Déclaration de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, sur la politique de prévention de la délinquance, la réforme des conseils communaux et départementaux de prévention de la délinquance (CCPD) et la définition de nouveaux conseil locaux de prévention et de sécurité, Montpellier le 18 mars 1999.

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Circonstance : Rencontres nationales de la prévention de la délinquance à Montpellier le 18 mars 1999

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Jai voulu ces rencontres nationales parce que vous demandiez la parole, vous qui êtes les acteurs au quotidien de la prévention et de la sécurité dans nos villes.
Lors de mes déplacements, nombre dentre vous mont dit combien ils souhaitaient pouvoir se rencontrer pour repenser ensemble la prévention et la sécurité dans nos villes. Cest lobjet de ces journées.
A la suite des recommandations qui mont été présentées lors de la table ronde, je voudrais relever, en présence de monsieur le Premier ministre, les traits saillants que nous devrons collectivement prendre en compte.
I - une politique de prévention rénovee
a/ Articulation prévention et sanction
La politique de la ville, par son approche globale, transversale, doit permettre lharmonisation des actions de chacun dans un projet partagé par tous. Elle doit permettre larticulation entre prévention et sanction.
Nous savons bien quaucune action éducative ne peut réussir à insérer, socialiser et apaiser, si elle ne sadosse pas à une règle que lon fait respecter. La sanction rend crédible laction préventive menée en amont. Mais, dans lapplication de la sanction, il faut prendre garde à ne pas détruire le patient travail effectué auparavant.
Pour être efficace, la répression doit être juste et ressentie comme telle.
Lexercice des missions de police doit également sexercer au plus proche des citoyens. Cest lobjet du grand chantier de la police de proximité menée par Jean-Pierre Chevènement.
Au-delà de ces seules notions de prévention et de sanction, nous savons bien que la sécurité et le sentiment de sécurité, ne se limitent pas à la lutte contre la délinquance mais concernent tous les aspects de la vie quotidienne.
Vos travaux ont permis de réaffirmer cette dimension globale qui fait de la sécurité et du sentiment de sécurité dans la ville, un volet essentiel de la politique de la ville.
II - la sécurité au quotidien dans les villes
De nos travaux, je retiens trois priorités pour une politique de prévention rénovée.
a / Le réseau de veille éducative et préventive
Il faut tout dabord renforcer la vigilance de tous les acteurs sociaux et mieux mobiliser leurs compétences au service de la prévention.
Jentends souvent dire - et vous lavez répété aujourdhui - " si nous étions intervenus plus tôt, nous aurions pu éviter la délinquance ou la violence de cette personne ".
Nous ne pouvons pas attendre sans rien faire que les mêmes causes produisent les mêmes effets : il nous faut agir en amont, mais cibler plus notre action que nous ne lavons fait jusqualors.
Bien sûr, léducation est la condition première de la prévention. Nous devons éduquer avant dêtre obligés de réparer. Les rencontres de Tours seront loccasion de préciser comment chacun a une part de responsabilité dans léducation.
En matière de prévention, je suis frappé de constater combien sont riches nos compétences. Mais, trop souvent, une puéricultrice, un enseignant, un animateur sportif et dautres encore, ignorent les possibilités daides ponctuelles pour les enfants et leurs familles, lorsque celles-ci sortent de leur propre qualification professionnelle.
Ces ressources doivent être mobilisées très tôt pour éviter de devoir recourir à un accompagnement éducatif sous le mode administratif, ou à une mesure judiciaire.
Je souhaite que tous les adultes en contact avec des enfants constituent un véritable réseau de veille pour léducation et la prévention. Il nest pas nécessaire de créer une nouvelle structure spécialisée. Il faut dabord que chaque professionnel fasse son métier.
Ainsi nous réduirons le risque de la dérive vers la délinquance.
