Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur le théâtre et notamment la réouverture du TNP à Villeurbanne le 11 novembre 2011.

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TNP : un logo signé Marcel Jacno, avec trois lettre rouges. D’habitude je ne goûte guère les acronymes et les épidémies de sigles dont sont trop souvent victimes les administrations de la culture. Mais quand ils font l’histoire, quand ils se sont profondément ancrés dans l’imaginaire de notre vie culturelle, force est de s’incliner devant la magie des trois lettres. « Le TNP est un service public. Tout comme le gaz, l’eau, l’électricité », disait Jean Vilar.
Après trois ans de rénovation, le TNP rouvre ses portes. Nous célébrons à nouveau l’alliance entre l’un des fleurons du patrimoine architectural de notre XXème siècle avec une ambition clef de nos politiques culturelles.
Il y a quelque quatre-vingt ans, en pleine crise économique, à la grande époque des Edouard Herriot et des Tony Garnier, le Palais du Travail de Villeurbanne voyait le jour. Une brasserie, un théâtre, des bureaux pour les syndicats, une piscine : hygiène et culture pour le peuple ont rendez-vous à la station Gratte-Ciel. Un ensemble architectural unique signé Môrice Leroux, très probablement inspiré de ce qu’il avait pu voir à Casablanca, au service de Lazare Goujon, l’édile visionnaire. Que reste-t-il aujourd’hui de l’esprit de ces années ? Je pense aux clichés pris par Marc Riboud : redents, gradins de terrasses, aération des espaces, tout respire l’air et la lumière, pour ces partisans d’un nouvel humanisme à visage urbain, loin des cauchemars de la Métropolis de Fritz Lang. Et l’art, bien sûr, au coeur de ce grand temple laïque.
Le TNP, c’est aussi la longue histoire d’une grande idée, qui fait son chemin depuis Victor Hugo - reprise par Firmin Gémier au tout début du XXème siècle, le plus magnifique des refusés du conservatoire, inspiré par le Théâtre du Peuple de Bussang, par Romain Rolland, et qui parcourait avec sa troupe du théâtre Antoine la France en camion et en train, à la recherche de tous les publics, ouvrant la voie à ce qui bien plus tard deviendra les Tréteaux de France. Le TNP, c’est Firmin Gémier, en 1920, obtenant d’Aristide Briand les crédits pour lancer le projet dans l’ancien palais de Chaillot. Une idée qui s’intègre à la Libération dans le double combat pour la décentralisation et la démocratisation culturelle.
On se souvient du « Petit manifeste de Suresnes » de Jean Vilar, dont on commémorera l’année prochaine le centenaire de la naissance : « réunir dans les travées de la communion dramatique, le boutiquier de Suresnes, le haut magistrat, l'ouvrier de Puteaux et l'agent de change, le facteur de pauvres et le professeur agrégé ». Le souvenir de Gérard Philippe, la musique de Maurice Jarre, l’ambition de Jean Vilar pour le théâtre dans notre vie culturelle et pour une culture partagée auront à jamais marqué les esprits. On lui aura certes reproché de ne jamais avoir réussi à faire venir le public ouvrier. Mais plus d’un demi-siècle après la déclaration de Villeurbanne, après les « Vilar, Béjart, Salazar » criés au Festival d’Avignon, son idéal est toujours là. Certains diront qu’il est inatteignable, mais c’est le propre des idées régulatrices que d’être inatteignables, et c’est entre autres ce qui fait leur force et leur capacité à guider notre action - au même titre que le « théâtre élitaire pour tous » d’Antoine Vitez, l’un de vos maîtres, cher Christian Schiaretti.
Le TNP, c’est aussi l’histoire d’une décentralisation volontariste. Après Georges Wilson, Roger Planchon, qui ouvrait depuis plusieurs années déjà, ici même, son Théâtre de la Cité, devenu Centre dramatique national en 1963, aux « oeuvres dramaturgiques proches de notre temps », reprend le flambeau du TNP, après avoir convaincu Jacques Duhamel de l’installer à Villeurbanne, et d’y associer Patrice Chéreau, qui cèdera plus tard sa place à Georges Lavaudant. C’est tout ce panthéon de l’histoire du théâtre dont le TNP de Villeurbanne, sous la direction désormais de Christian Schiaretti, porte la mémoire et l’ambition.
