Interview de M. Michel Mercier, ministre de la justice et des libertés, à Europe 1 le 16 septembre 2011, sur l'indépendance de la justice et sur les affaires concernant le financement d'anciennes campagnes électorales.

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Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH Bienvenue monsieur le ministre de la Justice, Michel MERCIER bonjour.
 
MICHEL MERCIER Bonjour.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Où êtes-vous ?
 
MICHEL MERCIER Je suis devant vous.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Ce long silence.
 
MICHEL MERCIER Je vais vous dire. Il ne s’agit pas de parler toutes les 5 minutes, et ce n’est en tous les cas pas ma conception du rôle de ministre de la Justice. Il y a quelques jours, le président de la République, à Réau, a dit que les magistrats faisaient un travail remarquable, dans des conditions extrêmement difficiles. Et je considère, depuis que j’ai été nommé à ce poste, que je dois faire en sorte que les conditions soient les moins difficiles possibles.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH La méthode MERCIER c’est, « je me tais, il n’y a plus de problème. »
 
MICHEL MERCIER La méthode MERCIER c’est « je respecte l’institution judiciaire, je l’aide à se construire une identité, c’est l’indépendance des juges et la responsabilité des magistrats. » C’est cela.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Est-ce qu’elle prend ses responsabilités ? Est-ce que ça veut dire, à partir de ce que vous nous dites, que si ça va mal c’est la faute de l’institution, c’est-à-dire des magistrats ?
 
MICHEL MERCIER Pas du tout. Je considère – quand je regarde les bulletins d’informations, parfois il y a 80% du bulletin qui est consacré à des affaires qui touchent, de près ou de loin, la justice. On a donc besoin d’avoir l’institution judiciaire la plus forte possible. Et je considère que mon rôle c’est de l’aider à se renforcer, et notamment on ne faisant pas des déclarations tonitruantes, en n’allant pas toutes les 2 minutes sur les chaînes de radio ou de télévision pour parler. C’est, au contraire, respecter l’institution, l’ancrer, pour qu’elle puisse trouver elle-même ses règles, et que les nouveaux pouvoirs, que le président de la République, en réformant la Constitution, a donné au Conseil Supérieur de la Magistrature, et au Premier président de Cour d’appel, soient mis en oeuvre.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Donc on peut supprimer le ministère de la Justice, c’est mieux.
 
MICHEL MERCIER Pas du tout, parce qu’il reste beaucoup à faire. La loi, il reste à faire la loi, l’organisation du service, les moyens.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Michel MERCIER, l’actualité, en dehors de la crise, ce sont des affaires et des procès. Dominique de VILLEPIN a été relaxé en appel. Il a salué l’indépendance de la justice, qui a su résister aux pressions politiques.
 
MICHEL MERCIER La justice est indépendante, elle le montre régulièrement, et il est toujours de bon ton de dire qu’elle a résisté aux pressions politiques, surtout quand il n’y en a pas eues.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Tantôt indépendance, tantôt contrôle feutré.
 
MICHEL MERCIER Et chacun a envie d’avoir un résultat devant les juges. Moi je fais en sorte que ce résultat il soit incontestable.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH On croit voir derrière vous, pardon, les mains du pouvoir suprême. Est-ce que l’Elysée télécommande, et vous, vous appliquez ?
 
MICHEL MERCIER Pas du tout. Moi je dois que, lorsque le président m’a appelé pour me dire qu’il me nommait Garde des Sceaux, un, je lui ai dit « merci », et deux il m’a dit « tu feras en centriste, comme tu l’entends », et c’est ce que je fais. Je le fais en pleine liberté, je n’ai pas eu, depuis que je suis nommé, la moindre instruction du président de la République.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et est-ce que le président de la République, Nicolas SARKOZY, est vraiment le garant de l’indépendance de la justice ?
 
MICHEL MERCIER Et bien il l’est, et il l’est tous les jours.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Quelle preuve ?
 
