Extraits d'un entretien de M. Jean Leonetti, ministre des affaires européennes, avec LCI le 4 janvier 2012, sur la législation européenne qui interdit aux Etats d'aider des entreprises en difficulté, la TVA sociale, la taxe sur les transactions financières, la réforme du Traité européen et sur la situation de la Zone euro.

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Texte intégral

Q - L’État va aider SeaFrance, mais de façon un petit peu déguisée, et normalement ça ne plait pas beaucoup à Bruxelles. Pourquoi est-ce que cette fois ça passerait ?
R - Parce que ce n’est pas une aide d’État.
Q - Ah bon ?
R - L’État ne cherche pas à déguiser son aide. Bruxelles interdit, et c’est logique, qu’il y ait de la concurrence déloyale en faisant que les États aident des entreprises.
Q - Il passe par la SNCF.
R - On est dans un système dans lequel la SNCF va donner des indemnités de licenciement, ce qui me parait à peu près normal dans toutes les entreprises. Ces indemnités de licenciement peuvent servir à renflouer l’entreprise. L’aide de l’État n’a pas marché. On a ensuite essayé des repreneurs privés, ça n’a pas marché. Malgré cela, on ne baisse pas les bras, le gouvernement a décidé que l’emploi est la priorité et on continuera donc à aider surtout les salariés qui veulent garder leur travail et qui veulent sauver leur entreprise.
Q - Mais, in fine, ça reste de l’argent public, pour aller aider l’entreprise et ça, normalement, Bruxelles n’est pas forcément d’accord. Est-ce que, selon des retours que vous avez eus, Bruxelles dit : «Cette procédure-là ça nous convient» ?
R - Nous n’avons pas encore eu de retour de Bruxelles.
Q - Vous n’avez aucune inquiétude ?
R - Non, je n’ai pas d’inquiétude. Lorsque vous avez une indemnité parce que vous êtes licencié, vous en faites ce que vous voulez. Si les salariés de SeaFrance veulent sauver l’entreprise, le gouvernement les aidera à le faire.
Q - Mais ici, l’indemnité elle va être multipliée par trois ou quatre, grâce à l’État, c’est ça la différence. Vous savez que P&O va porter plainte…
R - On est déjà devant la Cour de Luxembourg parce que nous avons estimé que l’aide de la SNCF n’était pas une aide de l’État. Nous sommes donc dans une procédure, mais l’urgence c’est d’aider les salariés à sortir leur entreprise de la liquidation judiciaire.
Q - Même si vous savez très bien que la plupart d’entre eux vont prendre leur argent, leur indemnité surévaluée, si l’on peut dire, et ne pas mettre l’argent dans l’entreprise.
R - Je n’en suis pas sûr, parce que c’est eux qui ont créé la fameuse Société de coopération ouvrière qui peut reprendre l’entreprise. Donc, ils ont pris une initiative, ils ont pris une responsabilité. Le gouvernement est à leurs côtés pour les aider à aller au bout de leur problème et au bout de leur projet.
Q - La TVA sociale…
R - Je crois que l’on a mal expliqué ce qu’était la TVA sociale. Vous le savez, le coût du travail en France est trop élevé. Lorsque vous avez un salaire de 100, en Allemagne vous payez 39 de charges sociales, en France vous en payez 50. Donc, il est normal de penser que les charges sociales, elles doivent être portées par nos importations. Et donc, si on diminue le coût du travail en France, les charges sociales, et que l’on augmente la TVA, c’est un coût nul pour le produit, c’est des salaires meilleurs pour nos employés, c’est une compétitivité meilleure pour nos entreprises, et en fait...
Q - Autre impôt, autre taxation dont on parle beaucoup, c’est la taxe sur les transactions financières. Or, il faut évidemment que ça se passe au niveau européen. Est-ce que vous discutez actuellement avec vos partenaires européens pour la mettre en place, et si oui, quand ?
R - Sur ce plan, il y a déjà l’Allemagne et la France qui sont d’accord. J’ai cru comprendre que le nouveau gouvernement italien, avec lequel on a pris contact, n’y était pas opposé. Finalement, l’ensemble des pays qui ont signé l’accord - tous les pays sauf le Royaume-Uni - ne sont pas opposés à cette idée, sauf la Suède qui a eu une mauvaise expérimentation dans ce domaine. On la mettra en place si on a suffisamment d’espace économique et d’espace politique au niveau européen.
