20 % des postes et ça veut dire 20 % des retraits de postes quand il y a des retraits de postes. Si j’avais appliqué cette règle à la lettre, 16 000 suppressions de postes cette année, il y aurait eu 3 200 suppressions de postes dans l’enseignement privé sous contrat.
 
CHRISTOPHE BARBIER Oui mais c’est un enseignement très dynamique. Les gens veulent y mettre leurs enfants, ils en refusent 40 000 par an, des enfants.
 
LUC CHATEL Oui, mais c’est pour ça – je termine mon propos : nous n’avons pas supprimé 3 200 postes. Nous avons tenu compte des spécificités de l’enseignement privé sous contrat, en particulier l’enseignement catholique, le fait qu’il n’y a pas par exemple de professeur titulaire remplaçant, le fait que tous les professeurs sont bien devant les élèves. Il n’y a pas certains postes qui existent dans l’enseignement catholique, nous les avons déduits, et à la fin ce n’est pas 3 200 postes qui vont être retirés à l’enseignement catholique mais c’est 1 533, ça veut dire moins de 10 % de l’effort. Je considère qu’on a pris en compte la spécificité de l’enseignement catholique mais il doit participer et il le fait d’ailleurs, à l’effort que nous menons qui est un effort important pour nos finances publiques que Nicolas SARKOZY avait annoncé.
 
CHRISTOPHE BARBIER Alors comme l’ont déjà évoqué Georges TRON et Claude GUÉANT, est-ce qu’en 2012 on arrêtera avec cette règle du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite, c'est-à-dire dès la loi de finance de l’automne ?
 
LUC CHATEL Écoutez, j’ai la faiblesse de penser que ce n’est pas à Georges TRON, à Claude GUÉANT ou à moi-même de décider cela.
 
CHRISTOPHE BARBIER Vous avez un avis, vous êtes un gros employeur.
 
LUC CHATEL J’ai un avis mais Nicolas SARKOZY s’était engagé en 2007 devant les Français. Il avait dit : « Compte tenu de l’état des finances publiques, je souhaite moins de fonctionnaires mieux rémunérés ». C’est ce que nous avons fait, c’est ce que nous avons engagé et il avait indiqué qu’il ferait ça pendant son quinquennat. Je note d’ailleurs que la loi de finances triennale qui a été adoptée jusqu’en 2013 prévoit le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux.
 
CHRISTOPHE BARBIER Vous conseillez donc au président de maintenir le cap et de ne pas écouter les sirènes électorales.
 
LUC CHATEL Nous verrons. Moi j’applique aujourd'hui une décision qui a été prise depuis longtemps, qui me permet par exemple cette année de revaloriser les enseignants de plus de 10 % en début de carrière. N’oublions pas que les économies que nous réalisons en ne remplaçant pas la moitié des fonctionnaires qui partent en retraite, nous en redistribuons la moitié pour le pouvoir d’achat : 10 % d’augmentation en début de carrière des enseignants, mais quel est le pays au monde qui a augmenté ses professeurs de 10 % en début de carrière ? Il n’y en a pas d’autre : c’est la France.
 
CHRISTOPHE BARBIER Et néanmoins, le salaire des fonctionnaires sera gelé encore en 2012 sur le point d’indice même s’il y a des primes, même s’il y a des heures sup. Il y aura quand même de la perte, notamment sur les retraites.
 
LUC CHATEL Non. C’est très important d’expliquer à vos téléspectateurs comment ça marche. D’abord le pouvoir d’achat des fonctionnaires, je rappelle qu’il a augmenté de 3,7 % en 2009 et de 3,5 % en 2010. Je ne sais pas s’il y a d’autres catégories de Français qui ont vu leur pouvoir d’achat augmenter dans cette période de manière aussi forte : 3,5 % l’année dernière. Comment augmente le pouvoir d’achat des fonctionnaires ? Par trois moyens. Il y a l’indice, il y a les mesures catégorielles et il y a les mesures individuelles. Ce que nous bloquons aujourd'hui, c’est le point d’indice, mais il y aura toujours cette année des mesures individuelles et des mesures catégorielles qui feront que les estimations que nous avons du ministère de la fonction publique, font que cette année le pouvoir d’achat moyen par fonctionnaire devrait augmenter de 3,2 %. 3,2 %, 1,8 d’inflation : vous voyez que c’est une vraie progression.
 
CHRISTOPHE BARBIER C'est-à-dire que vous faites basculer le système fonction publique vers la rémunération au mérite.
 
LUC CHATEL Oui. Ça veut dire que nous travaillons vers une individualisation plus forte. C’est attendu de la part des agents de la fonction publique. L’individualisation, la reconnaissance du travail, la reconnaissance du mérite plutôt qu’un système qui ne reconnaît pas l’engagement individuel et qui distribue de manière égalitariste les ressources de l’État.
 
CHRISTOPHE BARBIER Le discours du gouvernement se durcit quant à l’immigration notamment clandestine. Est-ce que vous l’appliquerez à l’école ? C'est-à-dire est-ce que les expulsions d’enfants scolarisés seront facilitées ?
 
LUC CHATEL Nous avons une règle que nous appliquons à l’école qui existe depuis longtemps. C’est que tous les enfants sont accueillis à l’école quelle que soit la situation de leurs parents. Maintenant, le fait d’avoir des enfants à l’école n’influe pas sur le traitement juridique ou judiciaire du dossier de leurs parents. C’est le principe que nous appliquons…
 
CHRISTOPHE BARBIER Donc on expulse les enfants avec les parents quand ils sont expulsés.
 
