Déclaration de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, notamment sur l'Ecole polytechnique et sur l'industrie d'armement, à Paris le 21 mars 2012.

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Circonstance : Signature du nouveau contrat d'objectifs et de performance de l'Ecole polytechnique, à Paris le 21 mars 2012

Texte intégral

Madame la Présidente, chère Marie Guillou, permettez-moi de saluer celles et ceux qui ont fait l’effort de participer à cette présentation du Contrat d’objectifs et de performance, et d’engager une partie de leur soirée dans une rencontre que nous souhaitons, les uns et les autres, riche, fructueuse, prometteuse. En tous les cas, c'est l’expression d’un attachement partagé à l’Ecole polytechnique.
Je m’exprimerai comme ministre de la Défense. Je vous rappelle que les ministres sont des hommes politiques et, qu’à ce titre, ils aiment s’engager, tel est mon cas.
Je ne reprendrai pas la très belle présentation que Marie Guillou vient de faire de ce Contrat d’objectifs et de performance. Je voudrais, en revanche, insister sur les éléments les plus novateurs de ce contrat et sur l’environnement que suppose la réussite de ce contrat.
Je suis ministre de la Défense, vous me pardonnerez de vous parler d’industrie de Défense brièvement, mais je considère que c'est une véritable chance pour notre pays, c'est un atout. C'est en même temps une réflexion sur nos chances industrielles plus généralement. Je terminerai donc par nos chances industrielles.
Sur le contrat lui-même, trois idées simples. La première, c'est que Polytechnique - et vous avez évoqué des noms, j’en citerai un… Vous avez évoqué trois noms : Bernard Esambert, Pierre Faure qui nous a malheureusement quittés, et Yannick d’Escatha.
Je voudrais revenir sur Pierre Faure parce qu’il nous a quittés, parce que j’avais pour lui une estime considérable, ayant eu la chance de le connaître dans une responsabilité ministérielle antérieure au siècle passé dans les Télécoms. Et j’avais pu découvrir un homme qui avait l’aptitude de marier à la fois les talents d’un véritable savant et d’un grand patron de l’industrie et qui, par ailleurs, dans son comportement d’une très grande modestie, mettait ses interlocuteurs à l’aise pour pouvoir avec eux imaginer des projets nouveaux. Et c'est exactement dans cet esprit qu’il avait imaginé, avec Bernard Esambert naturellement, le projet X2000.
Ce qui me permet, comme homme politique, de répondre à un procès d’intention qui a parfois été adressé aux grandes écoles en général, et la vôtre n’y a pas échappé, de conservatisme. C'est exactement le contraire. Si aujourd'hui, nous pouvons envisager une étape nouvelle sur laquelle je reviendrai, c'est parce que d’une façon constante, ces dernières années, l’École Polytechnique s’est efforcée de trouver son chemin, de trouver sa voie. Et les contrats d’objectif successifs que vous avez évoqués, à travers l’augmentation des effectifs, la diversité des formations, la diversité des niveaux de formation, la richesse des partenariats, montrent bien que derrière l’apparente stabilité qu’expriment vos uniformes, se cache en réalité une aptitude au changement. Vous avez un uniforme qui exprime le XIXème siècle, en réalité, c'est plutôt le treillis de la mondialisation que vous auriez pu revêtir comme tenue de combat universitaire, puisque c'est une véritable plasticité qui exprime ce changement constant de Polytechnique à l’initiative de ceux qui en partagent la volonté de réussite, non pas pour l’école mais comme une valeur ajoutée pour notre pays.
Deuxième remarque politique également, vous avez fait le choix d’accepter le défi de Paris - Saclay. C'est un défi considérable, pourquoi ? Parce qu’il suppose de marier des cultures qu’apparemment rien ne rapproche.
La volonté du Président de la République a été de donner à la fois l’autonomie aux universités et toutes, à cet instant après quatre ans et demi de réflexion, ont fait le choix de l’autonomie. Et en même temps, d’accompagner les plus talentueuses d’entre elles, pour qu’elles jouent un rôle de locomotive sur l’intelligence française, l’intelligence de la recherche, intelligence de la formation, de l’enseignement au niveau mondial. C'est naturellement les projets IDEX.
