Interview de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à "Itélé" le 23 septembre 2011, sur l'affaire dite de Karachi et le financement de campagnes électorales, ainsi que sur la convergence économique et sociale souhaitée entre la France et l'Allemagne.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Itélé

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER Bonjour Pierre LELLOUCHE.

PIERRE LELLOUCHE Bonjour Monsieur BARBIER.

CHRISTOPHE BARBIER Alors, les contre-attaques dans l’affaire dite Karachi, le président n’est pour rien dans le dossier de la campagne présidentielle de BALLADUR en 95, les magistrats s’étonnent, comment il peut le savoir, il n’a pas accès au dossier, et puis, quand même, il était à Bercy, Nicolas SARKOZY, en 93, il a validé les commissions sur ces ventes d’armes.

PIERRE LELLOUCHE Ecoutez, moi, comme tous les Français, je ne connais de cette affaire que ce que je vois dans la presse, mais vous me permettrez deux ou trois remarques, je crois, de bon sens. 1°) : je constate que les faits allégués remontent à 1995, et que les insinuations contre le président de la République se font six mois avant la prochaine élection…

CHRISTOPHE BARBIER C’est une manoeuvre pour la présidentielle, qui vient d’où ?

PIERRE LELLOUCHE Deuxième remarque, j’ai été le représentant de la France en Afghanistan et au Pakistan, le Pakistan doit être un des pays les plus violents de la planète, on appelle ça l’affaire de Karachi, mais il y a des attentats tout le temps, chaque semaine au Pakistan, et le point commun, c’est que personne ne sait qui attaque qui. Troisième remarque importante, il est normal que, dans une démocratie, les juges fassent leur travail librement. C’est moins normal quand les juges s’érigent en politique ou font de la politique, et les politiques s’érigent en juges, avec pour résultat – et c’est ça qui me soucie – c’est que pendant qu’on parle de ces affaires, on ne parle pas du fond, et que, on attend toujours, venant de la gauche en particulier, des propositions sur la crise, quand j’entends Dominique STRAUSS-KAHN dire absolument n’importe quoi ou le contraire de ce qu’il disait au FMI, on a un vrai sujet, on a un vrai sujet économique dans notre pays : comment est-ce qu’on sort de la crise. De quoi est-ce que la classe politique parle, de quoi parlent les journalistes, des affaires. Donc on appelle ça en stratégie de la diversion…

CHRISTOPHE BARBIER Vous pensez que la gauche fait parler des affaires en instrumentalisant des juges pour ne pas montrer le vide….

PIERRE LELLOUCHE Je crois que les affaires sont instrumentalisées pour ne pas parler du fond, parce que la gauche n’a pas de projet d’avenir pour notre pays, ou plus exactement, qu’ils n’ont pas de consensus sur ce qu’il faut faire. Alors, le débat auquel les Français ont droit, c’est : comment est-ce qu’on en sort, on n’a jamais été dans une situation aussi grave depuis la guerre, de quoi on parle, on parle d’affaires qui remontent à dix-sept ans, voilà ce que je dis…

CHRISTOPHE BARBIER Vous êtes un spécialiste de défense, quand on vendait des armes à ces pays, Arabie Saoudite, Pakistan, il y avait une tradition de rétro-commissions ?

PIERRE LELLOUCHE Il y a eu, il y avait ce qu’on appelait des faits (sic) commerciaux, des frais commerciaux pendant longtemps, pas seulement du fait de la France d’ailleurs, mais de l’ensemble des pays du monde, ils étaient déclarés, depuis, il y a une convention OCDE qui les interdit, ce qui n’empêche pas d’ailleurs certains autres pays de continuer. Nous, on a arrêté, comme par hasard d’ailleurs, le niveau de nos ventes d’armes a baissé substantiellement, certains autres, mais je ne veux pas le dire ici, ce n’est pas mon rôle, continuent à verser de très lourdes commissions sur les marchés d’armement dans le monde.

CHRISTOPHE BARBIER Vous étiez aussi un Chiraquien de choc en 95, vous aviez vu passer des histoires d’argent liquide dans la campagne de BALLADUR ?

PIERRE LELLOUCHE Moi, j’étais le conseiller diplomatique, je m’occupais d’affaires internationales, et je n’étais ni près ni de loin lié à ce genre de choses.

CHRISTOPHE BARBIER Et est-ce que, en tant que conseiller diplomatique de Jacques CHIRAC, vous avez vu passer de l’argent liquide venant d’Afrique, est-ce que vos contacts africains vous disaient…

PIERRE LELLOUCHE Non, franchement, je n’ai jamais vu de choses de ce genre…

CHRISTOPHE BARBIER Rien de tout cela…

PIERRE LELLOUCHE Bon, cela dit, il y a tout ce bruit autour des affaires, ce qui me navre, c’est que, on est en train de déterrer des choses qui remontent à dix-sept ans, il y a des histoires internes aussi au Parti socialiste qui font l’objet de leur propre campagne, pendant ce temps-là, les Français, eux, ils n’ont pas droit à un vrai débat de fond sur ce qu’il faut faire.

CHRISTOPHE BARBIER On va venir au fond, dernière affaire, selon LEMONDE.FR, dans les écoutes téléphoniques, les repérages téléphoniques, Brice HORTEFEUX serait mis en cause. Ça, c’est une affaire plus récente quand même, la DCRI s’est mal comportée avec ces fadettes ?

