Déclaration de M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, sur les grandes orientations de la politique de prévention de la délinquance, à Paris le 28 juin 2011.

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Circonstance : Clôture du colloque national sur la prévention de la délinquance, hôtel de Beauvau, Paris le 28 juin 2011

Texte intégral

Mesdames et messieurs,
C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai accueilli aujourd’hui au ministère de l’intérieur ce colloque destiné à donner « une impulsion nouvelle à la politique de prévention de la délinquance ». Il me semblait, en effet, qu’ouvrir ce lieu emblématique de la politique de sécurité à vos travaux ne pouvait que souligner la place que le Gouvernement entend réserver dans son action à la prévention de la délinquance.
Je voudrais, avant toute chose, remercier l’instigateur de ces rencontres, vous, cher Jean-Marie BOCKEL et vous dire que le caractère convenu de ces remerciements n’enlève rien à leur sincérité, bien au contraire.
Vos travaux, en effet, ont bénéficié de votre longue expérience de maire, de parlementaire et de ministre, vous qui êtes tout à la fois l’artisan de l’ambitieuse politique de prévention de la délinquance mise en place à Mulhouse et l’auteur d’un rapport remarqué au Président de la République sur la prévention de la délinquance juvénile.
Mais, au-delà de la personne de Jean-Marie BOCKEL, j’aimerais remercier chacun d’entre vous : votre présence ici aujourd’hui et la richesse de vos échanges sont en effet le signe, ô combien prometteur, que les efforts du Gouvernement pour faire entrer la prévention de la délinquance dans nos moeurs politiques commencent à porter leurs fruits.
I. Le Gouvernement s’est en effet investi très tôt dans la prévention de la délinquance, en s’appuyant sur deux idées fondamentales sur lesquelles je souhaite, brièvement, revenir avec vous.
1) Première idée, prévention et répression sont inextricablement liées : la seconde soutient la première.
Vous le savez, le Gouvernement n’a pas peur de réprimer les crimes et les délits. Depuis 2002, nous menons ainsi contre la délinquance une politique de fermeté qui porte ses fruits. En effet, après avoir connu une hausse historique de plus de 17% entre 1997 et 2002, la délinquance générale a baissé, entre 2002 et 2010, de 17%. Grâce à notre action, la délinquance est revenue, l’année dernière, en dessous de son niveau de 1997 alors même que notre population a augmenté, sur cette période, de plus de 4 millions de personnes [de 58,1 millions au 1er janvier 1997 à 62,8 millions au 1er janvier 2010 en France métropolitaine. Sources : INSEE].
Cette action touche à tous les domaines, jusqu’à la lutte contre les fraudes et particulièrement les fraudes lésant l’Etat. C’est, d’abord, la logique qui a présidé à la création, en mars 2010, des comités opérationnels départementaux anti-fraude [CODAF] co-présidé par le préfet et le procureur de la République. Les bonnes habitudes de travail en commun prises dans ce cadre portent leurs fruits puisque 1 700 opérations ont été menées, permettant, au total, la détection de 171 millions d’euros de fraudes fiscales, douanières et sociales [soit une progression de 151% par rapport à 2009]. C’est aussi la logique qui a conduit à faire accueillir 50 agents de la DGFiP au sein des unités de gendarmes et de policiers chargés de la lutte contre les trafics afin de « frapper les délinquants au portefeuille ». Là encore, les résultats sont au rendez-vous avec 2 500 enquêtes engagées et près de 4,5 millions d’euros de saisies.
Cette politique est nécessaire ; elle est efficace ; elle est dissuasive ; mais elle n’est pas suffisante. Elle intervient, en effet, une fois l’infraction commise. Nous devons nous efforcer d’agir plus en amont :
- c’est l’intérêt, naturellement, des victimes potentielles qui se trouvent ainsi épargnées ;
- c’est l’intérêt, aussi, des possibles délinquants à qui l’on donne une chance de ne pas basculer dans la criminalité et de reprendre leur vie en main avant qu’il ne soit trop tard ;
- c’est, enfin, l’intérêt général. Toute infraction, la plus petite incivilité, porte atteinte non pas seulement aux parties en présence mais bien à la cohésion du corps social tout entier.