J’en parle avec d’autant plus de sensibilité, d’attachement personnel, que naturellement de très nombreuses universités françaises et provinciales étaient candidates. Toutes n’ont pas été retenues, mais c'est la loi même du genre. Si nous voulons afficher des ambitions dans la mondialisation des idées, de la recherche et des formations, la dispersion n’était pas la bonne stratégie. Le choix des procédures IDEX est un choix extrêmement sélectif qui d’ailleurs a été, cela a surpris les hommes politiques français, déporté sur un jury compétent, mais extérieur à nos traditions de sélection.
Vous avez relevé le défi avec Paris – Saclay. J’ai vécu la façon dont vous avez relevé ce défi, j’ai presque envie de dire, jour après jour, peut-être pas jour après jour, mais de semaine en semaine et chacun a fait les efforts pour que l’autre le comprenne. Et vous avez fait l’effort d’apporter à l’université la force de votre image, de votre personnalité, de votre aptitude à former des ingénieurs et à établir des relations avec l’industrie, là où parfois il vous était adressé le reproche d’être, en matière de recherche, plus petit, peut-être même trop petit pour que vous puissiez revendiquer de poursuivre cette autonomie.
Et vos dirigeants, avec beaucoup d’intelligence et de persévérance, ont trouvé le juste équilibre. Je voudrais les remercier parce qu’en participant à Paris – Saclay, vous avez permis à Paris - Saclay d’obtenir ce label, mais vous avez accepté ce soutien en obtenant une reconnaissance d’identité sans laquelle assurément Paris - Saclay se priverait de plus de deux siècles de réussite continue.
Comme je suis d’un naturel plutôt conservateur, quand quelque chose marche, il me paraît nécessaire de ne pas le casser. Quand un outil fonctionne, pourquoi diable s’en priver ? Surtout, et je reviens au précédent, lorsque cet outil a cette plasticité qui lui permet de s’adapter au temps moderne.
C'est une bataille bien menée, intelligemment menée, où il n'y a pas de perdants, et où il n’y a que des gagnants. Soyez-en remerciés.
Troisième observation de nature, elle aussi, politique. Puisque vous savez, la politique c'est quoi ? C'est prendre des décisions dans un environnement conflictuel et nécessairement conflictuel, le conflit d’ailleurs n’étant pas en soi quelque chose que l’on doit craindre ou éviter. Non, la vie est dialectique et la politique adore la dialectique, et cherche des synthèses dès lors qu’elles n’aboutissent pas à la confusion. C'est une excellente étape.
Et c'est le troisième point que je voudrais présenter devant vous sur cette approche ministérielle, et d’engagement ministériel à l’égard de Polytechnique, c'est un fonctionnement rénové. Et ce fonctionnement rénové repose autour de deux idées simples, c'est que vous allez avoir un président exécutif pour votre école, avec un mandat de cinq ans, mais un président à temps plein. Non pas que vous soyez, Chère Marion Guillou, une présidente éphémère, occasionnelle ou intermittente - j’ai l’impression que ça doit vous laisser peu de temps pour vos autres activités - mais l’idée d’un président à temps plein totalement investi dans l’animation, la représentation, les relations extérieures de l’école paraît être un investissement humain absolument indispensable aujourd'hui. On me dit d’ailleurs que c'est la solution adoptée par les grandes universités anglo-saxonnes, cela me paraît pertinent et j’ajoute que pour quelqu'un qui aurait fait les preuves de ses compétences scientifiques et managériales, quelle plus belle responsabilité que de présider Polytechnique dans cette bataille des intelligences, dans cette bataille de la place de l’outil de formation Polytechnique dans le monde, y compris en France. Voilà une très belle responsabilité à condition d’en avoir les moyens et la durée, c’est ce que propose cette rénovation.
La Défense n’entend pas, cependant, abandonner Polytechnique, bien au contraire, et c’est la raison pour laquelle le rattachement au ministère de la Défense est conforté. Il est conforté non pas par la seule singularité de l’uniforme et d’un certain nombre de manifestations traditionnelles, mais il est conforté parce que, de tous les grands ministères qui étaient vos partenaires traditionnellement, c’est celui qui a fait l’effort de s’intéresser à votre école, parce qu’il croit profondément que votre école est stratégique dans la formation des cadres dirigeants de notre pays, dans la formation des cadres dirigeants de l’Etat et des activités de Défense, et en particulier des industries de Défense, et que ce ministère peut vous apporter, vous apporte, au-delà de la dimension humaine de la responsabilité, de l’exercice du commandement – expérience humaine dans laquelle le ministère de la Défense est certainement particulièrement compétent, au-delà même de la vision stratégique qui nécessairement… stratégie, c'est-à-dire la place de la France dans le monde qui éclaire nécessairement les réflexions du ministère de la Défense. Nous avons le sentiment que notre pays s’est construit – et c’est un libéral qui vous parle – autour de son Etat et que l’armée et la Défense ont toujours été l’expression forte de cette volonté politique. Nous n’avions pas l’intention de l’abandonner.
