Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur la nécessité de l'unité de l'Europe, le rejet des nationalismes et des populismes et le renforcement de la crédibilité de l'idée européenne auprès des opinions publiques, à Paris le 9 mai 2011.

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Circonstance : Réception des étudiants bénéficiant du programme Erasmus à l'occasion de la célébration de la Journée de l'Europe, à Paris le 9 mai 2011

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, je viens d'inaugurer
les nouveaux locaux du Secrétariat général aux
affaires européennes. Le SGAE est, comme
vous le savez, chargé de coordonner les
positions françaises sur l'Europe et, en 2008,
c'est lui qui a assuré toute la coordination
technique des dossiers de la Présidence
française.
En s'établissant rue de Bellechasse, le SGAE
prend la suite de Guy Mollet qui était justement
chargé du Conseil de l'Europe lorsqu'il était
vice-président du Conseil. Il paraît aussi qu'il
prend aussi la suite de Georges Courteline, qui
y aurait passé l'essentiel de son temps à écrire
une satire féroce de l'administration qui était
intitulée " Messieurs les ronds-de-cuir". Si
Courteline y retournait à l'heure du SGAE, je
suis certain qu'il écrirait un tout autre livre et
qu'il serait impressionné par la compétence et
le dévouement de ce qui est un des fleurons de
l'administration française.
Je veux ici remercier toutes les équipes du
SGAE pour le travail qu'elles accomplissent.
L'Europe est complexe, elle semble souvent
lointaine et nous avons besoin de vous pour
expliquer l'Europe aux Français, pour expliquer
la France à l'Europe. Et nous avons besoin de
vous pour que les intérêts de notre pays soient
défendus à Bruxelles.
Aujourd'hui, nous célébrons la fête de l'Europe,
et c'était l'occasion de réunir de nombreux
étudiants du programme Erasmus. Je sais qu'il
y a parmi vous des Français revenus de leur
séjour à l'étranger, mais qu'il y a aussi des
étudiants de tous les pays de l'Union
européenne en séjour en France. L'avenir de
l'Europe repose très largement sur votre
enthousiasme.
L'Europe nous a toujours donné des raisons
d'espérer. Dès son origine, elle a su réconcilier
les populations et les convaincre de retrouver
ensemble la prospérité. Au fil de ses
élargissements successifs, elle a étendu et
consolidé la démocratie. Après la chute du
rideau de fer, il a fallu retrouver un souffle, il a
fallu redéfinir les missions de l'Union
européenne. Ce ferment d'espoir dont l'Europe
est porteuse, nous devons veiller à ce qu'il ne
se perde pas.
Et aujourd'hui, au sortir d'une grave crise
économique et financière, c'est une nouvelle
page qui est en train de s'écrire en Europe. Je
suis convaincu que dans les aventures
personnelles que vous avez osé entreprendre,
dans les amitiés individuelles que vous avez
nouées se trouvent les fondements de l'Europe
de demain. Et je vous encourage à partager la
confiance que vous avez en son avenir.
J'entends beaucoup de propos pessimistes sur
l'Europe, bon ! Ce n'est pas un phénomène
nouveau. Depuis le début de la construction
européenne, chaque décennie a connu sa
période de déprime européenne. Et il faut être
lucide, les exigences que nous formulons à
l'égard de l'Europe sont multiples, au point que
nous souhaitons parfois des choses très
contradictoires pour l'Europe.
On veut qu'elle soit proche des citoyens, bien
informée des réalités locales, et qu'elle recueille
toujours un large consensus sur le terrain
avant de prendre des décisions. Mais en même
temps, on l'élargit à l'ensemble du continent et
on étend ses domaines d'action. On veut
défendre les spécificités et le rôle de chaque
Etat – ce qui est primordial – mais devant la
complexité de la construction institutionnelle
engendrée par la double nature de l'Europe, à
la fois fédérale et nationale, on a tendance à se
plaindre.
On veut une monnaie unique et une politique
monétaire unique, mais on a laissé les Etats de
la zone euro gérer leur endettement et leur
régulation financière sans vraie coordination de
leurs politiques économiques.
