Interview de M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, dans "Les Echos" le 16 novembre 2011, sur les plans de rigueur en France et dans les pays européens et sur le rôle des agences de notation.

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Q - Un think tank européen a estimé que la note de la France n’est plus justifiée. L’écart de taux avec l’Allemagne a pulvérisé un nouveau record : les investisseurs ne considèrent-ils pas que le triple A est déjà perdu ?
R - La France n’a pas perdu son triple A et elle bénéficie d’une perspective stable de la part de toutes les agences. Moody’s a indiqué qu’elle regarderait dans les prochaines semaines si cette perspective doit être confirmée ou pas. Nous mettons tout en œuvre pour démontrer notre très grande réactivité pour faire face aux perturbations exceptionnelles que traverse la zone euro. La croissance de 0,4% observée au troisième trimestre garantit nos objectifs d’évolution de l’activité et de réduction du déficit public en 2011, et elle renforce la crédibilité du plan du 7 novembre. Ce plan s’appuie sur des réformes structurelles, équitables et qui pèseront le moins possible sur le pouvoir d’achat, moteur essentiel de notre croissance.
Q - La Commission européenne prévoit une croissance de seulement 0,6% en 2012 (1% selon Paris) et estime que la France devra faire plus de rigueur. Excluez-vous toujours un nouveau plan cet hiver ?
R - Nous ne travaillons pas sur un troisième plan. Aucun gouvernement dans l’histoire n’a pris des mesures aussi courageuses que celles que nous allons faire voter, dans une période pré-présidentielle. La Commission n’avait pas intégré les annonces du 7 novembre dans ses prévisions de déficit et elle a salué la bonne direction prise par la France.
J’ajoute que nous avons, dans le budget, prévu les marges de manœuvre nécessaires pour tenir notre objectif de déficit en 2012 en cas de ralentissement plus prononcé de l’économie, avec 6 milliards d’euros de crédits mis en réserve. Même à 0,5% de croissance, nous pourrions faire face.
Q - Les députés de la majorité pourraient être tentés de durcir le plan pour garantir la note de la France...
R - Si l’équité est respectée, si l’économie n’est pas pénalisée, je ne verrais aucune objection à ce que les parlementaires aillent dans le sens d’une plus grande consolidation.
Q - En dépit de ce plan, la France emprunte aujourd’hui à un taux deux fois plus élevé que l’Allemagne...
R - À un peu plus de 3,5%, la France se finance à des conditions qui restent bonnes. Mais nous devons faire davantage que l’Allemagne pour réduire nos déficits et c’est ce que nous faisons. L’Allemagne constitue la référence en matière de niveau de taux d’intérêts, ses titres sont un peu plus liquides que les nôtres et elle est un refuge dans le climat général d’incertitude au sein de la zone euro. Les investisseurs doutent des dettes souveraines.
La clef, c’est de sortir ce doute de la tête des marchés, de faire la preuve de notre capacité à réduire les déficits tout en construisant une zone monétaire optimale, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Et tout ceci sans casser la reprise de la croissance.
Q - Sommes-nous victimes de la dictature des marchés ?
R - Personnaliser les marchés n’a pas de sens : il n’y a pas d’éminence grise qui se cache derrière un rideau ! Il y a des investisseurs qui s’interrogent sur notre crédibilité et nous devons leur apporter des réponses. Nous sommes en guerre contre les spéculateurs, contre les marchés dérégulés, mais nous n’oublions pas que les marchés financent l’économie et les États.
Q - Les banques françaises ont vendu récemment de la dette française, augmentant la pression sur les taux. Est-ce un mauvais signal ?
R - Il est fondamental que les investisseurs européens continuent d’investir dans la zone euro. Mais il faut remettre en perspective tout ce qui est demandé aux banques. Elles doivent démontrer leur capacité à résister à des chocs sur les dettes souveraines, renforcer leurs fonds propres tout en finançant l’économie et en jouant toujours leur rôle d’investisseur institutionnel. Nous sommes très attentifs à cette situation.
Q - Allez-vous vous investir personnellement pour convaincre les agences de notation de la solidité de la France ?
R - Je l’ai fait et je continuerai de le faire. Par ailleurs, il faut certainement aussi mieux réguler les agences. Suite à l’erreur de Standard & Poor’s, j’ai demandé une enquête, elle est en cours et il faudra en tirer les conséquences, car cette affaire a semé un doute préjudiciable. Nous appuyons les propositions de la Commission européenne dans ce domaine.
Q - L’Association française des entreprises privées a écrit lundi aux candidats à la présidentielle. Elle estime qu’il faut diminuer le coût du travail pour renforcer la compétitivité...
