Déclaration de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé, sur la protection sociale et l'avenir de l'assurance maladie, Paris le 12 juillet 2011.

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Merci, Monsieur le Président. Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil économique, social et environnemental. Comme vous l’avez mentionné, Monsieur le rapporteur, la saisine que le Premier ministre vous a adressée le 17 mars dernier vous invitait à analyser les principaux enjeux auxquels se trouvent confrontés, dès aujourd’hui, notre système de protection sociale et auquel notre système sera confronté dans les années qui viennent.
Vous l’avez dit, Monsieur le Président, j’ai bien entendu le message : assemblée du quotidien, vous savez l’être ; assemblée du futur, vous savez et vous devez l’être. Vous en avez conscience, tout comme moi.
L’avis que vous avez rendu est utile pour la réflexion du gouvernement mais j’aimerais aussi qu’il soit aussi lu et analysé par d’autres acteurs que le gouvernement, parce que si l’on reconnaît du sens à l’analyse du CESE et si l’on reconnaît aussi le bon sens des membres du CESE, je pense que cet avis pourrait faire naître une bonne réflexion et faire taire des querelles parfois dépassées. Je ne voudrais pas vous faire jouer un autre rôle que celui qui est le vôtre, mais vous remettez quand même aussi un certain nombre de pendules à l’heure. J’y reviendrai dans quelques instants.
Avec vous, je pense que nous pouvons relever un certain nombre d’enjeux importants, que votre avis dégage et qui nous permettront, si vous le voulez bien, de prolonger le débat dans les semaines et les mois qui viennent.
Premier enjeu, notre système de protection sociale, tout en restant fidèle à sa tradition, à son histoire et à ses valeurs, doit répondre à de nouveaux besoins et à de nouveaux défis. Parmi ces défis, il y a bien évidemment le vieillissement, l’allongement de l’espérance de vie, formidable nouvelle, mais qui nous amène à gérer et à anticiper un certain nombre d’évolutions du système de santé. Le progrès médical, autre bonne nouvelle, a un coût qu’il nous faut savoir assumer.
Nous devons également faire attention à ce qu’un certain nombre de fractures ne se développent pas dans notre pays : des fractures territoriales dans le secteur de la protection sociale, au travers du prisme de la santé, mais aussi des fractures sociales, en fonction du niveau de vie de chacun. Vous l’avez dit : à chacun de contribuer selon ses moyens, à chacun de recevoir en fonction de ses besoins ; ce principe est intangible dans notre pays. Vous me permettrez également d’y ajouter un autre élément : évitons que ne se développe une fracture générationnelle. Celui qui dit cela est non seulement ministre de la Santé mais aussi du travail et de l’emploi. Nous devons bien faire attention à ce que les jeunes n’aient pas le sentiment que l’accès à l’emploi, l’accès à l’insertion, l’accès au logement, l’accès à notre société au sens large leur sont barrés. Ils ne doivent pas penser que le jour où ils rentreront dans la société, on leur demandera une contribution pour un système dont ils ne sont pas sûrs eux-mêmes de bénéficier. Ce défi me semble être un défi majeur.
Vous l’avez dit, notre système de protection sociale doit rester fidèle à ses valeurs fondatrices, je pense à la solidarité et à la justice. Il n’y a pas à transiger là-dessus. Je reviendrai sur la question de la justice parce que vous avez devant vous quelqu’un qui croit qu’il est essentiel, si l’on veut préserver et garder notre système et le développer, si l’on veut avoir des marges de manoeuvre dans les années qui viennent, de mener une lutte intransigeante contre la fraude sociale mais attention, la fraude sociale quel que soit le statut de celui qui fraude, prescripteur ou assuré. Dans ces conditions, il est tout à fait possible et loisible de s’intéresser à celui qui fraude. La justice ne s’entend que si on s’intéresse à chacun.
