Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'action de la France sur la scène internationale, la crise de la dette dans la zone euro et le renforcement du partenariat stratégique entre la France et l'Inde, à New Delhi le 21 octobre 2011.

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Circonstance : Voyage officiel en Inde les 20 et 21 octobre 2011

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
C’est pour moi un grand honneur de m’exprimer aujourd’hui devant vous. Je suis venu vous apporter un message de confiance.
Confiance en mon pays, qui se réforme en profondeur et agit plus que jamais en faveur de la paix et de la coopération internationale.
Confiance en votre pays, l’Inde, une grande puissance démocratique qui s’affirme chaque jour davantage.
Confiance, enfin, dans ce que nos deux grandes nations peuvent faire ensemble si elles unissent leurs efforts au service de la sécurité, de la liberté et de la prospérité du monde.
La France se mobilise activement pour construire un monde plus sûr, plus stable et plus libre.
En Afghanistan, d’abord, avec nos alliés et le peuple afghan, nous œuvrons au transfert aux Afghans de la responsabilité de la sécurité de leur pays en 2014. Dix ans après la chute du régime criminel des talibans, Oussama Ben Laden est mort. Partout où la situation le permet, les troupes de la coalition se retirent et les forces de sécurité nationales afghanes prennent le relais.
Mais la situation reste dangereuse et le restera encore. Chacun sait que les Talibans bénéficient encore de complicités et de soutiens inacceptables hors d’Afghanistan.
C’est pourquoi la France est déterminée à rester engagée dans la durée aux côtés du peuple afghan. À l’instar de l’Inde, nous négocions un traité d’amitié et de coopération avec l’Afghanistan. Nous proposons aussi que tous les pays voisins de l’Afghanistan s’engagent, dans un cadre régional soutenu par la communauté internationale, à respecter son indépendance et sa sécurité.
Dans le monde arabe, la France soutient sans réserve l’aspiration des peuples à la démocratie. Trop longtemps, on a opposé la liberté des peuples et la sécurité internationale. Trop longtemps, on a soutenu des dictatures comme rempart contre l’islamisme.
Il ne s’agit pas pour la France d’exporter la démocratie par les armes. Ce sont les peuples arabes qui ont dit qu’ils voulaient le changement. Il s’agit pour la France de répondre aux attentes des peuples quand ils réclament, parfois au prix du sang, la démocratie. Il s’agit aussi de la «responsabilité de protéger», entérinée par l’ONU en 2005.
C’est dans cet esprit que nous soutenons les transitions politiques en Tunisie et en Égypte. C’est aussi dans cet esprit que nous soutenons les réformes sages décidées par le Maroc et la Jordanie, et que nous avons mobilisé le G8 pour aider les pays en transition, avec des financements à hauteur de 40 milliards de dollars. C’est encore dans cet esprit qu’avec plusieurs pays arabes, nous avons soutenu militairement le peuple libyen face à Kadhafi, qui promettait de faire couler «des rivières de sang».
Aujourd’hui, nous soutenons le peuple syrien dans sa quête de démocratie, en nous opposant à la répression féroce dont il est victime.
Sur la Libye, le Conseil national de transition a annoncé la mort de Kadhafi durant le siège de Syrte. Cela met un terme à 42 ans de tyrannie et de terreur. Les opérations militaires se termineront bientôt. Cela ouvre aussi un nouveau chapitre pour une Libye libre. La France et l’Inde sont toutes deux résolues à appuyer les efforts du Conseil national de transition, afin qu’il mette en place des institutions démocratiques stables et reconstruise le pays.
Reste la Syrie. Face aux crimes contre l’humanité perpétrés par le régime, la France demande que le Conseil de sécurité assume ses responsabilités et sanctionne la répression sanglante. J’espère que nous trouverons bientôt un accord sur une action multilatérale qui puisse accroître la pression sur le régime syrien. Certains craignent que ce soit la porte ouverte à une action militaire unilatérale. Ce n’est en aucune mesure notre intention. Lorsque la France et ses alliés agissent militairement, c’est dans le strict respect du droit international.
Répondre aux attentes des peuples, c’est aussi soutenir avec détermination la relance du processus de paix israélo-palestinien. Les aspirations des Palestiniens à un État ne sont pas moins légitimes que celles des autres peuples arabes à la liberté.