Pour avoir été ministre de l’Industrie, j’aurais aimé que nous puissions former, au sein du gouvernement, un cartel solidaire de ministres résolus à défendre Polytechnique, non pas simplement rattaché à la Défense, mais au sein de l’Etat. Il y a deux grands ministères – j’ai un âge qui me permet de voir les choses avec une certaine sérénité – dont j’estime que l’Etat s’est privé un peu rapidement : le ministère de l’Industrie, le ministère de l’Equipement. Les deux existent, l’un a disparu dans Bercy, direction générale des Stratégies. L’autre a acquis une telle dimension qu’on n’arrive plus à retrouver, dans l’ensemble de ses missions, sa personnalité historique. Je reste convaincu qu’entre la Défense, l’Industrie et l’Equipement, pour l’essentiel, l’Etat avait un partenariat formidable à développer et à construire avec Polytechnique.
Moi, j’ai la responsabilité de la Défense, je connais Polytechnique. J’ai donc souhaité conforter ce partenariat et je me réjouis, mon Général, que le directeur général de Polytechnique est et restera un officier général, dans des fonctions de directeur général qui, comme son nom l’indique, a vocation à diriger la généralité de l’école polytechnique, ce qui n’interdit nullement qu’il ait des adjoints et des équipes compétentes, mais un président et un directeur général, ça fonctionne et ça continuera de fonctionner, avec l’enrichissement qu’apporte cette présidence à temps plein.
Alors, pourquoi allons-nous faire cela ? Eh bien pour que vous puissiez participer à l’industrie de Défense notamment, pas seulement. Mais, réfléchissons ensemble à ce que représente cette industrie de Défense qui est un atout français dans la mondialisation.
Je vais essayer d’être assez rapide. Il y a évidemment des réalités matérielles : bases industrielles fortes, construites sur un temps long, c'est-à-dire des projets durables et nous assurant une maîtrise des très hautes technologies. Ça, c’est une présentation générale. Disons très simplement que, dans le monde d’aujourd’hui, tel que je le vois et tel que je le vis, il y a un grand pays qui, à lui seul, représente 50 % du marché de la Défense et ce n’est pas le nôtre, et il y a un deuxième pays dont les grandes entreprises sont toujours en matière de Défense, dans une situation que l’on qualifierait, aux Jeux Olympiques, de podium ; c'est-à-dire médaille de bronze, d’argent ou d’or. Y a-t-il tant de secteurs industriels où nous soyons toujours au moins médaille de bronze, souvent médaille d’argent et parfois médaille d’or ? Assurément, la Défense, les industries de Défense en font partie. Et pourquoi ce système fonctionne-t-il ? Parce qu’il y a ce mariage intelligent entre une volonté nationale qui s’est exprimée et qui aboutit à construire la base d’une industrie de Défense, et la projection européenne et mondiale de cette industrie de Défense, car la véritable force en matière d’industrie de Défense de notre pays, c’est qu’elle est à la fois nationale par son origine, européenne par ses alliances et elle est le partenaire, dans le monde, de ceux qui souhaitent ne pas être dépendants du plus grand acteur.
Nous avons donc un secteur de traditions nationales qui a su construire des alliances européennes et se projeter dans une vision mondiale. Les industries de la Défense ne sont peut-être pas les seules dans ce cas, mais elles sont assurément, en France, la démonstration d’une globalisation réussie, d’une mondialisation, je dirais, positive, qui n’exclut nullement le combat, les batailles et parfois les échecs, mais qui correspond à une logique dont la transparence est évidente. Nous avons une base nationale, une volonté européenne et des partenariats à l’extérieur.