PIERRE LELLOUCHE Mais je n’en sais rien, je crois que quand il y a une fuite sur des choses importantes, il n’est pas absurde que le pays sache qui fait des fuites, s’il y a des fuites à l’intérieur du gouvernement, ce n’est pas absurde…

CHRISTOPHE BARBIER Jusqu’à écouter des journalistes ou prendre les factures téléphoniques de journalistes…

PIERRE LELLOUCHE Je ne crois pas qu’il y ait eu d’écoutes, ce n’est pas ce que j’entends, et ce n’est pas ce que j’ai vu dans la presse.

CHRISTOPHE BARBIER Alors le fond, François FILLON prône la convergence économique et sociale entre la France et l’Allemagne, départ en retraite, mais également temps de travail, il faut y aller vite ?



PIERRE LELLOUCHE Mais c’est un vrai sujet, et malheureusement, ça, c’est un sujet où il n’y a pas d’accord entre la droite et la gauche, je le regrette, il y a un écart en gros de 10% sur la compétitivité entre la France et l’Allemagne. Et on le retrouve immédiatement dans les chiffres du commerce extérieur, l’Allemagne est bien plus efficace et nous prend des parts de marché. Ils étaient l’an dernier à plus 150 milliards d’excédents commerciaux, les Allemands, nous, nous étions à moins 50.

CHRISTOPHE BARBIER Et on va faire moins de 75.

PIERRE LELLOUCHE Et on va faire moins 75.

CHRISTOPHE BARBIER Alors, comment on réduit ces 10% de compétitivité ?

PIERRE LELLOUCHE Pourquoi ça, parce que, il y a plus de dix ans, douze ans, un chancelier de gauche, SCHRODER, a pris toute une série de lois visant à améliorer la compétitivité sur le coût du travail. Et ils ont modifié les retraites bien avant nous. Ce qu’a dit hier le Premier ministre François FILLON, ce n’est rien d’autre que : nous sommes engagés dans une convergence, dans les années entre 2023 et 2029, c’est-à-dire dans quinze et vingt ans, on va se retrouver, la France et l’Allemagne, autour de 67 ans à taux plein, et contrairement à ce que j’ai entendu beaucoup de commentateurs et de syndicalistes dire : en Allemagne, si vous partez non pas à 62, mais à 63 ans, vous allez avoir une décote d’environ 15%, ce qui n’existe pas en France. Donc les deux pays sont en train de converger.

CHRISTOPHE BARBIER Est-ce qu’il ne faudrait pas, surtout, pour notre déficit du commerce extérieur, baisser l’euro, avoir un euro plus faible ?

PIERRE LELLOUCHE Alors, l’euro pèse évidemment sur la compétitivité des exportations françaises, mais l’euro s’applique aussi en Allemagne. Je note que les Allemands, avec l’euro, ils arrivent quand même à avoir des excédents. Nous, ça nous a coûté cette année à peu près… on estime que ça nous a coûté à peu près quatre milliards d’euros d’exportations…

CHRISTOPHE BARBIER L’euro fort…

PIERRE LELLOUCHE Oui, l’euro fort, c’est-??-dire par rapport à des pays qui, eux, laissent filer leur monnaie ou impriment de la monnaie, on a un euro qui est trop cher effectivement, et qui n’est pas facile, quand on vend des avions par exemple en dollars, on a un surcoût qu’on doit absorber.

CHRISTOPHE BARBIER Est-ce qu’il faut aussi pouvoir…

PIERRE LELLOUCHE C’est l’enjeu d’ailleurs du G20, quand le président de la République dit : il faut réformer le système monétaire international, ce n’est rien d’autre que ça…

CHRISTOPHE BARBIER Est-ce qu’il faut aussi pouvoir embaucher et licencier plus facilement, comme en Allemagne, pour relancer la compétitivité française ?

PIERRE LELLOUCHE Eh bien, les lois ont prévu pendant la crise des éléments de flexibilité qui permettent d’éviter les licenciements, de garder les gens employés, mais avec des temps de travail plus flexibles, tant que la demande ne redémarre pas. Donc je crois qu’on ferait bien, au lieu de se disputer, encore une fois, sur des histoires de valises et d’affaires qui remontent à dix-sept ans, de regarder ensemble, la droite et la gauche, quel est le contrat social, quel est le niveau de dépenses sociales que le pays peut se payer. Vous savez, aujourd’hui, la France, à partir du mois de juillet, du 1er juillet, tout son train de vie est financé par l’emprunt, tout son train de vie. Les exportations à moins 75 milliards, ça veut dire que nous consommons 75 milliards en plus de ce que nous sommes capables de produire et d’exporter, il y a peut-être un moment où les Français ont le droit de se demander ensemble comment on en sort, sinon, on va planter la génération suivante, nos propres enfants. Il y a peut-être… moi, je veux bien faire de la politique, mais parlons du fond au lieu de nous déchirer sur des histoires judiciaires.

CHRISTOPHE BARBIER Pourquoi la France n’a pas le courage de voter oui à la création d’un Etat palestinien ?

PIERRE LELLOUCHE Non, ne dites pas ça comme ça, la France, elle n’a pas varié depuis 1978, et Nicolas SARKOZY à la Knesset n’a rien dit d’autre que : deux Etats, Israël a droit à la sécurité, les Palestiniens ont droit à un Etat, mais droit à l’Etat avec un veto américain, ce n’est pas la meilleure solution pour le monde arabe, surtout dans cette période de révolution démocratique. Il ne faut pas perdre cette occasion de l’histoire, et je pense que la solution de compromis française qui était de dire : ok, on assoit les Palestiniens à l’ONU, mais on se donne le temps d’une reconnaissance mutuelle, c’était la solution la plus sage. Il est dommage que l’Amérique ait choisi une autre option, celle du veto…

CHRISTOPHE BARBIER Merci Pierre LELLOUCHE. Bonne journée.

PIERRE LELLOUCHE Merci.

Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 23 septembre 2011