Déclaration de Mme Roselyne Bachelot, ministre des solidarités et de la cohésion sociale, sur l'état des comptes de la sécurité sociale, notamment la branche famille et la dépendance des personnes âgées, Paris le 9 juin 2011.

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Circonstance : Examen des comptes de la sécurité sociale par la Commission des comptes de la sécurité sociale à Paris le 9 juin 2011

Texte intégral


Je tiens d’abord à saluer le travail accompli par Monsieur le Secrétaire général, mais aussi par Dominique LIBAULT et toute son équipe, qui ont permis de préparer cette Commission avec efficacité et rapidité.
Après les présentations qui vous ont été faites par François BAROIN et Xavier BERTRAND, je souhaiterais pour ma part vous présenter les réflexions que m’inspire l’état des comptes dans le champ de la Sécurité sociale dont j’ai la charge.
1- Je souhaiterais tout d’abord revenir sur la situation de la branche famille.
En ce domaine, comme l’a rappelé François MONIER, le déficit se stabilise autour de -2,8 milliards d’euros cette année, soit environ 100 millions d’euros de plus qu’en 2010.
Cette tendance est en ligne avec les prévisions de la Commission des Comptes pour 2011 et avec celles figurant dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale (LFSS).
Mais au-delà du simple rappel de ces chiffres, je voudrais qu’on comprenne mieux ce qui est en jeu :
D’abord, il est clair que la situation déficitaire de la branche famille ne permet pas, pour le moment, d’envisager des dépenses nouvelles.
Comment envisager de dégrader le solde de la branche famille, alors qu’une partie de ses dépenses est d’ores et déjà financée à crédit ?
J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet à plusieurs reprises comme lors de la discussion, le 1er juin dernier, de la proposition de loi sur la modernisation du congé maternité proposée par Marie-Claire CAMPION, ou encore lors du dernier Conseil européen « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs », le 6 décembre dernier.
Nul ne conteste que l’instauration d’un congé maternité plus long et mieux rémunéré se justifie, notamment d’un point de vue de la santé des femmes.
Mais cet allongement représenterait pour la sécurité sociale une charge supplémentaire de 170 millions d’euros si nous passions de seize à dix-huit semaines dans le cadre du dispositif actuel d’indemnisation.
Elle serait de plus de 1,1 milliard d’euros si nous retenions la disposition votée par le Parlement européen tendant à déplafonner l’indemnisation en prenant comme référence l’intégralité du salaire réel.
C’est évidemment une dépense inenvisageable dans l’état actuel de nos finances publiques.
Cela représenterait également une charge pour les employeurs. C’est enfin une mesure qui pourrait constituer un frein à l’embauche des femmes, un frein au développement de leur carrière, un frein à leur progression salariale.
Je voudrais rappeler ensuite que ces prévisions de solde de la branche famille ne doivent pas masquer l’essentiel : notre politique familiale est une réussite incontestable, comme en témoigne notre taux de natalité qui nous place en tête des pays européens.
Ce sont 828 000 enfants qui ont été accueillis en 2010 dans notre pays. Ce taux de fécondité est d’autant plus remarquable qu’il se conjugue avec un taux d’activité professionnel féminin atteignant 85% !
Nous n’avons pas souvent l’occasion de nous réjouir, alors profitons-en, d’autant que ceci est le résultat d’une politique familiale ambitieuse, et tout particulièrement depuis le début du quinquennat : les crédits consacrés à la politique familiale représentaient 4,7% en 2007 ; ils représentent, en 2010, 5,1% de la richesse nationale.
Le plan de création de places, qui a été lancé par Nadine MORANO, est tenu : 200 000 solutions de garde en plus, soit 100 000 en collectif, 100 000 en individuel, avec une diversification des modes de garde, grâce à un effort supplémentaire très important en période de crise de plus de 1,3 milliard d’euros.
Je pense également au développement des maisons d’assistantes maternelles, aux micro-crèches, aux aides directes aux familles, à la PAJE notamment - qui est un véritable congé parental et qui permet à 600 000 personnes, si elles le souhaitent, de rester auprès de leur enfant.
Alors, bien sûr, nous allons continuer à investir dans notre politique familiale.
En premier lieu, nous devons veiller à ce que l’amélioration de notre politique familiale ne se fasse pas au détriment du choix des femmes de travailler.
C’est pourquoi je souhaite que nous allions plus loin dans le partage des temps : c’est précisément l’objet d’une étude que j’avais demandée à l’IGAS sur ce sujet.
Le rapport m’a été remis cette semaine par Mme GRESY. Il constituera une contribution très importante pour la prochaine Conférence sur l’égalité professionnelle et le partage des responsabilités familiales qui se tiendra le 28 juin prochain.
En deuxième lieu, je crois beaucoup, en tant que responsable politique, à l’indispensable mise en cohérence de nos moyens d’action si l’on souhaite véritablement faciliter l’insertion dans l’emploi des familles qui en sont le plus éloignées.
Car c’est la transversalité dans nos politiques publiques, comme j’ai pu le constater sur le terrain à de très nombreuses reprises, qui peut nous donner les moyens de réinsérer durablement les foyers qui cumulent des difficultés importantes : je pense notamment à certaines familles monoparentales, c’est-à-dire très majoritairement des femmes qui élèvent seules leurs enfants.
Pour elles, nous devrions renforcer l’accueil des jeunes enfants, c’est-à-dire « faire levier » des moyens de notre politique familiale, pour les aider à se réinsérer professionnellement en les rendant économiquement indépendantes.
C’est là l’objectif vers lequel nous devons orienter notre politique d’inclusion sociale.