Ce qui est très intéressant pour moi au long de cette année 2011, a été de constater que, lorsque l’on évoque les briques : Brésil, Russie, Inde et Chine, si on écarte la Chine pour des raisons évidentes, le Brésil se tourne vers la France parce que sa priorité est une industrie navale sous-marine, lui permettant de maîtriser son espace des rives Offshore riches et riches matériellement, et riches de 8 000 km. Nous sommes ce partenaire naturel, pour cette étape-là, et vraisemblablement un jour – je l’espère et je le crois profondément – pour l’aéronautique. Pourquoi d’ailleurs ? Parce qu’un autre pays, l’Inde, a choisi la France, non seulement parce que l’appareil était bon, mais parce que la perspective de construire lui apparaissait possible avec un pays qui avait à la fois le niveau technologique et avec lequel la capacité d’établir un rapport équilibré était possible. L’Inde a jugé que ce rapport équilibré ne l’était pas avec d’autres partenaires qui étaient ou technologiquement pas tout à fait au niveau, ou plus tout à fait au niveau ou trop « indépendants de », pour être des partenaires équilibrés et respectueux.
Même la Russie qui a, dans certains secteurs, des niveaux tout à fait comparables, s’est tournée vers nous pour du matériel naval, le bateau de projection et de commandement, et c’est un véritable partenariat qui se construit. Cela veut dire tout simplement que si la Grande Bretagne, par exemple, est forte d’une industrie d’armement qui est très largement orientée vers le marché américain, et tant mieux pour British Aerospace, la France, elle, a trouvé une forme de partenariat mondial, et les uns et les autres sont, par ailleurs, les leaders de la construction européenne en matière de Défense. Je voulais l’évoquer.
Tout cela se traduit par des chiffres. Je ne vous les citerai pas. Vous le trouverez dans les excellents rapports consacrés à ce sujet.
Ce que je voudrais indiquer, c’est qu’évidemment, ça se traduit – ce sera peut-être le seul chiffre que je rappellerai – par un excédent commercial fort. En 2010, nous avons un excédent de 5 milliards. En 2011, on devrait dépasser les 6,5 milliards et en 2012, il n’est pas à exclure que nous puissions côtoyer les 8 milliards d’euros. Rapporté à notre déficit du commerce extérieur, vous voyez bien le caractère significatif de cette industrie.
Alors, une industrie qui est importante et qui gagne de l’argent, c’est une industrie qui peut investir, qui peut se développer, qui peut prolonger, plus loin encore, son savoir-faire. On peut regretter que le capitalisme repose sur le profit. Ce n’est pas du tout mon cas. Je pense, au contraire, que le profit est le résultat d’une pertinence stratégique et d’une maîtrise de l’organisation, et j’ajoute que le profit bien employé est cumulatif de succès et de développement. Je pense que le contribuable français devrait songer à la question suivante : où l’argent de l’Etat s’investit-il le plus opportunément en matière industrielle ? Assurément l’industrie de Défense, outre qu’elle satisfait les hommes politiques, mais ce n’est pas du tout suffisant comme argument, est une industrie nécessairement vertueuse dans sa capacité, dans la mondialisation à tenir un rang d’autonomie parce qu’elle a une légitimité stratégique au regard de l’organisation du marché.
Peut-être en conclusion, vous proposer, à partir de cette réussite de la réflexion sur l’industrie de Défense, une réflexion plus large sur l’industrie.
Là, je suis beaucoup plus inquiet et je souhaite que, dans le débat français qui s’organise autour des perspectives présidentielles si proches, on puisse méditer deux chiffres particulièrement préoccupants : les exportations françaises ne représentent plus aujourd’hui que 40 % des exportations allemandes, alors qu’elles représentaient, il y a dix ans, 55 % de ces exportations. C’est donc une véritable perte de parts de marchés de l’industrie française que l’on observe, et cette perte de parts de marché – puis-je en témoigner, pour être lorrain et donc frontalier de l’Allemagne – s’explique très largement par une évolution du coût du travail respectif entre l’Allemagne et la France. Gerhard Schröder d’abord, Angela Merkel ensuite, ont assuré une maîtrise de leur coût de production sur le plan du travail, qui leur a permis de combler l’écart qui était de 15 à 20 % dans les années 90 et qui est aujourd’hui, selon les analystes, équivalent ou légèrement favorable à l’Allemagne. Je ne rentrerai pas dans le détail de ce sujet qui a été admirablement traité par un rapport de Rexecode, il y a à peu près un an de cela.
En revanche, il faut que nous nous posions, dans ce débat national, trois questions simples : pouvons-nous à court terme conduire une politique offensive sur le terrain du coût du travail ? La réponse est oui, à travers des mesures qui sont, à moyen et long termes, sans doute insuffisantes, mais qui sont, à court terme, extrêmement pertinentes.
Se poser la question de la priorité sur des dépenses collectives entre une charge supportée par le producteur et une charge supportée par le consommateur.
