Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur sa vision de l'Europe et sur la négociation entre la France et l'Allemagne pour sortir la zone euro de la crise, à l'Assemblée nationale le 6 décembre 2011.

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Circonstance : Débat sur la déclaration du gouvernement préalable au Conseil européen, à l'Assemblée nationale le 6 décembre 2011 (extraits)

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés, je ne reviendrai pas sur ce qu’a excellemment dit le Premier ministre en vous présentant l’accord qui a été conclu hier entre la chancelière Merkel et le président Sarkozy. Je voudrais remercier Didier Quentin du soutien que le groupe UMP apporte à l’action du gouvernement ainsi que d’avoir rappelé que nous sommes tous, depuis 1974, responsables de l’alourdissement de la dette française. C’est une preuve de lucidité qui ne me surprend pas de sa part. Je le remercie également d’avoir bien voulu rappeler que l’initiative de ce débat revient au président de l’Assemblée nationale.
Je ne tenterai pas de convaincre M. Lecoq que ma vision de l’Europe est meilleure que la sienne. J’y renonce d’emblée. Vous rejetez Maastricht, vous rejetez Lisbonne. Vous suivez votre logique, que je respecte bien entendu. Je voudrais seulement vous rendre attentifs au fait qu’un programme généralisé de nationalisation des banques européennes, alimenté par une taxe sur les transactions financières également européennes est un projet extrêmement ambitieux, dont je vois mal la faisabilité dans les décennies qui viennent.
Quant à M. Demilly, qui a insisté sur la nécessité de construire une Europe plus intégrée, de construire les États-Unis d’Europe, je ne suis pas loin de partager son sentiment, avec une nuance cependant : je ne suis pas sûr que l’Europe intergouvernementale que nous essayons de construire ne soit pas une meilleure réponse qu’une Europe intégrée ou fédérale. Je lui fais observer que nous avons progressé dans la voie de l’extension de la majorité qualifiée au détriment de l’unanimité. C’est l’un des points de l’accord qui a été conclu hier. Dans le cadre du mécanisme européen de stabilité, les décisions se prendront à la majorité superqualifiée, ce qui facilitera cette prise de décision.
Je ne peux que rejoindre M. Demilly lorsqu’il parle de la nécessité de développer des politiques d’innovation, une politique industrielle et une nouvelle approche de la politique de concurrence de l’Union européenne. Ce sont des points sur lesquels nous travaillons activement.
J’ai bien écouté aussi M. Garrigue et sa profonde insatisfaction. (…) J’ai été surpris aussi lorsque je l’ai entendu faire l’éloge de la méthode communautaire plutôt que la méthode intergouvernementale. Il y a ainsi des évolutions qui sont intéressantes à noter. Je voudrais simplement lui rappeler que, dans le cadre du semestre européen, les parlements nationaux sont bien impliqués et que l’accord d’hier ne remet pas en cause la procédure du semestre européen.
Je m’attarderai un peu plus longtemps sur le propos de M. Ayrault. Il nous a indiqué que l’Europe serait au centre de la prochaine campagne électorale. Chiche ! Nous allons effectivement en faire l’un des axes forts de notre campagne car après vous avoir entendu, j’ai la conviction que nous avons beaucoup plus de choses à dire sur l’Europe que vous ! J’ai été quelque peu déçu, je l’avoue, par votre discours. La véhémence ne saurait tenir lieu d’imagination. C’était plutôt un discours de préau d’école qu’un discours adapté à la gravité de la crise actuelle.
(…)
Vous avez découvert, il faut le dire, une idée tout à fait intéressante et innovante : la taxe sur les transactions financières. Mais si cette taxe a la moindre chance de voir le jour - et je crois qu’elle a des chances de voir le jour -, à qui va-t-on le devoir, sinon au président Sarkozy, qui a obtenu au G20 de faire bouger les choses ? Et qui a obtenu que la Commission européenne fasse des propositions extrêmement concrètes en ce sens ?
(…)
Je ne rentrerai pas dans ce débat du «qui perd gagne», qui est un peu puéril, mais je pourrais vous expliquer que Mme Merkel, radicalement hostile il y a deux ans au gouvernement économique, nous demande aujourd’hui de réunir le conseil des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro tous les mois. Voilà une idée française qui a progressé.
Je pourrais aussi vous expliquer qu’en matière de règle d’or, autre idée française, nous ne voulions pas que la Cour de justice européenne puisse annuler les budgets nationaux. Nous n’avons pas accepté et nous avons gagné.
Je pourrais encore vous expliquer que la suppression de ce qu’on appelle, d’un mot un petit peu barbare, l’investissement du secteur privé dans la solution de la dette, la France n’en voulait pas, et que nous avons eu gain de cause.
Je pourrais vous démontrer point par point que, dans ce débat, il y a eu des idées françaises - j’ai évoqué plus haut le mécanisme de stabilité - comme il y a eu des idées allemandes. Nous nous sommes ensuite rapprochés et cela a abouti à un «mariage de raison», comme le souligne le journal Libération, dont la une, pour une fois, me convient bien. Et vous savez, monsieur Ayrault, les mariages de raison sont parfois plus solides que les mariages de passion. Chacun en conviendra ici.
Ce procès qui nous a été fait d’accepter le diktat allemand est injuste et surtout - j’appelle votre attention sur ce point - c’est un procès dangereux. À force de dénoncer l’hégémonie allemande - pas vous, mais beaucoup de vos amis, et c’est dans la logique de votre présentation des choses. Lorsque l’on dit que la France s’est couchée devant l’Allemagne, on alimente cette résurgence de la germanophobie, qui est un poison dans les relations franco-allemandes aujourd’hui. Je peux vous le dire en connaissance de cause : j’étais hier à Bonn et j’ai bien vu l’émotion que de telles réactions suscitaient en Allemagne.
De grâce, élevons-nous un peu au-dessus des préoccupations partisanes. Devant un accord comme celui d’hier, que je ne le qualifierai pas d’historique car le mot est galvaudé mais qui est un accord extrêmement important qui va nous permettre de sauver la zone euro, faisons preuve d’un peu d’esprit de consensus et d’union nationale plutôt que d’esprit critique systématique.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 décembre 2011