Entretiens de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, dans l'hebdomadaire "Le Point" et le quotidien "Ouest-France", le 28 juin 2001, sur la lutte contre le sida, l'engagement de la France, l'accès aux soins dans les pays du Sud et le mode de financement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Le Point - Ouest France

Texte intégral

Entretien avec l'hebdomadaire "Le Point"
Q - L'ONU a organisé une session extraordinaire sur le Sida. Américains et Européens ont des philosophies radicalement différentes
R - Au début, seule la France plaidait en faveur d'une action qui faciliterait l'accès aux soins des malades du Sud. En 1997, on a créé un fonds thérapeutique et commencé à soigner dans des hôpitaux à Dakar, Abidjan, Cotonou, Tananarive. Les Etats-Unis, en particulier, ne parlaient que de prévention. Puis l'Europe s'est ralliée à l'idée qu'il fallait aussi soigner les malades : désormais, pour l'UE, prévention et soins vont de pair. Parallèlement, on a continué à discuter avec les Américains. Ceux-ci mélangent préoccupations morales et médicales. La question est de savoir comment la nouvelle administration, qui doit en partie son élection au soutien de la "majorité morale", va gérer ce dossier. Bush a annoncé qu'il allait offrir 200 millions de dollars sur cinq ans au Fonds mondial contre le Sida. La France va donner 150 millions d'euros sur trois ans. Il faudrait mobiliser près de 8 milliards de dollars d'ici à 2010.
Q - Les Américains disent que l'accès aux soins est trop compliqué à mettre en place en Afrique?
R - L'idée qu'on puisse se faire soigner au Nord et pas au Sud est insupportable. Sur 36 millions de personnes vivant avec le VIH, 26 vivent en Afrique subsaharienne. Il y a 13 millions d'orphelins du Sida, ils seront 40 millions en 2010. La France préconise que les médicaments soient vendus moins cher au Sud.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 juin 2001)

Entretien avec le quotidien "Ouest-France"
Trois millions de morts par an : le Sida inflige au Sud une tragédie comparable à ce que furent, en Europe, les grandes épidémies du Moyen-Age ! Avec les vies qu'il fauche, ce sont les chances même du développement qui se trouvent rongées, parfois détruites.
La communauté internationale a mis du temps à apporter des réponses à la mesure du défi. Elle commence à le faire.
Pendant longtemps, le discours dominant avait préconisé de focaliser sur la prévention les actions menées au Sud. Ouvrir aux malades des pays pauvres l'accès aux médicaments passait pour hors de portée. Le traitement était jugé trop coûteux pour les plus pauvres.
Depuis 1997, le gouvernement français s'inscrit en faux contre ce discours. Car il est impossible de convaincre les populations d'adopter des comportements préventifs, et notamment d'accepter les tests, si l'annonce de la séropositivité est celle d'une mort certaine.
Créé sur proposition de Bernard Kouchner, le Fonds de solidarité thérapeutique international (FSTI) a permis de démontrer que l'accès des pays du Sud aux anti-rétroviraux était possible.
Un consensus européen s'est forgé ; il a débouché sur un plan d'action de la Commission européenne, qui sera mis en oeuvre dans le cadre du 9ème Fonds européen de développement. La session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies, qui vient de se terminer, atteste de l'évolution des esprits. Sur le plan "idéologique", la notion d'accès aux soins a bel et bien marqué des points. Mais le plus difficile reste à faire.
Nous espérons la création, avant la fin de l'année, d'un Fonds global pour la santé et contre le SIDA. Les besoins financiers se chiffrent en milliards d'euros. Lors de son récent voyage en Afrique du Sud, l'un des pays les plus touchés, le Premier ministre a annoncé que la France contribuerait à ce fonds à hauteur de 150 millions d'euros (984 millions de FF) sur 3 ans. Les autres bailleurs de l'aide publique au développement commencent à se mobiliser.
Autre source de financement, l'effort français d'annulation de la dette des pays pauvres sera consacré à la lutte contre le Sida à hauteur de 10% du total. Ceci représentera un milliard d'euros (6,5 milliards de FF) sur dix ans.
De son côté, l'industrie pharmaceutique commence à consentir des baisses de prix sur les anti-rétroviraux destinés aux malades du Sud. Mais son effort doit encore s'accentuer. L'Union européenne pèsera de tout son poids en ce sens.
L'argent n'est pas tout. Il faut préciser son utilisation. Nous ne saurions nous borner à transposer dans quelques hôpitaux universitaires d'Afrique les modes de prise en charge actuellement utilisés au Nord. Il faut apprendre à traiter des millions de patients, inventer les actions permettant d'atteindre les zones rurales, nous préparer à prendre en charge les femmes enceintes, dans la brousse comme à la ville.
C'est pourquoi le gouvernement français propose la tenue d'une réunion internationale à Dakar, les 30 novembre et 1er décembre. Le but de cette réunion est de concrétiser les promesses de New York en précisant les modes d'accès aux soins. Rien ne serait plus désespérant, pour des millions de malades, que de savoir les fonds disponibles et de constater que rien ne change.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 juin 2001)