C’est un débat d’actualité, c’est un débat d’ailleurs que le Gouvernement a tardivement, mais courageusement, traité en proposant le transfert de la politique familiale sur la consommation, et dans un système compétitif, ouvert, concurrentiel, il paraît assez légitime que l’on demande au consommateur, qui est en même temps d’ailleurs un électeur, d’assumer lui-même la prise en charge, avec évidemment les modalités de péréquation entre les différentes catégories de consommateurs, d’assurer lui-même la responsabilité de financer des politiques qui sont des politiques de consommation.
Dans un système compétitif, le producteur doit être traité au regard des autres producteurs, et le consommateur doit assumer, par notamment l’impôt sur la consommation, la prise en charge d’avantages qui sont réels, qui sont d’ailleurs des avantages de consommateurs, qui doivent être assumés par le consommateur lui-même.
Nous avons, en ce qui concerne le travail, en dehors du coût à court terme, et en effet la TVA emploi ou la TVA activités, prenant en charge des dépenses assurées par le producteur, c’est dur, ce n’est pas agréable, mais c’est assurément une des façons de retrouver une compétitivité, non pas avec des compétiteurs de l’autre bout du Monde, mais nos compétiteurs immédiats ; car notre bataille est avec les pays qui nous ressemblent, et notamment avec notre voisin immédiat.
J’évoque évidemment rapidement la réglementation du travail « restituer à l’entreprise et au dialogue social dans l’entreprise, le plus de responsabilités possibles, et notamment la question lancinante de la durée du travail qui n’a simplement aucun sens dans un traitement national uniforme. ». Alors, cette perspective a été ouverte, je le reconnais, tardivement, par ce gouvernement. Il a au moins le mérite d’ouvrir le débat, et de donner une légitimité, au contraire d’ailleurs, à la décision qui sera prise par le pouvoir politique, car cela relève du pouvoir politique. Si ce problème n’est pas posé, il n’a simplement aucune chance d’être traité, et force est de reconnaître qu’il n’avait pas été posé jusqu’à ce jour.
Il reste évidemment un dernier point en ce qui concerne le travail, le coût, la réglementation, son adaptation entre l’offre et la demande. Là je crains, malheureusement, que toutes les solutions, de bon sens, autour de l’organisation de la formation professionnelle - Qui doit la gérer ? Qui doit la maîtriser ? Qui doit l’organiser ? – ne vaillent que si nous arrivons à régler un problème qui est lui de nature complètement éthique, moral, politique, qui est le problème suivant : Y a-t-il un droit au travail ou un devoir de travailler ? Ce n’est pas tout à fait la même chose. S’il y a un droit au travail, ce droit peut être ressenti comme le droit d’accéder au travail que l’on souhaite ou pour lequel on estime que l’on a une vocation. Je pense que ce type de point de vue pouvait être parfaitement défendu en période de plein emploi, de frontières fermées, et d’inflation possible.
Nous sommes aujourd’hui en période de frontières ouvertes, où l’inflation est impossible, c’est-à-dire que toutes les erreurs économiques sont payées directement, où par conséquent l’emploi devient, en effet, parfois, un bien rare. La conclusion pratique, c’est que moralement il faut défendre l’idée qu’il y a un devoir de travailler, et non pas simplement un droit d’obtenir un travail.
Cette inversion peut vous paraître une sorte de fantaisie de l’esprit. Elle est, au plan politique, considérable comme évolution et comme changement. Car si le travail est un devoir, tout comme la formation d’ailleurs est un devoir, si l’on a le devoir de se former et le devoir de trouver un emploi, on inverse la charge de la preuve. Ce n’est plus la société qui est coupable de ne pas vous donner le travail dont vous rêvez, c’est vous qui êtes responsable de trouver le travail que vous devez à la société, qui elle, en contrepartie, vous apporte toute une série de soutiens, de sécurité et de protection. Vous voyez bien que là le débat n’est pas économique, il est parfaitement moral, mais c’est sans doute sur le terrain moral que se situent un certain nombre de clés de l’évolution de notre société.
J’ai parlé longuement du travail, je voudrais traiter très rapidement d’un autre sujet en ce qui concerne cette part de l’industrie, qui est tout simplement le fait que, plus nous avons de protection sociale et de niveau salarial et de pouvoir d’achat, plus nous avons besoin d’intensité capitalistique.
