Déclaration de Mme Aurélie Filipetti, ministre de la culture et de la communication, sur le bilan et les perspectives du Centre national de cinématographie et l'image animée (CNC), Cannes le 22 mai 2012.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Monsieur le député-maire de Cannes,
Monsieur le président, cher Gilles Jacob,
Eric Garandeau,
Mesdames, Messieurs, les amoureux du cinéma,
Je suis très heureuse d'être parmi vous aujourd'hui, avant de dresser bilan et perspectives du CNC, puisque tel est l'intitulé de notre réunion. Je veux tout d'abord célébrer le cinéma et, en particulier, le cinéma français dans sa dimension culturelle, dans sa dimension d'ouverture, dans sa dimension d'attractivité, pour les autres cinéma du monde comme Cannes en est le symbole mais aussi dans sa dimension économique.
Cannes devient pendant ces quelques jours la capitale du cinéma. On y fête le cinéma et c'est le symbole que le cinéma est toujours une fête. Dans toutes les salles, dans toutes les villes de France, dans les campagnes, dans les quartiers, dans les capitales, partout dans le monde, à chaque fois que les gens se retrouvent dans une salle obscure pour partager une émotion, c'est une fête.
C'est aujourd'hui en tant que ministre de la Culture et de la Communication que je viens à Cannes mais ce n'est pas la première fois que j'ai la chance d'être ici au sein du festival. En effet, je suis une femme politique mais je suis aussi une cinéphile. Une cinéphile, modestement, car sous le regard de Thierry Frémaux, j'ai un peu de scrupules à me définir comme tel. En tout cas c'est comme une amoureuse du cinéma et des cinémas que je suis ici parmi vous. C'est en tant que femme politique que le Président de la République m'a confié cette charge lourde, écrasante, mais au combien exaltante, du ministère de la Culture et de la Communication.
C'est en tant que femme politique que je vais vous parler aujourd'hui mais peut-être mon propos va vous frustrer légèrement. Nous avons quelques contraintes qui sont des contraintes d'agenda. Vous le savez le gouvernement a été constitué la semaine dernière seulement. Une campagne législative est en cours et durera jusqu'au 17 juin prochain. Il y a aussi une nouvelle méthode, une nouvelle méthode de gouvernement, que le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, veut instaurer, une méthode fondée sur le dialogue, la concertation, la pondération, la mesure, tout sauf de la brutalité, tout sauf de la précipitation, tout sauf des opérations de communication, parfois brillantes, efficaces sur l'instant mais qui ne débouchent pas sur des réalités concrètes. Je ne suis pas venue pour vous faire des annonces mais bien pour tracer des grandes lignes, et tout d'abord pour célébrer et remercier le CNC de son action pour le cinéma et le cinéma français en particulier.
En effet, le cinéma français est une grande réussite, c'est une grande réussite pour notre pays. Malgré toutes les menaces qui pèsent sur lui, le cinéma français se porte bien et se porte même de mieux en mieux. On le sait il y a eu des records d'entrées en salle avec 215 millions d'entrées cette année. Une part de marché des films français qui est en progression à près de 41% et 600 nouveaux longs métrages qui ont été projetés dont la moitié étaient des films français.
Une vitalité artistique renouvelée, avec à côté des grands noms de notre cinéma, l'éclosion d'une nouvelle génération de réalisateurs et de réalisatrices, d'ailleurs merci d'avoir cité Valérie Donzelli, l'éclosion d'une nouvelle génération d'artistes.
Notre cinéma c'est une réussite artistique mais aussi une réussite économique Pour nos exportations : 72 millions d'entrées à l'étranger ont été réalisées pour les films français. Il y a eu des récompenses prestigieuses qui sont venues couronner cette politique de soutien au cinéma français qui a portée ces fruits. Nous pensons évidemment tous aux 5 Oscars obtenus par le film « The Artist ».