Récemment, cette contradiction a atteint de
façon brutale ses limites, et certains à
l'occasion de la crise que nous avons connue –
sur les dettes souveraines, des menaces sur la
monnaie européenne – ont même annoncé la
mort de l'Europe. Mais l'Union européenne et la
zone euro ont une nouvelle fois apporté la
preuve qu'ils savaient réagir et qu'ils savaient
s'adapter.
23 Etats ont su s'unir pour signer un pacte
formel qui fait de la compétitivité la priorité
officielle. Un mécanisme de stabilisation
financière a été créé pour aider, sous
conditions, les Etats de la zone euro en grave
difficulté. Un dispositif d'alerte contre les
déséquilibres macroéconomiques est en
construction et une discipline budgétaire
crédible est en train d'être agréée.
Et en quelques mois l'Europe a fait, en matière
de régulation et de supervisions financières,
plus de progrès qu'en vingt ans. Tout ceci
confirme la capacité d'adaptation de l'Europe
face aux crises, mais on peut s'avouer qu'il
aurait été plus judicieux de ne pas attendre
d'être devant le précipice pour agir.
On connaît les risques qui guettent la
Construction européenne aujourd'hui. Ce sont
autant de défis auxquels il faut que nous nous
préparions à répondre et j'aimerais ce matin en
livrer trois à votre réflexion :
Le premier concerne l'unité de l'Europe. Je sais
que pour beaucoup d'entre vous, elle semble
aller de soi. Mais on a déjà vu des
organisations humaines très solides en
apparence se perdre dans des conflits internes.
Les différences Nord – Sud ont récemment
marqué la Zone euro. Une division de ce type
représenterait un danger mortel pour l'Union
européenne.
La France a très tôt affirmé qu'une solidarité
sans faille était indispensable au sein de la zone
euro, notamment à l'égard des Etats du sud de
l'Europe. Peut-être parce que la France est une
synthèse de l'Europe, que le Nord et le Sud
font partie de notre identité nationale, nous
avons toujours été attentifs à cette question,
jusque dans la dernière crise où nous avons été
au cœur de la recherche de solutions
nouvelles, en lien avec notre partenaire
allemand.
Continuer à honorer notre devoir de solidarité
est impératif, à condition qu'il aille de pair avec
des réformes budgétaires et économiques
profondes dans les Etats concernés. Les
divergences de compétitivité, trop longtemps
ignorées, ont failli faire exploser le système.
Avec le Pacte sur l'euro, l'Europe s'est engagée
à rechercher une politique économique
coordonnée, axée sur une croissance
soutenable. Il faut maintenant que tout cela
soit mis en œuvre.
Ce sera le grand enjeu des dix ans à venir :
prouver que l'Europe est sérieuse quand elle dit
vouloir mettre la compétitivité au premier plan.
Et qu'ils soient du Sud ou du Nord, tous les
Etats et tous les gouvernements des Etats
membres doivent y répondre.
Renforcer la cohésion Est – Ouest répond au
même impératif. La réunification du continent a
été l'un des évènements majeurs du siècle
passé. L'intégration des nouveaux Etats
membres a d'ailleurs été rapide et
remarquable. Mais on voit bien que les
divisions imposées par l'Histoire ont tout de
même laissé des séquelles. Malgré un fort effet
de rattrapage, les différences de revenu par
habitant restent considérables entre l'Est et
l'Ouest après l'élargissement, et des tensions
sociales, des accusations de "dumping" peuvent
ressurgir à tout moment.
La mutation des nouveaux Etats membres au
sein de l'Union a été déjà remarquable mais
cette évolution positive doit se poursuivre. Ceci
implique une politique régionale ambitieuse,
ciblée, centrée sur la croissance ; et des
politiques de l'Union exigeantes sur la
compétitivité et sur l'Etat de droit, pour
combler les retards là où ils existent encore. La
cohésion de l'Union, en particulier en matière
de défense de l'Etat de droit, de lutte contre la
corruption, exige un engagement et une
vigilance de premier ordre.
Le deuxième défi que nous avons à relever
collectivement, c'est la lutte contre le retour des
nationalismes et du populisme. Il peut toucher
la construction européenne au cœur, si ce
retour conduit au refus de travailler en
commun et exclut la notion de solidarité. J'ai
toujours considéré que l'Europe ne se
construirait que par les nations et pas contre
elles, le traité de Lisbonne d'ailleurs est venu
confirmer le rôle positif des nations en Europe.
