Texte intégral
Monsieur le Président de l’association de la presse diplomatique française, Cher Vincent Hervouet,
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie des voeux chaleureux que vous m’avez adressés ainsi qu’aux agents du ministère des Affaires étrangères et européennes.
Je voudrais à mon tour vous souhaiter une très bonne année 2012, en mon nom et au nom de tous les collaborateurs de ce ministère qui ont eu l’occasion de travailler avec vous, à Paris comme dans l’ensemble du réseau diplomatique. J’associe à ces vux vos confrères correspondants en France de la presse étrangère. Leur rôle est capital car ils contribuent à faire comprendre notre pays, ses choix et ses politiques à leurs lecteurs et à leurs auditeurs partout dans le monde.
Aujourd’hui, ma pensée se tourne d’abord vers Gilles Jacquier, vers sa compagne, Caroline Poiron, avec laquelle je me suis entretenu, et vers leurs enfants. Je pense aussi à tous ses collègues de la rédaction d’Envoyé spécial et de France 2.
Avec le président de la République, nous avons exigé que toute la lumière soit faite sur les circonstances du drame qui a coûté la vie à votre confrère, que les responsabilités soient établies à travers une enquête indépendante, impartiale et transparente. Pour la mémoire de Gilles Jacquier comme pour l’ensemble de votre profession, c’est une exigence de justice et de vérité à laquelle la France attache le plus grand prix.
L’an dernier, 106 journalistes ont péri dans l’exercice de leurs fonctions, dont un tiers en couvrant les événements du «Printemps arabe». Ces tragédies nous rappellent que votre métier - informer et expliquer le monde tel qu’il va - est un métier dangereux, notamment dans des pays déchirés par la guerre ou des conflits violents.
Elles nous rappellent aussi que ce métier est au cur du fonctionnement de toute démocratie. En 2011, l’appel de la liberté a retenti dans de nombreux pays. Vous en avez été les premiers témoins. C’est grâce à vous tous que nos concitoyens ont pu prendre la mesure de cet élan irrépressible des peuples vers la démocratie. Et chacun voit que, dans le monde entier, le premier réflexe des ennemis de la liberté, c’est de bâillonner la presse, que les premiers alliés des combattants pour la liberté, ce sont des médias libres.
Je souhaite qu’en 2012, vous puissiez exercer ce métier magnifique dans les meilleures conditions. Vous pouvez compter sur mon engagement personnel comme sur la mobilisation du ministère des Affaires étrangères et européennes pour défendre la liberté d’informer et la sécurité des journalistes partout dans le monde.
Je voudrais également rendre hommage devant vous aux 28 militaires français morts en 2011 au service de la paix et de la liberté dans le monde et saluer la mémoire des quatre soldats qui ont trouvé la mort vendredi dernier en Afghanistan. Au moment où je vous parle, j’ai une pensée pour leur famille et pour leurs proches. Je pense aussi à leurs camarades blessés dans cette attaque, à qui je souhaite un prompt et entier rétablissement.
Permettez-moi maintenant de revenir succinctement sur deux faits majeurs de l’année écoulée, qu’il n’est pas galvaudé de qualifier d’année-charnière dans l’évolution du monde. Nul ne le sait mieux que vous, qui avez été mobilisés sans relâche pour suivre les formidables changements en cours, comme nous tous dans ce ministère.
Le président de la République l’a rappelé lors de ses vux au corps diplomatique la semaine dernière : le «Printemps arabe» a constitué la plus spectaculaire et la plus extraordinaire de ces mutations et l’appui aux peuples arabes engagés dans la lutte pour la liberté a été la priorité de son action, de l’action de la France, de mon action.
La France est allée jusqu’au bout de ses convictions et de ses engagements pour protéger les peuples contre la folie criminelle de régimes à bout de souffle. Elle a appelé la communauté internationale à intervenir en Libye, en application du principe de responsabilité de protéger, et nos forces armées ont pris une part décisive aux opérations militaires menées sous mandat international pour sauver les populations civiles d’un bain de sang. Je souhaite le redire avec force : nous avons agi parce que nous avions le devoir de le faire, pour sauver les citoyens libyens de massacres annoncés ; nous avons agi pour répondre à l’appel de la résistance et de la Ligue arabe, qui ont demandé les zones d’exclusion aérienne et la protection armée des civils ; nous avons agi sous mandat des Nations unies, parce que l’obstination de Kadhafi ne nous laissait pas d’autre choix. Et je suis fier que la France ait été, avec la Grande-Bretagne, le moteur de cette coalition.
