Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur le développement de la coopération économique entre la France et la Côte d'Ivoire et l'engagement en faveur de l'annulation de la dette extérieure de la Côte d'Ivoire, Abidjan le 15 juillet 2011.

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Circonstance : Visite officielle en Côte d'Ivoire - Ouverture du forum franco-ivoirien, Abidjan le 15 juillet 2011

Texte intégral

Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Côte d’Ivoire,
Mesdames et Messieurs,
C’est vraiment une très grande joie pour moi et toute la délégation qui m’accompagne d’être aujourd’hui à Abidjan et d’ouvrir ce forum qui me donne l’occasion de rencontrer la communauté d’affaires de votre pays. Je sais que vous avez été très durement touchés par la crise et je suis venu, après le Président de la République au mois de mai, vous assurer du plein soutien de notre pays. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est à un tournant ; son défi, au fond, c’est de réussir à mettre le choc qu’elle vient de subir à profit pour réunifier et pour refonder ce pays. Ce sera aussi, à fortiori, un nouveau départ pour les relations bilatérales entre la France et la Côte d’Ivoire.
Depuis une décennie, l’essor de la Côte d’Ivoire a été entravé ; il a été entravé par une longue suite de blocages et de luttes fratricides dont la crise que vous venez de connaître a été le paroxysme. Beaucoup avaient pris l’habitude de se référer avec nostalgie aux décennies brillantes du passé. Et je peux moi-même témoigner pour avoir fait ma première visite en Côte d’ivoire en 1978 aux côtés du ministre des Transports du gouvernement français à l’époque et pour avoir rencontré longuement le président Houphouet-Boigny à quel point ce miracle ivoirien était une réalité ; mais lorsqu’il y a tant de choses à faire, mes chers amis, ce n’est pas la nostalgie qui va nous permettre d’avancer ensemble. Je sais que le Président Ouattara partage cette conviction. Il me l’a déjà confié lors de sa récente visite à Paris : il ne veut pas qu’une longue période de convalescence succède au traumatisme de la crise que vous venez de connaître. Il souhaite au contraire que la sortie de crise provoque un réveil, provoque un élan de confiance en l’avenir, et que les Ivoiriens soient fiers de leur pays.
J’ai vu la détermination qui est la sienne à prendre toutes les mesures nécessaires pour bâtir en Côte d’Ivoire un pays fort, un pays rassemblé, un pays dynamique, avec le Gouvernement qu’il a formé. Et j’ai déjà eu l’occasion lors de cette visite à Paris de l’assurer que la France serait présente aux côtés de la Côte d’Ivoire pour l’y aider.
Ce tournant peut être évidemment déterminant pour les entreprises. C’est d’abord l’occasion unique de redéfinir leurs ambitions et d’inventer de nouvelles façons de travailler, pour le plus grand épanouissement de chacun. Pour la France, qui est le premier partenaire commercial de la Côte d’Ivoire, c’est aussi l’occasion de moderniser son partenariat pour mieux répondre à vos attentes.
Ce forum marque toute la volonté qui est la nôtre, responsables politiques des deux pays, mais aussi décideurs économiques français et ivoiriens, de travailler ensemble et de travailler mieux ensemble. Les nombreux entrepreneurs qui sont venus avec moi vous le diront : nous sommes déterminés à rester votre partenaire le plus proche. Nous savons que les chantiers ne manquent pas au service de la reconstruction, du développement et de la croissance ivoirienne.
Les entreprises françaises qui m’accompagnent ont toutes le désir de se réengager le plus rapidement possible en Côte d’Ivoire et de participer aux défis qui sont à relever pour que ce pays puisse s’engager de nouveau sur la voie d’une forte croissance. Évidemment pour qu’elle soit durable, la relation entre nos entrepreneurs doit être une relation mutuellement bénéfique, mais il est clair aussi que dans cette période de reconstruction, nous devons tenir compte des besoins spécifiques de la Côte d’Ivoire et de ses entreprises.