Dans tous les domaines de la protection sociale, les systèmes issus de la Sécurité sociale représentent aujourd’hui des parts très élevées de la richesse nationale, vous l’avez évoqué. Nous avons vu d’ailleurs le rôle d’amortisseur pendant la crise. La France est un pays, et je le dis, je l’assume parce que j’y crois profondément, qui a mieux résisté que d’autres à la crise mondiale que nous avons traversée. Il est vrai aussi que les sommes qui sont versées par notre protection sociale représentent des ordres de grandeur que l’on mesure peu. Alors, je voudrais justement les redire : l’Assurance maladie, 183 milliards d’euros par an, la retraite, 200 milliards d’euros par an, la famille, 55 milliards d’euros ; au total, 450 milliards d’euros - plus que le budget de l’État. Si on ajoute les autres dépenses de protection sociale, c’est plus de 550 milliards d’euros, soit des chiffres sans équivalent dans les autres pays développés. En même temps, nous l’avons dit, nous devons répondre à un nouveau besoin : offrir des soins de qualité pour tous et en donner l’accès sur l’ensemble du territoire.
Vous avez évoqué la question des professionnels de santé. Je crois qu’elle est essentielle parce qu’il nous faut aussi savoir tourner le dos à un malthusianisme qui a causé tant de mal dans notre système de santé. Et je le dis d’autant plus que mon propos ne sera pas polémique : la gauche comme la droite ont, en la matière, commis des erreurs sans pareille.
Il fut une époque où l’on a pensé que s’il y avait moins de professionnels, il y aurait moins d’actes, donc moins de dépenses, et donc, moins de déficit. Mais cela ne se passe absolument pas comme cela. Nous devons couvrir les besoins de santé de la population et nous n’aurons pas assez de professionnels si nous en réduisons le nombre, notamment avec le numerus clausus ou nous n’allons pas au fond des choses, par exemple sur la question des infirmières...
Il y a besoin de trente mille infirmières chaque année, 27 000 s’inscrivent dans les écoles et 22 000 en sortent. On n’a pas pris la mesure de cela, et encore une fois, quelle que soit la majorité, si bien qu’aujourd’hui, nous allons être obligés, pendant un certain nombre d’années, de trouver des mesures temporaires rapides, de façon à pouvoir faire redémarrer notre système de santé sur de meilleures bases.
Vous avez pris cet exemple et je veux m’y attarder : la question de la rémunération des médecins. Bien sûr, le système de rémunération doit évoluer, et j’ai dit voilà quelques jours que je suis optimiste sur la signature de la convention parce que, telle qu’elle se présente, elle répond à ces nouveaux défis. Vous avez parlé de l’intérêt général. L’intérêt des professionnels de santé, c’est l’intérêt des patients, c’est l’intérêt du système de santé. J’en suis intimement convaincu.
Nous devons aussi prendre en compte la participation des professionnels de santé à la réalisation d’objectifs de santé publique. Il faut aussi prendre en compte les contraintes spécifiques liées à l’exercice de leur métier, notamment en termes d’aménagement du territoire. Certains parleront de mission de service public, cela ne me gêne pas et cela ne gêne pas les professionnels de santé.
D’autre part, j’entends dire : « Quand même, on prend en charge les études des médecins et ensuite, on doit avoir un retour ». Mais un médecin qui soigne les Français matin, midi et soir, n’offre-t-il pas le retour de ce qu’il a reçu pendant ses études ? Je pense que oui. Et ce qui est vrai pour le médecin l’est aussi pour les autres professionnels de santé.
Vous m’aviez dit que vous croyiez à l’incitation ; moi également, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil économique, social et environnemental.
Je crois à l’incitation parce que je suis persuadé que l’on ne lui a pas donné toutes ses chances, que l’on n’a pas pris suffisamment de mesures réellement incitatives et réellement connues, et du grand public, et des publics intéressés.