J'ai remis à Nanni Moretti, le président du jury, hier, les insignes de Commandeur de l'ordre des Arts et Lettres, décoration qui avait été, je tiens à le préciser, décidée par mon prédécesseur, Frédéric Mitterrand, par un arrêté du 13 avril. Nanni Moretti a réaffirmé son attachement à notre pays, en raison du rôle, du soutien, du financement au cinéma que la France a réussi à préserver. Il a vanté l'attention et le respect dont bénéficie le cinéma français.
Ce système est très performant. Il a contribué à la réussite d'ensemble de cette filière mais il est aussi fragile et des adaptations, des évolutions sont nécessaires en particulier pour faire face aux nouveautés, aux bouleversements, associés au numérique. Les inquiétudes sont nombreuses et vous les connaissez : échec technologique, lecture européenne parfois trop libérale et uniquement accès sur la concurrence.
J'ai eu un premier entretien hier à ce sujet avec la commissaire européenne, Madame Vassiliou. Nous avons commencé à évoquer la question des aides d'état, de la territorialisation de ces aides, et puis il y a l'entrée d'acteurs très puissants de l'Internet. Tous ces éléments peuvent désorganiser, fragiliser un écosystème qui a fait ses preuves.
Quelques jours après ma prise de fonction, vous comprendrez aisément que je ne peux entrer dans les détails d'un plan trop précis mais je souhaite vous donner quelques éléments d'orientation pour ce qui contribuera à guider mon action.
Tout d'abord, des objectifs politiques, la défense de la variété de notre cinéma, de sa diversité, de sa jeunesse, même si le cinéma est un art éternellement jeune et que les très grands réalisateurs font preuve d'une étonnante capacité à rajeunir au fil des années. Manoel de Oliveira n'est pas là cette année, mais nous avons vu hier soir le film d'Alain Resnais. Alain Resnais, ce grand Monsieur, est là pour symboliser cette éternelle jeunesse du cinéma et je ne parlerai pas du Président Gilles Jacob, qui m'a fait l'amitié, l'honneur, de m'accueillir ici cette année avec beaucoup de chaleur et je vous en remercie, cher Gilles Jacob. Le cinéma c'est une forme de jeunesse éternelle mais j'ai voulu symboliser les nouvelles générations en proposant à des étudiants de la Fémis et de l'Université d'Avignon en cinéma de monter les marches avec moi avant-hier soir.
C'est aussi un objectif d'éducation, d'éducation artistique, je pense notamment à l'opération « Collège au cinéma » qui est à la fois une manière d'éduquer les jeunes à l'image, d'éduquer les jeunes au cinéma puis aussi de les amener vers les salles indépendantes, vers les salles d'art et d'essai que nous souhaitons continuer à défendre.
Le cinéma c'est aussi cette démocratisation, cet art authentiquement, pour ne pas dire le seul art authentiquement populaire comme le disait Jean-Luc Godard. Le cinéma c'est effectivement un art extrêmement populaire et auquel chacun de nos concitoyen est attaché.
Je pense que le succès du film Intouchables a montré cet attachement et ce désir, cette appétence de l'ensemble du peuple français pour son cinéma.
C'est à travers notre cinéma, le cinéma français, que la France se reconnaît comme nation et que nous formons aussi cette communauté.
Cet attachement à la diversité qui a permis à la cinématographie française d'être aujourd'hui ce qu'elle est parce que nous sommes aujourd'hui l'un des seuls pays pour ne pas dire le seul pays à ne pas avoir un cinéma mais des cinémas. Avec l'avènement du numérique je serai extrêmement vigilante pour préserver cette exception culturelle.
Faire cohabiter les grands films d'auteur, faire cohabiter des films populaires, des films à gros budgets, des films qui rencontrent un large succès critique, des films qui rencontrent un large succès populaire ou comme ceux qui ont la chance de pouvoir réunir les deux, mais aussi soutenir ces films du milieu comme l'expression de Pascale Ferrand, il y a quelques années. Ces films du milieu qui contribuent à la richesse et au rayonnement de notre cinéma dans le monde.
