Déclaration de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale, sur les thèmes abordés lors des débats sur la réforme de la dépendance, Strasbourg le 20 juin 2011.

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Circonstance : 4ème Débat interrégional sur la réforme de la dépendance à Strasbourg le 20 juin 2011

Texte intégral

C'est ici, à Strasbourg, que j'ai le plaisir de conclure aujourd'hui avec vous le cycle de grands débats citoyens que j'ai souhaité organiser pour que chacun puisse s'exprimer sur la réforme de la dépendance.
Avant toute chose, je voudrais vous remercier chaleureusement, Monsieur le ministre, cher Philippe Richert, de m'accueillir dans cette belle région à laquelle je vous sais très attaché.
Vous remercier, aussi, de vous être pleinement engagé à mes côtés dans cette vaste concertation.
Vous avez été présent lors de l'installation des groupes de travail et lors des débats.
Vous m'avez remis, et j'y suis particulièrement sensible, une contribution extrêmement intéressante.
C'est aussi votre cas, cher David Gordon-Krief, vous qui m'avez présenté le 15 juin dernier le remarquable rapport que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a produit sous votre impulsion, rapport en phase avec les difficultés et les attentes de notre société.
Enfin, je veux adresser l'expression de ma profonde reconnaissance à toutes celles et tous ceux qui se sont mobilisés pour organiser avec succès l'ensemble de ces débats.
Je pense naturellement à l'équipe de Laurent Setton et à celle de Polynome, qui, toutes deux, ont fait un travail remarquable.
Je pense aussi aux équipes de TNS Sofres, qui nous ont apporté leur précieuse expertise.
30 débats donc, sans compter tous ceux qui ont été organisés localement et auxquels nous avons aussi participé.
Plus de 80 heures de discussions, dans toutes les régions de France.
Près de 12 000 participants.
350 contributions sur le site internet dédié ; 3000 visites et 13 000 pages vues chaque semaine.
Les chiffres à eux seuls sont éloquents et ils traduisent bien le vif intérêt qu'a suscité cette concertation, que j'ai voulue la plus large possible.
Une concertation participative, ouverte à toutes et à tous, qui nous a permis de recueillir des centaines de témoignages concrets.
Chacun de ces déplacements a d'ailleurs été l'occasion de visiter de nombreuses structures innovantes.
Une concertation extrêmement féconde et constructive aussi, dans laquelle chacun a pu faire entendre sa voix et formuler des propositions qui, toutes, seront examinées.
Car c'était bien cela notre ambition : prendre en compte les spécificités de chaque territoire.
Nous le savons bien, les enjeux de la dépendance ne se posent pas dans les mêmes termes dans le Limousin, où l'indice de vieillissement est le plus élevé, et en Alsace, région plus jeune.
Prendre en compte les spécificités de chaque territoire, donc, pour construire un modèle universel qui résistera aux défis du temps qui nous attendent.
C'est précisément ce modèle de société auquel nous avons réfléchi ensemble depuis plusieurs mois, sans idéologie, sans parti pris.
Dans le cadre de ce quatrième débat interrégional, j'ai souhaité que l'on termine sur la question du financement et de la gouvernance.
Car, avant de savoir ce que nous devons financer, il nous faut savoir ce que nous voulons financer (I).
A cet égard, les précédents débats ont permis de faire émerger des priorités, voire, parfois, des urgences pour améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens.
D'abord, la nécessité d'améliorer la coordination des intervenants autour de la personne âgée dépendante.
Pour garantir une prise en charge de qualité, la mise en place d'un parcours cohérent, coordonné et adapté paraît primordiale.
Pour cela, il a été proposé par exemple de développer la prévention et les nouvelles technologies, ou de renforcer les regroupements de professionnels, et en particulier les réseaux gérontologiques.
Organiser une meilleure coordination autour de la personne âgée dépendante, c'est améliorer la qualité de la prise en charge, mais c'est aussi soulager les familles.
Le rôle des familles, et plus généralement des aidants, est justement un autre enseignement fort que je retiens de ce débat, comme de toutes les contributions à ce stade.
Une grande partie de nos concitoyens insistent sur la nécessité de mieux soutenir, de mieux reconnaître et de mieux valoriser les aidants : en un mot, d'aider les aidants, qui, je le souligne, sont d'ailleurs souvent des aidantes.
Pour cela, nous devons améliorer l'accès à l'information et à la formation, développer les dispositifs de répit ainsi que les actions de prévention de la santé des aidants.