Q - Ce sera au programme du sommet du 30 janvier ?
R - C’était déjà au programme du G20 ; c’est au programme du prochain sommet européen.
Q - Mais il y a un moment où il va falloir que ça devienne une réalité, alors, quand ?
R - C’est toujours lent dans les démocraties.
Q - Là, c’est très lent quand même.
R - On accuse l’Union européenne d’aller trop vite, quand Angela Merkel et Nicolas Sarkozy se réunissent et prennent des décisions ; on dit : «Mais qu’est-ce qu’ils font ? Pourquoi ne demandent-ils pas à tous les peuples leur avis ?». Et puis, quand on demande - ce qui est logique dans une démocratie - aux peuples leur avis, à ce moment-là, on dit : «c’est bien lent». Je vous dis que la taxation de transactions financières c’est Nicolas Sarkozy et Angela Merkel qui l’ont décidée et ça se mettra en place avant la fin de l’année.
Q - Avant la fin de l’année ! Mais vous savez qu’il y a une élection présidentielle entre les deux. Donc s’il n’est pas réélu, ça risque de poser problème, quand même…
R - J’ai à peu près compris que ce n’était pas un sujet de clivages entre la droite et la gauche.
Q - Donc, avant la fin de l’année, cette taxe entrera en vigueur. Et la réforme du traité sur les institutions européennes, elle entrera quand en vigueur, elle ?
R - La réforme du traité est prévue d’être signée en mars. Il y a un calendrier avec une décision le 20 janvier, et le sommet européen du 30 janvier au cours duquel le traité sera acté. Après sa signature en mars, le traité doit être ensuite ratifié, parce que nous sommes dans des démocraties et que dans une démocratie, on demande l’avis au Parlement pour ratifier un traité européen ; tout cela avant la fin de l’année 2012.
Q - Oui, mais c’est quand même assez lent. On voit bien que les marchés financiers ne sont pas du tout dans ce ton là, les agences de notation non plus.
R - Sauf que ce traité, intelligemment, sera en place dès que 9 États sur les 27 auront décidé de le mettre en place. Ce qui veut dire que la ratification de 9 États fera que le traité sera opérationnel. Donc, vous le voyez, comme le Fonds monétaire européen, il sera mis en place avant 2013, alors qu’il était prévu fin 2013. On raccourcit tous les délais, parce que la crise l’impose.
Q - Est-ce que le risque de l’explosion de l’euro est écarté, ce risque dont vous aviez parlé vous-même il y a un mois ?
R - Non, je pense qu’il existe. En tout cas, il a été sauvé par la décision du 9 décembre, de 26 des 27 pays européens, ce n’est pas rien.
Q - Mais, malgré tout, vous nous dites : le risque d’explosion est toujours là…
R - Le risque est toujours là. Le risque il existe tant que l’on n’aura pas stabilisé la zone euro et tant que l’on n’aura pas, à la fois, fait de la solidarité avec le Fonds monétaire européen, mais en même temps de la discipline avec la règle d’or (…). Lorsqu’on aura obtenu cet équilibre entre discipline budgétaire et solidarité, alors oui, l’euro sera sauvé.
Q - Un point sur la dette grecque. 50 % de la dette a été effacée, on parle aujourd’hui de relever ce seuil à 75 % d’effacement de la dette, est-ce que vous en avez entendu parler, est-ce qu’il faut le faire ?
R - Je crois qu’il faut être très pragmatique sur le plan de la Grèce. La Grèce est un problème, je dirais, exceptionnel, on ne refera jamais ce que l’on a fait pour la Grèce, parce qu’on peut le faire, parce que c’est un petit pays et que la dette était relativement modeste par rapport à l’ensemble de la zone euro. Il n’est pas question de reprendre les mêmes procédures pour d’autres pays.
Q - Et donc, on reste à 50 % ?
R - On va au bout de la démarche. S’il faut aller plus loin, on ira plus loin, mais aujourd’hui, à 50 %, il semble que le projet puisse être viable et tenable.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 janvier 2012