Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Depuis des années, par ma pratique professionnelle, j'ai été confrontée à la détresse de nombreuses personnes qui perdent leur capacité d'autonomie quand des incapacités viennent se surajouter à l'âge.
C'est avec émotion que j'aborde comme Secrétaire d'Etat aux personnes âgées l'examen et le débat de cette loi ici au Sénat. J'y vois l'aboutissement d'une démarche collective dans laquelle de très nombreuses personnes âgées placent leur espoir, mais aussi tant de professionnels aux côtés desquels je suis engagée depuis bien longtemps.
C'est d'eux aujourd'hui que je me sens solidaire. Ils sont très nombreux en France à attendre le résultat de nos travaux et de nos débats.
L'enjeu de l'allocation personnalisée d'autonomie concerne d'abord les centaines de milliers de personnes âgées qui , en raison de leurs handicaps, sollicitent l'aide d'autrui pour effectuer les gestes les plus essentiels de la vie.
Mais il s'agit aussi de leur conjoint, de leurs proches, de leur famille, qui se sentent souvent tellement coupables de ne pas savoir ou de ne pas pouvoir répondre convenablement aux besoins manifestés.
Il s'agit enfin de tous les professionnels, à domicile ou en établissement, qui regrettent de ne pas avoir les moyens d'être à la hauteur des situations auxquelles ils sont confrontés, parce qu'ils ne sont pas assez nombreux ou parce qu'ils manquent de formation et de qualification.
A tous, cette loi apporte, j'en suis convaincue, des réponses positives en fournissant des moyens, de la formation, des perspectives résolument modernes et innovantes. Mais à tous elle apporte avant tout un retour à la dignité, une exigence de dignité ; et c'est cela à mes yeux l'essentiel.
J'aimerais vous dire la dignité perdue de ce vieux professeur d'université, âgé de 80 ans, que sa fille ne peut plus garder chez elle, sans intimité parce que la porte de sa chambre en institution est laissée constamment ouverte.
J'aimerais vous dire la honte ressentie par cette vieille femme qui n'ose plus sortir de chez elle tant elle craint que les vicissitudes de l'incontinence la surprennent dans un lieu public.
J'aimerais vous dire l'émotion de cette femme qui m'écrit qu'elle n'arrive plus à faire elle-même sa propre toilette et qui éprouve une gêne incommensurable quand elle voit débarquer un jeune homme, manifestement impréparé, envoyé comme aide à domicile.
J'aimerais vous dire le sentiment d'indignité éprouvée par cette jeune infirmière, tout juste sortie de ses études, qui constate un comportement de maltraitance à l'égard d'un vieillard tout à fait grabataire et qui finit par ne plus savoir si c'est normal ou pas.
Je pourrais poursuivre ainsi longtemps. Si j'évoque ces situations devant vous, ce n'est pas pour mettre en cause des professionnels ou des institutions le plus souvent compétents. C'est au contraire pour souligner la complexité de l'accompagnement des personnes âgées, la difficulté de leur mission et la nécessité de les aider, de les soutenir pour qu'à leur tour, ils puissent soutenir ceux qui ont besoin d'eux. Depuis des années, j'entends ces femmes et ces hommes qui accompagnent les personnes âgées en perte d'autonomie ; je suis intimement persuadée que c'est un des métiers les plus difficiles, parce qu'il nous confronte à la fin de la vie, à la vieillesse, à la mort.
Au delà de la survenance de maladies ou d'incapacités, c'est l'isolement qui génère ou accélère la perte d'autonomie. Le décès du conjoint, l'éloignement des enfants constituent souvent les facteurs qui déclenchent l'hébergement en institution. On le sait, les personnes âgées lourdement handicapées peuvent rester à domicile lorsqu'elles sont entourées. Mais la solitude peut aussi se rencontrer dans les institutions, lorsqu'il n'existe ni projet de vie individuel, ni projet collectif, et pas les personnels qualifiés nécessaires en matière d'accompagnement, de soutien psychologique, de mobilisation et de rééducation.
