Entretien de M. Jean Leonetti, ministre des affaires européennes, publié sur le site internet "Euractiv.fr" le 18 juillet 2011, sur l'espace Schengen, la politique agricole commune et sur le budget communautaire.

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Média : www.euractiv.fr

Texte intégral


Q - Avez-vous été surpris de votre nomination comme ministre des Affaires européennes ?
R - Etre nommé ministre est toujours une surprise. Mais c’est un honneur de servir son pays à ce niveau de responsabilité et c’est une chance de travailler sur les affaires européennes, surtout auprès d’Alain Juppé pour lequel j’ai beaucoup d’amitié et d’admiration.
Q - Pouvez-vous nous raconter votre expérience concrète de l’Europe ?
R - Personne n’ignore que j’ai été médecin. On me l’a même un peu reproché ! Mais c’est dans mon parcours et en travaillant sur la bioéthique, que je me suis bien rendu compte qu’il y avait une conscience européenne. Les peuples sont à la fois ce que l’Histoire en a fait et en même temps ce qu’ils s’apportent les uns aux autres.
Si vous regardez leur attitude sur la bioéthique, la position française ne ressemble pas à celle des Pays-Bas, mais est très proche, par exemple, de celle de l’Allemagne. Cette conscience partagée et ces échanges font partie de la conscience européenne.
Q - La France, et elle n’est pas la seule, est aujourd’hui opposée à l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’espace Schengen. Continuerez-vous à porter ce message ?
R - Nous avons toujours dit que nous voulions que ces deux pays entrent dans l’espace Schengen mais de manière sécurisée, par étape.
La France est profondément attachée à la libre circulation des personnes dans l’espace Schengen. Mais, pour protéger cet espace, la sécurité aux frontières extérieures doit être réelle.
Dans des cas exceptionnels où nous sommes obligés de réagir en urgence, il faut pouvoir sortir de la naïveté de l’espace ouvert, et le sécuriser.
L’Europe tourne le dos à une période de naïveté et rentre dans une période de réalisme. Nos amis roumains et bulgares ont d’ailleurs bien compris cette évolution et nous travaillons ensemble, en pleine confiance, pour réussir leur intégration dans Schengen.
Q - L’espace Schengen permet aux citoyens de circuler en toute liberté dans l’Union européenne. Restreindre cette possibilité est plutôt un recul…
R - Nous ne restreignons pas cette liberté, nous la renforçons. J’habite la Côte d’Azur. Dans ma circonscription, il y a la technopole de Sofia Antipolis dans laquelle 62 nations sont implantées économiquement. Cet endroit est ouvert au monde.
Pour autant, quand des migrants illégaux passent massivement la frontière italienne à Vintimille, Schengen est décrédibilisé.
Q - Le budget proposé par la Commission européenne pour la Politique agricole commune (PAC) entre 2014-2020 est en baisse d’environ 16 % si l’on prend en compte l’inflation. La France va-t-elle se battre pour qu’un effort soit fait sur l’agriculture dans le futur budget de l’Union européenne ?
R - Nous n’accepterons pas un cadre financier pluriannuel 2014-2020 qui ne comporte pas une préservation de la Politique agricole commune. En disant cela, nous ne défendons pas les intérêts des Français mais des Européens. La volatilité sur les marchés agricoles et les problèmes de sécurité des produits alimentaires obligent l’Europe à assumer ses propres besoins.
Vouloir lutter contre la désindustrialisation de l’Europe et en même temps laisser partir tout un pan de l’activité économique, qui compte des milliers d’emplois, et surtout un savoir-faire exceptionnel n’est pas possible.
Dans ce contexte, c’est un peu dommage que l’aide aux plus démunis ait été contestée pour des raisons purement juridiques. Nous devons retrouver cette générosité, que cela soit dans le cadre de la Politique agricole commune ou d’une autre politique. J’en ai fait part à mon homologue allemand, qui je le crois, a accueilli favorablement notre position.