Nous pouvons parfaitement garantir à nos compatriotes, sur long terme, un niveau de vie et de protection sociale, à une seule condition : c’est d’aller dans le travail vers la valeur ajoutée, et donc aller dans l’emploi vers l’intensité capitalistique, c’est-à-dire d’aller vers la recherche de financement. Et lorsque nous entendons, dans le débat d’aujourd’hui, une sorte de condamnation globale de la finance, je suis extraordinairement préoccupé, non pas que les financiers soient nécessairement ni des prix de vertu ni des modèles de comportement, mais réfléchissons à cette idée simple. S’il y a du travail, il faut du capital. Et s’il n’y a pas de capitaux, s’il n’y a pas d’intensité capitalistique pour chaque emploi, s’il n’y pas l’acceptation de l’idée qu’un pays doit produire de l’épargne et du capital pour financer l’investissement, et par conséquent du profit pour financer de l’épargne d’entreprise et de l’investissement, il n’y a simplement aucune chance de s’en sortir. C’est la raison pour laquelle, là encore… Alors, évidemment, ce n’est pas très à la mode, mais après tout j’ai le droit de me faire plaisir à cette heure-là, je suis venu jusqu’à Saclay pour vous parler, j’ai envie de vous dire que le capital ne doit pas être un adversaire, mais au contraire un partenaire du travail, car sans capitaux il n’y aura pas les emplois qualifiés. Il faut préparer les emplois. Les études amont sont de plus en plus coûteuses. Tout ce qui est en amont de la production est de plus en plus coûteux. La production française à forte valeur ajoutée doit avoir une ambition mondiale, car on ne peut gagner de l’argent que si on a une taille mondiale, ce qui d’ailleurs suppose qu’on ait une certaine spécialisation, mais la mondialisation d’un produit, d’un savoir-faire ou d’une technologie, ce sont des investissements considérables.
Donc, on voit bien que la Collectivité, pour se développer, en maintenant son niveau social, a besoin de tenir les prix par rapport à nos concurrents immédiats, mais de dégager des capacités financières pour financer ce développement. Vous reconnaitrez que cette idée n’est pas dominante. Elle est pourtant, je le pense profondément, d’un immense bon sens. Alors évidemment, il y a toute une série de mesures, que je pourrais vous lister, qui ont été prises ces dernières années : pérenniser, renforcer les dispositifs ISF PME. Nous avons une politique… Le FSI… Il y a toutes sortes de mesures. C’est formidable, c’est formidable, mais ce n’est pas suffisant. Ce qui est suffisant, c’est de reconnaître le droit des entreprises à dégager du profit, pour pouvoir investir. Si les entreprises françaises font plus prélevées que d’autres, parce qu’on considère que ce n’est jamais le consommateur qui doit payer ce qu’il a décidé de choisir, et ce dont il a décidé de bénéficier, et si c’est nécessairement le producteur, cela a deux conséquences pratiques, c’est que le producteur dégage moins de marge et, lorsqu’il a un peu d’argent, il va investir ailleurs.
A cet instant, je ne voudrais pas prolonger l’expression de cette conviction. Je voudrais simplement vous dire que vous avez une chance inouïe, c’est que vous avez vocation à exercer des responsabilités. Le seul vœu que je voudrais former devant vous, c’est que, exerçant des responsabilités dans l’administration, dans l’entreprise, dans les activités industrielles, dans des activités de service, dans des grandes structures ou dans des petites structures que vous aurez choisi de rejoindre ou de créer, gardez la préoccupation de la réflexion générale.
L’école de la responsabilité, c’est la culture générale. La force d’un dirigeant économique, c’est d’éviter la spécialisation, et c’est d’avoir, en permanence, un regard global, transversal, sur l’ensemble des sujets qui l’environnent.
Nous avons besoin d’ingénieurs et nous avons besoin d’industries, mais nous avons, d’abord et surtout, besoin que nos dirigeants aient une vision d’ensemble du monde dans lequel ils vont exercer les responsabilités. Et c’est la raison pour laquelle, profondément, le ministère de la Défense se réjouit d’être partenaire de l’Ecole polytechnique, car s’il y a une qualité dont les polytechniciens ont toujours fait preuve, qu’ils soient élèves, qu’ils soient étudiants ou qu’ils soient en activité, c’est d’avoir le goût de la réflexion générale pour faire en sorte qu’ils échappent à leur spécialité, et qu’ils puissent être, en effet, des cadres responsables pour une Nation qui se retrouve dans ses ingénieurs, dès lors que ses ingénieurs dépassent leur technique pour être des dirigeants humanistes.
Source http://www.polytechnique.edu, le 18 avril 2012