C’est la raison pour laquelle, je me permets de vous poser ouvertement la question : comment aider au mieux les entreprises ivoiriennes à devenir les acteurs d’une économie dynamique, à s’insérer pleinement dans les échanges continentaux mais aussi dans les échanges internationaux ? Quelles sont les formes de partenariats qui leur sont aujourd’hui les plus utiles ? Quelles sont les formes de partenariats qui sont prioritaires pour les entreprises ivoiriennes ? Est-ce que ce sont des partenariats commerciaux ? Est-ce que ce sont des partenariats financiers ou bien des partenariats technologiques ? Il me semble que si ce forum permettait déjà de répondre à cette question, nous aurions beaucoup progressé.
Et nous devons progresser - et nous devons progresser vite. Nous avons en face de nous une situation économique qui est liée à la crise et qui provoque beaucoup de souffrance. Il faut que nous soyons capables de mettre un terme à la décroissance de l’économie ivoirienne dans les meilleurs délais. Le développement accéléré de l’Asie, sa conquête des marchés, sa maîtrise des nouvelles technologies dans la course au développement constituent le fait marquant de l’histoire récente. De la même façon, les vingt prochaines années peuvent être celles de la transformation de l’Afrique.
L’Afrique peut devenir un acteur majeur de l’économie mondiale. C’est un rêve qui n’est pas irréalisable. Si la mondialisation peut être une source d’angoisse, il faut bien voir qu’elle porte aussi la promesse d’une réduction de la pauvreté et d’une prospérité qui soit mieux partagée entre les États. Le fait marquant aussi de la dernière décennie, c’est bien aussi le décollage économique de l’Afrique. Au cours de la dernière décennie, la croissance réelle du Produit Intérieur Brut en Afrique s’est établie à 5,4% par an. C’est plus du double du rythme des années 1980 et 1990 ! Cette accélération a été l’une des plus fortes dans les régions émergentes. Le potentiel de croissance de l’Afrique est donc très élevé. Certes, il y a des défis, et la France va faire le maximum pour vous aider à les relever. Mais il y a aussi des tendances encourageantes. La richesse par habitant, qui n’avait cessé de diminuer entre 80 et 95, progresse fortement depuis sur l’ensemble du continent africain.
La résignation n’est donc pas de mise ; il faut se battre. Nous avons toutes les raisons pour espérer. Et la Côte d’Ivoire doit être à l’avant-garde de ce combat en Afrique. Et dans ce combat, les représentants du secteur privé ont un rôle clé à jouer. Tous, je sais que vous avez subi des dommages importants, avec la cessation de nombreuses activités pendant la crise politique. Certains ont, en plus, subi des pertes directes par vol ou par destruction. C’est une évidence, les souffrances de la Côte d’Ivoire ont aussi été celles des entreprises. Mais tout au long des troubles, vous avez fait votre possible pour préserver votre activité en dépit des circonstances.
Ceux d’entre vous qui assument des missions de service public dans les transports, dans la fourniture d’eau, d’électricité, de médicaments ou de télécommunications ont du trouver des solutions pour servir vos clients malgré les contraintes du conflit politique. Confrontées à une situation totalement inédite, les banques au premier rang desquelles la Société Générale et BNP Paribas ont joué un rôle essentiel en parvenant à concilier l’impératif de stabilité financière et la reconnaissance de la légitimité politique. Enfin, la détermination exemplaire des entreprises de la filière cacao mérite d’être saluée – en particulier Touton et CEMOI – qui, en dépit des pressions dont elles ont fait l’objet, ont respecté sans faiblir la volonté du Président Ouattara durant la crise.
A présent, Mesdames et Messieurs, le moment est venu de rassembler les énergies pour construire un environnement meilleur. Cela concerne le secteur public, bien sûr, mais cela vous concerne vous aussi en tout premier lieu. Un secteur privé moderne a des responsabilités à assumer : afficher une transparence comptable et fiscale irréprochable, accepter les décisions d’arbitrage, tenir un véritable dialogue social, mais aussi appliquer les normes qui protègent le consommateur, et respecter les engagements bancaires et les engagements de paiement des fournisseurs.
