Déclaration de M. François Sauvadet, ministre de la fonction publique, sur la résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique, au Sénat le 25 janvier 2012.

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Circonstance : Présentation d'un projet de loi relatif à la fonction publique (emploi précaire, lutte contre les discriminations..., au Sénat le 25 janvier 2012

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Lois,
Madame le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Le projet de loi que j’ai l’honneur de présenter aujourd’hui devant votre assemblée est le prolongement d’un accord syndical qui vise à lutter contre la précarité dans la Fonction publique.
Une forme de précarité qui est d’ailleurs souvent méconnue de nos concitoyens mais qui est d’autant plus inacceptable qu’elle prend racine au coeur même de la République, c’est-à-dire dans nos services publics, dans nos administrations, dans nos collectivités et dans nos hôpitaux.
Cette précarité frappe aujourd’hui plusieurs dizaines de milliers d’agents contractuels de la Fonction publique, employés avec des CDD renouvelés depuis des années sur des emplois correspondant pourtant à des besoins permanents du service public, le plus souvent sans aucune garantie pour leur avenir.
Ce projet de loi entend remédier durablement à cette situation, qui d’ailleurs n’est pas nouvelle.
Depuis 1946, il y a eu 16 plans de titularisations, le dernier remontant à 2001. L’objectif est donc de mettre un terme durable à cette situation.
Mais avant d’entrer dans le détail des mesures je veux redire très clairement que tous les agents contractuels de la Fonction publique ne sont pas confrontés à des situations de précarité et nous devrons, demain comme hier, avoir la possibilité de recourir à des agents contractuels pour répondre à des besoins temporaires, des surcharges de travail ponctuelles, des vacances d’emplois, des remplacements d’agents absents ou encore à des besoins spécifiques.
En revanche, on ne peut accepter une situation qui conduit des personnes à rester en CDD, depuis parfois plus d’une dizaine d’années.
C’est le sens, Mesdames et Messieurs les sénateurs, des engagements pris en janvier 2010, par le Président de la République, des engagements réaffirmés voici à peine quelques jours à Lille lors de ses voeux à la Fonction publique. L’Etat ne peut s’exonérer, lorsqu’il est employeur, des règles qu’il veut faire respecter aux autres. L’Etat se doit d’être exemplaire, et dans une période de crise telle que celle que nous traversons, il lui appartient en réalité de montrer la voie.
Nous avons demandé des efforts aux fonctionnaires, des efforts réels, ils ont eu à faire face à des mutations profondes. Parce que la société change, évolue. Et nous nous devons de leur adresser un signal fort de justice et d’équité.
C’est aussi l’occasion de rappeler notre attachement aux principes fondateurs de la Fonction publique. Une fonction publique qui s’est bâtie sur un principe énoncé dès 1789, par le 6ème article de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, celui de l’égal accès de tous les citoyens aux différents emplois publics, et ce sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents, pour en citer le texte même. Repris à la Libération dans le statut de 1946, ce principe impose que les emplois permanents de l’Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics relevant de la Fonction publique hospitalière, soient occupés par des fonctionnaires. Ce principe, c’est une garantie offerte à tous les citoyens, pour l’accès à la Fonction publique et aux emplois publics, mais aussi pour la neutralité et l’impartialité des services de l’Etat et de l’ensemble des collectivités publiques.
C’est également, et je veux le souligner, une spécificité du modèle français de service public à laquelle tous ici nous sommes attachés.
Ce principe fondamental n’a pas pour autant été d’application absolue. Le législateur a ainsi, dès 1946, ouvert aux employeurs publics la possibilité d’y déroger pour recourir à des agents contractuels n’ayant donc pas le statut de fonctionnaires, qu’il s’agisse de répondre à des besoins temporaires ou certains besoins permanents du service public, pour assurer précisément la continuité du service. Les cas où il était possible de recourir au contrat étaient alors limités, et la place de l’emploi non titulaire dans nos services publics ne devait être que résiduelle et n’être au fond qu’une exception dans le fonctionnement quotidien de nos administrations.
Ce qu’on constate c’est que la place de l’emploi non-titulaire, la place de ces agents contractuels au sein de nos administrations n’a eu de cesse de s’accroître au fil des années. Malgré une quinzaine de plans de titularisations, ces agents non-titulaires sont aujourd’hui près de 900 000, soit un peu moins de 17 % de l’ensemble des effectifs de la Fonction publique.
Sur ces 900 000, 100 000 sont sur des CDD renouvelés depuis des années.
Dès 2010, le Gouvernement a engagé, sur cette question des emplois précaires, une négociation avec les partenaires sociaux.
