Discours de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la nécessité pour les pays les moins avancés (PMA) d'exploiter les ressources humaines, la coopération technologique entre le Nord et le Sud et l'aide publique au développement, Bruxelles, le 18 mai 2001.

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Circonstance : IIIème Conférence des Nations Unies sur les Pays les moins avancés, à Bruxelles, le 18 mai 2001

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Chefs de délégation,
Mesdames et Messieurs,
C'est un honneur pour moi de présider avec mon collègue et ami Girma Birru, ministre du Développement économique et de la Coopération d'Ethiopie, la session sur les PMA consacrée à la "mise en valeur des ressources humaines et l'emploi".
Permettez-moi, en exergue de mon propos introductif, de citer Jehan Bodin, juriste français du seizième siècle, moraliste, Politique - c'est-à-dire dans la langue de l'époque, militant de la tolérance et de la paix religieuse -, théoricien de la souveraineté, économiste aussi : "Il n'est de richesse que d'Homme".
Cette phrase résonne avec une acuité particulière dans la situation actuelle des PMA, qui, comme mon pays confronté à l'époque à ce que les historiens appellent "les guerres de religion", connaissent aujourd'hui plus que leur lot de conflits.
Partout et toujours, la ressource porteuse de croissance à long terme est effectivement la ressource humaine. Ce constat justifie pleinement que nous consacrions une table ronde à ce thème de la valorisation des ressources humaines.
Devant les incertitudes et parfois les catastrophes climatiques, sanitaires, économiques, politiques, l'élément essentiel qui permet toujours de maintenir l'espoir, c'est l'être humain, avec la culture dont il est porteur.
C'est dans la ressource humaine, dans l'Homme, qu'il faut chercher la clé de la lutte contre cette vulnérabilité et contre cette pauvreté qui freine le développement des PMA. Il y a dix ans, l'UNICEF soulignait que "la seule ressource dont les PMA disposent en abondance est leur population".
Mais précisément, l'investissement en capital humain sous forme de nutrition, d'éducation de base et de soins de santé ne peut être différé : ou bien il intervient à l'âge voulu au moment où le besoin se fait sentir, ou il n'intervient pas, ou alors trop tard. Pour le jeune enfant, il n'y a pas de seconde chance. La tragédie silencieuse du désinvestissement en capital humain au cours des années 80 et 90 est que les résultats vont s'en trouver répercutés bien au-delà du XXème siècle dans des corps dont la croissance aura été amoindrie et dans des esprits dont la formation aura beaucoup souffert.
Ces prévisions pessimistes se sont hélas réalisées dans bon nombre de PMA. C'est pour éviter que cette situation ne perdure et n'empire qu'il convient, tous ensemble, de réagir avec vigueur. Mais surtout avec le souci d'une solidarité, d'une efficacité, d'une cohérence, d'un respect des identités et des cultures qui n'ont pas toujours été au rendez-vous, et dont l'absence explique largement les échecs, la faiblesse des résultats observés en dépit des efforts entrepris.
Mais ne nous y trompons pas. Cette valorisation est un investissement lourd, de longue durée et dont on apprécie la rentabilité seulement dans le long terme. Cet investissement est trop souvent hors des capacités d'accumulation financière des PMA et explique que cet effort soutenu ne soit pas suffisamment entrepris par les pays les moins avancés.
Faire en sorte que le progrès des uns et des autres profite à l'ensemble de la société est la tâche la plus noble qui soit, celle en tous cas qui anoblit l'action politique. Tâche noble mais aussi ingrate car elle suppose, surtout lorsque les ressources financières sont rares, des choix difficiles. Nous savons bien que dans les pays les moins avancés l'épargne nationale, trop faible, n'offre guère de marge de manuvre. Souvent, trop souvent, le gouvernement doit parer au plus pressé, au plus urgent "L'urgent chasse l'important", disait Jean Monnet. Comment en effet se projeter dans le moyen terme, comment choisir des investissements dont l'opportunité ne sera démontrée qu'à la génération suivante ?
