Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur les relations franco-japonaises en matière économique et industrielle et sur l'action des deux gouvernements en faveur du développement des échanges, notamment avec la campagne d'information "France-Japon, l'esprit partenaire", Tokyo, le 28 mars 2001.

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Circonstance : Invitation à la Chambre de commerce et d'industrie française au Japon à Tokyo, le 28 mars 2001

Texte intégral

Messieurs les présidents, Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux que la fondation d'entreprise de Renault me donne l'occasion de partager brièvement avec vous quelques pistes de réflexions. Et je tiens donc à remercier très chaleureusement M. Yoshikazu Hanawa, président de Nissan, Monsieur Carlos Ghosn, directeur général de Nissan et M. Louis Schweitzer, président-directeur général de Renault.
Cette étape de réflexion sur le thème de la mondialisation et du dialogue des cultures est en effet à mes yeux un moment important et précieux de ce voyage que j'effectue au Japon à tête d'une délégation d'élus et de chefs d'entreprise français, pour lancer, avec le ministre japonais de l'économie, un nouveau programme d'action intitulé " France - Japon, l'esprit partenaire ".
Moment important car je crois en effet que ce débat est l'un de ceux qui préoccupent et passionnent les concitoyens de nos deux pays. Moment précieux, car l'expérience du mariage entre Renault et Nissan est certainement l'une des plus riches et des plus prometteuses.
Ce que l'on appelle les investissements directs étrangers constituent l'un des phénomènes emblématiques de la mondialisation. Les fusions et alliances d'entreprises qui donnent naissance à de grands groupes transcontinentaux, tel Renault-Nissan, en sont l'un des visages les plus spectaculaires. Ces unions semblent répondre d'abord à des logiques économiques, mais nous sommes tous ici persuadés qu'un de leurs enjeux est culturel.
Enjeu essentiel, tout d'abord au sein même des entreprises, dans la gestion des ressources humaines et les techniques de management : c'est d'ailleurs l'objet de notre rencontre d'aujourd'hui et je laisserai d'autres, plus qualifiés que moi, l'évoquer devant vous. Mais ces enjeux culturels, dans et hors de l'entreprise, ont un impact fort sur les opinions publiques.
La mondialisation est source de richesses et d'opportunités à l'image de ce mariage entre Renault et Nissan, qui lui donne un visage tangible et positif à la fois.
Ces preuves concrètes doivent contrebalancer les inquiétudes diffuses qui se manifestent, en particulier depuis Seattle. Ces angoisses, ces inquiétudes touchent à l'économie, à la concurrence planétaire pour l'emploi, au dumping social, à l'environnement, au déséquilibre des relations Nord-Sud. Elles touchent aussi de plus en plus à la culture, au sens le plus large du terme, depuis nos habitudes alimentaires jusqu'à la création artistique.
Tout se passe comme si certains s'efforçaient aujourd'hui de créer de nouvelles lignes de fracture. La vision du monde marxiste de la lutte des classes qui a durablement influencé les intellectuels et les élites du monde entier au-delà même du bloc soviétique, décrivait des fractures horizontales correspondant aux différentes strates sociales.
Ces lignes de fractures seraient désormais verticales et recouperaient des frontières culturelles, des frontières identitaires et peut-être même religieuses. Faut-il abandonner le manichéisme de la lutte des classes pour retomber dans le manichéisme de la guerre des cultures? Cette vision offerte par Samuel Huntington, d'une mondialisation synonyme de guerre des cultures, (clashes of civilizations) est certainement alarmiste, mais il est clair que la mondialisation provoque moins de déperdition culturelle que de raidissements ou de replis identitaires.
Cette vision de l'histoire qui privilégie les antagonismes me semble fausse car incomplète. Elle confond pessimisme et réalisme et privilégie les causes de conflit aux facteurs de coopération.
Elle se prête d'ailleurs assez paradoxalement aux effets de mode. Il y a un peu plus de dix ans, on enterrait le capitalisme à l'anglo-saxonne pour vanter les mérites de l'esprit collectif de l'Asie, pour récemment adopter une position exactement inverse, aussi superficielle que la première.
Mais, plus fondamentalement, cette vision manichéenne du choc des cultures me semble passer sous silence ce que nous partageons tous, en tant qu'êtres humains. Des valeurs, importantes pour la vie des sociétés comme pour celle des entreprises, telles la confiance, la loyauté, l'initiative et la solidarité, et qui n'appartiennent pas à une culture plutôt qu'à une autre.
Certes, nos traditions respectives les ajustent parfois différemment, mais nous devons considérer ces valeurs universelles comme la condition et l'horizon de notre dialogue.
L'ouverture et le dialogue avec l'autre sont donc consubstantiels de l'idée même de culture, et le danger le plus immédiat aujourd'hui est moins à mes yeux le risque d'uniformisation culturelle que les réflexes identitaires.