Alors oui, le climat des affaires peut certainement être amélioré – et il doit l’être en profondeur. Mais pour cela, votre implication est aussi importante que celle de l’administration. L’Etat a ses domaines de responsabilité à commencer par la sécurité. Et je sais que beaucoup d’entre vous ont été et sont soumis à des actes de rançonnage qui ne sont pas acceptables. En attentant que la sécurité s’améliore – et je sais à quel point le Gouvernement y travaille – sur les axes de communication, qu’une plus grande fluidité s’installe sur les routes, je sais que certaines décisions d’investissement sont actuellement gelées. Les autorités ivoiriennes se sont sérieusement engagées à résoudre ces problèmes. Et la France va mettre son expertise à leur service. Une mission a d’ores et déjà eu lieu pour définir ensemble les formes que pourrait prendre notre coopération en matière sécuritaire à l’avenir. Elle devra trouver comment organiser, concrètement, la démobilisation, le désarmement et la réinsertion des combattants.
Mesdames et Messieurs, je suis fermement convaincu d’une chose : si aujourd’hui les élus, l’administration et le monde de l’entreprise arrivent à combiner leurs efforts, alors oui dans la décennie qui vient, la Côte d’Ivoire doit pouvoir devenir un pays émergent. Cela suppose un taux de croissance annuel élevé. C’est un objectif ambitieux, mais c’est un objectif réaliste. Il faudra évidemment de la volonté, du travail, une vision pour l’avenir. Mais lorsque ces qualités sont partagées par les responsables politiques et par les entrepreneurs, alors un pays peut se relever en quelques années. Et si je suis là aujourd’hui, c’est parce que je crois en la Côte d’Ivoire et c’est parce que la France est prête à la soutenir pour qu’elle arrive à atteindre ses objectifs.
Ces derniers mois, la France a été très présente aux côtés de ce pays ami : à travers son soutien aux forces de l’ONUCI, pour sortir de l’engrenage de la violence – tant que cette violence perdurait rien n’était évidemment possible ; à travers son accompagnement financier d’urgence, à hauteur de 350 millions d’euros pour aider les autorités à financer les salaires de la fonction publique et les dépenses sociales les plus urgentes ; à travers les missions qui sont venues mesurer les besoins en renforcement de capacité administrative et en coopération technique. Depuis avril dernier, l’effort financier que la France a consenti a été exceptionnel, tant par son montant que par la rapidité de sa mise en œuvre. Les 200 premiers millions d’euros d’aide budgétaire ont permis de payer les salaires de mars et avril et ils ont ainsi soulagé la situation de milliers de ménages et contribué à relancer rapidement le commerce. Les 150 millions d’euros suivants, versés au début de cette semaine, serviront à l’Etat à apurer une partie substantielle de sa dette intérieure à l’égard de ses fournisseurs, en particulier. C’est donc un apport qui participera directement à améliorer la situation financière des entreprises et à relancer l’économie. Il contribuera aussi à rétablir une relation saine et équilibrée entre l’Etat et ses fournisseurs. Parallèlement, la France soutient activement la politique de relance vigoureuse lancée par le gouvernement ivoirien à travers la mise en place, ainsi qu’annoncée par le Président de la République le 21 mai, de crédits bonifiés à hauteur de 100 millions d’euros dont plus du tiers ont déjà ét?? employés par les entreprises.
Cette politique vise aussi à soutenir le secteur privé, en particulier les entreprises- ivoiriennes ou françaises les plus touchées par la crise de 2004 et celle de 2011. C’est tout l’enjeu des 12 milliards de francs CFA qui vont être mis incessamment à leur disposition. Et je suis heureux de constater que les modalités d’utilisation de ces fonds sont désormais parfaitement finalisés pour les entreprises qui ont été victimes d’exactions en 2004 et sont sur le point de l’être dans les tout prochains jours pour celles qui ont souffert en 2011.