Construire un système de santé, construire un système scolaire, ce n'est pas l'affaire de quelques mois, ni de quelques années. C'est un investissement long, d'un coût élevé : en infrastructures mais surtout en moyens humains : former un enseignant coûte cher à la collectivité et c'est trop souvent sur ce volet de la dépense publique, qu'il conviendrait pourtant de sanctuariser, qu'on fait porter les coupes budgétaires imposées par les exigences des institutions financières internationales. Face aux urgences, la tentation est grande de faire l'économie d'une bonne formation, l'économie d'une réforme pourtant indispensable.
J'en tire deux conséquences que j'aimerais vous faire partager : premièrement, il faut que les pays développés facilitent cette accumulation des savoir-faire techniques et des connaissances, c'est une justification de l'aide publique au développement. Il faut aussi que cet effort s'inscrive dans la durée, c'est la justification du partenariat et du développement de programmes à moyen et long termes internationalisés par les bénéficiaires et soutenus par la communauté internationale.
Cet investissement initial, seul capable de briser le cercle vicieux du sous-développement, suppose, nous l'avons dit, des moyens dont ne disposent pas les PMA. C'est à la solidarité internationale qu'il revient de les apporter. Seule une aide publique au développement s'inscrivant dans la durée offre cette possibilité. C'est sa justification première ! Mais, me direz-vous, ce discours n'est pas vraiment nouveau. Les premières conférences sur les PMA, bien que plus orientées, trop peut-être, sur la macroéconomie, avaient déjà abordé ces questions. Alors, y a-t-il des éléments nouveaux qui permettraient aujourd'hui une meilleure adhésion de nos opinions publiques et de nos populations à une aide publique au développement, dont beaucoup se sont éloignées ? Je crois que oui.
Quand j'observe la priorité donnée maintenant à la lutte contre la pauvreté, quand je vois les initiatives récentes sur la dette, l'ouverture des marchés du Nord, le constat d'une stabilisation économique durable dans beaucoup de PMA, j'ai la conviction qu'une opportunité unique se présente aujourd'hui, qu'il nous faut saisir, de réaliser cet investissement essentiel dans les ressources humaines.
Alors, ne ratons pas cette chance et consacrons-y les moyens qui s'imposent, tant en terme de volume qu'en terme de qualité.
Oui, les conditions du succès semblent mieux identifiées que jamais, je n'y reviendrai pas car ces points ont été développés dans d'autres tables rondes et dans d'autres enceintes, mais l'appropriation des politiques, la prise en compte de l'ensemble des éléments d'une problématique, le partenariat : avec les donateurs mais aussi au sein de la société, me semblent être des éléments déterminants et autant de gages du succès.
Mais il y a d'autres conséquences : c'est d'abord la réaffirmation du rôle de l'Etat qui, au-delà des vicissitudes politiques, doit inscrire son action dans le long terme ; c'est aussi bien sûr la nécessité du dialogue social qui seul permet de définir et de conforter ces projets de société garantissant la permanence de certaines grandes options économiques et sociales.
Véritables "contrats de génération", les stratégies de développement des ressources humaines doivent s'inscrire dans la durée et se caractériser par la permanence des grandes options choisies. Ceci suppose une certaine stabilité, une réelle continuité, en terme de choix politiques et sociaux mais aussi en terme d'engagement financier.
L'Etat est là dans l'une de ses fonctions essentielles : garantir cette continuité et préserver les chances de toutes les catégories sociales, et d'abord l'égalité d'accès aux services sociaux, indépendamment des évolutions politiques et des gouvernements...
Ce rôle de l'Etat, pour être conforté, doit s'appuyer sur un large consensus qui doit aller au-delà des clivages politiques. Ce consensus, ce projet de société, est possible sur le thème de la valorisation des ressources humaines et les programmes qui vont vous être présentés au cours de cette table ronde sont une illustration de ce que pourrait être cet engagement national.