Nous partageons tous un même constat : la situation faite à trop de personnes âgées dépendantes dans notre pays, comme à leur famille, n'est pas à la hauteur d'une grande nation comme la nôtre.
Elisabeth GUIGOU vient d'exposer les réponses qu'apporte la loi à ce grand défi.
Je veux insister pour ma part sur trois ambitions de cette loi: restaurer la dignité ; développer la modernisation des prises en charge ; organiser la conjonction entre solidarité nationale et solidarité locale.
Première ambition, restaurer la dignité
La dignité est toujours mieux garantie quand elle peut s'appuyer sur un droit. C'est pour cela que nous vous présentons aujourd'hui la création d'un droit objectif universel, qui n'est en rien une prestation subsidiaire, une prestation d'aide sociale.
Votre assemblée, qui a si souvent critiqué les effets pervers des prestations délivrées sous un seuil de ressources jugé trop bas, est certainement sensible au souci d'universalité qui caractérise l'APA. Mais il est une autre conséquence de notre souci d'universalité que je voudrais développer un instant. Notre volonté d'universalité ne se manifeste pas seulement en termes de niveaux de ressources ou d'incapacité, elle touche aussi la prise en charge des soins en établissement.
Nous laissons derrière nous le régime des sections de cure médicale, qui a correspondu à un progrès mais dont l'application est restée inégale et limitée. Nous entrons dans un système dans lequel tous les établissements ont vocation à bénéficier d'un budget soins défini de manière assez large puisqu'il intègrera 70 % des dépenses d'accompagnement quotidien réalisées par des personnels qualifiés. A terme 400 000 places actuellement non médicalisées pourront en bénéficier.
La dignité réclame des institutions respectueuses de la prise en charge des personnes et disposant des moyens budgétaires suffisants : la prise en charge par l'Assurance maladie des soins dispensés dans tous les établissements accueillant des personnes âgées en situation de perte d'autonomie est inscrit dans la réglementation et le programme pluri-annuel de mobilisation de crédits de l'assurance maladie comportant 6 milliards de francs de mesures nouvelles sur 5 ans ; cet objectif sera atteint d'ici fin 2003 pour toutes les institutions assurant une prise en charge respectueuse de la dignité des personnes.
La dignité passe également par la proximité des soins, l'organisation de ceux-ci à travers les réseaux de coordination gérontologique, une information et une orientation des personnes moins aléatoire qu'aujourd'hui ; cette loi nous offre aujourd'hui de nouveaux outils, dont la mise en uvre pourra s'appuyer sur les comités locaux d'information et de coordination.
La dignité est tributaire de la qualité et du professionnalisme de tous ceux qui soignent, accompagnent, entourent chaque personne âgée dépendante: la loi reconnaît pleinement le rôle des prestataires de service et des professionnels, en particulier pour l'accompagnement des personnes les moins autonomes, et créée un fonds de modernisation qui sera très substantiellement doté, et dont les objectifs majeurs seront professionnalisme et qualité des services rendus.
Enfin, il n'y pas de dignité réelle quand on ne peut pas choisir le lieu et les modalités de sa vie. Souvent, l'alternative entre la poursuite de la vie à domicile et l'entrée en institution est dictée par des contraintes économiques, familiales ou tout simplement d'habitat. La loi va offrir la possibilité d'un véritable choix, et reculera les limites à partir desquelles l'hébergement devient un choix contraint.
L'élargissement des choix offerts aux personnes âgées exige enfin un desserrement des contraintes portant sur l'affectation de l'aide. Naturellement, le recours à des services ou à des tierces personnes restera très prédominant mais il faut que l'APA puisse aussi être utilisable à des dépenses telles que l'accueil de jour, les transports, l'adaptation de l'habitat, pour ne citer que quelques exemples. L'APA est une prestation en nature, mais nous ne bureaucratiserons pas son affectation.
Au delà de la compensation des handicaps, la prestation offre un atout majeur pour lutter contre l'isolement et, pour faciliter l'aide aux aidants. C'est dans cet esprit que nous la mettrons en uvre, Elisabeth GUIGOU et moi.