Je veux vous dire que nous sommes disposés à continuer et même à aller plus loin. Et je vous annonce que dès l’an prochain, la France sera en première ligne pour participer à l’effort considérable d’annulation de la dette extérieure de la Côte d’Ivoire pour un montant de 3 milliards d’euros dans le cadre de l’initiative internationale en faveur des pays pauvres très endettés. Cette étape est une étape capitale. Elle doit permettre à la Côte d’Ivoire de consolider son schéma de désendettement. C’est évidemment indispensable pour que la Côte d’Ivoire puisse assainir ses finances publiques et qu’elle puisse retrouver des marges de manœuvre financières. Cette étape ouvrira la voie à une aide bilatérale de la France de plus de 2 Mds€ par le biais du futur contrat de désendettement-développement, qui va contribuer à dynamiser la croissance et la création d’emplois. Ce sera le plus important contrat de désendettement-développement que la France aura eu l’occasion de signer depuis des décennies. D’ici la fin de l’année, j’enverrai une mission à Abidjan ; cette mission sera chargée d’arrêter avec les autorités ivoiriennes les premiers contours de cette aide. Et je suis, en outre, heureux de vous annoncer que la France a décidé au-delà de l’ensemble des mesures que je viens d’indiquer d’annuler la dette bilatérale ivoirienne à hauteur de un milliard d’euros.
Mesdames et Messieurs, sur un sujet qui vous concerne directement et qui est celui du développement des entreprises, je sais que vous avez livré des conclusions concernant les partenariats entre les opérateurs économiques ivoiriens et les opérateurs économiques français. Nous allons les examiner. Et je peux déjà vous dire que l’Agence Française de Développement, dont le directeur général, Dov Zerah est présent avec moi, va accroître sensiblement ses garanties et ses concours financiers aux entreprises de Côte d’Ivoire.
Pour finir, je veux insister sur un point. Pour que la Côte d’Ivoire nouvelle puisse effectivement devenir un pays émergent, on ne redira jamais assez l’importance de son intégration économique régionale. Elle doit la poursuivre. De notre côté, nous continuons à appuyer les institutions de l’Union économique et monétaire ouest-africaine , sa Commission, sa Banque centrale, et sa banque de développement qui d’ailleurs ont fait face avec courage à la crise ivoirienne et dont je ne doute pas qu’elles en sortiront renforcées.
Et bien sûr, la France continuera de soutenir la Côte d’Ivoire au sein des instances financières multilatérales, dont le réengagement sera capital pour maintenir un environnement macroéconomique stable durant cette période difficile et lutter contre la pauvreté. Je veux, à ce sujet, saluer la rapidité avec laquelle le gouvernement ivoirien, Monsieur le Premier ministre, a su nouer un dialogue avec le Fonds monétaire international, ce qui explique qu’un premier programme soit déjà effectif, moins de trois mois après la résolution de la crise.
Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs, il y a entre la France et la Côte d’Ivoire une amitié très ancienne. Cette amitié, c’est évidemment un atout pour remplir avec succès notre triple mission : renforcer la relation économique franco-ivoirienne pour le bénéfice de tous les acteurs ; contribuer à transformer la Côte d’Ivoire en « pays émergent », et enfin, être un modèle de relation entre le Nord et le Sud. Ce sont des objectifs ambitieux, diront évidemment tous les sceptiques de la terre, mais que vaut le fatalisme de ces observateurs face à la puissance de la vie et face à l’avenir qu’il vous faut reconstruire et conquérir ?
Je veux vraiment vous dire la conviction extrêmement forte du Président de la République et de moi-même, nous sommes convaincus que ce qui est en train de se passer en Côte d’Ivoire, ce sont des événements qui sont des événements qui sont capitaux pour le peuple ivoirien, mais ce sont des événements qui sont aussi essentiels pour l’avenir de l’Afrique toute entière. Les entreprises, elles n’investiront en Côte d’Ivoire que si elles ont la perspective d’y trouver une stabilité et de pouvoir y faire des profits, c’est le rôle des entreprises. Et pour que les entreprises puissent trouver cette stabilité, elles ont besoin de savoir que la Côte d’Ivoire est bien engagée sur la voie de la démocratie, sur la voie du respect des règles, sur la voie du respect des droits de l’homme et que la Côte d’Ivoire non seulement veut renouer avec le miracle économique des années 80, mais qu’elle veut devenir un exemple de l’évolution politique et économique des pays africains. C’est tout le pari que la France fait sur la Côte d’Ivoire et c’est toute la raison de ma présence aujourd’hui à Abidjan.
Source http://www.gouvernement.fr, le 29 juillet 2011