Vous avez dit combien pour être efficaces, les acteurs de la prévention devraient vaincre leurs cloisonnements. Cest ce mode dorganisation en réseau, à partir dun CCPD rénové, qui permettra dy parvenir.
Nous savons aussi combien les parents doivent être soutenus. Avec la délégation interministérielle à la famille, nous avons engagé la construction dun large réseau associatif daccompagnement des familles.
b / Solidarité et insertion
Les politiques de prévention et de sécurité se sont également constituées autour de laction solidaire.
Au colloque de Villepinte, le Gouvernement a réaffirmé que la sécurité est un droit pour tous. Or, les premières victimes de linsécurité sont les plus défavorisés de nos concitoyens.
Laide aux personnes victimes dactes de délinquance est un devoir de solidarité nationale que la politique de la ville a soutenu dès son origine ; nous devons lamplifier encore.
Sur proposition dElisabeth GUIGOU, le Gouvernement sest engagé dans ce travail. La mission confiée à Marie-Noëlle LIENEMANN - et dont les conclusions seront remises ces jours-ci - nous permettra de franchir là aussi une nouvelle étape.
La solidarité de la collectivité sexprime aussi à légard de ceux qui sont le plus en difficulté. Cette solidarité ne constitue pas un acte de bienfaisance.
Aider la réinsertion des sortants de prison, mieux prendre en charge les personnes toxicomanes, développer les peines éducatives - pour les jeunes, mais aussi pour les adultes - toutes ces orientations ne sont pas lexpression dun quelconque angélisme.
Si linsertion pour tous est un droit, linsertion de ceux qui ont, à un moment donné commis un acte de délinquance est une garantie pour notre cohésion sociale. Elle implique la coordination de lensemble des intervenants - judiciaires et non judiciaires - pour réussir linsertion des plus en difficulté, au plus près de leur espace de vie, par une action de proximité.
Pour être efficace et respectueuse des droits de lindividu, cette coordination requiert une véritable confiance entre les acteurs que les conseils locaux de prévention rénovés devront concrétiser.
c / Apaiser les conflits de la vie quotidienne
Retisser les mailles de la société, aider au dialogue, faire comprendre à chacun le point de vue de lautre, constituent autant dactions de prévention à part entière.
Les pratiques de médiations se sont ainsi multipliées contribuant à améliorer la vie du quartier. Elles sont indispensables car elles permettent dapaiser les petits conflits de la vie quotidienne que la Justice ne peut prendre en charge.
Les agents locaux de médiation sociale mis en place dans le cadre du programme " emplois jeunes " constituent déjà une expérience très riche denseignements sur le fonctionnement de la ville et de nos institutions.
Ce sont de nouveaux métiers de la ville qui émergent ainsi progressivement. Ce foisonnement dinitiatives traduit une attente forte des acteurs locaux. Vous avez demandé que lon garde à ce mouvement sa souplesse tout en veillant à linscrire dans une cohérence densemble. Cest cet équilibre que je souhaite préserver.
Il nous faut aussi réformer les conseils communaux et départementaux de prévention de la délinquance :
Ces conseils ont permis de mettre en pratique une approche partenariale et une conception horizontale de la prévention et de la sécurité.
Leur fonctionnement a parfois été critiqué. Néanmoins, ces instances disposent dune assise légale qui en font la seule structure inter-institutionnelle où la prévention et la sécurité peuvent faire lobjet dune véritable politique publique concertée.
Les conseils communaux et départementaux de prévention de la délinquance incarnent pleinement la volonté dagir ensemble, pour la prévention et la sécurité dans nos villes. Il faut aujourdhui que ces instances reflètent entièrement larticulation entre prévention et sécurité.
1) Les nouveaux conseils locaux de prévention et de sécurité seront chargés tout dabord, de définir les besoins du territoire concerné, en organisant une véritable confrontation des points de vue entre les acteurs.
Ils pourront couvrir un quartier, une commune ou une agglomération, selon les nécessités déterminées localement.