C'est donc pour moi un motif d'espoir pour l'avenir de constater que le dialogue entre la France et le Japon est déjà ancien. Il s'est nourri depuis longtemps d'une admiration réciproque pour nos artistes, nos créateurs de mode, nos écrivains, nos réalisateurs.
Les réalisateurs japonais triomphent aussi souvent au festival de Cannes que dans les salles parisiennes, ainsi qu'en témoigne d'ailleurs l'offre de films japonais proposés aux cinéphiles parisiens : à Paris, en cette première semaine du printemps, pas moins de 24 films japonais sont présentés en salle.
Cette admiration artistique réciproque n'est pas moins spectaculaire dans la littérature ou la peinture. Est-ce une facétie de l'histoire de l'art si les peintres impressionnistes qui trouvent aujourd'hui au Japon leur plus fervents admirateurs furent en leur temps les premiers à succomber à l'influence picturale des estampes japonaises ? Ces estampes figurent d'ailleurs en bonne place dans le portrait de Zola peint par Manet.
Enfin, je me contenterai d'évoquer les Pokémons dont la mode dans toutes les écoles de France n'a rien à envier à celle du japonisme à la fin du siècle précédent.
Dans ce dialogue des cultures, les entreprises ont désormais un rôle crucial à jouer.
Face au double danger, face à la double dérive de la mondialisation que je décrivais tout à l'heure, il n'est d'autre issue que le métissage culturel. Or, ce dialogue de deux cultures différentes, il est d'abord une nécessité dans toute entreprise transnationale qui se crée. Carlos Ghosn nous dira sans doute selon quelles modalités, selon quelles exigences ce dialogue peut se nouer de manière efficace. Pour le manager, ce dialogue doit déboucher sur un véritable métissage culturel dont la finalité est le bon fonctionnement de la nouvelle entité.
Mais, au-delà même de l'intérêt immédiat de l'entreprise, je veux souligner aussi l'intérêt de ce métissage pour la société tout entière.
Une des principales causes de la défiance manifestée à l'égard de la mondialisation telle que je l'ai ressentie à Porto Alegre, par exemple, réside dans la perception qu'il s'agit de phénomènes économiques insaisissables. Multinationales, capitaux, investissements, flux financiers, les forces économiques à l'uvre apparaissent, aux yeux des citoyens, sans attaches, sans racines, sans valeurs, sans allégeances, et donc sans légitimité. Le fossé grandissant entre l'économique et le social, où viennent se nourrir tous les réflexes identitaires et les blocages sociaux, est largement accentué par cette perception de la mondialisation économique comme une force aveugle et mercenaire.
Je suis persuadé que le dialogue culturel concret qui se noue dans une entreprise transcontinentale comme Renault-Nissan peut justement incarner la mondialisation, peut lui donner un visage positif, en en faisant paraître les bénéfices tangibles, même s'ils exigent beaucoup d'énergie et de savoir-faire. Pour répondre à la mondialisation inquiète, il faut tracer les chemins de la mondialisation concrète.
Le mariage de Renault et de Nissan est donc une étape fondamentale de ce métissage culturel de l'économie plus que jamais nécessaire. De toutes les entreprises françaises, Renault est celle avec laquelle les Français entretiennent les liens affectifs les plus forts. L'histoire de cette entreprise a été intimement mêlée à l'histoire ouvrière, à l'histoire syndicale et industrielle, à l'histoire tout court, de notre pays tout au long de ce siècle. Toutes les familles françaises ont roulé à moment ou à un autre avec un losange sur le capot.
En dépit, ou peut-être grâce à cette identité culturelle très forte, je crois pouvoir dire que les Français ont été très fiers de voir Renault devenir le partenaire d'une entreprise japonaise aussi réputée que Nissan. Et plus encore d'apprendre que ce partenariat est une réussite qui nous est enviée, à nous Japonais et Français, jusqu'à Stuttgart et à Detroit. Je forme donc le souhait que le succès du métissage culturel de Renault et Nissan incarne une mondialisation bénéfique aux yeux des citoyens de nos deux pays.
Renault a choisi d'approfondir ce dialogue entre nos deux cultures en créant une fondation, présidée par Louis Schweitzer, dont le colloque d'aujourd'hui est la première manifestation. Je vois dans ce travail qui s'amorce ici aujourd'hui un très heureux présage pour l'avenir de la relation entre nos deux pays.
Et que cette initiative ait été amorcée par le secteur de l'automobile me semble un juste retour des choses. En effet, l'industrie automobile japonaise a eu une influence déterminante sur le management et sur la culture même de nos entreprises.
Là encore, je ne suis pas le plus qualifié pour décrire les nombreux apports des entreprises japonaises dans l'organisation du travail, mais je sais que le principe du kanban, par exemple, comme gestion intelligente pour éliminer les stocks est depuis longtemps adopté dans les usines Renault. L'élimination des mudas (gaspillages) ou le principe de Hoschin, sont devenus des lieux communs dans la plupart de nos grandes entreprises.
Et pour conclure je ne peux que souhaiter que se renforce un autre principe dans le dialogue déjà fructueux entre nos deux pays : celui du Kaizen, de l'amélioration permanente.
Je vous remercie.
(source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 4 avril 2001)