Mieux coordonner ; mieux accompagner les familles… : la qualité de l'accompagnement passe aussi, bien évidemment, par la variété de l'offre de services. Cette offre, en effet, doit être la mieux adaptée aux différentes situations de dépendance, des situations parfois évolutives.
Aujourd'hui, la très grande majorité de nos concitoyens souhaitent vivre le plus longtemps possible à leur domicile, à condition que leur sécurité soit garantie.
A cet égard, l'Alsace peut encore progresser ! Le niveau de dépendance de la population âgée alsacienne est plus élevé que la moyenne nationale et que votre région est celle où la mortalité par chutes des personnes âgées de plus de 75 ans est la plus importante.
C'est donc toute notre organisation sociale qu'il faut repenser pour donner une véritable place aux personnes âgées et favoriser leur participation réelle à la vie sociale.
Pour intégrer pleinement nos aînés à notre société, nous devrons adapter notre urbanisme, nos logements, nos espaces publics, notre mobilier urbain, notre réseau de transports, nos services de soins, nos services sociaux et nos commerces de proximité.
Nous devrons également veiller à ce qu'ils puissent accéder aux nouvelles technologies et aux bénéfices du progrès scientifique et médical.
Une personne âgée qui vit chez elle doit pouvoir aller faire ses courses, se faire soigner, acheter ses médicaments, se promener dans son quartier ou son village, participer aux activités sociales, culturelles et physiques à proximité de son domicile.
Parce qu'elle est plus vulnérable, elle doit être mieux protégée lorsqu'elle prend une décision qui l'engage financièrement.
Car ne perdons jamais cela de vue : vivre à domicile, ce n'est pas le confinement à domicile, synonyme d'isolement et de mal-être.
Vivre à domicile, c'est pouvoir rester mobile et accéder facilement aux services dont on a besoin, parce que la société, plus accueillante, fait en sorte de les mettre à sa portée.
Vivre à domicile, c'est pouvoir vivre avec les autres, au cœur de la cité, et participer pleinement au vivre ensemble.
Lorsque le maintien à domicile n'est plus possible, il faut réfléchir aux conditions d'hébergement dans des établissements spécialisés. Aujourd'hui, ceux-ci sont de plus en plus médicalisés.
Mais n'y aurait-il pas un intérêt à développer des structures intermédiaires, pour les personnes âgées fragiles ou faiblement dépendantes ?
Dans cette perspective, pourquoi ne pas réfléchir à des formules innovantes comme l'accueil familial, les résidences intergénérationnelles ou les petites unités de vie ?
Vous le voyez, ce sont là des enjeux importants qui appelleront, dès l'année prochaine, des réponses concrètes.
Mais je veux le dire très clairement : nous ne partons pas de rien et nous pouvons relever le défi du vieillissement, puisque nous y consacrons d'ores et déjà 24 milliards d'euros.
Selon les prévisions du groupe de travail de Jean-Michel Charpin, ce sont 2,3 milliards supplémentaires qui seront nécessaires à l'horizon 2025.
A présent que nous avons cerné ces besoins, comment les financer (II) ?
C'était tout l'objet du groupe de travail animé par Bertrand Fragonard, que je veux remercier pour la qualité du travail accompli.
Ma gratitude s'adresse aussi, naturellement, à l'ensemble des experts qui l'ont entouré pour mener à bien cette réflexion nécessaire.
Je veux aussi saluer le travail mené par les CODERPA du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
Concernant le financement, je veux le redire ici, nous devons tenir compte de plusieurs principes intangibles. J'en citerai quatre.
D'abord, un principe de responsabilité : il n'est pas question de reporter le financement sur les générations futures, au risque d'alourdir la dette.
Ensuite, un principe de justice sociale, qui doit se décliner à plusieurs niveaux.
Pour commencer, le financement repose en grande partie sur les salariés. Les personnes retraités et celles exerçant une profession libérale ne sont pas concernées par la journée de solidarité. Cela est-il réellement juste ?
De la même manière, les personnes âgées participent moins que les autres à la CSG. Là encore, il faut s'interroger sur la justice d'un tel état de fait.
C'est aussi pour des raisons de justice sociale que le Premier ministre a exclu l'idée d'une assurance obligatoire. C'est à partir de notre socle de solidarité que nous allons progresser. L'assurance restera donc complémentaire et facultative.
Par ailleurs, il ne serait pas juste que les personnes dépendantes assument à elles seules la charge de leur dépendance, qui est un défi collectif. C'est pour cette raison que le recours sur succession devrait être écarté. La piste proposée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) du 1% sur les droits de succession répond bien, en revanche, à cette préoccupation.