Nous n’avons pas ménagé notre soutien aux nouveaux gouvernements engagés dans un processus de transition démocratique. Je suis heureux d’avoir pu me rendre dans plusieurs de ces pays où soufflait un vent nouveau. Pour la première fois, des élections libres se sont tenues en Tunisie, au Maroc et en Égypte. Je sais que les résultats suscitent des interrogations. Mais nous ne pouvons refuser à des peuples dont la voix a été si longtemps étouffée le droit d’exprimer leurs choix. Nous ne pouvons ignorer que ceux que les peuples ont choisis incarnent à leurs yeux la résistance à l’oppression et la volonté de justice sociale. La France réfute l’idée selon laquelle Islam et démocratie seraient par nature incompatibles. C’est dans cet esprit que, dès la mi-avril, à l’Institut du monde arabe, j’ai tendu la main aux partis islamiques prêts à respecter les règles de la vie démocratique et les droits de l’Homme. Le message de la France est clair : confiance dans ces nouveaux gouvernements démocratiquement élus, volonté d’un partenariat renouvelé, vigilance quant au respect des principes démocratiques.
2011 restera aussi dans les mémoires comme l’année de la plus grave crise économique et financière à laquelle l’Europe ait été confrontée depuis les années trente.
Dans un contexte de stagnation économique et de montée du chômage et des inquiétudes sociales, la crise des dettes souveraines a durement frappé notre continent. Elle a mis à mal la cohésion de l’Europe, sa monnaie, ses politiques et ses instruments. Dans tous les pays européens, elle a nourri le catastrophisme des Cassandre de tout bord et la résurgence des nationalismes.
Mais 2011 a aussi été l’année d’une résistance déterminée contre la dissolution de l’Europe et de l’euro.
L’Europe est collectivement confrontée à la nécessité de choix courageux. Sous l’impulsion du président de la République, la France, avec ses partenaires, au premier rang desquels l’Allemagne, se bat pour endiguer cette crise et construire les instruments d’un gouvernement économique efficace de la zone euro.
Cet esprit d’engagement, nous l’avons également mis au service de la construction d’une gouvernance internationale plus juste et plus efficace, notamment dans le cadre de la double Présidence française du G8 et du G20. La crise économique a partiellement masqué les importants résultats que nous avons obtenus lors du Sommet du G20, à Cannes. Mais ils constituent autant de progrès prometteurs pour le développement, le progrès social, l’environnement ou la lutte contre l’insécurité alimentaire.
2012 sera elle aussi une année lourde d’échéances capitales pour la stabilité du monde et pour la paix et la sécurité internationales.
Pour la France - comme d’ailleurs pour plusieurs autres grands pays - ce sera une année d’élections. Mais l’action diplomatique de notre pays ne marquera pas de pause. Les mois qui viennent exigeront une mobilisation totale et une capacité d’action constante. Qu’il s’agisse du succès des transitions démocratiques dans le monde arabe, de la crise de la dette européenne, de l’évolution de l’Afrique, de la préservation de la paix face au comportement de pays comme l’Iran ou de la construction d’un monde plus équilibré et plus solidaire, nous resterons en première ligne et en initiative.
Le président de la République a clairement marqué nos priorités. Je ne vais pas les détailler à nouveau ce matin devant vous et me bornerai à quelques remarques.
2012 sera l’année du renforcement de l’Europe et de la zone euro, pour résoudre la crise de la dette, retrouver le chemin de la croissance et rendre tout son sens au projet européen.
Ma conviction, celle du gouvernement français, c’est que cette crise, quelque douloureuse qu’elle soit, peut être l’occasion d’un très grand progrès de l’Europe. Les négociations sur les traités avancent bien et nous avons bon espoir que le calendrier de l’accord franco-allemand du 9 décembre sera respecté. Dans ce cadre, la France travaille pour que soient adoptés les indispensables mécanismes de discipline et de responsabilité budgétaires, un système de gouvernance politique démocratique de la zone euro et un engagement crédible pour relancer la croissance sur des bases saines.