R - La question du coût du travail et du financement du modèle social sera au cœur des débats de 2012. Pour ne plus financer notre modèle à crédit, pour ne plus pénaliser l’activité, il faudra trouver une assiette fiscale plus large. Est-ce la TVA, la CSG, ou un mixte des deux ? C’est un débat incontournable, parce que c’est aussi un choix de société et de solidarité.
(…)
Q - On assiste en Europe à une frénésie de rigueur en Europe. N’est-on pas rentré dans un cercle vicieux qui mène tout droit à la récession ?
R - Au Sommet du G20, à Cannes, il a été décidé que les pays en situation d’excédent participeraient à la relance tandis que les pays qui doivent procéder à une consolidation budgétaire devaient annoncer rapidement leurs mesures de correction. Nous ne sommes plus comme à Londres, en avril 2009, dans une logique de relance tous azimuts.
Q - Qu’attendez-vous de l’Italie ?
R - Nous avons pris acte du changement de gouvernement, nous attendons des mesures d’économies et de réduction de la dette dans le respect du calendrier proposé. Tout ce qui se passe depuis 15 jours va dans le bon sens. L’Italie a une économie puissante et solide mais qui est victime d’une défiance.
Q - Les taux montent sur la dette italienne, qui va avoir besoin d’une aide du Fonds européen de stabilité ou de la BCE...
R - Nous sommes favorables à l’intervention de toutes les institutions européennes y compris la BCE pour apporter les meilleures réponses à la crise. La Banque centrale, dont je rappelle l’indépendance, a pris des engagements pour expliquer qu’elle répondrait présente en cas de difficulté. L’Allemagne, pour des raisons historiques, a fermé la porte à une implication directe de la BCE.
Q - «Y compris la BCE»... Vous voulez dire que Berlin refuse qu’elle soit le prêteur en dernier ressort des pays de la zone euro, comme le font pourtant les autres banques centrales ?
R - Il est vrai que la Réserve fédérale américaine intervient et que cela ne remet pas en cause son indépendance, la Banque du Japon et la Banque d’Angleterre le font aussi. Mais l’Allemagne a une histoire, une mémoire sur l’inflation, le surendettement... Avant l’accord du 27 octobre, nous avons défendu la demande d’un statut bancaire pour le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Doté d’une licence bancaire, ce fonds pourrait s’appuyer sur la BCE. Mais celle-ci s’y est opposée et l’Allemagne a souhaité d’autres options. C’est pourquoi nous travaillons aussi sur d’autres modalités que sont l’effet de levier et les garanties sur les obligations d’État.
Q - Hier encore, le gouverneur de la Bundesbank a redit fortement que ce n’est pas à la BCE de faire le travail des États. Alors que l’on entend peu celui de la Banque de France...
R - Nous respectons l’histoire allemande et les États doivent naturellement faire leur travail mais nous continuons de considérer que la BCE est une réponse et probablement même un élément important de la réponse à cette crise. Dans le communiqué de l’accord du 27 octobre, la BCE a pris l’engagement de jouer complètement son rôle pour garantir la stabilité de la zone euro. Nous lui faisons confiance.
Q - Aujourd’hui, personne ne croit à la nouvelle puissance de feu du Fond européen de stabilité financière. Il emprunte à des taux supérieurs à ceux de la France !
R - Wolfgang Schauble et moi-même avons beaucoup pesé la semaine dernière pour accélérer le calendrier opérationnel du Fonds. Son président, Klaus Régling a une feuille de route très précise. Sur un plan technique, il s’agit notamment de savoir à quel niveau on place le rehaussement de crédit, plus on l’augmente, moins l’effet de levier est important. Il faut a minima atteindre l’objectif de 1.000 milliards fixé dans l’accord du 27 octobre. L’objectif du pare-feu est d’éviter la contagion. Pour cela, il faut que notre force de frappe soit suffisamment dissuasive pour empêcher une contamination.
Les nouvelles modalités d’intervention seront prêtes avant la première quinzaine de décembre. La protection des banques avec leur recapitalisation, la montée en puissance du Fonds européen et la modernisation de la gouvernance constituent notre réponse à la crise.
Si la question est «va-t-on vers plus de fédéralisme», la réponse est «oui» et le gaulliste que je suis n’est nullement gêné par l’expression. Il y a des enseignements à tirer de la crise. Nous devons aller vers plus de convergence, avec une probable modification des traités. Le président de la République aura l’occasion de présenter la contribution française à cet important débat.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 novembre 2011