Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de vous rencontrer au terme de ma journée ici à Jérusalem et d'une matinée à Ramallah. J'ai eu l'occasion, comme vous le savez, de rencontrer hier le président Mahmoud Abbas, à Rome. Hier soir, j'ai eu un entretien avec mon homologue israélien, M. Lieberman. Je me suis rendu ce matin à Ramallah pour rencontrer le Premier ministre M. Fayyad. En début d'après-midi, j'ai rencontré le Premier ministre Netanyahu.
Que suis-je venu faire au Proche-Orient ? À la demande du président de la République, je suis venu proposer aux parties une démarche qui, dans notre esprit, pourrait éviter d'aller à la moins bonne des solutions, c'est-à-dire, à l'Assemblée générale des Nations unies en septembre prochain, vers le statu quo. Nous pensons que le statu quo n'est pas tenable. Tout change autour d'Israël et des Territoires palestiniens. L'Égypte, ou en tout cas son régime n'est plus ce qu'il était il y a six mois. La Syrie est en plein bouleversement et l'ensemble du monde arabe, depuis le Maroc jusqu'au Golfe, connaît ce que l'on appelle parfois un «nouveau printemps», ou en tout cas une véritable révolution.
Il faut donc bouger. Comment ? En suggérant les marches suivantes, qui pourraient être lancées par le Quartet si les parties étaient ouvertes à cette proposition. Il s'agirait de se mettre autour de la table pour engager les négociations sur la base d'une plate-forme de paramètres précis. Ces paramètres, nous les avons mis au point, d'abord en tenant compte des déclarations récentes du président américain, M. Obama, de la position unanime des vingt-sept États membres de l'Union européenne, du consensus qui s'est dégagé aussi lors de la réunion du G8 à Deauville, entre les Russes, les Américains, les Européens et les Nations unies. Ce consensus porte sur les deux ou trois points suivants : commençons la négociation en parlant des frontières et en démarrant cette négociation sur la base des frontières de 1967. Je dis bien «en commençant sur la base de», parce que nous assortissons tout de suite cette proposition de l'idée que les échanges de territoires mutuellement agréés viendront naturellement modifier le tracé de cette frontière et que, à la fin du processus, elle ne sera pas exactement ce qu'elle était en 1967.
Simultanément, nous pensons qu'il faut négocier sur les garanties de sécurité qui doivent être apportées à chacun des deux États, qui doivent sortir de ce processus. Et puis, dans un second temps, qui n'est pas un temps long, puisque nous pensons que l'ensemble de la discussion devrait se dérouler sur une année, il faudra aborder bien sûr la question des réfugiés et la question de Jérusalem. L'objectif étant la reconnaissance de deux États-Nations pour deux peuples, dans le respect de la souveraineté et de la sécurité de chacun des deux.
Voilà ce que nous allons proposer. J'ai été écouté avec beaucoup d'attention, aussi bien par les Palestiniens que par les Israéliens. Leur réponse viendra, je l'espère, dans les jours qui viennent, quand ils auront pu y réfléchir et examiner la proposition de papier, «mind paper» comme on dit dans les chancelleries, que je leur ai faite. Je pense qu'il y a encore une chance, une chance mince sans doute, mais une chance réelle, d'évoluer vers cette reprise du dialogue. Et si des signaux positifs venaient à la fois de Ramallah et de Jérusalem sur la base d'une proposition du Quartet, la France serait prête à inviter les différentes parties de tous les pays qui voudraient s'associer à ce processus, à une conférence politique qui ne serait pas simplement une conférence des donateurs mais une vraie conférence politique, à Paris d'ici la fin du mois de juin, ou au début du mois de juillet. Je le répète, le calendrier pourrait être assez resserré. Je suis venu le dire avec beaucoup de convictions parce que la France pense que les choses peuvent se débloquer grâce aux différents éléments que je viens de dire.
Je pourrais aussi signaler que de notre point de vue - je sais que ce point de vue n'est pas partagé par tout le monde, mais c'est notre point de vue -, la réconciliation interpalestinienne entre le Hamas et le Fatah, est une nouvelle qui peut peut-être se révéler une bonne nouvelle dans la mesure où elle peut faciliter des évolutions dans le sens que nous souhaitons. Pour l'instant, notre position est très claire, nous ne parlerons pas avec le Hamas tant qu'il ne se sera pas conformé aux exigences de la communauté internationale, c'est-à-dire la renonciation au terrorisme et à la violence, le respect des accords déjà passés et la reconnaissance de l'existence d'Israël. Nous pensons que des évolutions dans ce sens sont sans doute possibles, si nous nous y mettons les uns et les autres. Voilà je suis maintenant prêt à répondre à vos questions sur la politique étrangère de la France.