Deuxième ambition, moderniser la prise en charge
La loi va nous permettre de faire progresser l'ensemble du secteur de la prise en charge des personnes âgées dépendantes, aussi bien dans l'aide à domicile que dans les établissements, dans le sens d'une meilleure qualité des prestations offertes et dans celui d'une meilleure formation des professionnels.
La création du fonds de modernisation de l'aide à domicile répond clairement au souci de soutenir des actions de formation, des projets innovants, et toute mesure susceptible de favoriser la professionnalisation des services d'aide à domicile. C'est un aspect très important de la loi et très attendu par les professionnels de ce secteur car avec cet outil, l'Etat se donne véritablement les moyens de promouvoir une politique structurelle dans l'aide à domicile, qui se développera autour de trois axes : formation des personnels, modernisation des structures gestionnaires, diversification et coordination des services rendus.
Dans les établissements, une procédure de conventionnement est mise en place qui permettra de lier un renforcement important des moyens à la mise en uvre contractuelle d'une démarche d'amélioration de la qualité de la vie quotidienne ; l'objectif est d'aboutir à un projet de vie individualisé pour chaque résident, assorti des moyens nécessaires en termes de personnel qualifié.
J'ai la volonté de mettre en uvre une véritable politique d'accompagnement de la démarche de conventionnement des établissements, passant notamment par des initiatives urgentes de formation des personnels en fonction non qualifiés. C'est à l'évidence un enjeu essentiel pour le développement d'une dynamique d'amélioration de la qualité de vie en institution ; c'est aussi une condition déterminante pour bénéficier de budgets soins conséquents, puisque, si leur définition est assez large, ils restent soumis à une exigence de qualification des personnels financés.
Parallèlement, je souhaite expérimenter la formation de personnels à profil plus polyvalent, dans une approche de décloisonnement entre le domicile et l'institution, le sanitaire et le social.
Enfin, et je tiens à le souligner pour conclure ces propos sur la modernisation du dispositif, la mise en uvre de l'Allocation personnalisée d'autonomie comportera un effet important sur l'emploi, qu'on peut estimer, de façon très macro-économique à plus de quarante mille emplois sur trois ans, dont 20 000 en établissements.
Troisième ambition, organiser la conjonction entre solidarité nationale et solidarité locale
Le projet qui vous est soumis réalise une synthèse originale entre la reconnaissance d'un risque social et la gestion décentralisée. L'impératif de dignité exige de reconnaître un nouveau droit social fondé sur l'universalité, l'égalité, la solidarité. La nécessité de personnaliser l'aide impose une mise en uvre pragmatique dans un cadre de proximité.
La mise en uvre de l'Allocation personnalisée d'autonomie exige un travail de proximité au niveau le plus fin, reposant sur des équipes médico-sociales de terrain. La coordination autour de la personne constitue le seul acquis de la P.S.D., encore inégalement entré dans les pratiques, mais il est important.
C'est pourquoi le projet de loi confirme la compétence des départements dans la mise en uvre de cette nouvelle allocation, en associant les caisses de retraite. L'objectif poursuivi est de généraliser les partenariats qui existent déjà dans nombre de départements, dans un souci de pragmatisme et d'efficacité. Il s'agit en effet d'assurer la mobilisation de tous les moyens existants, des différents savoirs-faire, aujourd'hui répartis entre ces deux catégories d'institutions. Il est par ailleurs sain, dans le cadre d'une réforme réellement solvabilisatrice, de confier à la même autorité la responsabilité des aides versées aux personnes et la responsabilité de contrôle et de tarification des établissements, pour leurs dépenses de prise en charge à caractère social.
Très honnêtement, je ne suis pas sûr qu'un système d'attribution de l'allocation à l'allemande - classement des demandeurs entre trois niveaux de handicap, par les échelons du contrôle médical des caisses, sans référence à une grille nationale - puisse permettre l'adaptation aux besoins individuels, l'élaboration d'un vrai plan d'aide, la coordination autour de la personne. Les branches concernées ne disposent par ailleurs de tous les personnels qualifiés nécessaires à ce travail à un niveau très local.
