Déclaration de Mme Nora Berra, secrétaire d'Etat à la santé, sur la prévention contre les addictions dans les DOM, Paris le 19 septembre 2011.

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Circonstance : Lancement de la campagne de prévention contre les addictions dans les DOM à Paris le 19 septembre 2011

Texte intégral


Le lancement de cette campagne de prévention des addictions dans les DOM intervient à un moment crucial de réflexion et de débat sur le sens même de nos valeurs humanistes, de notre vivre ensemble, et des valeurs de la république française auxquels nous croyons.
Vous savez que j’ai fait, aux côtés de Xavier BERTRAND, de la lutte contre toutes les addictions un des axes majeurs de l’action du Ministère de la santé.
A l’heure où nous voyons clairement certains défendre ouvertement la dépénalisation pure et simple du cannabis, par certains, voire sa légalisation, par d’autres lors du débat des primaires pour la désignation du candidat socialiste à la présidentielle, je crois qu’il est nécessaire de rappeler que la lutte contre les addictions et a fortiori leur prévention, est un devoir de la République. Je regrette qu’il soit abordé dans un but purement politicien.
Comment affirmer et défendre le droit à la liberté et à l’égalité de chaque citoyen dans notre pays, sans combattre les addictions notamment chez les jeunes ? Car outre l’impact sur la santé, les addictions sont des poisons pour l’épanouissement personnel, le libre arbitre, et donc, la liberté.
C’est une question d’éthique républicaine, et j’en ai fait pour ma part, mon combat. Il ne s’agit pas d’un combat moral, mais bien d’un combat politique au sens noble du terme et citoyen.
Ce sont souvent les citoyens les plus fragiles qui sont le plus exposés aux dangers des drogues et des addictions. C’est en leur direction que nous devons concentrer nos efforts d’information et d’éducation. Car nous savons que l’environnement joue un rôle déterminant dans l’accoutumance progressive aux addictions.
Il ne s’agit pas, par cette campagne, de laisser croire qu’il y aurait deux poids, deux mesures entre les citoyens des DOM et ceux de la métropole. Notre approche est fondamentalement globale, mais nous devons l’adapter, la nuancer, à la lumière d’environnements géographiques, sociaux différents qu’il nous faut bien prendre en compte.
Ce que je voudrais d’abord dire, c’est qu’il y a des spécificités à la consommation de produits psycho actifs dans les DOM, par rapport à celle observée en métropole.
C’est pourquoi je tiens d’abord à vous rappeler la mobilisation de l’État : en 2010, nous avons consacré plus de 11,5 millions d’euros à la prise en charge et à la prévention des addictions dans les départements français d’Amérique, et à la Réunion. Je tiens ainsi à souligner que cette dotation est totalement comparable à celle des autres régions métropolitaines, les clefs de répartition de l’ONDAM médico- sociales étant les mêmes.
Ces spécificités des DOM concernent les produits consommés : le crack est le produit illicite le plus consommé, après le cannabis, aux Antilles et en Guyane. Ainsi, l’enquête Escapade nous montre qu’en 2008, 7% des métropolitains de 17 ans consommaient régulièrement du cannabis, contre 5% des mêmes jeunes des Départements Français d’Amérique. En revanche, pour ce qui concerne le crack, et dans cette zone, près de 1% des 15-44 ans consomme du crack, dont 1,3% des jeunes de 17-18 ans, contre largement moins de1% en métropole.
Cette consommation concerne des populations fragilisées, consommation qui les exclut encore d’avantage de la société.
Depuis 2008, des structures de soins spécialisées ont été mises en place en Guyane pour prendre en charge cette population. Ce sont ainsi plusieurs structures dont la capacité d’accueil a été augmentée. Par exemple, l’unité départementale d’addictologie du CH de Cayenne dispose de 14 lits d’hospitalisation. Et la communauté thérapeutique de Roura dispose, depuis 2010, de 35 places, spécialisées dans les poly-addictions associées au crack.
Je tiens d’ailleurs à vous dire qu’une communauté thérapeutique ouvrira ses portes en 2012, afin d’aider les usagers à sortir de leur dépendance. Cette structure de 25 places sera réservée à une population fragile et spécifique : elle accueillera des mères avec enfants. Cette structure expérimentale, qui sera créée à Saint Laurent, sera financée sur l’ONDAM médico-social, dans le cadre de l’appel à projets DGS-MILDT.
Un bus mobile va également être mis en service à Cayenne, le « Prévenbus », afin d’aller au plus près de la population fragile. Cette action est soutenue par l’Etat à hauteur de 20000€.