Après tant d’années de conflit, il est plus que temps de trouver le chemin de la paix. La France est plus que jamais engagée en faveur de la mise en œuvre de la solution des deux États, vivant en paix et en sécurité dans des frontières sûres et reconnues. Il n’y aura pas de paix juste et durable sans négociations entre les parties.
La France soutient les efforts du Quartet pour relancer les négociations. Les termes exposés dans sa dernière déclaration sont cohérents avec l’approche proposée par le président de la République à l’Assemblée générale des Nations unies. Mais si ces efforts échouent à nouveau, nous devrons, tous ensemble, nous poser la question de la méthode. Une approche plus collective, impliquant davantage les membres du Conseil de sécurité, l’Union européenne et certains pays arabes, serait un atout pour la paix.
Mon pays comprend la demande légitime exprimée par le président Abbas de voir la Palestine reconnue au nombre des membres des Nations unies. Comme l’a indiqué le président de la République, une solution intermédiaire pourrait passer par la reconnaissance par l’Assemblée générale des Nations unies du statut d’État observateur à la Palestine.
Enfin, la France est pleinement mobilisée sur la question iranienne. Comment imaginer que le Moyen-Orient, mais aussi l’Asie du sud, seront durablement en sécurité et en paix si l’Iran poursuit ses projets de prolifération nucléaire, nés d’une coopération avec le père de la bombe nucléaire pakistanaise Abdul Qadeer Khan ? Si nous laissons l’Iran poursuivre dans cette voie sans réagir avec fermeté, les risques de crise ouverte vont s’accroître inexorablement.
Personne, ni l’Europe, ni l’Inde, n’a intérêt à une crise militaire. Nous n’avons pas d’autre choix qu’une attitude ferme et responsable fondée sur des sanctions croissantes.
La récente révélation selon laquelle l’Iran aurait fomenté un attentat contre l’ambassadeur d’Arabie saoudite aux États-Unis est un nouveau signe de mépris pour le droit international. S’il s’avère que les autorités iraniennes sont à l’origine d’une telle opération, elles devront répondre de leurs actes devant la communauté internationale.
Agir pour la paix, c’est aussi, pour la France, agir pour la croissance économique mondiale.
L’économie internationale est aujourd’hui profondément interdépendante. Les effets des crises économiques se répandent sur toute la planète. Après la crise financière de 2008, nous faisons face aujourd’hui à une nouvelle crise, celle des dettes souveraines de nombreux États.
C’est la raison pour laquelle la France se mobilise pour permettre à l’Union européenne de surmonter la crise.
Je sais qu’ici en Inde, certains considèrent avec scepticisme la vieille Europe. Qu’en est-il en vérité?
D’abord, l’Europe est toujours la première puissance économique du monde et l’euro s’est imposé comme une des monnaies les plus fortes.
Bien sûr, la situation de la dette publique dans la zone euro est préoccupante, mais elle l’est beaucoup moins qu’aux États-Unis ou au Japon. Bien sûr, la croissance y est plus faible que dans les pays émergents. Mais cette différence est naturelle. Elle est due pour une bonne part à un rattrapage progressif du niveau de développement.
Ceci posé, chacun doit faire ce qu’il a à faire chez lui. Les États-Unis doivent réduire leurs déficits budgétaires massifs. La Chine doit accroître sa demande intérieure. L’Inde doit poursuivre avec détermination sa modernisation et son ouverture internationale. En Europe, nous devons régler des problèmes de surendettement et de sous-compétitivité.
Pour remettre la zone euro sur la voie de la stabilité, le président Sarkozy et la chancelière Merkel ont pris l’initiative. Au-delà des mouvements sur les marchés, il y a un sujet de fond qui est celui de l’intégration économique de la zone euro.
Partager la même monnaie crée une très forte interdépendance, où le laxisme de l’un met en cause la prospérité de tous. Cela implique de mettre en œuvre des politiques économiques, budgétaires et fiscales convergentes.
D’abord, entre la France et l’Allemagne. La France et l’Allemagne travaillent activement à assurer la convergence de leurs deux économies. Le président et la chancelière ont ainsi fixé l’objectif de mettre en place un impôt commun sur les sociétés d’ici 2013.