Aujourd’hui, c’est donc l’un des plus grands investissements de restructuration pour le spectacle vivant qui s’achève, auquel le ministère de la Culture et de la Communication s’est associé massivement, pour près du tiers des 33 millions d’euros que le chantier a nécessité, avec ses deux salles réaménagées, ses salles de répétitions, les accès pour les personnes à mobilité réduite, ses ateliers, son grand foyer traversant, une révision totale des conditions thermiques – car le théâtre, c’est aussi savoir « chauffer la salle », dans tous les sens du terme, et on se souvient encore des difficultés et du gouffre financier auxquels Jean Vilar s’était confronté à Chaillot… Grâce au travail remarquable des architectes Xavier Fabre, Vincent Speller et Massimo Scheurer, le TNP est désormais l’un des outils de production les mieux équipés à l’échelle nationale, et il peut profiter pleinement du réseau qu’il forme avec la Maison du Livre, de l’image et du son signée Mario Botta, l’Institut d’art contemporain, l’Ecole nationale de musique, les Ateliers Frappaz pour les arts de la rue, Le Rize pour sa médiathèque et ses archives, dans une ville qui fait preuve d’une mobilisation exceptionnelle en faveur de la culture, tant en termes de moyens que de volonté.
Parallèlement à son soutien aux autres établissements de la Région – je pense notamment en particulier aux deux écoles supérieures d’art dramatique en Rhône-Alpes, aux aide croissantes destinées aux compagnies indépendantes -, mon ministère s’est engagé à fournir un effort croissant pour le TNP, dont il restera de loin le principal financeur. Si je suis particulièrement fier de pouvoir partager ce moment avec vous, c’est aussi parce que le TNP reste plus que jamais ce formidable laboratoire d’expérimentation, tel qu’il a toujours été, avec ses principes cardinaux, auquel on le reconnaît : le dépouillement brechtien de ses plateaux, la prise sur le social et le politique, l’accessibilité par les tarifs qui contribue à la cohésion sociale. Il est, en cela, le Centre Dramatique National le plus emblématique de l’offre théâtrale nationale.
Je souhaiterais rendre hommage ce soir au travail remarquable de Christian Schiaretti, à la tête du TNP depuis 2002, qui a su relever avec brio le défi de prendre la suite de Roger Planchon. À l’image de ce que vous aviez réalisé à Reims, vous avez fait du TNP une « maison-théâtre », en créant à nouveau une troupe permanente, renouant ainsi avec un principe qui était au coeur même du Théâtre de la Cité. Dans le plan d’action pour le spectacle vivant que j’ai lancé en Avignon en juillet dernier, le soutien que nous souhaitons apporter au développement des troupes permanentes est directement inspiré, vous le savez, par le modèle de la troupe du TNP.
Cher Christian Schiaretti, vous avez également voulu renouer avec une politique de répertoire : aujourd’hui, le TNP est le seul à la pratiquer avec la Comédie Française. Le TNP bénéficie également de sa forte irrigation du territoire, de sa collaboration avec l’Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (ENSATT) dont sont issus les acteurs de votre troupe, de l’implication aussi d’acteurs majeurs, une vingtaine par saisons, qui sont l’une des forces de frappe de votre établissement – je pense notamment au très regretté Laurent Terzieff, dans le rôle titre des variations sur le Philoctète de Sophocle par Jean-Pierre Siméon. Vous explorez ainsi une voie très prometteuse, aux frontières du modèle allemand et du paysage théâtral français où la permanence artistique n’était plus une priorité ces dernières années, et que vous allez mettre au service d’une programmation qui s’annonce exceptionnelle, avec Joël Pommerat et Shakespeare, Patrice Chéreau et Bernard-Marie Koltès, Arne Lygre et Victor Hugo.
Je tiens une fois de plus à saluer l’engagement remarquable de la ville de Villeurbanne, du conseil général et du Conseil régional, aux côté de l’Etat, pour donner au TNP les moyens de montrer que dans ce « théâtre élitaire pour tous », on n’a précisément pas oublié le « pour tous ».
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 16 novembre 2011