Texte intégral
Le projet de loi qui vous est soumis répond à lobligation de révision prévue par la loi de bioéthique de 2004.
La France sest progressivement dotée dune législation conséquente pour garantir le respect des valeurs fondamentales dans les applications biomédicales, notamment :
* Le respect de la dignité humaine,
* Lindisponibilité et linviolabilité du corps humain,
* Le refus de la marchandisation,
* Lanonymat du don.
Pour établir son projet, le Gouvernement a disposé de multiples travaux et avis dinstances. Les Etats généraux de la bioéthique ont donné la parole aux citoyens.
LAssemblée Nationale avait modifié sur certains points le projet déposé par le Gouvernement.
La Commission des affaires sociales du Sénat est revenue sur certains de ces points et a fait dautres propositions au terme de débats de grande qualité et je tiens à saluer le travail de très grande qualité de votre commission et de son rapporteur qui a permis de débattre avec justesse et profondeur sur les grands enjeux de ce texte.
Il revient maintenant à votre Assemblée dexaminer ce texte et de se prononcer sur ces questions sensibles et complexes de la bioéthique qui touchent à lindividu et à la société, à lintime et au vouloir vivre ensemble.
Le Gouvernement sera bien évidemment très attentif à vos échanges.
Le projet de loi précise et complète la législation actuelle dans quatre grands domaines :
* La génétique,
* Le diagnostic prénatal,
* LAMP,
* Les recherches sur lembryon.
Avant de vous laisser la parole, je tiens à souligner les enjeux associés à quatre questions particulièrement sensibles de ce projet de loi :
* La clause de révision ;
* La levée de lanonymat
* Laccès à lAMP, avec la GPA et le transfert post mortem,
* Les recherches sur lembryon.
La clause de révision, tout dabord, le projet de loi la supprime. Il faut bien sûr exercer toute la vigilance nécessaire à légard des avancées biomédicales, et apporter des réponses aux nouvelles attentes de la société.
Mais une clause de révision périodique nest pas le seul moyen dy parvenir. Réviser les lois de bioéthique tous les cinq ans présente de sérieux inconvénients, en particulier :
* Cela expose le législateur au manque de réactivité face à de nouvelles menaces ;
* Cela bloque tous les ajustements, utiles et nécessaires, qui se trouvent différés à léchéance de la révision ;
* Cela nécessite une procédure lourde, qui aboutit dans les faits à allonger sensiblement les délais prévus ;
* Cela tend à radicaliser les positions des uns et des autres, alors que la bioéthique nécessite au contraire de cheminer sereinement vers de justes compromis.
De plus, les lois de bioéthique constituent aujourdhui un socle juridique abouti et équilibré, qui ne nécessite plus de remise en chantier récurrente.
Enfin, le projet de loi prévoit dorganiser une procédure de veille et de suivi, et dorganiser des débats publics autour des questions soulevées. Le Parlement disposera ainsi de tous les éléments déclairage pour proposer, le cas échéant, des ajustements et des novations, avec toute la fluidité requise.
Une clause de révision figerait, à linverse toute adaptation et toute évolution des textes. Sa suppression est pleinement justifiée.
La levée de lanonymat, cest assurément une question délicate. Le projet initial du Gouvernement comportait une mesure de levée de lanonymat.
Le dispositif prévu visait à assurer léquilibre des intérêts de toutes les parties : lenfant issu dune AMP avec tiers donneur, le donneur de gamètes et les parents de lenfant. Lenfant pouvait accéder à lidentité du donneur, à sa majorité, sous réserve du consentement de ce dernier.
LAssemblée Nationale avait supprimé ces dispositions.
La commission les a rétablies.
Les positions sont très partagées sur cette question difficile. Le droit de lenfant à connaître ses origines a été rappelé.
Ce nest pas une mauvaise chose que le débat se poursuive en séance publique.
Pour ma part, je suis sensible aux risques de la levée de lanonymat. Toutes les options en comportent, notamment limportance donnée au biologique. Cela nest pas conforme à ma conception de la parentalité et de léquilibre de la famille.
Je note par ailleurs que le dispositif voté en Commission ne prévoit pas de consentement du donneur pour la levée de lanonymat puisque le consentement est implicite pour le donneur.