C’est seulement maintenant, après la loi HPST, que nous mettons sur la table tout cet ensemble et que nous voulons le valoriser. On nous dit aujourd’hui : « L’incitation n’a pas marché ». C’est normal, on n’a pas fait tout ce qu’il fallait pour que cela marche. Ensuite, vous dites qu’il faudra évaluer ; bien sûr, mais je suis confiant. Je le dis d’autant plus que nous avons des débats qui, d’ailleurs, ne sont pas uniquement entre formations politiques ; il y a aujourd’hui des lignes de fracture à l’intérieur même des formations politiques.
Mais je suis intimement persuadé que dans un système comme le nôtre, il est essentiel de bien comprendre que si vous commencez à toucher à l’un des piliers de la médecine libérale, la question de la liberté d’installation, aussitôt les futurs professionnels se diront : « Si l’on commence à toucher à la liberté d’installation, quelle est l’étape suivante ? ». Et là, le contrat de confiance est rompu. Vous avez dit tout à l’heure que vous aviez écouté les jeunes médecins. Je pense que beaucoup de ceux qui s’expriment sur ce sujet n’ont pas écouté les futurs médecins. Bien souvent, on parle à leur place, on donne des chiffres à leur place et bien souvent, on écoute je ne sais quels avis autorisés, mais certainement pas l’avis des praticiens ni des praticiennes demain.
Nous avons pris plusieurs mesures en ce sens : un service unique d’aide à l’installation des professionnels de santé est en cours de mise en place aujourd’hui par les ARS ; un statut juridique souple et adapté a été crée pour les maisons de santé pluridisciplinaires, je ne veux pas l’imposer, mais je crois que l’exercice regroupé est la solution de demain qui nous permettra, et dans les quartiers, et en milieu rural, de renforcer la présence médicale. C’est très important.
Vous vous penchez, dans cette assemblée, sur toutes les questions relatives aux fractures territoriales. C’est un sujet qui vous passionne, Monsieur le Président, mais il est évident que, dans nombre de communes, on a vu parfois se transformer les services de La Poste, assurés maintenant par un simple bureau ou même parfois par un commerçant ; on a vu parfois des commerces fermer leur porte, des classes fermer, parfois même des écoles se regrouper à quelques kilomètres, mais quand un médecin dévisse sa plaque, c’est un véritable traumatisme pour une population parfois âgée qui se dit : « Qu’est-ce qui va se passer pour moi si j’ai un problème de santé ? ». Et l’on sait qu’en plus, une plaque qui est dévissée est bien souvent pas près d’être revissée. Voilà pourquoi ce sujet est si fondamental et ne touche pas seulement la dimension sanitaire d’un sujet qui intéresse ô combien les élus parce qu’il passionne ô combien la population.
Je pense également que nous avons besoin, dans le laps de temps qui est devant nous de 5 à 6 ans, de prendre des mesures rapides, des mesures très pratico-pratiques.
Je le dis parce qu’en 2005, ministre de la Santé, j’avais voulu que le numerus clausus refranchisse un cap important. Mais voilà, après cinq-six ans, les décisions prises ne seront complètement opérationnelles avec un nombre supplémentaire de professionnels de santé que dans cinq ans, et en attendant, tout l’enjeu est de faire en sorte que ceux des professionnels de santé qui pourraient prendre leur retraite dès maintenant soient incités à prolonger leur activité sur la base du volontariat, avec une idée à laquelle je crois profondément : la simplification maximum de leur installation, pour ceux qui commencent, mais aussi pour la poursuite de leur activité.
Il faut se poser une question : pourquoi le statut du remplaçant est-il aujourd’hui autant plébiscité ? Tout simplement parce qu’il n’y a aucune charge administrative. Et plutôt que de vouloir donner à ceux-là des charges supplémentaires, le vrai sujet est d’alléger le poids des charges qui les éloignent du temps médical. Voilà l’une des pistes justement pour ces professionnels retraités.