Au delà de ces considérations pratiques, il faut souligner que le choix retenu manifeste une vision cohérente de la décentralisation. L'aide à l'autonomie des personnes âgées est un enjeu crucial pour les politiques sociales départementales, un enjeu qui conditionne largement l'avenir de la décentralisation sociale et l'évolution du rôle des départements. C'est aussi, de plus en plus, un critère d'appréciation, par les citoyens, du travail des élus départementaux.
La même volonté d'équilibre caractérise le financement du projet, associant financement départemental et solidarité nationale.
Vous pouvez constater que les ressources de solidarité nationale, C.S.G. et contribution des régimes de retraite, contribuent pour un tiers, soit 838 millions d'euros, au financement de la prestation. C'est là une innovation décisive par rapport au financement de la P.S.D.
L'effort supplémentaire demandé aux départements est de 381 millions d'Euros. Je dirai sincèrement que je suis convaincue, et beaucoup de français avec moi, qu'une somme de cet ordre n'est pas excessive pour répondre à un défi social majeur des trente prochaines années, et pour traiter des enjeux qui dans une large mesure peuvent conditionner l'avenir des collectivités départementales.
J'ajoute, et c'est sur ce point que je voudrais terminer mon discours, que la conjonction des solidarités nationale et départementale permettra de renforcer des dynamiques de développement local, notamment en milieu rural ou semi-rural. Le développement des services, la modernisation des établissements, les créations d'emplois directes ou indirectes, le maintien des vieux dans leurs lieux de vie, leur pays ou leur quartier, contribuent fortement à la réalisation des objectifs du gouvernement en matière d'aménagement du territoire et de développement humain durable.
Cette loi ouvre de nouveaux champs à l'action publique, apporte de nouvelles réponses très concrètes aux besoins des personnes âgées , des familles et des professionnels, contribuant ainsi à construire "une société pour tous les âges".
Source http://www.social.gouv.fr, le 25 mai 2001)
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Depuis des années, par ma pratique professionnelle, j'ai été confrontée à la détresse de nombreuses personnes qui perdent leur capacité d'autonomie quand des incapacités viennent se surajouter à l'âge.
C'est avec émotion que j'aborde comme Secrétaire d'Etat aux personnes âgées l'examen et le débat de cette loi ici au Sénat. J'y vois l'aboutissement d'une démarche collective dans laquelle de très nombreuses personnes âgées placent leur espoir, mais aussi tant de professionnels aux côtés desquels je suis engagée depuis bien longtemps.
C'est d'eux aujourd'hui que je me sens solidaire. Ils sont très nombreux en France à attendre le résultat de nos travaux et de nos débats.
L'enjeu de l'allocation personnalisée d'autonomie concerne d'abord les centaines de milliers de personnes âgées qui , en raison de leurs handicaps, sollicitent l'aide d'autrui pour effectuer les gestes les plus essentiels de la vie.
Mais il s'agit aussi de leur conjoint, de leurs proches, de leur famille, qui se sentent souvent tellement coupables de ne pas savoir ou de ne pas pouvoir répondre convenablement aux besoins manifestés.
Il s'agit enfin de tous les professionnels, à domicile ou en établissement, qui regrettent de ne pas avoir les moyens d'être à la hauteur des situations auxquelles ils sont confrontés, parce qu'ils ne sont pas assez nombreux ou parce qu'ils manquent de formation et de qualification.
A tous, cette loi apporte, j'en suis convaincue, des réponses positives en fournissant des moyens, de la formation, des perspectives résolument modernes et innovantes. Mais à tous elle apporte avant tout un retour à la dignité, une exigence de dignité ; et c'est cela à mes yeux l'essentiel.
J'aimerais vous dire la dignité perdue de ce vieux professeur d'université, âgé de 80 ans, que sa fille ne peut plus garder chez elle, sans intimité parce que la porte de sa chambre en institution est laissée constamment ouverte.
