Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec "Europe 1" le 21 mai à Chicago, sur les sommets de l'OTAN avec le retrait des troupes françaises d'Afghanistan et du G8 avec la question de la croissance, l'avenir de l'Union européenne et celui de la Grèce dans la zone euro.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Après les rencontres avec des Américains et des dirigeants de l’Europe à Washington, Camp David, Chicago, quelle est l’image de la France aujourd’hui ?
R - L’image de la France est bonne. Je pense que la mission a été remplie…
Q - François Hollande a-t-il bien inauguré ses fonctions de président ?
R - Je trouve que oui. Il y a un mélange de simplicité et de fermeté qui, je pense, a été apprécié par tout le monde. Il y a eu une scène en particulier, forte, au moment où il a pris la parole devant une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement, dans la grande salle à Chicago, pour expliquer quelle était la position de la France. Il a parlé de façon très claire, en disant, sur l’OTAN : «nous sommes tout à fait fidèles à nos alliances et, en même temps, j’ai décidé, c’est une décision souveraine, que les troupes combattantes françaises se retireraient avant la fin 2012. Voilà comment cela va se passer». Je pense que tout le monde a apprécié sa façon de parler de manière à la fois simple et ferme. Pour tous ceux qui sont habitués à ces rencontres internationales, on sent que c’est à ce moment-là que cela bascule ; et je pense que cela a basculé dans le bon sens.
Q - Il vous a surpris vous-même ?
R - Non, parce que nous avons appris à nous connaître maintenant depuis plusieurs mois. En tout cas, je pense que c’était la bonne façon de procéder, ne pas biaiser.
Q - A Chicago, c’est le Sommet de l’OTAN, et vous parlez de l’Afghanistan. La France, François Hollande, dit donc à l’OTAN : «nous quittons l’Afghanistan, ce n’est pas négociable». Pour ceux qui ont combattu, et avec tant de victimes, est-ce que c’est quand même élégant, même s’ils se taisent quand il parle ?
R - Nous avons dit : si nous arrivons aux responsabilités, les troupes combattantes - je dis bien les troupes combattantes - quitteront l’Afghanistan en 2012. Tout ce qu’il fallait, c’est le faire en maintenant évidemment la sécurité de nos hommes.
Q - Mais la sécurité, ce sont les États-Unis et les alliés qui vont l’assurer, la protection des Français, en uniforme ou en civil, qui vont rester sur place.
R - Non, le commandant des troupes de l’OTAN, le général Allen, qui est un Américain a dit, je le cite : «avec la décision prise par les Français, il n’y aura pas de dégradation de la sécurité». Ensuite, nous avons rencontré le président Karzaï, qui est le premier concerné, et qui avait dit auparavant que les Afghans prendront le relais de nos troupes en Kapisa.
Q - Les États-Unis et les alliés vont payer, après 2014, plus d’un milliard de dollars. Les Américains plus de deux milliards, les Allemands 150 millions par an. La France paiera aussi sa contribution ; est-ce que vous savez combien ?
R - Non, nous n’avons pas encore fait connaître nos chiffres. Maintenant, ce qu’il faut bien comprendre, même si cela a été peu publié jusqu’ici, c’est qu’au mois de janvier dernier, le président - à l’époque c’était le président Sarkozy - a signé un traité entre la France et l’Afghanistan, qui prévoit - ce qui va être fait - dans la période qui vient, toute une série de coopérations, à la fois dans le domaine de la sécurité, dans les domaines civil, social, culturel, etc. Nous allons honorer cet engagement. C’est à partir de cela que nous pourrons faire les évaluations financières, ce que nous ferons dans les prochaines semaines.
Q - À Camp David, tous les invités de Barack Obama ont promis la croissance. Au G20 de Cannes, en octobre, ils avaient fait la même promesse. Pourquoi ces apôtres de la croissance ne décident-ils pas, ensemble, une initiative commune en faveur de la croissance ?
R - Je pense que la situation n’est pas la même. Dans les derniers mois, il y avait une telle détérioration des situations budgétaires que, au fond, le débat avait lieu uniquement sur ce qu’on appelle l’austérité budgétaire. C’était un des mérites de l’élection de François Hollande, de remettre la question de la croissance au premier rang.
Q - Oui, mais pour le moment, tout le monde parle de croissance, mais on ne voit pas comment. Chacun est chargé chez lui de se débrouiller ?
R - Concrètement, il y a une réunion prévue mercredi prochain…
Q - À Bruxelles.