Agir pour éviter la commission d’infractions, c’est donc contribuer à renforcer le sentiment de tranquillité publique pour tous les gestes simples du quotidien : faire ses courses, prendre les transports en commun, laisser partir ses enfants à l’école ou rentrer tard le soir.
Pour toutes ces raisons, l’Etat doit développer et mettre en oeuvre une politique de prévention de la délinquance à la fois ferme et ambitieuse.
Dire cela, ce n’est ni abandonner la répression ni même faire moins de répression. C’est comprendre qu’une politique de sécurité équilibrée ce n’est pas prévention ou répression mais bien l’un et l’autre et même l’un pour l’autre : la certitude de la sanction constitue la première des préventions tandis que, parallèlement, l’efficacité de la prévention réduit les besoins en répression.
Articuler prévention et répression, c’est ainsi viser non seulement la baisse objective de la délinquance mais aussi la promotion d’un climat de sécurité. Dans cette double optique, j’ai lancé, il y a deux mois, l’expérimentation du « patrouilleur » qui démultiplie les patrouilles en uniforme, au contact direct de la population, sur des zones particulièrement peuplées ou faisant l’objet d’un fort passage. Le coeur de l’action des patrouilleurs reste la lutte contre la délinquance et l’interpellation des auteurs d’infraction. Mais leur rôle est aussi d’assurer une présence visible et rassurante sur le terrain permettant à la population – et notamment à ces « capteurs » du climat de sécurité que sont les commerçants ou les chefs d’établissements scolaires – de les alerter sur les comportements antisociaux qui peuvent peser sur la vie du quartier. Le succès de ce dispositif – dont j’ai d’ailleurs décidé de la généralisation à l’ensemble du pays à partir de vendredi [1er juillet] – tient précisément à ce qu’il agit sur les deux tableaux de la répression et de la prévention.
(2) Deuxième idée : la prévention de la délinquance n’est pas une oeuvre solitaire. Elle est, véritablement, l’affaire de tous.
Il ne s’agit pas de dégager l’Etat de ses responsabilités. Il s’agit de faire comprendre, une fois encore, que la prévention de la délinquance ne relève pas seulement de l’Etat ou des acteurs locaux de la sécurité, collectivités territoriales et société civile, mais de la combinaison de leurs efforts.
Cette logique de complémentarité s’inscrit, d’abord, dans une perspective historique. Je rappelle que la sécurité, pouvoir régalien, est aussi un pouvoir que l’Etat a entendu, dès l’origine, partager avec les maires. C’est vrai dès la loi du 14 décembre 1789 confiant des pouvoirs de police aux maires et dès la grande loi communale de 1884 organisant une coopération étroite entre l’Etat et les communes pour la défense de l’ordre et de la tranquillité publics.
Cette logique de complémentarité dénote, ensuite, un souci de pragmatisme et de souplesse. Par sa vision globale et son rôle de pilote des politiques publiques, l’Etat est le mieux à même de développer une vision globale de la prévention de la délinquance, nourrie aussi bien de sa réflexion propre que des bonnes pratiques qui lui reviennent du terrain. Son rôle consiste donc à élaborer les outils de la prévention de la délinquance et à soutenir et accompagner leur mise en oeuvre. Si l’Etat fournit la boîte à outils, les collectivités doivent, elles, choisir dans cette boîte les instruments adaptés à leur situation démographique, sociale et culturelle propre.
Cette logique de complémentarité suppose, enfin, une démarche collective. C’est une vérité que j’ai pu vérifier partout : lorsque, chacun dans son rôle, les différents acteurs de la sécurité, locaux et nationaux, publics et civils, travaillent en bonne entente, l’insécurité recule.
Je pense, en particulier, à la politique de prévention de la délinquance mise en oeuvre par la ville du Havre où je me suis rendu le 10 juin dernier et qui repose sur une mobilisation très large : coopération étroite entre les polices nationale et municipale, implication des citoyens ou encore élargissement des différents organes de prévention de la délinquance aux différents acteurs de la vie de la cité comme le service de cohésion sociale de la ville, le SDIS, le rectorat, les chefs d’établissements, les opérateurs de transport, les bailleurs ou les associations.