Je serai, je tiens à vous l'assurer, une ambassadrice de cette diversité et de cette richesse du cinéma français de par le monde.
Quand aux sujets plus techniques, il y a évidemment la question des contenus numériques et celle aussi de l'audiovisuel.
Sur le numérique, ce sujet suscite de nombreuses inquiétudes et j'en ai tout à fait conscience, je tiens à vous assurer, à vous rassurer, sur ma mobilisation. Le respect du droit d‘auteur, le respect de la rémunération, indispensable à la création, sont pour moi tout à fait fondamentaux. Les évolutions technologiques imposent une adaptation des cadres, qui ont historiquement été au coeur de notre évolution cinématographique, l'innovation si elle est bien organisée peut contribuer à élargir, à enrichir, à diversifier l'accès de tous aux oeuvres du cinéma, aux oeuvres audiovisuelles, mais cela doit se faire dans un cadre régulé.
Nous n'imposerons pas de solutions toutes faites, nous avons décidé comme cela a été annoncé pendant les mois qui ont précédé l'élection présidentielle, d'organiser une large concertation qui associera toutes les parties, tous les acteurs, qui sont concernés par l'évolution des modes de financement, de consommation, et de rapports aux oeuvres liés au numérique.
C'est le ministère de la Culture et de la Communication qui aura la responsabilité de ce dossier. Ce travail collectif comprendra évidemment un aspect de bilan sur les mesures législatives prises au cours des dernières années, sur les forces et les faiblesses des dispositifs.
Je tiens à rappeler notre attachement à une dimension fondamentale pour le cinéma, qu'Eric Garandeau a évoqué tout à l'heure, qui est l'objet de discussions et de nombreux travaux, y compris au CNC. Il s'agit de la chronologie des médias. Là encore c'est un sujet que j'ai déjà eu l‘occasion d'aborder, de manière très embryonnaire pour le moment, car l'entretien était très court, avec la commissaire européenne. Nous sommes attachés à ce système mais là aussi il y aura un travail qui sera mené dans le même esprit : la concertation, l'élaboration collective, la mesure, la pondération et jamais la précipitation.
A l'issue de ces travaux, des mesures, des évolutions pourront être proposées. Cela prendra le temps qu'il faut. Les pratiques elles-mêmes ont évolué, il y a une maturation des comportements de nos concitoyens vis-à-vis du numérique. Nous chercherons à entendre toutes les parties concernées et élaborerons ensemble les mesures qui nous permettrons de continuer à faire vivre, à défendre la vitalité de notre cinéma français au service de ce rayonnement culturel de la France.
En un mot tout cela se fera avec vous, tout cela se fera au service de l'intérêt général, nous avons tous à coeur que ce qui nous réunis aujourd'hui à Cannes, ce qui nous est souvent envié dans les autres cinémas du monde, soit toujours aussi performant, aussi fertile, aussi fécond et aussi attractif demain et après demain.
Le second dossier essentiel concerne l'audiovisuel. L'audiovisuel contribue pour une part très importante au financement de la création. Une série de défis, là aussi, se pose. Les nouvelles chaînes qui arrivent sur la TNT, les opérateurs dotés de gros moyens financiers et qui sont prêts à investir massivement, la télévision connectée, la délinéralisation des programmes, les enjeux liés à la vidéo à la demande, le poids des géants de l'Internet, autant de sujets éminemment techniques, avec des impacts et des enjeux culturels qui peuvent là encore déstabiliser notre système de financement de la création.
Il ne s'agit pas d'être fermé, d'être rétif, à toute évolution, il s'agit simplement de veiller à ce que au nom de la modernité, des évolutions technologiques, nous ne perdions pas ce système qui a permis au cinéma français de résister et de s'affirmer comme l'un des seuls aujourd'hui dans le monde à pouvoir être mis en regard des succès du cinéma américain.