Au-delà de ce travail bilatéral, la France et l’Allemagne agissent de concert pour mettre en place le véritable gouvernement économique dont la zone euro a besoin, avec une coordination et une surveillance accrues des politiques économiques et budgétaires, et avec un projet de Fonds monétaire européen face aux risques de crises systémiques.
Les chefs d’État et de gouvernement européens se réuniront à brève échéance et prendront les décisions nécessaires. Ils adresseront ainsi un message de détermination et de confiance dans la solidité de la zone euro et de l’Union européenne toute entière. Cela permettra aux Européens d’aborder le prochain Sommet du G20, à Cannes, en ayant apporté toute leur contribution à la stabilisation de l’économie mondiale.
À Cannes, nous voulons répondre à la crise de confiance des marchés et au ralentissement de la croissance mondiale. Il nous faut envoyer un message fort d’unité et de coopération économique.
Il nous faut montrer que nous soutenons la croissance mondiale et limitons la volatilité des marchés financiers. Il nous faut apporter la preuve que la consolidation budgétaire et la réduction de la dette ne doivent pas se faire au détriment de la croissance.
La réunion des ministres des Finances du G20, qui a eu lieu les 14 et 15 octobre à Paris, a permis de poser des jalons importants dans la perspective de ce sommet, avec la pleine participation de l’Inde.
- Sur la réponse à la crise, avec la préparation d’un plan d’action pour la croissance, ambitieux et précis ;
- Sur la régulation financière, avec un accord sur les limitations de positions en ce qui concerne les dérivés de matières premières ;
- Sur la réforme du système monétaire international, avec des accords sur la gestion des flux de capitaux, un plan d’action sur le développement des marchés d’obligations en monnaies locales, et les principes de coopération entre le Fonds monétaire international et les arrangements financiers régionaux ;
- Et enfin sur le développement, avec une discussion sur les financements innovants, notamment le projet de taxe sur les transactions financières, et avec une liste d’une dizaine de projets prioritaires d’infrastructures sélectionnés.
Les pays du G20 représentent 85 % de l’économie mondiale. Si nous nous mettons d’accord sur de nouveaux progrès pour la coopération économique et financière, c’est le monde entier qui en sera le bénéficiaire. La Présidence française du G20 a mis sur la table des propositions ambitieuses. Nous sommes sur la bonne voie. Je peux vous dire que le Premier ministre Singh et le ministre des Finances Mukherjee ont fait part de la détermination de l’Inde à cet égard.
Agir pour la paix, c’est enfin pour la France agir pour un monde plus équilibré et plus juste, fondé sur le dialogue entre les grandes puissances.
Chacun voit bien que face à des défis politiques et militaires qui nous concernent tous, la concertation entre toutes les grandes puissances du monde est indispensable.
Reconnaissons-le, entre les Occidentaux, la Russie et les émergents, il y a encore bien des différences d’approche. Elles n’empêchent cependant pas le développement de relations bilatérales fortes et confiantes, comme celles que la France et l’Inde entretiennent à travers leur « partenariat stratégique».
La facilité, ce serait de garder l’ancien système, avec les cinq permanents du Conseil de sécurité et le G8 d’un côté, et les «BRICS» ou les «IBSA» de l’autre, qui se concertent en-dehors de cette enceinte. Ce serait une erreur politique et stratégique. Quand le monde change, il faut changer les institutions. Un monde juste, c’est un monde où chacun est à sa juste place.
C’est la raison pour laquelle la France a proposé de créer le G20, où les grands émergents jouent désormais un rôle majeur à la hauteur de leur puissance économique croissante.
C’est aussi dans cet esprit que la France soutient l’élargissement du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous soutenons notamment l’attribution d’un siège permanent pour l’Inde. Nous avons donc apporté notre appui à l’initiative du G4, dont l’Inde fait partie.
Vous l’aurez compris, dans ce monde en plein bouleversement, la France et l’Inde doivent unir leurs efforts.
Le partenariat stratégique entre la France et l’Inde est pour nous un choix de raison.
Avec la fin de l’ère coloniale et la fondation de l’Inde moderne, nous avons vu une civilisation millénaire entrer de plain pied dans la modernité, sans jamais renier ses racines ni sa sagesse. Nous avons vu votre peuple ajouter l’humanisme et la démocratie à un riche héritage de langues, de religions et de traditions culturelles. Jamais l’Inde ne s’est écartée de cette voie, malgré les guerres et malgré le terrorisme qui la frappe aujourd’hui.