Q - Vous êtes venu avec une invitation que vous avez adressée aux différents interlocuteurs que vous avez rencontrés. Avez-vous reçu un non catégorique d'entrée de jeu de qui que ce soit ?
R - Non, au contraire, je viens de vous dire que j'ai été écouté avec attention, que j'ai remis cette proposition par écrit et que j'attends les réponses et les réactions définitives après les discussions que nous avons eues. Chacun a fait part de son point de vue, mais à moins que ce soit un défaut d'attention, je n'ai pas entendu de non.
Q - Monsieur le Ministre, comment expliquez-vous le refus systématique des Palestiniens de reconnaître le caractère juif de l'État d'Israël et comment réagissez-vous à la déclaration de Mahmoud Abbas qui a déclaré il y a quelques jours devant la Ligue arabe, qu'il n'était pas, enfin qu'il n'y aurait pas de juifs, ni de civils militaires dans le futur État palestinien ?
R - Cela doit faire trente à quarante ans que l'on discute de ces questions, je ne vais donc pas rebondir sur ce genre de question. Ce que je propose, c'est que l'on reparte sur le principe qu'il y a bien deux États-Nations pour deux peuples. Et le peuple, c'est quoi ? C'est un peuple juif et c'est un peuple palestinien, voilà ce que nous proposons. Alors si c'est non de la part d'une des deux parties, on verra bien, mais je vous ai dit que, pour l'instant, on n'en était pas à ce stade.
Q - Monsieur le Ministre, une question sur la Côte d'Ivoire, des sources proches non déterminées annoncent que les deux Français sont décédés. Peut-on avoir une réaction, s'il vous plaît ?
R - Si cette information est exacte, ma réaction est évidemment de la tristesse et de la compassion pour les familles, mais nous vous avons tenus informés de tout ce que nous savions, c'est-à-dire fort peu de choses, depuis cet enlèvement que nous avons évidemment condamné. Pour l'instant, les services du ministère des Affaires étrangères n'ont pas les confirmations définitives, au terme des procédures d'identification qui ont été lancées, que les corps qui ont été retrouvés sont ceux de nos compatriotes. Peut-être que dans la presse, certains ont une confirmation, moi je ne l'ai pas encore. J'attends donc d'avoir une confirmation pour répondre plus explicitement à votre question. Mais en toute hypothèse, nous sommes évidemment très attentifs à cette situation et en contact permanent avec les familles.
Q - Monsieur le Ministre, des manifestations sont prévues dimanche au Liban et en Syrie, en direction de la frontière israélienne. Les Libanais ont déjà pris des mesures sur leur frontière, conseilleriez-vous à la Syrie d'en faire autant ?
R - Nous conseillerions la retenue de tout manière, en général, mais une fois encore c'est la preuve que le statu quo ne sera pas tenable et que la situation actuelle sera de moins en moins bien supportée. C'est, de mon point de vue, une raison supplémentaire pour prêter attention à la proposition que nous faisons.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez dit que le rapprochement entre le Hamas et le Fatah pouvait être une chose positive. Avez-vous décelé dans l'attitude du Hamas, depuis ce rapprochement, une quelconque évolution vers la reconnaissance de l'État d'Israël, sachant que le Hamas a été un des rares mouvements officiels à condamner l'élimination de Ben Laden ?
R - Je n'ai pas encore senti cette évolution, mais j'espère qu'elle se manifestera. J'ai dit tout à l'heure que je ne voulais pas remonter dans l'histoire des négociations israélo-palestiniennes, mais je vais quand même le faire. Il me semble qu'il y a eu un temps où Israël refusait de parler avec Arafat parce qu'il n'avait pas reconnu l'existence de l'État d'Israël. Tout progresse dans l'histoire et dans la vie, et j'ai en tout cas une conviction bien ancrée, c'est que l'on ne fait jamais la paix avec ses amis. Je veux dire que si on veut faire la paix, ce n'est pas avec ses amis qu'il faut discuter, c'est avec ses ennemis. C'est avec les ennemis que l'on fait la paix ; sous certaines conditions, bien entendu, cela va de soi, et nous les avons rappelées.