Troisième principe : ne pas peser sur la croissance et l'emploi. Le Premier ministre a exclu une hausse généralisée de la CSG : ce serait une solution de facilité dont les conséquences pèseraient lourdement sur l'emploi et l'activité.
Enfin, dernier principe que nous souhaitons défendre : la solidarité nationale ne doit pas être le paravent de nos égoïsmes en effaçant ou faisant reculer les solidarités familiales et naturelles. La facilité serait de se dire : « Je paie des impôts, donc c'est à l'Etat de faire ». Cette facilité, je la refuse !
Ne l'oublions pas, c'est la gratuité, ce sont les solidarités familiales qui donnent à notre société son surplus d'humanité.
Le financement donc, mais aussi la gouvernance, sur laquelle je veux revenir à présent (III).
Comment les choses se passent-elles actuellement ? Quelles difficultés ont-elles été relevées ?
Premier constat : la situation est d'une grande complexité car les interlocuteurs sont multiples et pas toujours clairement identifiés.
Au niveau national, il existe de nombreux financeurs et opérateurs : la CNAMTS, la CNSA, la CNAF (pour la politique familiale) ou la CNAV (pour l'aide sociale des GIR 5 et 6).
Au niveau local, les interlocuteurs sont différents. Ce sont les ARS, les départements, les communes, les CCAS, les CARSAT et les CPAM.
Deuxième constat : notre système souffre aujourd'hui d'un trop grand cloisonnement :
- cloisonnement au sein de l'Assurance maladie, entre l'hôpital, la médecine de ville et le secteur médico-social ;
- cloisonnement aussi entre les conseils généraux, l'Assurance maladie et l'Etat ;
- cloisonnement, enfin, entre le domicile et l'établissement.
Troisième constat : il existe des marges d'efficience, mais je remarque que nous n'incitons pas suffisamment les acteurs à le faire.
Ainsi, par exemple, un département qui mène une politique active en matière de prévention et évite des dépenses inutiles à l'Assurance maladie ne reçoit aucune incitation à poursuivre cette politique, pourtant importante. Cela doit changer.
Pour autant, que l'on ne s'y trompe pas : nous pouvons nous appuyer sur de réels atouts, que nous devrons mieux valoriser.
Premier atout : le débat l'a clairement montré, des acteurs nouveaux ont gagné leurs lettres de noblesse en faisant la preuve de leur efficacité : la CNSA et les ARS.
Second atout : cette gouvernance originale est saluée :
- la CNSA s'est dotée d'un conseil qui associe tous les acteurs concernés. La décentralisation a été accompagnée : si les départements jouent un rôle moteur, ils peuvent s'appuyer sur la CNSA.
- les ARS ont permis de mettre en place des logiques de parcours et de réunir en une seule main toutes les leviers d'action.
- enfin, je l'évoquais il y a un instant, les départements constituent un échelon de proximité particulièrement important.
Demain, c'est donc sur ces acteurs que nous devrons sans aucun doute nous appuyer pour promouvoir trois exigences majeures :
- la coordination et le décloisonnement, notamment grâce à une plus grande fongibilité des ONDAM et une plus grande responsabilisation des ARS ;
- la nécessité de faire preuve de volontarisme et d'inciter les acteurs à rechercher une plus grande efficience. Le principe est simple : celui qui permet à l'autre de faire des économies doit pouvoir être associé au partage de ces économies.
- l'égalité de traitement, qui doit faire en sorte que chaque personne bénéficie de la même qualité dans sa prise en charge, quelle que soit la région dans laquelle elle vit.
En tout état de cause, nous ne devons jamais perdre de vue l'impérieuse nécessité de toujours placer au cœur du dispositif ce qui fait tout son sens : la personne âgée dépendante et ses aidants. C'est pour elle et pour eux que nous agissons.
Alors, le Premier ministre l'a dit la semaine dernière à Marseille, l'« heure des choix » approche.
A l'issue des débats qui s'achèvent aujourd'hui et de la remise par chacun des groupes de travail de son rapport, je remettrai moi-même une synthèse générale au Président de la République à la fin du mois. Ainsi, des arbitrages gouvernementaux pourront intervenir pendant l'été. Le futur n'est pas un endroit où l'on se rend : c'est un avenir que l'on construit, et que l'on doit construire ensemble.
C'est ensemble que nous forgerons les projets les plus pertinents, les projets qui font sens et vous apporteront des réponses concrètes.
Lorsque la solidarité et la dignité humaine sont en jeu, ce devoir est d'autant plus impérieux.Source http://www.dependance.gouv.fr, le 22 juin 2011