C’est ainsi que l’Europe, plus intégrée, plus unie et plus forte, surmontera la crise, retrouvera la pleine maîtrise de son destin et de ses choix. Dans un monde désormais multipolaire, elle confirmera son aptitude à occuper sa place de première économie du monde, aux côtés de ses partenaires de toujours et des nouvelles puissances.
Ma deuxième remarque concerne notre voisinage méditerranéen. L’accompagnement des mutations démocratiques du monde arabe constitue pour nous, Français, une nécessité autant qu’un devoir. Ne l’oublions pas : c’est aussi notre avenir qui se joue de l’autre côté de la Méditerranée.
La première urgence, c’est que le régime syrien mette fin aux crimes contre l’humanité qu’il continue à perpétrer contre son peuple. Nous ne relâcherons pas la pression et mettrons tout en uvre, avec nos partenaires européens, la Ligue arabe et nos partenaires de la communauté internationale, pour aider l’opposition et le peuple syrien à obtenir enfin le respect de leurs droits. Nous ne pouvons pas nous résigner au silence du Conseil de sécurité sur la répression syrienne. Et nous voulons une solution rapide, pour le peuple syrien, pour la sécurité du Liban et de la région. C’est la raison pour laquelle hier, à Bruxelles, nous avons adopté de nouvelles sanctions contre le régime et mis à l’étude plusieurs mesures qui pourraient aller jusqu’au gel des avoirs de la banque centrale syrienne. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons continué à apporter notre soutien aux dernières initiatives de la Ligue arabe qui recherche maintenant une sortie à la crise dans une transition politique, en liaison avec les Nations unies et le secrétaire général de l’Organisation.
Avec les pays en transition, nous poursuivrons un dialogue confiant et lucide. Comme je l’ai dit au Premier ministre libyen et au nouveau président tunisien, nous sommes à leur disposition pour leur apporter notre appui là où ils le souhaitent.
Et dans l’ensemble de la région, du Yémen au Maroc, nous porterons le même message et la même exigence, y compris pour chercher à renouveler les formes de l’engagement de la communauté internationale pour la paix et le règlement de la question israélo-palestinienne.
La recherche de la paix est l’unique objectif de notre politique à l’égard de l’Iran. D’aucuns craignent ou affectent de craindre que notre action ne soit motivée par la volonté de changer le régime iranien. Que les choses soient claires : le seul but de la France comme de ses partenaires, c’est d’amener ce régime à comprendre qu’il est dans l’impasse, que nous n’accepterons jamais un Iran doté de l’arme nucléaire. L’Agence internationale de l’Énergie atomique a encore condamné son programme parce qu’il a pour seul but possible la volonté de développer l’arme nucléaire. Les États-Unis et l’Europe viennent de décider des embargos financier et pétrolier, sans précédent, pour convaincre l’Iran que cette voie est sans issue. Permettez-moi de remarquer au passage que c’est un succès diplomatique pour le président de la République, qui a lancé cette idée par une lettre qu’il a adressée à l’ensemble de ses partenaires de l’Union européenne, aux États-Unis d’Amérique et à d’autres pays, il y a quelques semaines. Après un long mois de négociations avec nos partenaires, nous nous sommes mis d’accord sur ces sanctions qui, je le répète, sont sans précédent. Et nous continuerons à plaider pour que tous les pays attachés à la non-prolifération nous accompagnent. Plus vite le régime de Téhéran comprendra le message qui lui est adressé, plus vite il renoncera à ses programmes illégaux et à sa rhétorique guerrière, plus vite nous pourrons reprendre avec lui des relations normales. Le risque, pour l’heure, c’est que l’exaspération et l’inquiétude conduisent certains à une solution militaire aux conséquences imprévisibles. C’est précisément ce que nous voulons éviter en appliquant les sanctions dont je viens de parler.
