Conférence de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les relations entre la France et l'Australie, la crise de la zone euro, sa gestion et la viabilité de l'euro, l'influence et le poids de la Chine dans l'économie mondiale, et la nervosité des marchés financiers, Canberra le 11 septembre 2011.

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Circonstance : Voyage d'Alain Juppé en Asie et Océanie du 9 au 14 septembre 2011 : visite en Australie les 10 et 11

Texte intégral

C’est ma première visite en Australie, et je pense qu’il est très important de montrer à cette occasion que la relation bilatérale entre la France et l’Australie est excellente sur tous les plans : politique, économique et culturel. Nous avons, en particulier, développé une bonne coopération.
Ce matin, j’ai rencontré mon homologue, M. Kevin Rudd. Ce n’est pas notre première rencontre ; il était à Paris en avril dernier et nous parlons régulièrement au téléphone pour partager nos vues. Nous avons également une très bonne coopération en ce qui concerne la région Pacifique. Il y a deux jours, j’étais à Auckland et j’ai beaucoup apprécié l’appui du gouvernement australien pour que la France soit mieux intégrée dans cette organisation régionale, le Forum des Iles du Pacifique. Nous avons également une très bonne coopération sur les sujets de politique internationale tels que la Lybie, l’Afghanistan, la Syrie, et aussi le processus de paix au Moyen-Orient.
Cet après-midi, je rencontrerai le Premier ministre et le chef de l’opposition, avant de retourner à Sydney. C’est un plaisir pour moi de vous rencontrer et d’essayer de répondre à vos questions.
Q - Concernant l’euro et la crise européenne. La Grèce a critiqué le retard de mise à disposition du second dispositif d’aide. Pensez-vous que la crise des derniers mois a endommagé la confiance dans l’Europe en tant que bloc et en son futur ? Et combien de temps pensez-vous que ces doutes vont durer ?
R - C’est à vous que je devrais demander si l’image de l’Europe s’est dégradée. Je voudrais d’abord souligner le fait que la crise que nous traversons est mondiale. L’Europe n’est pas le seul espace économique à connaître aujourd’hui quelques difficultés. La plupart des grands pays développés sont surendettés : les États-Unis, le Japon, plusieurs pays européens. Aujourd’hui, une grande partie de nos difficultés provient de la faiblesse de l’économie américaine et de son taux de croissance insuffisant. Je voulais dire cela pour bien replacer les choses de façon globale.
L’Europe a des problèmes qui sont d’abord des problèmes de dette souveraine. Je n’ai aucune espèce de doute sur la solidité de la construction européenne et de la zone euro. L’Europe reste globalement la première puissance économique du monde, la première puissance commerciale. Nous restons une puissance absolument majeure sur la scène internationale.
Il faut relativiser la crise grecque par rapport à cette puissance économique de l’Europe. Le PNB de la Grèce représente quelques points du PNB global de l’Europe. Nous avons donc collectivement les moyens de faire face à cette crise. Ce qui est vrai, c’est que le processus de décision au sein de la zone euro prend du temps, parce que nous sommes 17 à décider. Cela dit, la France et l’Allemagne ont joué leur rôle et ont obtenu des décisions très importantes en juillet et en août derniers. Ces décisions sont en cours d’application ; elles vont nous permettre d’avoir un véritable gouvernement économique de la zone euro. Tout ce que je vous ai dit ne signifie pas qu’il ne va pas encore y avoir des turbulences sur les marchés mais, sur le moyen terme, nous nous sommes donné les moyens de renforcer la zone euro.
Q - L’idée d’une plus forte intégration en Europe et dans la zone euro semble être contestée. D’après certains, les problèmes liés à la dette souveraine remettent en cause la viabilité de la zone euro. À l’évidence, il existe l’opinion inverse qui pense que la seule voix possible est plus d’intégration. Quelle voix souhaitez-vous ?
R - L’idée est contestée par qui ? Par les eurosceptiques ! Oui, vous avez raison de dire qu’il y a des vues différentes en Europe. Mais je crois que les principaux acteurs ont bien compris que, face à cette crise qui est réelle, il n’y avait pas d’autres solutions que d’aller plus loin dans l’intégration européenne. Il n’est pas question, pour nous, de laisser s’effondrer la monnaie unique parce que ce serait l’effondrement de l’Europe elle-même. Or, une monnaie unique ne peut pas bien fonctionner s’il n’y a pas un gouvernement économique de l’Europe. La France et l’Allemagne sont d’accord sur cet objectif. Les 17 pays membres de la zone euro le soutiennent.