J’en profite pour saluer le travail exemplaire réalisé par les professionnels de santé et les travailleurs médico-sociaux que ce soient dans les structures de prise en charge hospitalière comme dans les CSAPA, les CAARUD, qui travaillent au quotidien dans les départements d’Outre Mer pour aider les toxicomanes et leurs proches.
Parallèlement, il est pour nous crucial d’agir par la prévention. Car les études réalisées ces dernières années montrent que la majorité des personnes toxicomanes (55%) a consommé du crack, la première fois, par simple curiosité. Et il s’agit surtout de jeunes. En effet, seuls 4% des consommateurs ont commencé après 40 ans. Pire encore : pour 1/3 de ces expérimentateurs, la consommation régulière a commencé dans la semaine suivant la première prise de drogue, et pour les autres, 6 mois à peine ont suffi.
Il nous apparaît donc indispensable d’apporter aux parents une information, afin qu’ils sachent que des solutions de prévention ou de prise en charge existent. C’est précisément le but de cette campagne.
Je veux également rappeler que l’alcool constitue certainement le second enjeu de la prévention des addictions que nous devons relever dans les DOM. Si l’usage chez les jeunes, à 17 ans, est moins régulier, et que les ivresses sont moins fréquentes, je veux vous dire que :
* entre 7 et 3% des jeunes consomment régulièrement dans les DOM, contre 9% en métropole.
* 10% des jeunes présentent des ivresses répétées dans les DOM, contre 26% en métropole ;
Mais, ces ivresses sont également plus précoces, puisque, par exemple, à La Réunion, 31% des jeunes ont déjà été ivres à 13 ans, contre seulement 16% d’entre eux en métropole.
En revanche, la situation chez les adultes est très différente : la Réunion et la Martinique sont respectivement au 2ème et 3ème rang des régions françaises les plus touchées par l’alcool après le Nord Pas de Calais.
L’impact de l’alcoolisme est important et ses conséquences sanitaires et judiciaires sont fréquentes.
* Le syndrome d’alcoolisation fœtale (Saf) est une préoccupation de santé publique majeure.
* La mortalité directement liée à l’alcool y est supérieure de 70% à la moyenne nationale.
* On meurt deux fois plus de psychoses alcooliques et de cirrhoses du foie à La Réunion qu’en métropole.
* 30% des accidents sur la voie publique y sont liés à l’alcoolémie routière.
Mais d’autres pratiques addictives dans les DOM sont aussi remarquables par leur exemplarité :
* Pour le tabac : en fonction des classes d’âges, la prévalence est 2 à 3 fois inférieure à celle observée en métropole ! Ainsi, à 17 ans, 12% des Guadeloupéens fument quotidiennement, contre 29% des métropolitains du même âge.
* La consommation des opiacés est également plus limitée qu’en métropole. Ainsi, par exemple, à 17 ans, en moyenne 2% des jeunes des DOM ont testé la cocaïne, contre plus de 3% des jeunes métropolitains.
Ainsi, contrairement à bien des idées reçues, les niveaux de consommation des substances addictives ne sont pas supérieurs à ceux observés en métropole. C’est la plus grande visibilité de la consommation qui conduit donc à cette perception erronée, que je considère donc comme un préjugé.
Toutefois, même inférieures, ces consommations et expérimentations doivent être considérées comme des formes de dépendance. Il s’agit d’un problème de santé publique du fait des répercussions sur la santé des personnes qui constitue une réelle source d’inquiétude et de souffrance pour le consommateur, mais aussi pour ses proches, son entourage.
En 2012, nous aurons enfin une vision plus précise de la problématique des addictions dans les DOM, car l’Inpes va réaliser pour la première fois un baromètre santé spécifique DOM, qui intégrera un volet addiction.
C’est pour cela que le Ministère de la santé reste et restera mobilisé sur cette question, et pas simplement durant l’Année de l’outre mer, car la souffrance humaine ne peut avoir une reconnaissance conditionnée à un seul calendrier.
Mesdames et Messieurs,
Comme je vous le rappelais au début de mon propos, je crois que la lutte contre les addictions de toutes sortes est la seule attitude possible pour un Etat et des citoyens soucieux de garantir à chacun le droit à la santé, au bien-être, et à la pleine jouissance de ses droits. C’est donc un message de responsabilité que cette campagne nous envoie aujourd’hui. Mobilisons-nous, car la banalisation, loin d’être une liberté, serait une aliénation.
Source http://www.sante.gouv.fr, le 20 septembre 2011