2- Je voudrais maintenant aborder nos politiques médico-sociales, en lien avec le débat sur la dépendance.
Comme vous le savez, une large part du financement de ce secteur est assurée par l’assurance-maladie, ce qui permet d’assurer une progression importante et régulière de l’ONDAM médico-social, malgré des contraintes de plus en plus fortes.
Mon propos ne sera pas ici de vous asséner des chiffes, mais plutôt de donner un éclairage sur les évolutions à court terme et à long terme de ce secteur.
Le premier éclairage concerne la progression de l’ONDAM médico-social cette année au regard des années précédentes.
L’ONDAM médico-social enregistre toujours la progression la plus importante des sous-objectifs, avec un taux de +3,8%, dans le cadre d’un ONDAM à +2,9%.
Cela n’a rien de surprenant au regard des efforts massifs et continus qui ont été réalisés ces dernières années. Depuis 2006, les crédits consommés de l’objectif global de dépenses (OGD) ont ainsi progressé de +25% pour les personnes handicapées [passant de 6,7 à 8,4 Mds€] et de +70% pour les personnes âgées [passant de 4,6 à 7,9 Mds€].
En fait, ce nouveau mode de budgétisation garantit le financement de l’intégralité des mesures de création de places, la poursuite de l’effort de médicalisation des établissements et la mise en œuvre des grands plans en faveur des patients atteints de la maladie d’Alzheimer et des personnes âgées.
Mais il y a une contrepartie : cette nouvelle approche ne conduira plus à la constitution d’excédents au sein de la Caisse nationale de solidarité et d’autonomie (CNSA).
D’un côté – mais qui le regrettera ? –, nous n’aurons plus ces délicieux débats sur le bien fondé de la restitution d’une partie des excédents de la CNSA à l’Assurance maladie.
Mais de l’autre, ces nouvelles « règles du jeu », nous devons en mesurer la portée et en tirer les conséquences, notamment sur le pilotage du secteur.
La construction de la campagne 2011 l’a bien montré, puisque nous avons dû ajuster la programmation 2011 lors du Conseil de la CNSA le 12 avril dernier pour tenir compte tant de la surconsommation de l’OGD du secteur « personnes handicapées » en 2010 que du surengagement budgétaire sur l’OGD du secteur « personnes âgées ».
Il est donc crucial que les directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) puissent piloter pleinement l’enveloppe de mesures nouvelles à leur niveau, afin de limiter la sous-consommation de crédits d’un côté, mais aussi la surconsommation de l’autre, et optimiser l’emploi de leur enveloppe limitative au plus près des priorités et des besoins.
C’est la raison pour laquelle j’avais commandé un « audit flash » à l’IGAS en début d’année, dont la principale conclusion a été d’améliorer le suivi budgétaire et comptable du secteur.
C’est donc une priorité pour cette année sur laquelle je sais pouvoir compter sur l’implication de la directrice générale de la cohésion sociale, Sabine FOURCADE, et sur celle du directeur de la sécurité sociale, Dominique LIBAULT.
Mon deuxième éclairage, sur les évolutions de long terme, porte sur la progression régulière des moyens du secteur médico-social, qui a permis jusque là de faire face à la montée en charge des personnes âgées dépendantes.
Nous disposerons dans les prochains jours des rapports des différents groupes de travail que j’ai installés en février dernier dans le cadre du débat national voulu par le Président de la République.
D’ores et déjà, les premiers résultats en matière de projection démographique et financière sont intéressants : sans surprise, le nombre de personnes dépendantes va croître pour passer de 1 150 000 bénéficiaires de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) en 2010 à 1 400 000 en 2020 et 2 300 000 en 2060. Ce qui n’était pas attendu en revanche, c’est que cette croissance sera plus importante que celle prévue en 2005.
Ces résultats doivent être lus sous plusieurs angles :
Le premier, c’est que nous ne partons pas de rien. L’effort public est en 2010 évalué à 24 milliards d’euros, dont 80% sont pris en charge par l’Etat et la Sécurité sociale et 20% par les Conseils généraux. La dépense des familles est estimée, en 2010, à 7 milliards : donc, environ 75% des dépenses sont publiques.
Le second angle de lecture ressort du travail du groupe de Jean-Michel CHARPIN : il montre que l’effort, à législation constante, donc en maintenant inchangées toutes les règles, est globalement supportable, même s’il aura tendance à augmenter plus vite à partir de 2025 avec l’arrivée au grand âge des « baby boomers ».
En 2025, la croissance de la dépense correspondrait à 0,12 point de PIB. En 2040, la croissance des besoins sera environ de 0,5 point de PIB, correspondant à un besoin de financement supplémentaire de 10 milliards d’euros.
Il ne s’agit là bien sûr que d’une estimation. Elle ne prend pas en compte ni les actions de prévention que nous pourrons décider, ni les éventuelles découvertes médicales à venir.
Elle ne tient pas compte non plus des recherches de gains d’efficience, obligation qui s’impose légitimement à tous les dispositifs sociaux.
Elle ne prend pas en compte non plus l’impact des mesures nouvelles qui seront arbitrées par le Président de la République, aussi bien pour aider les familles modestes, dont les restes à charge en maison de retraite (1500 € en moyenne) sont difficilement supportables, que pour apporter des solutions aux aidants ou pour développer l’offre dans des structures de prise en charge adaptées.
Aussi, une réforme ambitieuse de la dépendance reposant sur un socle solidaire très important est à notre portée.
Le Président rendra ses arbitrages dans le courant de l’été. Je pourrai donc vous livrer une présentation du projet de réforme du Gouvernement lors de la Commission des comptes prévue pour l’automne prochain.
Je vous remercie.
Source http://www.solidarite.gouv.fr, le 10 juin 2011