MICHEL MERCIER Ecoutez, je ne crois pas qu’il y ait un seul chef de l’Etat qui ait donné autant de pouvoir au Conseil Supérieur de la Magistrature.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et au Conseil Constitutionnel, au passage.
 
MICHEL MERCIER Et au Conseil Constitutionnel, à travers la QPC, la défense des droits constitutionnels sera un axe fort du bilan de Nicolas SARKOZY.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Après les accusations de Robert BOURGI, une enquête préliminaire est ouverte, elle peut durer, durer, durer, jusqu’à l’oubli. Est-ce qu’elle va être ensablée, enterrée ?
 
MICHEL MERCIER Elle va surtout durer, pour trouver la vérité.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Oui. Et pourquoi vous n’avez pas ouvert une instruction ?
 
MICHEL MERCIER Parce que pour l’instant le Parquet commence à travailler, et c’est au bout de ce travail que l’on verra s’il y a lieu à faire ou non une instruction. Je rappelle qu’il y a, par ailleurs, trois plaintes qui ont été annoncées, qui sont probablement déposées, et que la justice va donc être saisie de la plénitude du dossier.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Les faits remontent à 10, 15 ans, est-ce qu’ils sont en majorité prescrits ?
 
MICHEL MERCIER Il faut regarder, il y en a probablement qui sont prescrits.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Votre avis, c’est ?
 
MICHEL MERCIER Il y en a qui sont prescrits, d’autres peut-être qui ne le sont pas, et c’est justement le but de ces enquêtes.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et vous Michel MERCIER, citoyen, élu, et ministre, est-ce que vous estimez que, ce qu’a commenté Robert BOURGI est vraisemblable et grave ?
 
MICHEL MERCIER Je n’en n’ai pas la moindre idée.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH …
 
MICHEL MERCIER Pas plus que vous.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Non, mais vous ? Vous êtes bien placé, peut-être, pour savoir.
 
MICHEL MERCIER Non.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Les valises, financements occultes…
 
MICHEL MERCIER Ce n’est pas le genre de la maison, vous le savez bien.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous non.
 
MICHEL MERCIER Non.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH D’autant plus que vous avez été trésorier…
 
MICHEL MERCIER Oui, trésorier de parti politique qui n’avait pas d’argent.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Le MoDem. Mais François BAYROU disait ici il y a 2, 3 jours, qu’on l’avait approché, qu’il avait dit non, mais qu’on l’avait approché.
 
MICHEL MERCIER L’important c’est de ne rien avoir eu.
JEAN-PIERRE ELKABBACH La juge Isabelle PREVOST-DESPREZ a fait des confidences qui mettent en cause le candidat SARKOZY, elle l’a fait hors procès verbal, sans preuve. Est-ce qu’elle a respecté le devoir de réserve ?
 
MICHEL MERCIER Je vous ai répondu tout à l’heure. Il y a une procédure qui a été lancée par le Premier président de la Cour d’appel de Versailles, qui a des pouvoirs à la fois disciplinaire et hiérarchique. Le président du tribunal de Nanterre met en oeuvre ce qui lui a été demandé par sa hiérarchie, le Garde des Sceaux respecte cette procédure, et ne fera aucun commentaire.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais vous souhaitez que la hiérarchie, en l’occurrence Jean- Claude MARIN qui s’installe aujourd’hui dans ses nouvelles fonctions, que la hiérarchie décide elle-même s’il faut ou non une sanction ou une réprimande disciplinaire ?
 
MICHEL MERCIER Ce n’est en rien monsieur MARIN qui est compétent, c’est le Premier président de la Cour…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Monsieur LAMANDA, mais pour certains…
 
MICHEL MERCIER C’est le Premier président de la Cour d’appel de Versailles qui mène cette procédure et qui verra, en son âme et conscience, s’il doit saisir le Conseil Supérieur.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous, vous n’avez pas d’avis ?
 
MICHEL MERCIER Si j’en ai un…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous le leur dite, pas à moi.
 