J’ai voulu favoriser le cumul emploi-retraite en faisant du sur-mesure, en calculant notamment les cotisations sociales de façon proportionnelle en plus forfaitaire ; vous allez me dire que c’est du bon sens ; oui, mais on ne l’avait pas fait auparavant et je suis persuadé que cet ensemble de mesures nous permettra, dans le laps de temps qui vient, ce tuilage entre ceux qui étaient tentés d’arrêter et l’arrivée des nouveaux.
La rémunération à l’acte, je pense, doit rester le coeur de la rémunération des médecins. Cependant, deux autres piliers doivent permettre de prendre en compte les efforts du médecin, à la fois pour s’intégrer dans une offre de santé qui est un service public à part entière, mais aussi pour atteindre les objectifs de santé publique.
Autre besoin nouveau : un système de santé de qualité n’a pas de sens si le plus grand nombre de peut en profiter. Je dis « besoins nouveaux » parce que nous sentons bien qu’il y a des risques, des craintes aujourd’hui exprimés.
Vous avez parlé des dépassements d’honoraires. C’est vrai que cela constitue un point de vigilance important pour nous-mêmes, même si le niveau de prise en charge public des dépenses de santé reste très élevé dans notre pays : 76,8 % en 2009, dernier chiffre que nous avons. C’est le niveau le plus élevé de l’OCDE, niveau totalement stable année après année. C’est le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie qui le dit, pas le ministre de la Santé.
Cela étant, pourquoi la question des dépassements d’honoraires est-elle aujourd’hui aussi présente dans les esprits ? Tout simplement parce que nous n’avons pas su revaloriser les honoraires quand il aurait fallu le faire logiquement et de façon régulière. On a préféré fermer les yeux. Voilà aussi pourquoi cette question des dépassements d’honoraires est aujourd’hui aussi importante. On paie toujours, à un moment ou à un autre, la facture des renoncements ou des réformes évitées ou contournées.
Aujourd’hui, nous allons prendre ce dossier à bras-le-corps. Comme vous le savez, dans le cadre des discussions, nous mettons beaucoup d’espoir dans la question du secteur optionnel, qui doit apporter à la fois de la souplesse pour les médecins, de la visibilité sur les tarifs pour les patients et un renforcement de l’accès aux soins.
Je le dis très clairement : j’attends des complémentaires santé qu’elles viennent à la table des négociations avec la volonté aussi farouche que celle du gouvernement et des professionnels de santé d’aboutir. J’entends dire depuis quelques jours qu’en définitive, parce que le cadre créé par la loi Fourcade ne serait pas suffisamment intéressant, on hésiterait. Je ne peux pas y croire un seul instant. J’ai besoin de la participation de chacun, de l’engagement de chacun.
Deuxième enjeu que je retiens de votre avis : la question de la soutenabilité financière. Ce n’est pas une question secondaire ni accessoire. Elle est incontournable parce que nous avons un système de protection sociale, je pense, le plus élevé qui soit, et c’est normal ; il faut avoir les moyens de le mettre en place et d’en assurer l’avenir.
La réforme des retraites que nous avons faite en 2010 est une réforme efficace parce qu’elle permet de rétablir l’équilibre des régimes dès 2018, et une réforme qui ne nuit pas non plus à la croissance puisque nous avons refusé une hausse massive des prélèvements. L’un des membres éminents de cette assemblée, Raymond Soubie, ne saurait me contredire, lui qui en a été aussi l’un des acteurs.
Cette réforme fait suite à celle de 2003, et je dis cela aussi sous le regard vigilant de M. le Président du Conseil économique, social et environnemental, qui a porté ô combien le poids important de cette réforme de 2003 également indispensable.
Aujourd’hui, comme nous l’avons fait sur les retraites, notre préoccupation est de pérenniser notre modèle social en nous assurant qu’il est soutenable et en retenant d’ailleurs demain le défi de la dépendance.
Le Premier ministre l’a indiqué : c’est dès le mois de septembre que nous pourrons faire valoir des orientations précises de façon à faire face à ces besoins croissants concernant la dépendance.