Et la vieille querelle entre "fédéralistes" et
"souverainistes" semble aujourd'hui dépassée.
Mais la montée de forces mêlant nationalisme
et populisme, à laquelle nous assistons en ce
moment un peu partout en Europe, représente
un risque mortel. Ce risque d'oublier ce qui a
déchiré et perdu notre continent dans le passé
: le mépris des autres nations, la croyance
irrationnelle dans la supériorité naturelle des
uns sur les autres, le refus d'être plus forts
ensemble face à la montée des autres
continents.
La vivacité des revendications nationales doit
être compatible avec nos valeurs communes,
avec nos droits fondamentaux, avec notre
tradition de tolérance. L'Union européenne est
le ciment qui unit les nations en Europe, eh
bien ! Ce ciment ne doit pas être fragilisé, il ne
doit pas être érigé en bouc émissaire de tous
les maux.
Les nations européennes ne sont jamais aussi
grandes que lorsqu'elles unissent leurs efforts
pour relever ensemble des défis communs,
c'est d'ailleurs la grande leçon de la Présidence
française de 2008. Oublier cela, c'est promettre
aux nations européennes la marginalisation et
le déclin.
Enfin, il y a un combat que nous n'avons pas le
droit de perdre : c'est celui de l'adhésion de
tous nos concitoyens au projet européen.
Adhésion politique naturellement mais aussi
adhésion du cœur, parce que l'Europe n'est pas
une abstraction administrative, c'est une
civilisation lumineuse, c'est une aventure
unique dans l'Histoire.
500 millions d'Européens, 27 Etats unis par la
seule volonté politique et par la seule force du
droit, cela mérite mieux qu'un vague intérêt.
Les citoyens européens – et singulièrement les
citoyens français – doivent pouvoir s'identifier
davantage à l'Europe.
Notre continent, déchiré par des siècles de
guerre, a aujourd'hui une monnaie unique, il a
des institutions communes, une politique
commerciale commune, un ensemble de
normes européennes dans presque tous les
domaines de l'activité humaine, un programme
commun de recherche, une Cour de Justice
dont les arrêts s'imposent à tous nos tribunaux
nationaux. Mais un défi demeure : comment
maintenir et comment amplifier l'adhésion des
peuples ?
Nous ne sommes plus dans l'ère exaltante des
"pères fondateurs de l'Europe". L'euro,
principal acquis européen, est bien connu et, à
juste titre, il est vu comme la base politique de
notre Union. Mais les symboles européens
capables de créer un vrai sentiment d'identité
sont rares. Et après soixante ans d'existence,
l'Europe manque toujours de symboles
puissants et unificateurs.
La Présidence française de 2008 a montré que
les européens se reconnaissent dans une
ambition affichée, décomplexée, une ambition
à leur service, exercée au nom de l'intérêt
général et avec l'ensemble des Etats membres.
Le Traité de Lisbonne a ouvert la voie à une
plus grande personnalisation de l'action
européenne, en donnant à l'Europe un
Président permanent du Conseil européen et
un haut représentant pour la politique
étrangère et de sécurité, mais nous voyons
bien que ce n'est qu'un début.
Il y a aussi les politiques emblématiques,
comme la libre circulation des personnes. Cette
libre circulation est un acquis vital, c'est un
symbole de l'Europe, avec tous ceux qui
composent le cœur des politiques
communautaires nous devons le préserver.
Mais cela implique aussi d'adapter leur
gouvernance pour préserver leur efficacité.
Les difficultés récentes que nous avons
rencontrées ont posé un problème de
crédibilité. Il ne faut pas que la libre circulation
des personnes soit vue par nos citoyens
comme un laissez-passer pour la mendicité des
enfants ou pour l'immigration illégale en
provenance de pays tiers. En voulant renforcer
l'efficacité de Schengen, la France agit pour
assurer la crédibilité et donc la pérennité de la
libre circulation en Europe. Ce message a été
compris par de nombreux partenaires, en
particulier italien et allemand, et je veux dire
que les récentes propositions de la Commission
vont clairement dans le bon sens.