R - …avec tous les Européens, et chacun va mettre sur la table ses propositions concrètes en matière de croissance. À partir de là, il est probable qu’un petit groupe sera désigné pour arriver à des solutions concrètes les 28 et 29 juin. Il fallait dans un premier temps recentrer le débat sur la croissance, cela a été fait par François Hollande, mais également avec l’aide du président Obama, ce qu’il faut souligner, et de Mario Monti, qui a joué un rôle particulièrement très utile. Maintenant, il s’agit d’être à la fois très précis et très concret.
Q - Aux États-Unis, Laurent Fabius, vous défendez l’Europe et vous savez qu’à Paris on s’étonne de votre nomination au Quai d’Orsay, car en 2005 vous étiez à la tête…
R - Qui s’étonne ?
Q - Beaucoup, beaucoup, la presse, les politiques - vous étiez à la tête des «non» à Maastricht, «les nonistes» comme on disait…
R - Non, pas à Maastricht.
Q - …au Traité, voilà. Est-ce que vous êtes un avocat crédible de l’Europe ?
R - Je pense que oui, mais votre lapsus est intéressant. Vous vous rappelez peut-être que François Fillon avait pris position contre Maastricht, personne ne viendrait dire aujourd’hui que François Fillon n’est pas européen. Eh bien, il en est de même pour moi. J’ai été de ceux - et ils étaient majoritaires en France, vous vous rappelez les résultats – qui, étant très favorables à l’Europe, disaient que l’Europe ne fonctionnait pas bien.
C’est d’ailleurs ce que l’on voit aujourd’hui. Mais je pense que le gouvernement, tel qu’il a été constitué, avec à la fois des partisans du «oui», François Hollande a voté «oui», et des partisans du «non», ce qui est mon cas, c’est une force supplémentaire.
Q - Donc, pour vous, il n’y a pas de contradiction et vous avez peut-être raison avant les autres ; c’est ça ?
R - Je ne veux pas tirer la couverture à moi mais, en tout cas, il n’y a aucune contradiction, au contraire, cela nous donne une force supplémentaire.
Q - Et est-ce qu’à Chicago, à Washington ou à New York, les Européens ont compris que l’avenir du continent passe par un vrai gouvernement économique et politique de l’Europe ?
R - Oui, bien sûr. Ce qui m’a frappé, évidemment, c’est à la fois la volonté de développer la croissance, mais aussi une grande inquiétude, très grande inquiétude, par rapport à la question grecque. Il ne faut pas tourner autour du pot ; il faut bien que l’on explique, sans arrogance, à nos amis grecs, que s’ils veulent rester dans l’euro - et une majorité d’entre eux, je crois, le souhaite -, ils ne peuvent pas se prononcer pour des formations qui, de fait, les feraient sortir de l’euro. C’est très délicat, parce que la France n’a pas de leçon à leur donner mais, en même temps, on doit dire les choses à nos amis grecs, telles qu’elles se posent aujourd’hui.
Q - Mais quand on dit qu’on veut les sauver, est-ce qu’il faut passer l’éponge sur toutes les dettes des Grecs ?
R - Non, il faut absolument respecter ce que l’on appelle le mémorandum et, en même temps, donner une perspective. Il faut favoriser la croissance, on en revient à ce que nous disions il y a un instant. Il faut bien que chacun comprenne que l’enjeu, c’est que les Grecs restent ou ne restent pas dans l’euro. On ne peut pas à la fois vouloir rester dans l’euro et ne faire aucun effort.
Q - C’est finalement bien un G8 et bientôt un G20, ce sont des rendez-vous qui se sont imposés. Vous allez les maintenir alors que vous les aviez critiqués.
R - Tout dépend du contenu. Le G20 nous ne l’avons jamais critiqué ; c’est une enceinte utile qui, d’ailleurs, aura lieu le mois prochain. Le G8, s’il s’agit d’une simple rencontre sans aucun résultat, cela n’a aucun intérêt. Si c’est un G8 comme cette fois-ci, où on dit «l’accent doit être mis sur la croissance», cela devient intéressant.
Une dernière remarque, si vous permettez. Ce n’est pas simplement une question économique, mais c’est une question démocratique, parce que si on n’arrive pas à relancer la croissance, il y aura, dans toute une série de pays, des révoltes, et on est en train de le voir, malheureusement, dans plusieurs pays d’Europe et ailleurs. Donc, c’est une question économique, et démocratique.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mai 2012