Dans le domaine de la santé, nous devons tenir notre objectif de maîtrise des finances publiques. L’ONDAM doit être respecté parce que c’est de cette façon que l’on garantira l’avenir du système de santé. Mais en France, contrairement à certains discours, il ne faut pas oublier que, pour l’ensemble du système de santé, c’est quasiment quatre milliards d’euros que nous dépensons en plus chaque année, dont deux milliards pour la seule partie hospitalière. Nous l’avons tenu pour la première fois en 2010 à 2,9 % ; en 2012, l’exigence est encore plus grande avec un ONDAM programmé à 2,8 %. Je sais que beaucoup souhaiteraient que je puisse proposer plus que 2,8 %.
J’aimerais bien, moi aussi, mais je préfère demander des efforts, avoir un ONDAM en progression de 2,8 % plutôt qu’un jour avoir à demander des sacrifices avec un ONDAM qui baisserait de 2,8 %. Ce n’est pas la même chose. C’est la différence entre engager des réformes indispensables ou faire, à un moment donné, le pari de l’hypocrisie ou de la faiblesse. Je ne ferai pas ce pari.
Une chose est certaine, cette question de la soutenabilité est importante, mais il faut amener un troisième enjeu : la question du financement de notre protection sociale. En la matière, il s’agit de garantir la question du financement, mais aussi la compétitivité du pays. Nous ne pourrons partager des richesses que si nous les avons produites au préalable. Il n’y a que le travail, et l’activité qui peuvent permettre cette création de richesses et de valeurs.
Mon engagement politique, je suis issu de la famille gaulliste, me fait dire que nous avons besoin de cet équilibre, de cette création pour cette répartition. Nous devons prendre en compte un autre facteur : la meilleure gestion possible. Lorsque nous mettons un euro dans le système de santé, mais pas avec un ratio comptable en tête, il s’agit de savoir si cet euro sera réellement utilisé, maximalisé. C’est ce qui est essentiel aujourd’hui. Eviter les doublons, les gaspillages, les abus et les fraudes est important pour gérer notre système de protection sociale.
Attardons-nous sur le financement. Il nous faut savoir évoluer pour tenir compte de l’évolution de la société, de la diversification des formes d’emploi et de l’impact en matière d’Assurance maladie que l’on peut attendre de certaines nouvelles recettes fiscales.
Vous avez évoqué différentes pistes. Aucune ne peut être écartée aujourd’hui, même s’il faut bien se livrer pour chacune d’entre elles à un examen détaillé pour en connaître les avantages et les inconvénients.
Vous avez évoqué la piste de la CSG. L’assiette est très large et elle n’oublie aucun des revenus. Il faut aussi la regarder sur le moyen et le long terme. Elle est porteuse de pénalisation de la compétitivité, car c’est aussi un prélèvement.
La question de la TVA sociale semble séduire beaucoup d’acteurs. A un moment où la convergence franco-allemande est essentielle, augmenter le taux de TVA, alors que nous sommes à 0,6 point, déjà au-dessus de l’Allemagne, c’est nous éloigner encore plus de cette convergence. Il est important de le rappeler avec un impact immédiat sur le pouvoir d’achat et un risque inflationniste, qui paraît-il, saurait être maîtrisé d’après nombre d’experts. Je les renvoie à leur statut, car vous savez comment l’inflation a commencé, mais vous n’êtes pas forcément en mesure de prévoir toutes les limites d’une telle augmentation.
Autre piste prise en compte dans la participation des entreprises : la part des salaires dans la valeur ajoutée. Je sais bien qu’il y a aussi un aspect intellectuel séduisant, mais il faut faire attention à ce que cela ne pénalise pas les secteurs intensifs en capital - et je pense à l’industrie - mais favorise au contraire les activités de services, au moment où nous avons besoin de faire peut-être moins de beaux discours sur l’industrie et de renforcer sensiblement et en permanence le poids de l’industrie dans notre économie.