Q - Qu'est-ce qui vous fait penser que votre invitation a une chance d'être acceptée quand on connaît le fossé énorme qui sépare les parties aujourd'hui ?
R - Mon optimisme naturel. Ce que je voulais dire, c'est qu'un certain nombre d'éléments nouveaux font qu'il y a une conviction généralement partagée qu'il faut maintenant que les choses bougent : les propositions du président Obama ; le consensus des Européens ; le consensus aussi du Quartet, me semble-t-il, même s'il n'est pas exprimé formellement aujourd'hui encore Alors est-ce que c'est une raison pour être très optimiste ? Je mentirais si je disais que je suis très optimiste ; je suis un petit peu optimiste.
Q - Monsieur le Ministre, que votera la France si l'Autorité palestinienne demande la reconnaissance de l'État palestinien en septembre prochain ?
R - Nous voterons à la lumière de ce qui va se passer dans les prochains mois. Si un processus de négociations s'engage, cela change complètement la donne et, de ce point de vue, le problème de la reconnaissance pour nous ne devrait pas se poser au mois de septembre. Si rien ne se passe, eh bien, comme l'a dit le président de la République française, nous prendrons nos responsabilités - je sais que cette réponse va vous frustrer, mais je n'irai pas au-delà aujourd'hui.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez dit justement sur cette question que la reconnaissance de l'État palestinien par nous, c'est la moins bonne des solutions
R - Non, j'ai dit qu'aller au mois de septembre dans le statu quo c'est la moins bonne des solutions. Pourquoi ? Parce qu'il y aura un vote de l'Assemblée générale des Nations unies. Est-ce que ce vote aboutira à la reconnaissance de l'État palestinien ? Je ne peux pas en préjuger mais si tel était le cas, je pense que ce ne serait bon pour personne : ni pour le président des Etats-Unis, parce que l'on ne pourra pas dire que son intervention aura été très efficace ; ni pour les Européens dont l'unité risquerait malheureusement d'être compromise ; ni pour les Palestiniens - car que se passerait-il le lendemain ? Cela ne changera pas véritablement la réalité de la vie quotidienne dans les Territoires palestiniens, ni pour Israël qui se retrouvera un petit peu plus isolé et confronté à une situation qui politiquement et moralement sera plus difficile à tenir. Voilà pourquoi il me semble qu'il faut éviter d'en arriver là et que la seule façon d'éviter d'en arriver là, c'est ce que nous proposons, c'est-à-dire se remettre autour de la table.
Q - Comment vous, la France et l'Europe, pourriez-vous être plus efficaces que le président Obama ?
R - En nous y mettant tous ensemble, et avec eux. On voit bien que les Américains tout seuls n'y arrivent pas, alors les Américains plus les Européens ont une chance supplémentaire.
Q - Le président Obama vous suit sur cette conférence politique ? Il pourrait y participer ?
R - Je vous ai dit au début que nous avons évoqué tout cela. Le président Sarkozy en a parlé au président Obama, au président Medvedev et aux autres partenaires, à Mme Merkel, à tous ceux qui étaient là. Le principe de cette démarche est apparu opportun. Je serai moi-même à Washington lundi prochain. J'en parlerai à nouveau à Hillary Clinton. Peut-être à ce moment-là aurai-je un retour de Ramallah et de Jérusalem. Je répète que la France, en faisant cette démarche, cherche à être utile. On n'en tirera pas beaucoup de bénéfices, dans aucun cas de figure. Si cela marche, d'autres se flatteront d'avoir réussi, si cela ne marche pas, on dira que nous avons échoué. Voilà, nous tentons notre chance parce que nous n'avons rien à perdre. Nous n'avons qu'une seule chose à léguer, peut-être un petit espoir de paix supplémentaire.
Q - Monsieur le Ministre, tout à l'heure, Noam Shalit vous a demandé que la France intervienne un peu plus pour la libération et notamment que la France devienne médiatrice, allez-vous l'accepter ?
R - Intervenir davantage, nous y sommes prêts, nous faisons déjà beaucoup. Le président de la République a pris des positions très claires. Il a obtenu que le G8 de Deauville mentionne la situation de Gilad Shalit et condamne sa détention. Nous avons obtenu la même chose au Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne. Nous mobilisons tous nos alliés pour faire pression dans ce sens. Nous avons dit hier au président Mahmoud Abbas et ce matin au Premier ministre Fayyad, combien nous étions attachés à la résolution de ce cas, de cette détention inacceptable. Je l'ai redit aussi au Premier ministre Netanyahu. Nous sommes en permanence à la manuvre et nous multiplions les pressions en ce sens. J'ai fait comprendre à nos amis palestiniens qu'un signe d'évolution positive du Hamas dans la bonne direction, celle que j'ai évoquée tout à l'heure, serait précisément la libération de Gilad Shalit.