Quel sera limpact sur les dons de gamètes ? Et sur les parents ? Ne seront-ils pas tentés de taire aux enfants leur mode de conception ?
Par ailleurs, les enfants nés avant 2014 seraient exclus du bénéfice de la mesure. Pour remédier à la souffrance des uns, on risque dattiser celle des autres.
La gestation pour autrui et le transfert post mortem :
Avec la GPA, il sagit là aussi de supprimer une cause de souffrance individuelle. Il ne sagit pas de nimporte quelle souffrance, celle qui est en jeu, cest de ne pas pouvoir donner la vie. Les progrès remarquables de lAMP ont permis de remédier à de multiples causes de stérilité. Les personnes qui ne peuvent malheureusement pas en bénéficier sont confrontées à une souffrance dautant plus difficile à accepter.
Vous savez que, néanmoins, le Gouvernement est résolument opposé à la légalisation de la GPA pour trois raisons essentielles :
* La GPA est incompatible avec le respect de la dignité humaine ;
* La GPA porte atteinte au principe dindisponibilité du corps humain ;
* La GPA ouvre inéluctablement la voie à la marchandisation du corps humain.
Il sagit denjeux particulièrement lourds que je vous demande solennellement de bien peser.
Autoriser la GPA ouvrirait une brèche dangereuse, et fragiliserait le socle même de notre législation de bioéthique. Cest une pente assurément glissante. Si cette mesure était adoptée, des voix ne manqueraient pas de sélever demain pour autoriser la rémunération des mères porteuses, au motif dencadrer des pratiques de fait. Peut-on en effet raisonnablement croire quau-delà de quelques personnes remarquablement altruistes, les femmes qui accepteront de porter un enfant pour le compte dautrui ne se feront pas rémunérer ?
Peut-on accepter quun enfant à naître fasse lobjet de transactions, quil soit cédé à sa naissance par la femme qui la porté ?
La question en définitive est la suivante :
Devons-nous, parce quune technique est disponible, et parce quelle fait lobjet dune demande sociale, y faire nécessairement droit ? Devons nous renoncer à fixer des limites ? Les aspirations individuelles doivent-elles être satisfaites quelles quen soient les conséquences pour la société et les valeurs qui la soudent ?
Il en est de même du transfert des embryons post mortem. Toute souffrance mérite dêtre entendue, accompagnée, et soulagée dans la mesure du possible.
Mais la souffrance ne peut être créatrice de droits. Dans le cas du transfert post mortem, la souffrance de la veuve est à mettre en balance avec celle de lenfant, délibérément privé de père. La vocation de la loi doit rester de protéger les plus vulnérables.
Les dons dorganes ont également été lobjet dune réflexion qui a progressivement évolué.
Il existe, vous le savez, une pénurie préoccupante en organes pouvant être greffés. Pourtant, les techniques chirurgicales et les traitements anti-rejet ont fait la preuve de leur efficacité. De même, la qualité de vie des patients qui ont bénéficié dune greffe sest incomparablement améliorée.
Or, depuis 2004, le nombre de greffes na que très faiblement augmenté (de 3900 à 4600), avec un nombre très réduit et stable de donneurs vivants (213 en 2004, 235 en 2009).
Tant lagence de biomédecine que le Conseil dÉtat, dans son rapport davril 2009, avaient insisté sur le fait que cette pratique du don croisé dorganes devait être rigoureusement encadrée, dans la mesure où elle rompt le lien direct entre le donneur et le receveur, en élargissant le cercle des donneurs. Il était impératif dempêcher toute possibilité de pression quelconque sur le donneur (je pense aux dons en retour, au danger de marchandisation du corps humain).
Le texte de loi présente une avancée significative : car il prévoit la possibilité dorganiser la pratique de dons croisés entre donneurs vivants en ne réservant donc plus ce type de greffes à la seule parentèle proche, mais en assurant un encadrement renforcé de ce type de prélèvement.
Ces dispositions sont de nature à augmenter de 25% à 50% le nombre de greffes, cela concernerait 50 à 100 greffes par an.
Toutefois, les donneurs vivants en 2009 ont représenté moins de 8% des donneurs au total et représentent en fait un complément aux dons post mortem.