La France et l’Inde partagent les valeurs universelles de démocratie, de respect des droits de l’Homme et de tolérance. Et comme l’Inde, la France entend rester elle-même et préserver son âme, la richesse de son identité, l’originalité de sa culture.
À l’issue de mes entretiens avec les autorités indiennes, je crois pouvoir vous dire que nous sommes prêts pour franchir de nouvelles étapes dans nos relations.
Il y a d’abord ce que nous appelons les « trois piliers « de notre partenariat stratégique : lutte contre le terrorisme, coopération nucléaire civile, relations de défense.
Sur le terrorisme, nous sommes en accord profond. La menace est toujours présente. L’attentat qui a encore frappé récemment votre capitale le montre. La lutte contre le terrorisme n’est pas le combat d’une civilisation contre une autre. C’est la lutte de la civilisation contre la barbarie. Nous allons donc renforcer notre coopération. Et nous demandons au Pakistan de tout mettre en œuvre pour empêcher les terroristes de frapper depuis son territoire.
Sur le nucléaire civil, la France et l’Inde sont déterminées à continuer à travailler ensemble, car il demeurera pour longtemps un élément clef de l’approvisionnement énergétique. Le désastre de Fukushima au Japon ne remet pas en cause ce choix stratégique. Il nous conforte dans notre conviction que la sûreté nucléaire est un impératif absolu. Nous n’avions pas attendu Fukushima pour développer les réacteurs de dernière génération les plus sûrs du monde - qui sont ceux que nous proposons à l’Inde.
La France est également fière d’avoir été parmi les tout premiers pays qui ont soutenu la réforme des règles internationales en faveur d’un accès de l’Inde aux technologies nucléaires.
Enfin sur la coopération de défense, nous progressons bien. Nos marines et nos forces aériennes s’entraînent ensemble et se consultent régulièrement. Pour la première fois nous venons de mettre en place des exercices terrestres conjoints. En matière d’équipements militaires, nous avons plusieurs grands projets en perspective, qu’il s’agisse de l’aéronautique, des hélicoptères, des missiles, des armements terrestres ou navals. Bien sûr, il y a une compétition l??gitime. Dans cette compétition, la France propose à l’Inde deux éléments à mon avis essentiels : d’abord une logique de partenariat et non pas de relation commerciale. Ensuite, la certitude d’avoir avec la France un partenaire fiable et constant, qui s’inscrit dans la durée et a fait pour lui-même le choix de l’indépendance technologique et politique.
Au-delà de ces trois piliers, je suis convaincu que nous pourrons rendre nos coopérations toujours plus dynamiques et nos liens toujours plus denses.
Je pense au secteur spatial. Notre coopération vient de s’illustrer par le lancement du satellite franco-indien «Megha-Tropiques». C’est une magnifique réussite. J’espère que nous pourrons bientôt lancer d’autres projets ambitieux pour les prochaines décennies.
Je pense aussi aux échanges universitaires. À vous, les jeunes ici rassemblés, je voudrais dire que la France vous attend. Parallèlement, nous allons inciter plus de jeunes Français à venir étudier en Inde.
En matière d’échanges économiques et industriels, nous progressons vers l’objectif de 12 milliards d’euros en 2012, mais nous pouvons faire mieux encore. La conclusion d’un accord de libre échange équilibré et mutuellement profitable entre l’Union européenne et l’Inde serait un atout majeur.
Cette relation bilatérale dense et forte entre l’Inde et la France, nous devons la mettre au service de toute la communauté internationale. Nous en aurons l’occasion dès le mois de novembre, avec la conférence de Durban sur le changement climatique et avec le sommet du G20 sur l’économie mondiale. Ce sera aussi le cas au Conseil de sécurité, et nous allons renforcer notre concertation en amont sur toutes les questions qui y sont traitées.
Mesdames, Messieurs,
«Il y a une responsabilité de l’Inde dans le destin du monde». Aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, du réveil des peuples arabes et du défi planétaire qu’est le développement durable, ces mots d’André Malraux résonnent avec un écho particulier.
Je crois à l’avenir de l’Inde et à la force du message qu’elle a à porter au monde. Je crois à la vocation de nos deux pays à unir leurs efforts au service d’une humanité plus juste. Je crois à la grandeur de ce que nous pouvons construire ensemble.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 octobre 2011