Au cours de ces négociations, nous avons recherché avec les organisations syndicales une ligne de partage pour faire coïncider respect du statut de la Fonction publique et lutte contre la précarité. Ce n’était pas un exercice facile, votre rapport, Madame TASCA, en témoigne, mais le souci du compromis et la volonté d’avancer nous ont permis de conduire une négociation exemplaire, qui s’est inscrite pleinement dans le nouveau cadre du dialogue social dans la Fonction publique depuis l’entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 2010.
Nous avons partagé une volonté, celle d’apporter des réponses très concrètes à ces situations sans conduire à une remise en cause du statut.
Ce cycle de négociation s’est finalement conclu par un protocole d’accord le 31 mars dernier. Ce texte a été signé par 6 organisations syndicales représentatives sur 8 et je voudrai, devant vous, Mesdames et Messieurs les sénateurs, saluer une nouvelle fois l’esprit de responsabilité dont ces organisations ont fait preuve tout au long de ces discussions.
Cela ne signifie pas bien sûr que nous soyons d’accord sur tout, mais lorsqu’un accord propose des avancées satisfaisantes pour chacun, il importe de le reconnaitre et de s’engager. Je veux rappeler que cet accord constitue, Mesdames et Messieurs les sénateurs, le quatrième conclu depuis 2007 entre le Gouvernement et les organisations syndicales.
Il nous appartient désormais de le traduire dans la loi de la République.
En clair, l’administration sera tenue d’accorder un CDI aux agents en CDD, dès lors qu’ils auront exercé pendant une durée minimale de 6 ans sur les 8 dernières années. Cette mesure pourrait concerner 100 000 personnes.
Par ailleurs, nous allons ouvrir aux agents contractuels des voies d’accès spécifiques à l’emploi titulaire pendant une durée de quatre ans à compter de la publication de la loi, ce qui permettra de valoriser les acquis de l’expérience professionnelle. Ces voies spécifiques pourront être ouvertes aux contractuels en CDI et aux agents en CDD ayant eu une durée de service totale de quatre ans sur une période de six années consécutives sur un emploi répondant à un besoin permanent.
Je vous proposerai, par amendement, d’étendre le bénéfice de cette disposition aux agents qui, à l’instar des professeurs contractuels de l’Education nationale, sont recrutés par contrats à durée déterminée de 10 mois sur 12 consécutifs.
Cela permettra de régler la situation des agents aujourd’hui en situation de précarité.
Mais la grande nouveauté du texte, c’est que le mécanisme du passage de CDD en CDI aura à l’avenir un caractère automatique : quelle que soit la catégorie dont il relève, tout agent en CDD occupant depuis 6 ans un emploi répondant à un besoin permanent de son service se verra dorénavant proposer un CDI.
Parallèlement, le Gouvernement a souhaité aussi clarifier les conditions de recours à des agents contractuels. Les procédures de recrutement seront davantage formalisées et la durée maximale des contrats pour besoin temporaire sera harmonisée.
Enfin, le Gouvernement entend, par voie règlementaire, améliorer également les droits et la situation de l’ensemble des agents contractuels. Ceux-ci auront désormais accès aux dispositifs de formation professionnelle. Nous souhaitons aussi que ceux qui sont recrutés sur des besoins permanents puissent bénéficier d’un entretien professionnel annuel. Conformément à l’esprit de la loi du 5 juillet 2010 portant rénovation du dialogue social dans la Fonction publique, les agents contractuels bénéficieront désormais d’une garantie de représentation au sein de nos différentes instances de concertation.
D’ailleurs cette garantie a été pour la première fois mis en pratique lors des élections professionnelles du 20 octobre dernier, où, pour la première fois, les agents non-titulaires ont participé à ce grand rendez-vous de notre démocratie sociale.
J’ai par ailleurs pris bonne note de l’avancée que constitue la proposition de MM. Vial et Portelli, adoptée en Commission et tendant à créer des commissions consultatives paritaires pour traiter spécifiquement les situations individuelles des contractuels. Cela correspond à une volonté partagée.
Telles sont, Mesdames et Messieurs les sénateurs, les grandes lignes de cet accord. Conformément aux engagements que le Gouvernement a pris en direction des organisations signataires, je souhaite que nos débats ne conduisent pas à dénaturer le contenu de cet accord, c’est un souci que nous avons en partage, Madame le rapporteur.
J’en viens à présent aux autres questions traitées par ce projet de loi et d’abord à la question de la lutte contre les discriminations. Ma conviction, Mesdames et Messieurs, c’est que la Fonction publique se doit d’être à l’image de la population qu’elle sert, elle doit être exemplaire dans la lutte contre les discriminations. Cela vaut pour les discriminations liées à l’origine sociale ou géographique. Cela vaut pour l’insertion des personnes en situation de handicap, et nous avons beaucoup progressé au cours des dernières années. Cela vaut aussi pour l’égalité professionnelle femmes-hommes.
En l’état, le projet de loi complète la loi du 13 juillet 1983. Il prévoit une communication au futur conseil commun de la Fonction publique, que j’installerai dans les tout prochains jours, de rapports faisant état à la fois des actions menées en faveur de l’égalité professionnelle et de l’insertion des personnes en situation de handicap.