Q - La France est à l’évidence un pays très influent dans la région Asie-Pacifique. Quelle est votre perception de l’influence grandissante de la Chine dans la région du Pacifique Sud ? Y a-t-il un conflit avec la France sur ce sujet et est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?
R - La France n’a pas de conflit avec la Chine, je vous le rappelle. L’émergence de la Chine est un fait. La Chine est aujourd’hui, ou sera bientôt, la deuxième puissance économique du monde; une des toutes premières puissances commerciales. Si je peux faire juste une petite remarque historique, c’était le cas il y a quelques siècles : avant l’ère industrielle, la Chine était la première puissance économique du monde. L’histoire se répète.
Aujourd’hui, ce que nous voulons faire avec la Chine, c’est entretenir des relations aussi étroites que possible dans le cadre de ce que l’Europe appelle son partenariat stratégique avec la Chine. Parce que cette émergence de la Chine est aussi une chance pour nous. Ce sont des marchés énormes qui s’ouvrent. La Chine est un partenaire extrêmement actif du G20. Le président de la République française était en Chine il y a quinze jours. Je serai moi-même en Chine dans deux jours ; nous essayons avec les Chinois de préparer la rencontre de Cannes du G20 des 3-4 novembre prochains. L’un des objectifs est de faire en sorte que la Chine évolue sur un certain nombre de sujets, en particulier sur le fonctionnement du système monétaire international et sur la parité de sa monnaie. Nous avons avec elle dans ce domaine des discussions très ouvertes.
Q - Vous allez être là-bas dans quelques jours… Allez-vous soulever le sujet du rééquilibrage du yuan ?
R - Nous pensons que le yuan est aujourd’hui sous-évalué. Nous en parlerons avec les Chinois. Il y a eu, il y a quelques mois, à Nankin, un séminaire sur le système monétaire international qui a montré que le dialogue avec la Chine était possible.
Q - Monsieur le Ministre, vous attendez-vous à ce que la Chine accélère ses efforts ?
R - Nous l’espérons.
Q - Les Chinois devraient-ils faire plus pour contribuer à l’équilibre de la croissance globale ?
R - Nous pensons qu’aujourd’hui, je le disais tout à l’heure, le problème n’est pas européen, ni américain, mais global et mondial. Et il nous faut travailler au rééquilibrage de la situation économique internationale. La Chine a choisi un modèle de développement qui est tourné essentiellement vers l’exportation et qui en a fait l’atelier du monde. Nous en avons profité parce que cela nous a permis d’acheter des biens de consommation à des prix très avantageux, mais nous n’en avons pas tiré toutes les conséquences sur notre propre compétitivité. Comment nous sommes-nous sortis de cette situation ? En nous endettant auprès de la Chine en particulier. Ce système n’est pas durable et l’un des grands enjeux du G20, c’est précisément de réfléchir à la correction de ces déséquilibres mondiaux.
Q - Monsieur le Ministre, il y a la démission à l’ECB (European Central Bank) vendredi dernier, de M. Stark... Y a-t-il une approche unifiée en Europe sur la façon de gérer la crise de la zone euro ? Il semble y avoir de nombreuses divisions au sein de l’ECB ?
Je n’ai pas d’avis sur ce qui se passe à l’intérieur de la Banque centrale européenne. C’est une institution indépendante. En revanche, je peux vous dire qu’il n’y a pas de désaccord entre les 17 pays membres de la zone euro puisque nous avons pris des décisions collectives que nous sommes en train de mettre en œuvre.
Q - À votre avis combien de temps va durer cette période d’instabilité et d’inquiétude qui affecte les marchés, en particulier en Europe ? Est-ce une situation à laquelle les investisseurs vont devoir s’habituer ?
R - J’espère que cette situation durera le moins longtemps possible, mais je ne peux pas faire de prévisions car les marchés aujourd’hui sont extraordinairement nerveux. Nous sommes dans un monde où les marchés ont une vision à très court terme. Nos gouvernements devraient avoir une perspective de moyen à long terme pour sortir de ces crises et pour mettre en œuvre des politiques de longue durée et c’est ce que nous essayons de faire.
Q - L’Allemagne a annoncé samedi qu’elle étudiait l’impact potentiel de la crise grecque et envisageait mêmes les conséquences de sa sortie de la zone euro... Est-ce aussi quelque-chose que la France et son gouvernement envisagent sérieusement ?
R - Nous travaillons, comme je vous l’ai dit, main dans la main avec les Allemands, notamment pour faire face à la situation difficile de la Grèce. La Grèce a fait des erreurs, elle doit les corriger, elle doit respecter les engagements qu’elle a pris. La France et l’Allemagne sont tout à fait en accord sur ce point là.
(….).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 septembre 2011