Le niveau départemental devra assurer plus fortement la mise en cohérence des actions et des moyens des services de lEtat, ainsi que limplication des conseils généraux. A ce propos, je voudrais souligner combien jai été satisfait dentendre au cours de ces rencontres la volonté marquée des conseils généraux de sengager pleinement dans le partenariat de la prévention, mais aussi de lensemble de la politique de la ville.
2) Les besoins définis, il faut agir. Nos travaux ont démontré la nécessité dévoluer vers de véritables programmes intégrés de prévention et de sécurité, mettant en cohérence laction des différents partenaires.
Vous avez expliqué que laction dun travailleur social pouvait invalider celle de lîlotier - et inversement. De même, lattitude dun enseignant peut mettre à mal le travail dun éducateur - et inversement. Ou encore, la décision dun magistrat peut dévaloriser un parent aux yeux de son enfant.
Bien sûr, il ne sagit pas dimposer à tous ces acteurs une démarche unique mais de permettre de façonner une culture commune et une confiance réciproque.
3) Enfin nous savons que la politique de la ville ne sest construite efficacement que là où elle a pu être portée par un chef de projet, véritable cheville ouvrière du projet commun.
Il est désormais indispensable de disposer dun professionnel responsable de lanimation, du suivi et de lévaluation des contrats locaux de sécurité et des autres programmes de prévention et de sécurité.
La réforme des conseils de prévention de la délinquance devra nous donner les moyens dimpliquer réellement les habitants à tous les stades :
- au stade du diagnostic : car les attentes réelles savèrent souvent plus complexes que les demandes supposées.
- au stade de la mise en oeuvre : car il nest daction efficace sans adhésion de la population.
- au stade de lévaluation, enfin : car le débat démocratique est le seul à même de garantir la légitimité de laction publique.
Je proposerai que ces nouveaux conseils locaux de prévention et de sécurité constituent linstance unique délaboration des contrats locaux de sécurité ; ils ont naturellement vocation à sinscrire dans le contrat de ville.
Ailleurs, nous proposerons, avec les autres ministères concernés, les mesures de simplifications nécessaires.
Je crois pouvoir retenir de ces journées une conception très claire de la prévention et de son rôle : prévenir, cest insérer, ce nest pas exclure. Combattre la violence et le sentiment dinsécurité, cest donc aussi combattre les inégalités et le sentiment dinjustice.
III - Inégalités et Sentiment dinjustice
a/ Un sentiment dinjustice généralement fondé sur des inégalités réelles
Notre pacte républicain est malmené, parce qu'une partie de la population ressent fortement un sentiment d'injustice qui lui fait perdre toute confiance dans nos institutions. Cela est dautant plus vrai que ce sentiment d'injustice est généralement fondé sur des inégalités réelles.
Les discriminations à l'embauche ou dans les loisirs, l'expression d'un racisme latent, les préjugés négatifs à l'égard de certains quartiers, le faible nombre ou linadaptation des services publics, tels sont les éléments de la vie quotidienne qui alimentent souvent la volonté de révolte des plus jeunes et la fuite dans lextrémisme ou la résignation de certains adultes.
Pour autant aucune violence nest tolérable. Mais, ne restons pas aveugles plus longtemps face au désarroi de toute une partie de nos concitoyens.
De nombreux jeunes croient au discours de légalité républicaine et à celui de la citoyenneté ; ils ont joué le jeu de lécole et des diplômes, ils ont refusé les tentations de largent facile et se heurtent pourtant aujourdhui à la porte close du monde du travail et des loisirs. Pourquoi ?
- Parce que leur nom est à consonance étrangère;
- Parce que leur adresse traîne une mauvaise réputation qui alimente les a-priori.
- Ces mêmes discriminations frappent à nouveau à lentrée dune discothèque ou dune piscine ; et cette logique se répète lorsquil sagit daccéder à un logement.