L’autre question brûlante pour la paix et la sécurité internationale sera l’Afghanistan. Vendredi, la France accueillera le président Karzaï et le président de la République signera avec lui un traité d’amitié et de coopération ambitieux, sur une longue période de vingt ans, avec un premier plan d’action de cinq ans. Nous sommes engagés aux côtés des Afghans dans la dernière phase de la nécessaire réappropriation par l’Afghanistan de ses responsabilités de sécurité. Nous voulons l’accompagner, comme nous le faisons depuis 2001, malgré les lourdes pertes dont nos forces sont victimes - et je veux rendre hommage devant vous à l’engagement, au courage et au professionnalisme des militaires français. Nous voulons le succès de la réconciliation nationale, le renforcement des institutions démocratique et la consolidation des progrès sociaux accomplis depuis le départ des Taliban. Mais la tragédie qui s’est produite vendredi dernier est inacceptable. Nous pouvons accepter le risque de pertes au combat, mais il s’agit-là d’un lâche assassinat perpétré par traîtrise. Nous avons besoin d’assurances fortes que tout sera fait pour que plus jamais cela ne se reproduise ; c’est l’objet du déplacement que le ministre de la Défense et le chef d’État-major des Armées viennent de faire à Kaboul. C’est à la lumière de leurs rapports et des entretiens que le président de la République aura vendredi avec le président Karzaï, et en fonction de la crédibilité et des garanties qui seront apportées que le président et le gouvernement prendront leur décision.
Pour la France, 2012 sera enfin marquée par un fort engagement africain. L’Afrique, qui comptera demain un quart de l’humanité, est engagée dans une mutation profonde :
Mutation démocratique - si des progrès significatifs ont été réalisés en 2011, en Côte d’Ivoire, au Sud-Soudan, au Niger, en Guinée ou à Madagascar, n’oublions pas les nombreux enjeux de l’année 2012. Je pense notamment aux élections au Sénégal et à l’avenir de la République démocratique du Congo.
Mutation des équations de sécurité, avec l’enracinement du terrorisme islamique, de la piraterie ou des trafics en tout genre, qui appellent des coopérations régionales accrues.
Mutation des équations du développement, quand coexistent des pays aux taux de croissance impressionnants et des menaces de disette ou de famine, dans le Sahel et dans la Corne de l’Afrique.
Défi écologique, enfin - nous savons tous que l’Afrique est particulièrement vulnérable face au réchauffement climatique et à la désertification. La Conférence de «Rio + 20» sera une étape très importante. Nous sommes déterminés à tout mettre en oeuvre pour qu’elle soit l’occasion de décider, entre autre, de la création de l’organisation mondiale de l’environnement que la France appelle de ses voeux.
La France se tient aux côtés de ses partenaires africains. Au cours des dernières années, elle a réalisé une réforme profonde de sa politique africaine. Les relations qu’elle entretient sur tout le continent témoignent de la force de son engagement.
Mesdames, Messieurs,
Vous le voyez, en ce temps de changement accéléré, la diplomatie française va de l’avant, avec des convictions fortes, des priorités claires, une volonté indéfectible. Elle continuera à faire entendre la voix de la France au service de la liberté, de la justice et de la démocratie ; au service aussi de la modération et du bon sens. Je ne doute pas que sont sur toutes vos lèvres des questions relatives au sujet du jour, c’est-à-dire les relations avec la Turquie. Je me suis déjà exprimé à de nombreuses reprises à ce sujet. Là aussi, la diplomatie française continuera à jouer son rôle : un rôle d’apaisement et de main tendue.
Cette voix de la liberté, c’est aussi la vôtre. Je tiens à vous redire la disponibilité de ce ministère pour vous apporter son appui, à Paris comme dans le réseau diplomatique et consulaire à l’étranger, dans l’exercice de votre métier. Vous pouvez en particulier compter sur le soutien de la direction de la Communication et de la Presse, qui est excellemment dirigé par Bernard Valero - que je salue -, porte-parole du ministère des Affaires étrangères et européennes, votre interlocuteur quotidien, ainsi que toute son équipe.
Je souhaite vous dire collectivement combien j’apprécie nos rencontres et nos échanges et réitérer les vux chaleureux et amicaux que je forme pour vous, pour vos familles et pour vos proches, pour les organes de presse que vous représentez - et je sais qu’ils sont eux-aussi confrontés à de fortes et profondes mutations -, et pour que 2012 soit une année de grand progrès dans la liberté de la presse, inséparable des progrès de la démocratie et de la liberté tout court.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 janvier 2012