LUC CHATEL Lorsqu’il y a décisions d’éloignement, qu’elles sont prises par les autorités judiciaires, à ce moment-là il peut y avoir éloignement de l’ensemble de la famille mais l’école de la République accueille tous les enfants.
 
CHRISTOPHE BARBIER Soutenez-vous la candidature de Jack LANG, l’un de vos prédécesseurs, pour le poste de défenseur des droits ou est-ce que c’est un choix trop à gauche ?
 
LUC CHATEL Non, je n’ai pas à soutenir telle ou telle candidature. Ce que je note… Ce que je note…
 
CHRISTOPHE BARBIER Il ferait un bon candidat. Quand on a été ministre de l’Éducation, on sait défendre les droits.
 
LUC CHATEL Jack LANG a un certain nombre de qualités qu’il a montrées à travers les années où il a exercé des responsabilités mais ce n’est pas à moi de décider : c’est au président de la République. Ce que je note, c’est que la création du défenseur des droits est une avancée considérable. C’est une très bonne illustration de la politique qu’a voulu mettre en place Nicolas SARKOZY de rééquilibrage des pouvoirs dans notre pays.
 
CHRISTOPHE BARBIER Allons vers l’ouverture alors, ça complète bien.
 
LUC CHATEL Écoutez, c’est au président de la République de décider, ce n’est pas à moi.
 
CHRISTOPHE BARBIER Nicolas SARKOZY ne cède pas sur la prime de 1 000 euros pour les salariés des entreprises où les dividendes ont augmenté. Est-ce que ce n’est pas un marché de dupes ? Il y aura très peu d’entreprises concernées.
 
LUC CHATEL Non, ce n’est pas un marché de dupes. Si vous voulez, il y a deux ans nous avons dit aux partenaires sociaux : « Nous voulons que vous travailliez, vous les partenaires sociaux, le patronat, les syndicats, sur ce qu’on appelle le partage de la valeur, la répartition des richesses ». Ça fait deux ans et on ne peut pas dire qu’il se soit passé grand-chose. Donc il y a un moment où il faut prendre ses responsabilités, surtout que nous sortons d’une crise difficile. Les salariés ont été mis à contribution donc c’est normal qu’à un moment, si la croissance repart – et tant mieux – si les entreprises se remettent à faire des bénéfices et c’est tant mieux, eh bien c’est normal que les salariés bénéficient des fruits de cette croissance.
 
CHRISTOPHE BARBIER Et tant pis pour la compétitivité des entreprises.
 
LUC CHATEL Non. C’est à travailler – le président de la République l’a dit – c’est à travailler avec les entreprises. Simplement le principe doit être acté. L’idée c’est que quand il y a une entreprise qui voit ses bénéfices augmenter et ses dividendes versés augmenter, eh bien il y a un geste qui soit fait vis-à-vis des salariés.
 
CHRISTOPHE BARBIER Alors il y a un moyen plus simple d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés, c’est la solution Ségolène ROYAL : on bloque les prix de l’essence, on bloque les prix de 50 produits alimentaires. Êtes-vous favorable ?
 
LUC CHATEL Tout cela est très sympathique. Écoutez, j’ai été secrétaire d’État à la consommation, j’aimerais que madame ROYAL m’explique comment elle va faire par exemple avec ses producteurs du Poitou en leur expliquant que les prix des matières premières qui sont produites dans leur département explosent sur les marchés internationaux et que les prix auxquels ils vont vendre vont être bloqués. Ça veut dire qu’elle va dire à ses producteurs : « L’État bloque les prix donc vous allez vendre à perte » ou alors on va rembourser aux producteurs. C’est absurde !
 
CHRISTOPHE BARBIER On va les subventionner un peu, on va les aider.
 
LUC CHATEL C’est absurde ! D’abord ce ne serait pas communautaire et ensuite, c’est absurde. Nous avons aujourd'hui un marché ouvert. Ce qu’il faut c’est renforcer la concurrence, ce que j’ai fait quand j’étais secrétaire d’État à la consommation. Nous avons renforcé la concurrence dans le domaine des relations entre distributeurs et producteurs. Ça a permis à l’époque où les prix augmentaient d’empêcher qu’ils continuent à évoluer. Deuxième élément : il faut mener une politique ciblée d’accompagnement de hausses, ce que fait le gouvernement.
 
CHRISTOPHE BARBIER Alors l’accompagnement de la hausse sur EDF, on laisse EDF vendre à 42 euros le mégawatheure, c'est-à-dire qu’on augmente les prix.
 
LUC CHATEL Sur ces sujets, il faut être responsable. Les Français doivent savoir qu’ils payent depuis très longtemps un prix de l’électricité, allez !, anormalement bas par rapport à ce qui se passe au niveau international.
 
CHRISTOPHE BARBIER Donc ça va augmenter.
 
LUC CHATEL Deuxièmement, il faut rappeler que l’énergie nucléaire coûte moins cher que les autres formes d’énergie, donc on ne peut pas à longueur de journée nous expliquer qu’il faut sortir du nucléaire, qu’il faut créer des énergies alternatives, et ne pas assumer le fait que l’énergie va mécaniquement augmenter. Donc être un responsable politique, c’est dire la vérité aux Français, de leur dire : « Oui, le prix de l’énergie a vocation à augmenter dans notre pays ».
 
CHRISTOPHE BARBIER La photo d’un crucifix plongé dans de l’urine, c’est une oeuvre d’art ou c’est un blasphème ?
 
LUC CHATEL Non, je considère qu’il faut accepter la liberté de création quelle qu’elle soit, même quand elle dérange, surtout quand elle dérange.
 
CHRISTOPHE BARBIER Luc CHATEL, merci. Bonne journée.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 26 avril 2011