Q - Monsieur le Ministre, pourquoi n'êtes-vous pas allé à Gaza contrairement à Michelle Alliot-Marie en début d'année. Est-ce un déplacement que vous envisagez ?
R - C'est tout à fait possible, vous savez les contraintes d'emploi du temps sont ce qu'elles sont. J'ai rencontré ce matin, je vous l'ai dit, le Premier ministre palestinien. J'ai surtout passé, au centre culturel franco-allemand, une bonne heure à discuter avec de jeunes Palestiniens et je peux vous dire qu'ils n'ont pas la langue de bois. Ils m'ont dit ce qu'ils avaient sur le cur et l'échange a été très fort. J'ai bien senti l'immense frustration qui est la leur aujourd'hui, leur impatience. Je crois aussi que cela m'a conforté dans l'idée que le statu quo n'est pas possible et qu'il amènera sans doute à une montée des tensions qui ne sera bonne pour personne.
Q - Monsieur le Ministre, une nouvelle flottille est prévue pour fin juin. Quelle est la position de la France ?
R - C'est une très mauvaise idée, qui ne peut une fois de plus qu'attiser les tensions et créer une source de conflits. Nous recommandons donc fermement aux organisations françaises de ne pas y participer. Cela dit, nous sommes en démocratie, la France n'a pas les moyens d'arrêter des bateaux en haute mer quand elle n'en a pas la compétence juridique. Nous pensons que ce serait, je le rappelle, un très mauvais signal.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez rencontré le Premier ministre israélien. Lui avez-vous exposé votre théorie qui consiste à penser que l'accord de réconciliation est peut-être une opportunité de faire évoluer le Hamas ? Si oui, comment a-t-il réagi ?
R - Écoutez, ce que j'ai dit, c'est évidemment tout ce que je vous ai dit, vous savez tout. Il a sur le Hamas une position, on le sait bien, extrêmement négative.
Q - L'un de vos interlocuteurs vous a-t-il paru sensible à votre proposition ? Et lequel a été le plus sensible à cette proposition ?
R - Attendez un peu, je sais que votre métier consiste à être toujours un temps en avance, mais laissez venir les réactions ; je ne peux pas vous dire si untel a souri, si untel a fait la grimace, si untel a plus souri que l'autre. Ils ont écouté l'un et l'autre, je le répète, aucun n'a dit : «Rentrez chez vous, on ne veut pas le savoir». L'un et l'autre m'ont dit «on va y travailler, on va y réfléchir, et on vous dira ce que l'on pense». Alors attendons lundi, mardi, mercredi, aussitôt que possible.
Q - Monsieur le Ministre, vous êtes un vieux routier, on peut le dire de ce processus. Vous étiez là il y a 18 ans, au début de ce Processus de paix d'Oslo. Depuis, il y a eu huit ministres des Affaires étrangères français qui sont venus faire leur proposition, au moins quatre secrétaires d'État américains. Comment avez-vous analysé le fait qu'aujourd'hui le processus de paix a l'air beaucoup plus complexe, beaucoup plus difficile, qu'il y a un fossé beaucoup plus profond entre Palestiniens et Israéliens qu'il y a 18 ans ? Que s'est-il passé ?
R - Alors bien sûr, je ne pense pas que je suis meilleur que les autres, je viens ici avec beaucoup de modestie. Je pense que c'est le contexte qui a changé. Le contexte à l'international, le contexte régional a changé, je l'ai dit tout à l'heure. C'est plus difficile aujourd'hui parce qu'hélas, au fur et à mesure que le temps passe, les frustrations s'accumulent, les méfiances s'aggravent. Ce qui m'inquiète, c'est le moyen ou long terme, où va-t-on comme cela ? On peut remporter des victoires de court terme, mais les choses sont en l'état ; on reste en l'état.