Ce qui me semble important de souligner c'est que toutes ces questions sont liées et ne doivent pas être traitées séparément. Nous serons très attentifs, dans l'examen de tel ou tel mécanisme à consolider et à conforter l'équilibre d'ensemble, cet écosystème dans toutes ces composantes. Je tenais aussi à saluer le travail qui a été réalisé pendant toutes ces années par le Centre national de la Cinématographie et de l'image animée car effectivement c'est aussi une dimension importante de notre créativité, les films d'animation, la filière industrielle de l'animation en France est aussi une filière qu'il faut continuer à encourager parce qu'elle est extrêmement créative, extrêmement performante, parce qu'elle rencontre de grands succès de par le monde. J'y serai très attentive.
De la même manière, je serai attentive aux questions concernant le jeu vidéo. Le jeu vidéo fait partie du périmètre de mon Ministère.
Le travail du CNC sera là aussi un élément essentiel des réformes, des évolutions à venir dans le périmètre du Ministère que je dirige. Cela ne sera pas possible sans une concertation très forte, sans un travail accru au niveau européen. J'ai commencé à prendre des contacts avec certains de mes homologues, je sais qu'aujourd'hui l'une des dimensions de la politique culturelle se joue à Bruxelles. Je serais très vigilante, très exigeante, très présente sur ces dossiers européens.
L'exception culturelle française, cet acte II de l'exception culturelle, que le Président de la République souhaite définir avec vous, se joue aussi au sein des instances européennes.
Qu'il s'agisse des aides d'Etat, de la fiscalité, du programme MEDIA, des coopérations que nous devons relancer avec des partenaires bilatéraux. Toutes ces questions sont indispensables à un ministre de la Culture français qui veut continuer à défendre et à promouvoir le cinéma français.
Il s‘agit donc pour moi, dans cette prise de fonction, de vous tracer les grandes lignes, de vous tracer des perspectives, de proposer un travail avec vous, un travail en concertation, un travail avec l'ensemble des acteurs, de vous assurez d'un engagement personnel très fort au service du cinéma, de la culture, des créateurs et aussi bien sûr avec l'objectif d'élargir toujours les publics et démocratiser l'accès à la culture.
Je serai à vos côtés et je serai là pour servir modestement, humblement, le cinéma français. Je sais que je suis nouvelle Ministre, une jeune Ministre comme certains m'ont fait l'amitié de me qualifier, mais je suis aussi une femme politique. Je pense que c'est important de montrer que la politique culturelle c'est avant tout de la politique. Il faut pouvoir négocier, il faut pouvoir construire des rapports de force, il faut pouvoir trouver des soutiens, trouver des majorités à l'Assemblée, j'espère que nous aurons une large majorité bientôt. Il faut aussi parfois sur certains sujets, sur certains amendements, être présents, connaître la machinerie parlementaire, connaître le fonctionnement des commissions, connaître aussi les interlocuteurs dans les différents Ministère,et bien sûr dans celui qui nous impressionne le plus, le ministère des Finances, du Budget.
Il faut aussi pour cela avoir, je pense, une conviction chevillée au corps, celle de savoir que l'on travaille pour l'intérêt général. C'est la raison pour laquelle je veux m'appuyer pendant mon mandat sur la confiance donnée par le Président de la République et celle des électeurs qui ont voté pour moi en 2007. Je pense qu'il est important de remettre la culture au coeur de la politique. C'était aussi le message des grands noms qui ont construit l'identité du ministère de la Culture. Ces grands noms étaient tous des grandes personnalités, de grands hommes ou de grandes femmes politiques. Je n'aurai pas la prétention de me mettre à leur niveau mais c'est en m'inspirant de la manière dont ils ont pu agir que je veux tracer des grandes lignes pour les semaines et les mois à venir.
Je vous remercie pour votre écoute.Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 24 mai 2012