J'aimerais vous dire la honte ressentie par cette vieille femme qui n'ose plus sortir de chez elle tant elle craint que les vicissitudes de l'incontinence la surprennent dans un lieu public.
J'aimerais vous dire l'émotion de cette femme qui m'écrit qu'elle n'arrive plus à faire elle-même sa propre toilette et qui éprouve une gêne incommensurable quand elle voit débarquer un jeune homme, manifestement impréparé, envoyé comme aide à domicile.
J'aimerais vous dire le sentiment d'indignité éprouvée par cette jeune infirmière, tout juste sortie de ses études, qui constate un comportement de maltraitance à l'égard d'un vieillard tout à fait grabataire et qui finit par ne plus savoir si c'est normal ou pas.
Je pourrais poursuivre ainsi longtemps. Si j'évoque ces situations devant vous, ce n'est pas pour mettre en cause des professionnels ou des institutions le plus souvent compétents. C'est au contraire pour souligner la complexité de l'accompagnement des personnes âgées, la difficulté de leur mission et la nécessité de les aider, de les soutenir pour qu'à leur tour, ils puissent soutenir ceux qui ont besoin d'eux. Depuis des années, j'entends ces femmes et ces hommes qui accompagnent les personnes âgées en perte d'autonomie ; je suis intimement persuadée que c'est un des métiers les plus difficiles, parce qu'il nous confronte à la fin de la vie, à la vieillesse, à la mort.
Au delà de la survenance de maladies ou d'incapacités, c'est l'isolement qui génère ou accélère la perte d'autonomie. Le décès du conjoint, l'éloignement des enfants constituent souvent les facteurs qui déclenchent l'hébergement en institution. On le sait, les personnes âgées lourdement handicapées peuvent rester à domicile lorsqu'elles sont entourées. Mais la solitude peut aussi se rencontrer dans les institutions, lorsqu'il n'existe ni projet de vie individuel, ni projet collectif, et pas les personnels qualifiés nécessaires en matière d'accompagnement, de soutien psychologique, de mobilisation et de rééducation.
Nous partageons tous un même constat : la situation faite à trop de personnes âgées dépendantes dans notre pays, comme à leur famille, n'est pas à la hauteur d'une grande nation comme la nôtre.
Elisabeth GUIGOU vient d'exposer les réponses qu'apporte la loi à ce grand défi.
Je veux insister pour ma part sur trois ambitions de cette loi: restaurer la dignité ; développer la modernisation des prises en charge ; organiser la conjonction entre solidarité nationale et solidarité locale.
Première ambition, restaurer la dignité
La dignité est toujours mieux garantie quand elle peut s'appuyer sur un droit. C'est pour cela que nous vous présentons aujourd'hui la création d'un droit objectif universel, qui n'est en rien une prestation subsidiaire, une prestation d'aide sociale.
Votre assemblée, qui a si souvent critiqué les effets pervers des prestations délivrées sous un seuil de ressources jugé trop bas, est certainement sensible au souci d'universalité qui caractérise l'APA. Mais il est une autre conséquence de notre souci d'universalité que je voudrais développer un instant. Notre volonté d'universalité ne se manifeste pas seulement en termes de niveaux de ressources ou d'incapacité, elle touche aussi la prise en charge des soins en établissement.
Nous laissons derrière nous le régime des sections de cure médicale, qui a correspondu à un progrès mais dont l'application est restée inégale et limitée. Nous entrons dans un système dans lequel tous les établissements ont vocation à bénéficier d'un budget soins défini de manière assez large puisqu'il intègrera 70 % des dépenses d'accompagnement quotidien réalisées par des personnels qualifiés. A terme 400 000 places actuellement non médicalisées pourront en bénéficier.
La dignité réclame des institutions respectueuses de la prise en charge des personnes et disposant des moyens budgétaires suffisants : la prise en charge par l'Assurance maladie des soins dispensés dans tous les établissements accueillant des personnes âgées en situation de perte d'autonomie est inscrit dans la réglementation et le programme pluri-annuel de mobilisation de crédits de l'assurance maladie comportant 6 milliards de francs de mesures nouvelles sur 5 ans ; cet objectif sera atteint d'ici fin 2003 pour toutes les institutions assurant une prise en charge respectueuse de la dignité des personnes.
