Texte intégral
Q - Avez-vous été surpris de votre nomination comme ministre des Affaires européennes ?
R - Etre nommé ministre est toujours une surprise. Mais cest un honneur de servir son pays à ce niveau de responsabilité et cest une chance de travailler sur les affaires européennes, surtout auprès dAlain Juppé pour lequel jai beaucoup damitié et dadmiration.
Q - Pouvez-vous nous raconter votre expérience concrète de lEurope ?
R - Personne nignore que jai été médecin. On me la même un peu reproché ! Mais cest dans mon parcours et en travaillant sur la bioéthique, que je me suis bien rendu compte quil y avait une conscience européenne. Les peuples sont à la fois ce que lHistoire en a fait et en même temps ce quils sapportent les uns aux autres.
Si vous regardez leur attitude sur la bioéthique, la position française ne ressemble pas à celle des Pays-Bas, mais est très proche, par exemple, de celle de lAllemagne. Cette conscience partagée et ces échanges font partie de la conscience européenne.
Q - La France, et elle nest pas la seule, est aujourdhui opposée à lentrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans lespace Schengen. Continuerez-vous à porter ce message ?
R - Nous avons toujours dit que nous voulions que ces deux pays entrent dans lespace Schengen mais de manière sécurisée, par étape.
La France est profondément attachée à la libre circulation des personnes dans lespace Schengen. Mais, pour protéger cet espace, la sécurité aux frontières extérieures doit être réelle.
Dans des cas exceptionnels où nous sommes obligés de réagir en urgence, il faut pouvoir sortir de la naïveté de lespace ouvert, et le sécuriser.
LEurope tourne le dos à une période de naïveté et rentre dans une période de réalisme. Nos amis roumains et bulgares ont dailleurs bien compris cette évolution et nous travaillons ensemble, en pleine confiance, pour réussir leur intégration dans Schengen.
Q - Lespace Schengen permet aux citoyens de circuler en toute liberté dans lUnion européenne. Restreindre cette possibilité est plutôt un recul
R - Nous ne restreignons pas cette liberté, nous la renforçons. Jhabite la Côte dAzur. Dans ma circonscription, il y a la technopole de Sofia Antipolis dans laquelle 62 nations sont implantées économiquement. Cet endroit est ouvert au monde.
Pour autant, quand des migrants illégaux passent massivement la frontière italienne à Vintimille, Schengen est décrédibilisé.
Q - Le budget proposé par la Commission européenne pour la Politique agricole commune (PAC) entre 2014-2020 est en baisse denviron 16 % si lon prend en compte linflation. La France va-t-elle se battre pour quun effort soit fait sur lagriculture dans le futur budget de lUnion européenne ?
R - Nous naccepterons pas un cadre financier pluriannuel 2014-2020 qui ne comporte pas une préservation de la Politique agricole commune. En disant cela, nous ne défendons pas les intérêts des Français mais des Européens. La volatilité sur les marchés agricoles et les problèmes de sécurité des produits alimentaires obligent lEurope à assumer ses propres besoins.
Vouloir lutter contre la désindustrialisation de lEurope et en même temps laisser partir tout un pan de lactivité économique, qui compte des milliers demplois, et surtout un savoir-faire exceptionnel nest pas possible.
Dans ce contexte, cest un peu dommage que laide aux plus démunis ait été contestée pour des raisons purement juridiques. Nous devons retrouver cette générosité, que cela soit dans le cadre de la Politique agricole commune ou dune autre politique. Jen ai fait part à mon homologue allemand, qui je le crois, a accueilli favorablement notre position.
Q - Un bras de fer est engagé entre lEtat et les Régions sur lavenir de la politique régionale dans le budget de lUnion européenne. Etes-vous opposés à la création dune nouvelle catégorie de régions bénéficiaires des fonds européens, proposée par la Commission européenne ?
R - Cest une idée à fouiller. Mais il faut dabord faire une évaluation des politiques de lUnion européenne, et en particulier de la politique régionale. Une vingtaine de régions en Europe est sortie de lobjectif de convergence. Doit-on continuer une politique daide, même lorsque ses buts sont atteints ?
Je ne vois pas pourquoi on remettrait en cause lun des piliers des politiques européennes quest la Politique agricole commune et pas les rabais, ou la politique de cohésion. Pourquoi faudrait-il augmenter le budget de lUnion européenne de 5% a priori ? La crise a changé la donne. LEurope était un peu trop laxiste, confiante en son avenir, elle doit être aujourdhui plus réaliste.
Nous préférons dépenser mieux que dépenser plus. Il en va de la crédibilité de lEurope. Cest la seule manière de redonner confiance aux peuples européens.
Comment pourrait-on imaginer que lUnion européenne augmente de manière importante son budget tout en conseillant la rigueur aux peuples européens et alors que les Etats membres font des efforts en termes budgétaires ?
Q - La Commission propose daccroître le budget de lUnion européenne, non pas en augmentant les contributions des Etats mais en mettant en place, par exemple, une taxe sur les échanges de capitaux. Pourquoi ne pas faire passer ce message aux Français ?
R - Nous ne sommes pas opposés à une taxe sur les transactions financières. Mais elle doit venir en déduction de leffort des Etats dans le budget de lUnion européenne. Il ne faut pas sinterdire de cibler et de financer les dépenses davenir mais celles-ci ne doivent pas être utilisées comme une excuse pour une augmentation du budget.
Q - LElysée et Bercy sont à la manuvre pour gérer la crise de la dette souveraine. Comment voyez-vous votre rôle dans le dispositif gouvernemental sur ce dossier ?
R - Notre monnaie est attaquée, mais personne ne sortira de la zone euro, parce que ce nest lintérêt daucun pays. Ce sont les dettes des Etats qui sont aujourdhui en difficulté, pas leuro. Leuro est au contraire un soutien pour ces pays.
Jai lhonneur dêtre la parole de la France à lextérieur en Europe et la parole de lEurope à lintérieur de la France. A lextérieur, jessaie de défendre et de convaincre que les positions françaises sont légitimes.
A lintérieur, je vais travailler à redresser quelques erreurs fondamentales colportées par les eurosceptiques et insister sur le fait quil ne faut pas confondre celui qui vous sauve et celui qui vous tue.
Q - Quelle peut être, selon vous, la place de lEurope dans la campagne présidentielle qui sannonce ?
R - Dans toutes les campagnes, on parle mal de lEurope.
Q - En particulier à lUMP parfois
R - Partout.
Mais, la crise met en exergue que lEurope est indispensable à lintérêt des peuples et des Etats.
Le président de la République a montré que lEurope nétait pas un handicap mais un outil, un avantage et un espoir.
La Présidence française de lUnion européenne en 2008 a été un tournant. Elle a permis de sortir dune certaine naïveté coupable, pour passer à un réalisme constructif. LEurope, réputée impuissante, est devenue plus active sur la scène internationale et a avancé sur des vrais sujets grâce au paquet énergie-climat, ou au pacte européen de limmigration.
Je ne dis pas que la «majorité qualifiée inversée» dans le cadre de la gouvernance économique, nest pas un vrai sujet. Mais il ne passionne pas franchement et directement nos concitoyens. En revanche, parler aux Allemands de la défense de la monnaie, aux Français de limmigration, cest enfin parler concrètement de lEurope.
Plus personne nacceptera quun projet européen ne soit pas compréhensible pour les citoyens.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juillet 2011