Il sagit donc de tout faire pour augmenter le nombre de dons post mortem qui est une procédure délicate. Il convient de mieux accompagner les équipes hospitalières dans un moment éprouvant pour les proches afin de développer la confiance à légard de dispositifs de greffes dorganes et daugmenter ainsi les dons.
Pour ce qui concerne la question de lexclusion des personnes homosexuelles du don dorganes et de sang la question a été débattue en Commission, je souhaite revenir sur ce point : Lors la discussion du projet de la semaine dernière en commission des affaires sociales, un amendement précisant que « nul ne pouvait être exclu du don en raison de son orientation sexuelle » a été débattu. Mappuyant sur lexemple du don de sang, jai notamment évoqué le fait que si des hommes ayant des relations avec des hommes se voyaient écartés du don, il ne sagissait pas dexclusion mais de contre-indication, qui sexpliquait par un risque sanitaire avéré.
Mes propos visaient à rappeler que les homosexuels masculins sont parmi les premières victimes du VIH-SIDA avec un nombre de nouvelles infections VIH environ 200 fois supérieur à celui de la population française. Ce sont des données statistiques produites par linstitut de veille sanitaire. Mais cest bien la notion de comportements ou de situations « à risques » qui doit être prise en compte comme facteur dexposition au risque du VIH et non pas, évidemment, le fait dêtre homosexuel.
Pour moi, il ne sagissait aucunement de stigmatiser lhomosexualité et je regrette que mes propos aient pu blesser
Aujourdhui cette polémique me peine profondément, car elle ne reflète en rien mes opinions personnelles. Celles-ci ont largement été nourries pendant près de 20 ans, par les moments partagés avec les patients infectés malades, que jai pu suivre et soigner et avec les associations aux côtés desquelles je me suis engagée.
Maccuser aujourdhui dhomophobie est très loin de mon état desprit et je trouverai cette accusation particulièrement offensante.
Sagissant des recherches sur lembryon, enfin : le projet qui vous est soumis les pérennise. Cest un point essentiel.
En revanche, la commission a souhaité passer du régime dinterdiction assorti de dérogations à un régime dautorisation dans un cadre strict.
Le Gouvernement souhaite maintenir le régime dinterdiction actuel assorti de dérogations.
Cest un choix de continuité avec les lois de 1994 et de 2004, et de cohérence avec lensemble des dispositions relatives à lembryon qui visent à garantir la protection de lembryon.
Cest refuser de considérer que les embryons surnuméraires ont vocation à entrer dans la recherche, tout en autorisant des recherches si leur finalité le justifie mais seulement dans le cadre de dérogations strictes.
La recherche sur lembryon nest pas une recherche comme les autres parce quelle touche à lorigine de la vie.
Je tiens à souligner que le bilan de lABM montre que ce régime juridique de lembryon na pas pénalisé la recherche française. Il ny a donc pas de raison den changer et dopter pour un régime dautorisation encadré.
Cela peut sembler symbolique mais dans le domaine si sensible du respect de lembryon et de la vie humaine dès son commencement, les symboles ont leur importance.
Certains proposent de distinguer les recherches sur lembryon des recherches sur les cellules souches embryonnaires, et de faire bénéficier ces dernières dun régime dautorisation.
Cette proposition peut paraître séduisante, mais à lexamen, elle nest ni justifiée, ni pertinente.
Elle nest pas justifiée, parce que le prélèvement de cellules souches embryonnaires aboutit à détruire lembryon ; on ne peut donc mettre en place ce régime dautorisation sans remettre en cause la protection due à lembryon.
Elle nest pas non plus pertinente, parce que quelle alimente la défiance vis-à-vis des recherches sur lembryon in toto ; or, certaines de ces recherches, par exemple sur lembryogenèse, sont porteuses de progrès médicaux décisifs, et menées par des équipes renommées.
Au total, il ny a pas lieu de modifier le régime instauré en 2004 qui a permis de concilier le haut degré de protection accordé à lembryon avec une qualité de la recherche internationalement reconnue.
Tels sont les points, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, quil ma paru important de souligner.
Il vous revient dexaminer à nouveau ces propositions.
Je ne doute pas quau-delà de positions partisanes, le débat permettra dapprofondir lensemble des enjeux de ce texte.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.sante.gouv.fr, le 6 avril 2011