Je ne pense pas que cela puisse rester en l'état pendant des années et des années. C'est la raison pour laquelle nous essayons, malgré ce qui s'est passé, malgré les échecs, de repartir.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 juin 2011
Je suis heureux de vous rencontrer au terme de ma journée ici à Jérusalem et d'une matinée à Ramallah. J'ai eu l'occasion, comme vous le savez, de rencontrer hier le président Mahmoud Abbas, à Rome. Hier soir, j'ai eu un entretien avec mon homologue israélien, M. Lieberman. Je me suis rendu ce matin à Ramallah pour rencontrer le Premier ministre M. Fayyad. En début d'après-midi, j'ai rencontré le Premier ministre Netanyahu.
Que suis-je venu faire au Proche-Orient ? À la demande du président de la République, je suis venu proposer aux parties une démarche qui, dans notre esprit, pourrait éviter d'aller à la moins bonne des solutions, c'est-à-dire, à l'Assemblée générale des Nations unies en septembre prochain, vers le statu quo. Nous pensons que le statu quo n'est pas tenable. Tout change autour d'Israël et des Territoires palestiniens. L'Égypte, ou en tout cas son régime n'est plus ce qu'il était il y a six mois. La Syrie est en plein bouleversement et l'ensemble du monde arabe, depuis le Maroc jusqu'au Golfe, connaît ce que l'on appelle parfois un «nouveau printemps», ou en tout cas une véritable révolution.
Il faut donc bouger. Comment ? En suggérant les marches suivantes, qui pourraient être lancées par le Quartet si les parties étaient ouvertes à cette proposition. Il s'agirait de se mettre autour de la table pour engager les négociations sur la base d'une plate-forme de paramètres précis. Ces paramètres, nous les avons mis au point, d'abord en tenant compte des déclarations récentes du président américain, M. Obama, de la position unanime des vingt-sept États membres de l'Union européenne, du consensus qui s'est dégagé aussi lors de la réunion du G8 à Deauville, entre les Russes, les Américains, les Européens et les Nations unies. Ce consensus porte sur les deux ou trois points suivants : commençons la négociation en parlant des frontières et en démarrant cette négociation sur la base des frontières de 1967. Je dis bien «en commençant sur la base de», parce que nous assortissons tout de suite cette proposition de l'idée que les échanges de territoires mutuellement agréés viendront naturellement modifier le tracé de cette frontière et que, à la fin du processus, elle ne sera pas exactement ce qu'elle était en 1967.
Simultanément, nous pensons qu'il faut négocier sur les garanties de sécurité qui doivent être apportées à chacun des deux États, qui doivent sortir de ce processus. Et puis, dans un second temps, qui n'est pas un temps long, puisque nous pensons que l'ensemble de la discussion devrait se dérouler sur une année, il faudra aborder bien sûr la question des réfugiés et la question de Jérusalem. L'objectif étant la reconnaissance de deux États-Nations pour deux peuples, dans le respect de la souveraineté et de la sécurité de chacun des deux.
Voilà ce que nous allons proposer. J'ai été écouté avec beaucoup d'attention, aussi bien par les Palestiniens que par les Israéliens. Leur réponse viendra, je l'espère, dans les jours qui viennent, quand ils auront pu y réfléchir et examiner la proposition de papier, «mind paper» comme on dit dans les chancelleries, que je leur ai faite. Je pense qu'il y a encore une chance, une chance mince sans doute, mais une chance réelle, d'évoluer vers cette reprise du dialogue. Et si des signaux positifs venaient à la fois de Ramallah et de Jérusalem sur la base d'une proposition du Quartet, la France serait prête à inviter les différentes parties de tous les pays qui voudraient s'associer à ce processus, à une conférence politique qui ne serait pas simplement une conférence des donateurs mais une vraie conférence politique, à Paris d'ici la fin du mois de juin, ou au début du mois de juillet. Je le répète, le calendrier pourrait être assez resserré. Je suis venu le dire avec beaucoup de convictions parce que la France pense que les choses peuvent se débloquer grâce aux différents éléments que je viens de dire.
Je pourrais aussi signaler que de notre point de vue - je sais que ce point de vue n'est pas partagé par tout le monde, mais c'est notre point de vue -, la réconciliation interpalestinienne entre le Hamas et le Fatah, est une nouvelle qui peut peut-être se révéler une bonne nouvelle dans la mesure où elle peut faciliter des évolutions dans le sens que nous souhaitons. Pour l'instant, notre position est très claire, nous ne parlerons pas avec le Hamas tant qu'il ne se sera pas conformé aux exigences de la communauté internationale, c'est-à-dire la renonciation au terrorisme et à la violence, le respect des accords déjà passés et la reconnaissance de l'existence d'Israël. Nous pensons que des évolutions dans ce sens sont sans doute possibles, si nous nous y mettons les uns et les autres. Voilà je suis maintenant prêt à répondre à vos questions sur la politique étrangère de la France.