Je note, d’ailleurs, que votre colloque a fait sienne cette volonté d’inscrire la prévention de la délinquance dans une approche globale et collective puisque vos tables-rondes étaient animées aussi bien par des représentants de l’Etat que par des élus locaux et que votre journée n’a pas seulement été ponctuée par mon intervention mais aussi par celle du Garde des Sceaux, Michel MERCIER.
II. En se fondant sur ces deux idées, le Gouvernement s’investit dans la promotion d’une politique de prévention de la délinquance ambitieuse et équilibrée.
(1) En matière de prévention de la délinquance, le Gouvernement a beaucoup fait.
C’est à lui que revient la paternité de la loi novatrice du 5 mars 2007 qui fait du maire le pivot de l’action locale en matière de prévention de la délinquance et met à sa disposition un ensemble d’outils à la fois souples et adaptés.
C’est à lui que revient, aussi, en octobre 2009, d’avoir remobilisé les acteurs de la prévention de la délinquance via le plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes.
C’est à lui, toujours, alors même que les premiers résultats de la loi de 2007 et du plan de 2009 pourraient pousser au relâchement, que vous devez d’être réuni aujourd’hui afin de réfléchir, déjà, aux impulsions futures de la politique de prévention de la délinquance de notre pays.
(2) La loi du 5 mars 2007 était un texte novateur : après une période d’adaptation, de plus en plus de communes se sont engagées dans les dispositifs qui leur étaient ouverts.
L’objectif de cette loi est de permettre une détection aussi précoce que possible des comportements violents ou antisociaux afin de permettre d’intervenir en amont du basculement dans la délinquance. Cela suppose, naturellement, d’agir au plus près des individus concernés avec :
- un pilotage local assuré par le maire qui, d’ailleurs, dans de très nombreux cas, assumait déjà officieusement cette fonction ;
- une approche partenariale mêlant acteurs nationaux et locaux, publics, privés et associatif afin de multiplier les « capteurs » et donc les chances de détecter les situations problématiques ;
- des cadres d’action souples afin d’adapter chaque réponse à chaque situation particulière.
Comme le montre le suivi effectué par le comité interministériel de prévention de la délinquance [CIPD], cette approche souple et pragmatique emporte l’adhésion d’un nombre croissant de communes de toute taille et de tout bord politique :
- le nombre de conseils des droits et devoirs des familles [CDDF] a plus que doublé au cours des 6 derniers mois passant de 102 fin 2010 [créés et en cours de création] à plus de 230 aujourd’hui. Cette volonté de fonder la prévention de la délinquance sur une approche personnalisée passant par la responsabilisation des familles se diffuse sur tout notre territoire :
* 1/3 des communes de plus de 50 000 habitants [52 sur 129] disposent désormais d’un CDDF en état de fonctionnement [17] ou en cours de création [35]. Ce mouvement va naturellement s’amplifier puisque les CDDF ont été rendus obligatoires dans ces communes par la LOPPSI. C’est une démarche particulièrement nécessaire dans ces villes qui, par leur taille, cumulent souvent une relation maire/citoyens plus distante et des problèmes de délinquance plus graves ;
* 129 communes disposent en outre de dispositifs inspirés de l’esprit de la loi de 2007 et adaptés à leur taille plus restreinte. Je pense, en particulier aux cellules de citoyenneté et de tranquillité publique développées par Bernard REYNÈS dans sa ville de Chateaurenard. J’ai pu me rendre compte personnellement, au cours d’un déplacement sur le terrain, de la pertinence de ce dispositif qui conjugue habilement souplesse du fonctionnement et grande rigueur administrative et juridique. Je note, d’ailleurs, que cette heureuse initiative se diffuse, déjà, dans plusieurs dizaines de communes des Bouches-du-Rhône, du Var et du Vaucluse. Ces exemples, ils sont nombreux. Nous les soutenons et nous les accompagnons.