Cet engagement doit aussi se retrouver du côté des donateurs qui appuient les programmes. Devant l'ampleur des moyens à mobiliser, une coordination accrue est indispensable et passe sans aucun doute par une répartition des rôles entre donateurs, par la mise en commun de certains moyens, par le financement de programmes, par des engagements sur le moyen terme, par la désignation de chef de file... Sans aucun doute, il y a là matière à réflexion et à réforme si nous voulons accroître notre efficacité. Nous pouvons y arriver si les pays industrialisés n'abordent pas ces questions avec le souci de gagner ou préserver des parts de marché ou les ressources naturelles qui leur font défaut.
Cette valorisation des ressources humaines doit nécessairement revêtir plusieurs aspects qui sont d'ailleurs évoqués dans les documents servant de support à cette table ronde : l'amélioration de l'état sanitaire de la population, la mise en place de stratégies éducatives qui s'inscrivent dans le long terme, la priorité donnée à la création d'emplois dans les programmes de développement, la fixation de règles afin que l'emploi ainsi créé soit de qualité donc durable, enfin le dialogue avec la société civile au sens large. Une société civile dont je me plais à souligner le rôle qu'elle a joué dans la tenue de cette conférence.
Certes, et c'est aussi une bonne nouvelle, on constate que la "préoccupation sociale" est aujourd'hui enfin mieux intégrée au niveau des politiques du FMI et de la Banque mondiale. A Washington on a désormais le souci de prévenir et de lutter contre les aspects sociaux négatifs de certains programmes de réformes économiques. Je pense par exemple aux conséquences pour les producteurs du démantèlement de certaines filières agricoles. Ces institutions ont choisi un angle d'attaque particulier : la protection sociale comme instrument de lutte contre la pauvreté. C'est un progrès.
Mais il me semble que cette approche de la protection sociale doit être élargie. La protection sociale ne saurait se limiter à un instrument de lutte contre la pauvreté. La solidarité mondiale ne doit pas se réduire à de bonnes uvres charitables, à la manière de notre 19ème siècle.
La protection sociale doit viser aussi à la réduction des inégalités entre les individus ou entre les groupes, à l'élargissement de l'accès aux services d'intérêt général ou encore au soutien à la croissance via l'amélioration du capital humain. Les systèmes de protection sociale peuvent jouer un rôle important d'atténuation ou d'amortissement des effets sociaux des crises économiques ou financières.
Le 10 novembre 2000, sous présidence française, le Conseil du développement et la Commission européenne ont adopté une déclaration de politique de développement qui insiste sur la valorisation des ressources humaines. Cette orientation du Conseil de l'Union européenne a été confirmée s'agissant spécifiquement des PMA, par les orientations adoptées le 22 décembre 2000, également sous présidence française qui fixaient comme priorité, je cite : investir dans les populations.
Les interventions qui vont suivre vous présenterons plusieurs aspects que peuvent revêtir cette valorisation des ressources humaines.
Sans doute ne serons nous pas exhaustifs, le sujet est vaste, mais le fait d'avoir réuni sur cette estrade un panel varié de spécialistes, devrait nous mettre à l'abri des oublis les plus flagrants et nous permettre d'entendre des perceptions différentes des choses afin d'enrichir notre réflexion et notre pratique.
Maintenant je cède la parole à mon collègue M. Girma Birru, ministre du Développement économique et de la Coopération de la République d'Ethiopie.
M. Trémeaud, Directeur exécutif du BIT présentera ensuite le document de problématique élaboré pour cette occasion par le BIT. Nos intervenants interviendront enfin pour nous présenter leurs réflexions.
Nous proposerons au terme de notre table ronde des programmes qui, selon nous, devraient permettre de lever certains blocages identifiés, et sur lesquels nous souhaiterions que les participants s'engagent. Nous céderons ensuite la parole à l'assemblée pour un débat qui je l'espère sera fructueux.
Bon travail à tous.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 2001)