Q - Vous êtes venu avec une invitation que vous avez adressée aux différents interlocuteurs que vous avez rencontrés. Avez-vous reçu un non catégorique d'entrée de jeu de qui que ce soit ?
R - Non, au contraire, je viens de vous dire que j'ai été écouté avec attention, que j'ai remis cette proposition par écrit et que j'attends les réponses et les réactions définitives après les discussions que nous avons eues. Chacun a fait part de son point de vue, mais à moins que ce soit un défaut d'attention, je n'ai pas entendu de non.
Q - Monsieur le Ministre, comment expliquez-vous le refus systématique des Palestiniens de reconnaître le caractère juif de l'État d'Israël et comment réagissez-vous à la déclaration de Mahmoud Abbas qui a déclaré il y a quelques jours devant la Ligue arabe, qu'il n'était pas, enfin qu'il n'y aurait pas de juifs, ni de civils militaires dans le futur État palestinien ?
R - Cela doit faire trente à quarante ans que l'on discute de ces questions, je ne vais donc pas rebondir sur ce genre de question. Ce que je propose, c'est que l'on reparte sur le principe qu'il y a bien deux États-Nations pour deux peuples. Et le peuple, c'est quoi ? C'est un peuple juif et c'est un peuple palestinien, voilà ce que nous proposons. Alors si c'est non de la part d'une des deux parties, on verra bien, mais je vous ai dit que, pour l'instant, on n'en était pas à ce stade.
Q - Monsieur le Ministre, une question sur la Côte d'Ivoire, des sources proches non déterminées annoncent que les deux Français sont décédés. Peut-on avoir une réaction, s'il vous plaît ?
R - Si cette information est exacte, ma réaction est évidemment de la tristesse et de la compassion pour les familles, mais nous vous avons tenus informés de tout ce que nous savions, c'est-à-dire fort peu de choses, depuis cet enlèvement que nous avons évidemment condamné. Pour l'instant, les services du ministère des Affaires étrangères n'ont pas les confirmations définitives, au terme des procédures d'identification qui ont été lancées, que les corps qui ont été retrouvés sont ceux de nos compatriotes. Peut-être que dans la presse, certains ont une confirmation, moi je ne l'ai pas encore. J'attends donc d'avoir une confirmation pour répondre plus explicitement à votre question. Mais en toute hypothèse, nous sommes évidemment très attentifs à cette situation et en contact permanent avec les familles.
Q - Monsieur le Ministre, des manifestations sont prévues dimanche au Liban et en Syrie, en direction de la frontière israélienne. Les Libanais ont déjà pris des mesures sur leur frontière, conseilleriez-vous à la Syrie d'en faire autant ?
R - Nous conseillerions la retenue de tout manière, en général, mais une fois encore c'est la preuve que le statu quo ne sera pas tenable et que la situation actuelle sera de moins en moins bien supportée. C'est, de mon point de vue, une raison supplémentaire pour prêter attention à la proposition que nous faisons.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez dit que le rapprochement entre le Hamas et le Fatah pouvait être une chose positive. Avez-vous décelé dans l'attitude du Hamas, depuis ce rapprochement, une quelconque évolution vers la reconnaissance de l'État d'Israël, sachant que le Hamas a été un des rares mouvements officiels à condamner l'élimination de Ben Laden ?
R - Je n'ai pas encore senti cette évolution, mais j'espère qu'elle se manifestera. J'ai dit tout à l'heure que je ne voulais pas remonter dans l'histoire des négociations israélo-palestiniennes, mais je vais quand même le faire. Il me semble qu'il y a eu un temps où Israël refusait de parler avec Arafat parce qu'il n'avait pas reconnu l'existence de l'État d'Israël. Tout progresse dans l'histoire et dans la vie, et j'ai en tout cas une conviction bien ancrée, c'est que l'on ne fait jamais la paix avec ses amis. Je veux dire que si on veut faire la paix, ce n'est pas avec ses amis qu'il faut discuter, c'est avec ses ennemis. C'est avec les ennemis que l'on fait la paix ; sous certaines conditions, bien entendu, cela va de soi, et nous les avons rappelées.