Un autre aspect mérite d’être discuté, porteur de marges de manoeuvre budgétaires et financières plus importantes qu’on ne le pense. Il s’agit d’équilibrer les efforts contributifs respectifs des prélèvements sur les revenus du capital par rapport aux prélèvements sur les revenus du travail. Aujourd’hui, le compte n’y est pas. Le capital est moins imposé que ne l’est le travail. Aller jusqu’au bout de la valeur travail, c’est aussi ne pas refuser d’aborder cette question.
Vous avez évoqué la taxe sur les transactions financières. C’est l’un des combats de la France dans le cadre du G20. Mais il faut savoir que, parfois, certains veulent que ces pistes de financement soient cumulatives. Attention, la France est l’un des pays qui connaît les taux d’imposition les plus élevés. Nous savons aussi qu’il est difficile d’alourdir en permanence ces charges. Dans les années qui viennent, nous devrons garantir un bon niveau et un bon financement de la protection sociale, tout en réduisant les déficits et en abaissant le coût du travail.
C’est à ce prix-là que nous conserverons ce système, parfois perçu comme un fardeau par certains. Mais attention, avec les dépenses que j’ai évoquées tout à l’heure, 2,8 %, nous sommes bien au-delà de l’inflation, car les dépenses de santé apportent une contribution à la croissance. L’économie de la santé existe également.
On ne peut pas voir les choses d’un seul point de vue. Il nous faut prendre en compte l’évolution de l’espérance de la vie, de l’allongement de la vie. Les premières réflexions que m’inspire votre rapport montrent bien que les travaux du CESE doivent être largement diffusés dans toute la société française. Notre système de protection sociale a fait ses preuves. Il doit aussi être pris en compte pour l’attractivité de notre pays.
J’ai eu l’occasion, lors d’un récent déplacement aux Etats-Unis, de rencontrer des expatriés qui, pour des raisons temporaires, professionnelles, sont partis aux Etats-Unis. Quand ils voient le coût du système de protection sociale, le coût de l’éducation, ce que nous offrons en France doit aussi être pris en compte.
Parfois, on nous dit que nous n’avons pas le même niveau de salaire que certains de nos voisins. Oui, c’est vrai, mais c’est aussi parce que l’on a fait le choix d’une forte protection sociale, ne l’oublions pas. Le vrai sujet est de savoir si, à chaque fois, notre système est suffisamment bien organisé et bien géré pour répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain.
Je le redis : pendant la crise, si la France a mieux résisté que d’autres, c’est grâce notamment à sa protection sociale. Le monde, la société et les besoins évoluent. Ce système doit donc évoluer. Voilà pourquoi, avec le Président de la République et le Premier ministre, nous avons eu à coeur d’engager les réformes dont notre système a besoin pour qu’ensemble, nous puissions sauvegarder ce système de protection sociale et ses principes fondateurs : la solidarité, l’universalité et la responsabilité.
Je reviens sur un mot que vous avez employé : la confiance. Rien ne pourra se bâtir sans la confiance. Beaucoup des discours que nous entendons aujourd’hui sont catastrophistes sur notre système de protection sociale. Bien sûr qu’il y a des risques, des failles, des améliorations à apporter, mais quand même ! Quand nous voyons aujourd’hui les différents systèmes qui existent dans le monde entier, je pense que nous avons le meilleur système qui soit.
Pour le garder, il faut le faire évoluer, le moderniser. Il est plus facile d’imaginer, dans les cinq ou dix ans qui viennent, d’avoir le meilleur système de protection sociale au vu de l’actuel système français vis-à-vis d’autres modèles.
Mais pour cela, vous l’avez dit, il faut tenir un discours de vérité, comme vous l’avez fait. Il faut présenter des pistes courageuses : vous l’avez fait. C’est maintenant à l’ensemble des responsables publics de savoir prendre leurs responsabilités pour garantir aux Français une protection sociale digne de ce nom.
Source http://www.lecese.fr, le 26 juillet 2011