Une négociation est actuellement en cours avec les organisations syndicales sur la question de l’égalité professionnelle femmes – hommes et devrait m’amener à présenter des amendements devant l’Assemblée nationale. Je le ferai bien entendu, c’est un engagement que je prends, en étroite liaison avec votre rapporteur.
Je veux également évoquer les modifications que ce projet apporte à la loi du 3 août 2009, relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la Fonction publique. C’est là un sujet qui me tient particulièrement à coeur car il importe à mes yeux que nous donnions à chaque agent de la Fonction publique la possibilité de construire son parcours professionnel, sur la base de ses compétences, et qu’il puisse bénéficier d’une carrière conforme à ses attentes et à celles aussi du service public. Les dispositions introduites par ce texte permettront ainsi de faciliter les mobilités au sein de chaque Fonction publique mais aussi entre elles.
S’agissant du chapitre sur les juridictions administratives et financières, j’ai noté une vraie inflation de cette partie, passée de 6 à 15 articles dans le texte de la commission, avec 8 nouveaux amendements qui ont été déposés.
Je ne souhaite pas que ce sujet, par l’importance qu’il tend à prendre dans ce projet de loi nous fasse perdre de vue sa finalité première, celle de lutter contre la précarité.
Bien évidemment, ces juridictions doivent évoluer. Nombre des dispositions qui sont dans le texte ont sans doute leur utilité mais ne nous trompons pas d’objectif, sachons faire aboutir ce qui peut être consensuel entre nous et remettre à d’autres occasions ce qui l’est moins.
Je veux enfin aborder trois sujets.
D’abord la question de la nouvelle procédure d’affectation des élèves de l’Ecole nationale d’Administration que je souhaite voir évoluer. J’ai observé qu’il y avait des positions très tranchées, je ne me désespère pas de parvenir à une convergence. J’ai réuni hier soir une commission pour rapprocher les points de vue, en présence du Président SUEUR et de Madame TASCA. Nous avons encore deux réunions prévues sur le sujet et nous aurons l’occasion d’y revenir.
Le deuxième sujet a trait aux droits et moyens syndicaux. J’ai souhaité que nous puissions sécuriser les moyens mis à disposition du dialogue social. Nous sommes parvenus à un relevé de conclusions le 29 septembre dernier, qui fixe le principe « à périmètre constant moyens constants » et qui fixe également le principe d’une véritable transparence sur la mise à disposition et l’utilisation de ces moyens, des moyens dont les règles d’attribution n’avaient pas été revues depuis près de trente ans.
Cette réforme, à laquelle je tenais tout particulièrement, sera appliquée par voie règlementaire dans la Fonction publique d’Etat et dans la Fonction publique hospitalière et nécessite une intervention législative qui vous sera proposée aujourd’hui en ce qui concerne la Fonction publique territoriale.
C’est une étape très importante de la rénovation du dialogue social qui a été engagée en application des Accords de Bercy de juin 2008 et de la loi du 5 juillet 2010.
Enfin, et en lien avec mon collègue Philippe RICHERT, je vous présenterai plusieurs dispositions concernant la réforme de l’encadrement supérieur de la Fonction publique territoriale, des dispositions qui sont là encore très attendues.
Cela fait deux ans que le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale a formulé, sous la responsabilité de son nouveau Président, Philippe LAURENT des propositions de revalorisation de l’encadrement supérieur dans un rapport intitulé «Quels cadres dirigeants pour relever les défis de la République décentralisée ?».
Sur ce dossier, notre objectif est double :
- Assurer une transposition harmonieuse de la réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique territoriale telle qu’elle a été mise en oeuvre dans la fonction publique de l’Etat
- Et garantir la cohérence d’ensemble des carrières et des emplois dans la fonction publique territoriale.
Une modernisation similaire est également en cours et interviendra par voie réglementaire dans la Fonction publique hospitalière.
En conclusion, je voudrai, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous redire que le texte que nous examinons aujourd’hui est bien de responsabilité et de justice sociale. Il s’agit pour l’Etat et l’ensemble des collectivités publiques de France, d’assumer un devoir d’exemplarité qui doit inspirer tous les employeurs publics.
Je tiens vraiment à saluer le caractère consensuel de l’examen de ce texte par votre commission des Lois. Je souhaite vraiment que cet état d’esprit se poursuive en séance, en tout cas j’y suis prêt, afin que nous puissions adopter ce projet de loi, car je le redis, ce texte est attendu par l’ensemble de ceux qui, fonctionnaires ou non, ont fait le choix de servir leurs concitoyens, le choix de servir l’intérêt général au sein du service public.
Il est de notre devoir d’y répondre.
Je vous remercie.
Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 26 janvier 2012