Q - Qu'est-ce qui vous fait penser que votre invitation a une chance d'être acceptée quand on connaît le fossé énorme qui sépare les parties aujourd'hui ?
R - Mon optimisme naturel. Ce que je voulais dire, c'est qu'un certain nombre d'éléments nouveaux font qu'il y a une conviction généralement partagée qu'il faut maintenant que les choses bougent : les propositions du président Obama ; le consensus des Européens ; le consensus aussi du Quartet, me semble-t-il, même s'il n'est pas exprimé formellement aujourd'hui encore Alors est-ce que c'est une raison pour être très optimiste ? Je mentirais si je disais que je suis très optimiste ; je suis un petit peu optimiste.
Q - Monsieur le Ministre, que votera la France si l'Autorité palestinienne demande la reconnaissance de l'État palestinien en septembre prochain ?
R - Nous voterons à la lumière de ce qui va se passer dans les prochains mois. Si un processus de négociations s'engage, cela change complètement la donne et, de ce point de vue, le problème de la reconnaissance pour nous ne devrait pas se poser au mois de septembre. Si rien ne se passe, eh bien, comme l'a dit le président de la République française, nous prendrons nos responsabilités - je sais que cette réponse va vous frustrer, mais je n'irai pas au-delà aujourd'hui.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez dit justement sur cette question que la reconnaissance de l'État palestinien par nous, c'est la moins bonne des solutions
R - Non, j'ai dit qu'aller au mois de septembre dans le statu quo c'est la moins bonne des solutions. Pourquoi ? Parce qu'il y aura un vote de l'Assemblée générale des Nations unies. Est-ce que ce vote aboutira à la reconnaissance de l'État palestinien ? Je ne peux pas en préjuger mais si tel était le cas, je pense que ce ne serait bon pour personne : ni pour le président des Etats-Unis, parce que l'on ne pourra pas dire que son intervention aura été très efficace ; ni pour les Européens dont l'unité risquerait malheureusement d'être compromise ; ni pour les Palestiniens - car que se passerait-il le lendemain ? Cela ne changera pas véritablement la réalité de la vie quotidienne dans les Territoires palestiniens, ni pour Israël qui se retrouvera un petit peu plus isolé et confronté à une situation qui politiquement et moralement sera plus difficile à tenir. Voilà pourquoi il me semble qu'il faut éviter d'en arriver là et que la seule façon d'éviter d'en arriver là, c'est ce que nous proposons, c'est-à-dire se remettre autour de la table.
Q - Comment vous, la France et l'Europe, pourriez-vous être plus efficaces que le président Obama ?
R - En nous y mettant tous ensemble, et avec eux. On voit bien que les Américains tout seuls n'y arrivent pas, alors les Américains plus les Européens ont une chance supplémentaire.
Q - Le président Obama vous suit sur cette conférence politique ? Il pourrait y participer ?
R - Je vous ai dit au début que nous avons évoqué tout cela. Le président Sarkozy en a parlé au président Obama, au président Medvedev et aux autres partenaires, à Mme Merkel, à tous ceux qui étaient là. Le principe de cette démarche est apparu opportun. Je serai moi-même à Washington lundi prochain. J'en parlerai à nouveau à Hillary Clinton. Peut-être à ce moment-là aurai-je un retour de Ramallah et de Jérusalem. Je répète que la France, en faisant cette démarche, cherche à être utile. On n'en tirera pas beaucoup de bénéfices, dans aucun cas de figure. Si cela marche, d'autres se flatteront d'avoir réussi, si cela ne marche pas, on dira que nous avons échoué. Voilà, nous tentons notre chance parce que nous n'avons rien à perdre. Nous n'avons qu'une seule chose à léguer, peut-être un petit espoir de paix supplémentaire.
Q - Monsieur le Ministre, tout à l'heure, Noam Shalit vous a demandé que la France intervienne un peu plus pour la libération et notamment que la France devienne médiatrice, allez-vous l'accepter ?
R - Intervenir davantage, nous y sommes prêts, nous faisons déjà beaucoup. Le président de la République a pris des positions très claires. Il a obtenu que le G8 de Deauville mentionne la situation de Gilad Shalit et condamne sa détention. Nous avons obtenu la même chose au Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne. Nous mobilisons tous nos alliés pour faire pression dans ce sens. Nous avons dit hier au président Mahmoud Abbas et ce matin au Premier ministre Fayyad, combien nous étions attachés à la résolution de ce cas, de cette détention inacceptable. Je l'ai redit aussi au Premier ministre Netanyahu. Nous sommes en permanence à la manuvre et nous multiplions les pressions en ce sens. J'ai fait comprendre à nos amis palestiniens qu'un signe d'évolution positive du Hamas dans la bonne direction, celle que j'ai évoquée tout à l'heure, serait précisément la libération de Gilad Shalit.