Q - Un bras de fer est engagé entre l’Etat et les Régions sur l’avenir de la politique régionale dans le budget de l’Union européenne. Etes-vous opposés à la création d’une nouvelle catégorie de régions bénéficiaires des fonds européens, proposée par la Commission européenne ?
R - C’est une idée à fouiller. Mais il faut d’abord faire une évaluation des politiques de l’Union européenne, et en particulier de la politique régionale. Une vingtaine de régions en Europe est sortie de l’objectif de convergence. Doit-on continuer une politique d’aide, même lorsque ses buts sont atteints ?
Je ne vois pas pourquoi on remettrait en cause l’un des piliers des politiques européennes qu’est la Politique agricole commune et pas les rabais, ou la politique de cohésion. Pourquoi faudrait-il augmenter le budget de l’Union européenne de 5% a priori ? La crise a changé la donne. L’Europe était un peu trop laxiste, confiante en son avenir, elle doit être aujourd’hui plus réaliste.
Nous préférons dépenser mieux que dépenser plus. Il en va de la crédibilité de l’Europe. C’est la seule manière de redonner confiance aux peuples européens.
Comment pourrait-on imaginer que l’Union européenne augmente de manière importante son budget tout en conseillant la rigueur aux peuples européens et alors que les Etats membres font des efforts en termes budgétaires ?
Q - La Commission propose d’accroître le budget de l’Union européenne, non pas en augmentant les contributions des Etats mais en mettant en place, par exemple, une taxe sur les échanges de capitaux. Pourquoi ne pas faire passer ce message aux Français ?
R - Nous ne sommes pas opposés à une taxe sur les transactions financières. Mais elle doit venir en déduction de l’effort des Etats dans le budget de l’Union européenne. Il ne faut pas s’interdire de cibler et de financer les dépenses d’avenir mais celles-ci ne doivent pas être utilisées comme une excuse pour une augmentation du budget.
Q - L’Elysée et Bercy sont à la manœuvre pour gérer la crise de la dette souveraine. Comment voyez-vous votre rôle dans le dispositif gouvernemental sur ce dossier ?
R - Notre monnaie est attaquée, mais personne ne sortira de la zone euro, parce que ce n’est l’intérêt d’aucun pays. Ce sont les dettes des Etats qui sont aujourd’hui en difficulté, pas l’euro. L’euro est au contraire un soutien pour ces pays.
J’ai l’honneur d’être la parole de la France à l’extérieur en Europe et la parole de l’Europe à l’intérieur de la France. A l’extérieur, j’essaie de défendre et de convaincre que les positions françaises sont légitimes.
A l’intérieur, je vais travailler à redresser quelques erreurs fondamentales colportées par les eurosceptiques et insister sur le fait qu’il ne faut pas confondre celui qui vous sauve et celui qui vous tue.
Q - Quelle peut être, selon vous, la place de l’Europe dans la campagne présidentielle qui s’annonce ?
R - Dans toutes les campagnes, on parle mal de l’Europe.
Q - En particulier à l’UMP parfois…
R - Partout.
Mais, la crise met en exergue que l’Europe est indispensable à l’intérêt des peuples et des Etats.
Le président de la République a montré que l’Europe n’était pas un handicap mais un outil, un avantage et un espoir.
La Présidence française de l’Union européenne en 2008 a été un tournant. Elle a permis de sortir d’une certaine naïveté coupable, pour passer à un réalisme constructif. L’Europe, réputée impuissante, est devenue plus active sur la scène internationale et a avancé sur des vrais sujets grâce au paquet énergie-climat, ou au pacte européen de l’immigration.
Je ne dis pas que la «majorité qualifiée inversée» dans le cadre de la gouvernance économique, n’est pas un vrai sujet. Mais il ne passionne pas franchement et directement nos concitoyens. En revanche, parler aux Allemands de la défense de la monnaie, aux Français de l’immigration, c’est enfin parler concrètement de l’Europe.
Plus personne n’acceptera qu’un projet européen ne soit pas compréhensible pour les citoyens.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juillet 2011