Pour susciter l'intérêt des citoyens, il faut aussi
développer d'autres politiques européennes.
Jean Monnet disait que "si c'était à refaire, il
bâtirait l'Europe sur la culture". Aujourd'hui, on
a compris le rôle fondamental des institutions
de formation, des écoles, des universités dans
la construction de l'identité européenne. Et ça
me permet de souligner à nouveau
l'importance de l'expérience d'étudiants
Erasmus, que vous êtes ici nombreux à être en
train de vivre.
Il y a 20 ans, ce projet Erasmus est né d'une
initiative de l'Union européenne, encouragée
par le désir d'ouverture (qui a toujours été le
sien) du monde universitaire. Quelques
établissements d'enseignement supérieur
volontaires, dans quelques pays, ont accepté
de porter un regard critique sur l'enseignement
donné chez le voisin, et de relever les aspects
de la formation qui présentaient un intérêt
particulier pour les étudiants.
L'expérience a été si fructueuse qu'elle a abouti
à l'invention du système européen de transfert
de crédit, qui est la clé de la mobilité
universitaire aujourd'hui. Avec ces "ECTS" que
vous connaissez bien, on s'est rapprochés de ce
que l'un des premiers penseurs de l'Europe –
Denis de Rougemont – appelait "une méthode
d'éducation qui soit elle-même européenne".
A ses yeux, c'était la meilleure façon de "faire
des Européens", et donc de "faire l'Europe".
Aujourd'hui, les générations Erasmus sont le
meilleur symbole de la politique européenne
d'éducation et de culture. J'ai contribué avec
beaucoup d'autres au milieu des années 90 à
l'éclosion de ce dispositif comme ministre de
l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Et
je me demande aujourd'hui, notamment avec
Valérie Pécresse, comment aller plus loin ? Il y
aurait mille choses à faire.
Les jumelages entre les communes, entre les
collectivités locales ont déjà beaucoup fait pour
le rapprochement franco-allemand. Mais le
grand élargissement n'a pas été l'occasion d'un
renouveau puissant du mouvement ; il
gagnerait à un nouveau dynamisme.
La chaîne franco-allemande Arte est un succès
culturel, mais malheureusement les
expériences de télévision binationales ont été
jusqu'à maintenant beaucoup trop peu
nombreuses. Alors que les jeunes ont
facilement accès à l'Internet sur tout le
territoire européen, les relations
transfrontalières restent beaucoup trop faibles
en matière d'éducation de premier et de second
degré. Pourtant, il y aurait tant à apprendre sur
la manière d'enseigner les différentes matières,
en faisant partager ce qu'il y a de meilleur dans
chaque Etat européen.
Pour faire réellement de l'éducation
européenne la grande priorité de ce siècle, il y
a évidemment un obstacle, la barrière de la
langue que nous devons continuer de réduire.
Mieux connaître les langues les plus parlées
dans l'Union européenne est une nécessité
reconnue depuis longtemps. Pourtant, elle n'a
jamais donné lieu à une grande politique de
soutien linguistique. Ce défi était peut-être
aussi primordial que de développer des
politiques communes, on l'a trop longtemps
sous estimé. Aujourd'hui, l'apprentissage
massif des langues est un défi majeur pour
l'avenir de l'idée européenne et, dans ce
domaine, les étudiants Erasmus une nouvelle
fois nous montrent le chemin.
L'Europe, Mesdames et Messieurs, est un
chantier inachevé, de nombreuses questions
restent ouvertes : celle de l'identité
européenne, celle des frontières de l'Union,
celle de son modèle social et politique. Eh bien
! En ce 9 mai 2011, je vous invite à célébrer
l'Europe en regardant vers l'avenir. Et je forme
le vœu que notre Europe soit ressentie par ses
habitants, non pas comme un simple acquis,
non pas comme une donnée obligée mais
comme un véritable destin commun. Pour que
dans tous les pays d'Europe, ce sentiment
d'appartenance soit plus fort que les
dissidences et les tentations de repli, je compte
sur la force de votre expérience et de vos
convictions.
Source http://www.gouvernement.fr, le 10 mai 2011