Q - Monsieur le Ministre, pourquoi n'êtes-vous pas allé à Gaza contrairement à Michelle Alliot-Marie en début d'année. Est-ce un déplacement que vous envisagez ?
R - C'est tout à fait possible, vous savez les contraintes d'emploi du temps sont ce qu'elles sont. J'ai rencontré ce matin, je vous l'ai dit, le Premier ministre palestinien. J'ai surtout passé, au centre culturel franco-allemand, une bonne heure à discuter avec de jeunes Palestiniens et je peux vous dire qu'ils n'ont pas la langue de bois. Ils m'ont dit ce qu'ils avaient sur le cur et l'échange a été très fort. J'ai bien senti l'immense frustration qui est la leur aujourd'hui, leur impatience. Je crois aussi que cela m'a conforté dans l'idée que le statu quo n'est pas possible et qu'il amènera sans doute à une montée des tensions qui ne sera bonne pour personne.
Q - Monsieur le Ministre, une nouvelle flottille est prévue pour fin juin. Quelle est la position de la France ?
R - C'est une très mauvaise idée, qui ne peut une fois de plus qu'attiser les tensions et créer une source de conflits. Nous recommandons donc fermement aux organisations françaises de ne pas y participer. Cela dit, nous sommes en démocratie, la France n'a pas les moyens d'arrêter des bateaux en haute mer quand elle n'en a pas la compétence juridique. Nous pensons que ce serait, je le rappelle, un très mauvais signal.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez rencontré le Premier ministre israélien. Lui avez-vous exposé votre théorie qui consiste à penser que l'accord de réconciliation est peut-être une opportunité de faire évoluer le Hamas ? Si oui, comment a-t-il réagi ?
R - Écoutez, ce que j'ai dit, c'est évidemment tout ce que je vous ai dit, vous savez tout. Il a sur le Hamas une position, on le sait bien, extrêmement négative.
Q - L'un de vos interlocuteurs vous a-t-il paru sensible à votre proposition ? Et lequel a été le plus sensible à cette proposition ?
R - Attendez un peu, je sais que votre métier consiste à être toujours un temps en avance, mais laissez venir les réactions ; je ne peux pas vous dire si untel a souri, si untel a fait la grimace, si untel a plus souri que l'autre. Ils ont écouté l'un et l'autre, je le répète, aucun n'a dit : «Rentrez chez vous, on ne veut pas le savoir». L'un et l'autre m'ont dit «on va y travailler, on va y réfléchir, et on vous dira ce que l'on pense». Alors attendons lundi, mardi, mercredi, aussitôt que possible.
Q - Monsieur le Ministre, vous êtes un vieux routier, on peut le dire de ce processus. Vous étiez là il y a 18 ans, au début de ce Processus de paix d'Oslo. Depuis, il y a eu huit ministres des Affaires étrangères français qui sont venus faire leur proposition, au moins quatre secrétaires d'État américains. Comment avez-vous analysé le fait qu'aujourd'hui le processus de paix a l'air beaucoup plus complexe, beaucoup plus difficile, qu'il y a un fossé beaucoup plus profond entre Palestiniens et Israéliens qu'il y a 18 ans ? Que s'est-il passé ?
R - Alors bien sûr, je ne pense pas que je suis meilleur que les autres, je viens ici avec beaucoup de modestie. Je pense que c'est le contexte qui a changé. Le contexte à l'international, le contexte régional a changé, je l'ai dit tout à l'heure. C'est plus difficile aujourd'hui parce qu'hélas, au fur et à mesure que le temps passe, les frustrations s'accumulent, les méfiances s'aggravent. Ce qui m'inquiète, c'est le moyen ou long terme, où va-t-on comme cela ? On peut remporter des victoires de court terme, mais les choses sont en l'état ; on reste en l'état.
Je ne pense pas que cela puisse rester en l'état pendant des années et des années. C'est la raison pour laquelle nous essayons, malgré ce qui s'est passé, malgré les échecs, de repartir.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 juin 2011