La dignité passe également par la proximité des soins, l'organisation de ceux-ci à travers les réseaux de coordination gérontologique, une information et une orientation des personnes moins aléatoire qu'aujourd'hui ; cette loi nous offre aujourd'hui de nouveaux outils, dont la mise en uvre pourra s'appuyer sur les comités locaux d'information et de coordination.
La dignité est tributaire de la qualité et du professionnalisme de tous ceux qui soignent, accompagnent, entourent chaque personne âgée dépendante: la loi reconnaît pleinement le rôle des prestataires de service et des professionnels, en particulier pour l'accompagnement des personnes les moins autonomes, et créée un fonds de modernisation qui sera très substantiellement doté, et dont les objectifs majeurs seront professionnalisme et qualité des services rendus.
Enfin, il n'y pas de dignité réelle quand on ne peut pas choisir le lieu et les modalités de sa vie. Souvent, l'alternative entre la poursuite de la vie à domicile et l'entrée en institution est dictée par des contraintes économiques, familiales ou tout simplement d'habitat. La loi va offrir la possibilité d'un véritable choix, et reculera les limites à partir desquelles l'hébergement devient un choix contraint.
L'élargissement des choix offerts aux personnes âgées exige enfin un desserrement des contraintes portant sur l'affectation de l'aide. Naturellement, le recours à des services ou à des tierces personnes restera très prédominant mais il faut que l'APA puisse aussi être utilisable à des dépenses telles que l'accueil de jour, les transports, l'adaptation de l'habitat, pour ne citer que quelques exemples. L'APA est une prestation en nature, mais nous ne bureaucratiserons pas son affectation.
Au delà de la compensation des handicaps, la prestation offre un atout majeur pour lutter contre l'isolement et, pour faciliter l'aide aux aidants. C'est dans cet esprit que nous la mettrons en uvre, Elisabeth GUIGOU et moi.
Deuxième ambition, moderniser la prise en charge
La loi va nous permettre de faire progresser l'ensemble du secteur de la prise en charge des personnes âgées dépendantes, aussi bien dans l'aide à domicile que dans les établissements, dans le sens d'une meilleure qualité des prestations offertes et dans celui d'une meilleure formation des professionnels.
La création du fonds de modernisation de l'aide à domicile répond clairement au souci de soutenir des actions de formation, des projets innovants, et toute mesure susceptible de favoriser la professionnalisation des services d'aide à domicile. C'est un aspect très important de la loi et très attendu par les professionnels de ce secteur car avec cet outil, l'Etat se donne véritablement les moyens de promouvoir une politique structurelle dans l'aide à domicile, qui se développera autour de trois axes : formation des personnels, modernisation des structures gestionnaires, diversification et coordination des services rendus.
Dans les établissements, une procédure de conventionnement est mise en place qui permettra de lier un renforcement important des moyens à la mise en uvre contractuelle d'une démarche d'amélioration de la qualité de la vie quotidienne ; l'objectif est d'aboutir à un projet de vie individualisé pour chaque résident, assorti des moyens nécessaires en termes de personnel qualifié.
J'ai la volonté de mettre en uvre une véritable politique d'accompagnement de la démarche de conventionnement des établissements, passant notamment par des initiatives urgentes de formation des personnels en fonction non qualifiés. C'est à l'évidence un enjeu essentiel pour le développement d'une dynamique d'amélioration de la qualité de vie en institution ; c'est aussi une condition déterminante pour bénéficier de budgets soins conséquents, puisque, si leur définition est assez large, ils restent soumis à une exigence de qualification des personnels financés.
Parallèlement, je souhaite expérimenter la formation de personnels à profil plus polyvalent, dans une approche de décloisonnement entre le domicile et l'institution, le sanitaire et le social.