- deuxième exemple, le dispositif de rappel à l’ordre qui permet au maire de donner une réponse rapide à tous ces comportements qui ne relèvent pas de la justice mais traduisent un mépris dangereux pour les règles informelles de la vie en société, connaît un rapide essor : 543 maires en font désormais usage contre seulement 126 à la fin de l’année 2010. L’implication des Parquets au travers de protocoles locaux apparaît décisive pour le développement de cette formule ;
- troisième et dernier exemple, la transaction qui permet de faire réparer un dommage aux biens communaux par une participation financière ou un travail d’intérêt général de l’auteur de la dégradation connaît, elle aussi, une progression rapide : 140 communes l’utilisent désormais contre seulement 10 à la fin de l’année 2010.
Encourageants, ces chiffres ne sont naturellement pas encore suffisants. J’ai néanmoins bon espoir que, portée par la dynamique positive que créent les premiers retours d’expériences qui nous parviennent, de plus en plus de communes s’emparent des outils proposés par la loi de 2007.
(3) Si l’Etat veille à la bonne mise en oeuvre de la loi de 2007, il est également très attentif aux autres piliers de la prévention de la délinquance rappelés par le plan national d’octobre 2009.
Je pense, naturellement, aux efforts consentis par l’Etat pour accompagner l’équipement de notre pays en matière de vidéoprotection. Fin 2010, 37 000 caméras étaient en service à travers le territoire. Pour cette année, l’Etat maintient son investissement :
- investissement financier, d’abord, avec une enveloppe de 30 millions d’euros de soutien aux différents projets locaux ;
- investissement humain et technique, ensuite, puisque j’ai demandé aux préfectures, avec l’appui des référents sûreté police et gendarmerie, d’amplifier leurs efforts d’incitation des élus et de leur apporter leur aide dans l’élaboration de leurs projets.
Je pense, également, à la politique de rénovation urbaine menée par le Gouvernement. En la matière, nous avançons avec une conviction simple : s’il n’y a aucune excuse à la délinquance, il y a, en revanche, des environnements qui, de par leur aspect dégradé, favorisent les comportements antisociaux ou illégaux. Si ce versant de notre politique relève plutôt du ministère de la ville, je voulais néanmoins souligner l’apport des policiers et des gendarmes à ces programmes de rénovation : tirant parti de leur expérience, ils conseillent en effet les responsables pour entraver, dans la configuration même des lieux, les trafics et les attroupements de bandes qui pourrissent la vie de ces quartiers.
Je pense, enfin, aux efforts faits en matière d’éducation pour empêcher les enfants les plus fragiles de décrocher du système scolaire. J’ai eu l’occasion, récemment, de me déplacer au Havre pour mettre en valeur le dispositif de valorisation de l’exclusion temporaire développé par cette commune. Les initiatives de ce type se multiplient dans nombre de communes et nous leur apportons toujours, via le FIPD, notre soutien. C’est, je le sais, un sujet qui tient particulièrement au coeur de Jean-Marie BOCKEL dont le rapport 2010 sur la prévention de la délinquance des mineurs consacrait une partie complète à la restauration de la citoyenneté par l’école.
La prévention de la délinquance fait désormais l’objet d’une véritable mobilisation générale : l’action du Gouvernement est relayée par l’implication croissante des maires, nourrie par les réflexions de plusieurs parlementaires et notamment de Jean-Marie BOCKEL et renforcée par le développement de nombreuses coopérations ville/Etat que ce soit en matière de sécurité avec les coopération police nationale/police municipale, en matière de justice avec le dialogue ville/Parquet ou encore en matière d’éducation nationale.
Ces efforts vont dans la bonne direction, celle d’une politique tournée non seulement vers le recul de la délinquance mais aussi vers la promotion de la citoyenneté. La prévention de la délinquance est au coeur de la promotion du vivre-ensemble républicain, fondé sur le respect entre les citoyens.
Je ne doute pas que vos travaux d’aujourd’hui et le travail mené en amont depuis un an ne nous permettent encore d’ajuster et de développer cette politique. C’est en tout cas dans cette optique que je prendrai connaissance, le 14 juillet prochain, du rapport que vous remettrez, cher Jean-Marie BOCKEL, au Premier ministre.
La prévention de la délinquance est un enjeu régalien majeur que le ministère de l’intérieur prend avec le plus grand sérieux. Mais c’est surtout une politique indispensable pour la construction de notre société qui doit, de ce fait, entraîner l’implication de tous.
Source http://www.lagazettedescommunes.com, le 5 juillet 2011