- Le sentiment dinjustice sest étendu, hélas, au-delà des rapports individuels. Il concerne aussi lensemble des institutions publiques.
Vos travaux lont rappelé : interrogés sur le climat de sécurité dans leur ville, nombre dhabitants mettent en cause leurs mauvaises relations avec les services publics : contrôles didentité mal vécus, répétitifs, chômeurs insuffisamment accompagnés par le service chargé de les aider, prévenus et même victimes que le juge nécoute pas, familles mal reçues aux guichets daide sociale.
Toutes ces situations sont vécues comme lexpression de larbitraire du plus fort et non comme lapplication du principe dégalité devant le service public.
Bien sûr, cette perception nest pas toujours fondée. Mais, il en est du sentiment dinjustice comme du sentiment dinsécurité : il doit être pris en compte alors même quil ne reflète pas entièrement la réalité objective.
La mauvaise qualité des relations entre population et institutions affecte aussi les agents de ces services qui eux-mêmes subissent lagressivité, vivent cette relation sous un mode défensif et cherchent à y échapper. Je sais que nombre dentre vous sont conscients de ces difficultés et tentent dy répondre courageusement.
Jai entendu également les jeunes qui disent " stop à la violence ", ils nous rappellent quils sont eux aussi victimes dinsécurité. Il faut en finir avec cette image qui les identifient à une menace pour la collectivité alors quavec lensemble des citoyens, ils sont des acteurs de la sécurité. Je ne souhaite dailleurs plus entendre parler de la " délinquance des jeunes ", mais seulement de jeunes délinquants !
Ces jeunes nous disent aussi vouloir faire une partie du chemin pour lutter contre la violence. A nous de savoir leur répondre ! Refusons la méfiance a priori, accordons leur la présomption de légitimité à laquelle ils ont droit. A nous den faire des partenaires à part entière des politiques de prévention et de sécurité.
b / Refuser la logique daffrontement
Ce constat ne doit pas nous décourager, mais au contraire nous mobiliser.
Vous êtes nombreux (magistrats, associations, enseignants, élus, policiers...) à avoir témoigné de la possibilité dinverser lengrenage de cette logique daffrontement, par le dialogue, la connaissance et le respect de chacun, ainsi que lévolution des pratiques professionnelles.
c / La mobilisation face aux violences
Il faut dès à présent agir pour relier à la collectivité cette partie de la population qui part à la dérive, dans loubli. Il faut redonner confiance de part et dautre, établir les conditions dun dialogue.
Pour répondre immédiatement à cette urgence, je vais lancer un programme national de formation danimateurs, chargés de soutenir les acteurs locaux confrontés aux violences urbaines, en particulier les agents des services publics afin quils se retrouvent autour dun projet commun.
Ces animateurs seront formés pour recréer les liens entre services publics et habitants, pour répondre aux situations de violence et aider les institutions à retrouver toute leur place dans les quartiers.
Pour débloquer une situation locale conflictuelle entre population et institutions, il nous faut rendre crédible la parole des habitants aux yeux des administrations. Il ne sagit pas de prendre pour argent comptant toutes les récriminations, mais de faciliter, dans des situations de conflit, lexpression du citoyen face aux institutions.
Mesdames et Messieurs, la politique de prévention est au coeur de la politique de la ville et au centre des attentes de nos concitoyens. Ces rencontres dacteurs auront permis de renouveler notre pensée pour disposer doutils plus efficaces. Montpellier ce nest pas table rase sur le passé. Cest au contraire un nouveau point de départ de laction gouvernementale.
Gilbert Bonnemaison avait, au début des années 80, symbolisé cette approche dont nous nous inspirons pour la renforcer au regard des réalités daujourdhui. Cest véritablement ensemble que nous renforcerons la sécurité dans nos villes. Cest notre pacte républicain qui en dépend.
(Source http://www.ville.gouv.fr, le 04 mai 1999)