MICHEL MERCIER Je le garde, parce que… le problème, il y a une procédure qui est lancée, si le Garde des Sceaux ne respecte pas lui-même les procédures, qui les respectera en France ?
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Est-ce qu’à Nanterre l’enquête a été conduite avec impartialité ?
 
MICHEL MERCIER Le tribunal de Nanterre est dessaisi, à moins que vous soyez professeur d’Histoire du droit, on peut regarder les choses, ce qui compte c’est la décision de la Cour de cassation, qui a confié à la juridiction de Bordeaux le soin de mener cette enquête, cela est mené…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Par deux juges.
 
MICHEL MERCIER Par deux juges.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Est-ce qu’ils travaillent bien ?
 
MICHEL MERCIER Ils travaillent très bien. Ils travaillent d’autant mieux que vous ne savez pas ce qu’ils font.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais vous, vous savez ?
 
MICHEL MERCIER Non.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Ah bon !
 
MICHEL MERCIER Bien sûr que non.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais comment vous pouvez dire qu’ils travaillent bien ?
 
MICHEL MERCIER Parce que je vois bien qu’il y a des événements qui marquent des… On sait qu’ils viennent interroger des gens, qu’ils les rencontrent, qu’ils font leur travail.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Avec l’affaire Dominique STRAUSS-KAHN les Français ont découvert le fonctionnement de la justice américaine. Monsieur MERCIER, que faudrait-il prendre d’elle, pour la justice française ?
 
MICHEL MERCIER Je pense quand même que la justice française sort confortée de cet épisode. La justice américaine est une justice d’un grand pays, démocratique, qui a une culture particulière. En France on regarde les faits, aux Etats-Unis on a bien vu…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais qu’est-ce qu’elle peut nous inspirer ?
 
MICHEL MERCIER Que la distinction entre le procès pénal et le procès civil est absolue, et le procès pénal il est fait en fonction de la personnalité de la victime. Si c’est une victime un peu faible, on dit elle n’est pas crédible, donc pas de procès pénal. En France, quelle que soit la victime, s’il y a des faits, on poursuit. Il y a une grande différence, et moi je sors conforté dans ce que je pense, que la justice française est une bonne justice, qui a besoin d’être améliorée, réformée, mais que c’est une bonne justice qu’il nous faut conserver.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Donc on garde la juge d’instruction.
 
MICHEL MERCIER On garde la justice française.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH C’est peut-être une coïncidence Michel MERCIER, mais avec l’accumulation des affaires dont on parle, on a l’impression de vivre dans un pays de corrompus, de corrupteurs, et que la morale se détériore.
 
MICHEL MERCIER Moi je pense que c’est un pays où il y a des problèmes, où, comme dans tous les autres, 99% des gens sont des gens honnêtes, qu’il y a des gens malhonnêtes, mais que la justice française elle est au grand jour, elle est au grand jour, on en parle, et les choses sont traitées devant le peuple.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais quand on prend des réformes, ou qu’on annonce par exemple la loi de programmation qui va aller jusqu’en 2017, qu’est-ce qu’on dit ? 80 000 places de prison. Est-ce que c’est ça qui règlerait les problèmes de délinquances et d’insécurité ?
 
MICHEL MERCIER Ce n’est pas la prison qui peut régler tous les problèmes, mais ça peut aider, et le temps de prison est un temps de reconstruction des individus. 80 000 places de prison c’est moins que dans la plupart des pays européens. Mais, le carcéral, ce n’est pas toute la répression. Il y a aujourd’hui 175 000 personnes qui sont suivies par des conseillers d’insertion, de probation, en dehors du système carcéral.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Chaque ministre a sa réforme, chaque ministre de la Justice, quelle est la réforme MERCIER ?
 
MICHEL MERCIER Moi ma seule ambition c’est de faire marcher, le mieux possible, le service public de la justice.
 
BRUCE TOUSSAINT Merci beaucoup.
 Source : Premier ministre, Service d’information du Gouvernement, le 19 septembre 2011