Enfin, et je tiens à le souligner pour conclure ces propos sur la modernisation du dispositif, la mise en uvre de l'Allocation personnalisée d'autonomie comportera un effet important sur l'emploi, qu'on peut estimer, de façon très macro-économique à plus de quarante mille emplois sur trois ans, dont 20 000 en établissements.
Troisième ambition, organiser la conjonction entre solidarité nationale et solidarité locale
Le projet qui vous est soumis réalise une synthèse originale entre la reconnaissance d'un risque social et la gestion décentralisée. L'impératif de dignité exige de reconnaître un nouveau droit social fondé sur l'universalité, l'égalité, la solidarité. La nécessité de personnaliser l'aide impose une mise en uvre pragmatique dans un cadre de proximité.
La mise en uvre de l'Allocation personnalisée d'autonomie exige un travail de proximité au niveau le plus fin, reposant sur des équipes médico-sociales de terrain. La coordination autour de la personne constitue le seul acquis de la P.S.D., encore inégalement entré dans les pratiques, mais il est important.
C'est pourquoi le projet de loi confirme la compétence des départements dans la mise en uvre de cette nouvelle allocation, en associant les caisses de retraite. L'objectif poursuivi est de généraliser les partenariats qui existent déjà dans nombre de départements, dans un souci de pragmatisme et d'efficacité. Il s'agit en effet d'assurer la mobilisation de tous les moyens existants, des différents savoirs-faire, aujourd'hui répartis entre ces deux catégories d'institutions. Il est par ailleurs sain, dans le cadre d'une réforme réellement solvabilisatrice, de confier à la même autorité la responsabilité des aides versées aux personnes et la responsabilité de contrôle et de tarification des établissements, pour leurs dépenses de prise en charge à caractère social.
Très honnêtement, je ne suis pas sûr qu'un système d'attribution de l'allocation à l'allemande - classement des demandeurs entre trois niveaux de handicap, par les échelons du contrôle médical des caisses, sans référence à une grille nationale - puisse permettre l'adaptation aux besoins individuels, l'élaboration d'un vrai plan d'aide, la coordination autour de la personne. Les branches concernées ne disposent par ailleurs de tous les personnels qualifiés nécessaires à ce travail à un niveau très local.
Au delà de ces considérations pratiques, il faut souligner que le choix retenu manifeste une vision cohérente de la décentralisation. L'aide à l'autonomie des personnes âgées est un enjeu crucial pour les politiques sociales départementales, un enjeu qui conditionne largement l'avenir de la décentralisation sociale et l'évolution du rôle des départements. C'est aussi, de plus en plus, un critère d'appréciation, par les citoyens, du travail des élus départementaux.
La même volonté d'équilibre caractérise le financement du projet, associant financement départemental et solidarité nationale.
Vous pouvez constater que les ressources de solidarité nationale, C.S.G. et contribution des régimes de retraite, contribuent pour un tiers, soit 838 millions d'euros, au financement de la prestation. C'est là une innovation décisive par rapport au financement de la P.S.D.
L'effort supplémentaire demandé aux départements est de 381 millions d'Euros. Je dirai sincèrement que je suis convaincue, et beaucoup de français avec moi, qu'une somme de cet ordre n'est pas excessive pour répondre à un défi social majeur des trente prochaines années, et pour traiter des enjeux qui dans une large mesure peuvent conditionner l'avenir des collectivités départementales.
J'ajoute, et c'est sur ce point que je voudrais terminer mon discours, que la conjonction des solidarités nationale et départementale permettra de renforcer des dynamiques de développement local, notamment en milieu rural ou semi-rural. Le développement des services, la modernisation des établissements, les créations d'emplois directes ou indirectes, le maintien des vieux dans leurs lieux de vie, leur pays ou leur quartier, contribuent fortement à la réalisation des objectifs du gouvernement en matière d'aménagement du territoire et de développement humain durable.
Cette loi ouvre de nouveaux champs à l'action publique, apporte de nouvelles réponses très concrètes aux besoins des personnes âgées , des familles et des professionnels, contribuant ainsi à construire "une société pour tous les âges".
Source http://www.social.gouv.fr, le 25 mai 2001)