Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, dans "Libération" le 26 juillet 2011 sur la situation alimentaire dans la Corne de l'Afrique et les réponses de la communauté internationale.

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Circonstance : Réunion de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), à Rome le 26 juillet 2011

Média : Emission Forum RMC Libération - Libération

Texte intégral

Q - À quoi a servi cette réunion ?
R - Elle a été convoquée, à la demande de la France, pour maintenir la mobilisation et dire que la communauté internationale n’oublie pas ce qui se passe en Afrique. Avec deux objectifs : mobiliser les financements et, le plus important, rappeler la nécessité absolue d’investir dans l’agriculture des pays en développement. Le président de la République en a fait un point majeur du G20.
Q - La FAO évoque 1,1 milliard d’euros nécessaires sur un an. C’est possible ?
R - Plus de 500 millions d’euros ont déjà été mobilisés, dont une centaine de millions pour l’Europe. Le Premier ministre et Alain Juppé ont décidé de doubler l’aide française, de 5 à 10 millions. Les Etats-Unis et le Brésil aussi ont répondu présent. Les donateurs sont là, mais il faudra faire le point régulièrement pour s’assurer que les fonds sont débloqués et évaluer les nouveaux besoins.
Q - Vous revenez du nord du Kenya. Quelle est la priorité ?
R - Le plus urgent, c’est d’apporter au Programme alimentaire mondial les moyens financiers pour acheter la nourriture dont les réfugiés ont besoin. Le camp de Dadaab était prévu pour 100.000 réfugiés, ils sont plus de 400.000 et il continue d’en arriver par milliers de Somalie. Il s’agit de sauver des vies, en particulier des enfants.
Q - Vous avez dit au début de la réunion que la communauté internationale avait échoué...
R - Quand il y a des dizaines de milliers de morts en raison d’une famine dans la Corne de l’Afrique, alors que la question est posée depuis des décennies, il faut avoir la lucidité de dire que la communauté internationale a échoué. Prendre les bonnes décisions nécessite un constat clair. L’idée selon laquelle l’aide d’urgence suffit est fausse. Pour lutter contre les sécheresses qui vont se multiplier, prendre la mesure du changement climatique et de son impact sur l’agriculture, il faut des investissements massifs sur l’autonomie agricole des pays en développement. Cela suppose un changement politique majeur.
Q - C’est-à-dire ?
R - Dans le cadre du G20, la France a fait des propositions concrètes, en juin : la mise en place de stocks d’urgence, une meilleure transparence sur la production, la régulation financière des marchés agricoles, ou le soutien à la recherche, pour développer des semences plus résistantes à la sécheresse. Il faut investir dans les petites structures, le pastoralisme, l’irrigation. Et sortir d’un système qui n’a pas fonctionné, dans lequel le Nord nourrit le Sud, pour un système plus efficace où le Sud progresse dans son autonomie alimentaire.
Q - Avec de l’argent public ?
R - Il faut là aussi qu’on change de logique. Ces investissements ne peuvent pas être portés que par l’aide publique au développement, même si elle doit jouer son rôle. Il faut s’appuyer sur les investisseurs privés, banques, industriels, grandes compagnies semencières.
Q - Et livrer ces pays aux multinationales du Nord ?
R - Le monde ne nous attend pas : les grandes compagnies investissent déjà. Ce que nous voulons justement faire avec le G20, c’est réguler ce marché, mieux lutter contre la prédation des terres agricoles, encadrer les investissements, pour qu’ils soient au bénéfice des pays et pas des compagnies privées.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er août 2011